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HISTOIRE
DE
L'AUTRICHE
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Goalommien* — Tjpog. Albbbt PONSOT et P. BPODARD.
HISTOIRE
DE
L'AUTRICHE
DEPUIS LA MORT p£ MÂRIË-THËRËSE
jusqu'à nos jours
LOUIS ASSELINE
-•-ia««->^B»0«^-^
PARIS
LIBRAIRIE GERMER BÂILLIËRE ET €>«
PROVISOIREMENT, PLACE DE l'ODÉON, 8 f'
La librairie sera transférée i08. Boulevard Saint-Germain,
le 1" Octobre 1877.
4877 ^
Toni droits réserréi.
•' ,. '
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\.
TABLE DES MATIÈRES
iHnooucnoN • • . ix
Index bibuogbaphique xxi
LIVRE !•'. — DE LA MORT DE MAME-THÉRÈSE A LA RENONCIA-
TION DE FRANÇOIS DE LORRAINE - HABSBOURG A LA COURONNE
UCPÉRIALE D'ALLEMAGNE. (l'AUTRICHE ALLEMANDE. — LUTTES
CONTRE LA RÉVOLTÏTION ET L*EMPIRE. — 1780-1804.). .. 1
CHAPITRE I«'. — Règne de Joseph II. — L'unité administrative.
— Réfonnes religieuses. — Réformes sociales^ économiques,
militaires et judiciaires. — Résistance des nationalités. —
Exposé de l'histoire et de la constitution des Hongrois. — Les
. Roumains. — Révolte des Pays-Bas. — Démêlés avec la Prusse.
— Guerre avec la Turquie. — Mort de Joseph II 1
CHAPITRE IL — Léopold II. — Abandon du système de Joseph.
— Traité avec la Prusse et paix avec la Porte. — Soumission
des Pays-Bas. — Pacification de la Hongrie. — Les Serbes. —
Transylvanie , 31
CHAPITRE III. — Entrée en lutte avec la Révolution française.
— Pilnitz. — Mort de Léopold. — François. — Alliance avec
la Prusse, — Campagnes de 1792 et de 1793. — Affaires de
Pologne; deuxième partage. — Thugut. — Campagne de 1794.
— Paix de Bâle entre la France et la Prusse 41
CHAPITRE IV. — Troisième partage de la Pologne. — Conspira-
tion de Martinovics en Hongrie. — Campagnes de 1795-1797.
— Préliminaires de Léoben. — Traité de Campo-Formio. —
Ck>ngrè8 de Rastadt. — Campagne de 1799. — Alliance austro-
Vï TAM,EaWS ii'ATIÈftBS
russe : Zurich. -*- Marengo. et'IloketiliBdeB. *-*' Paix de Luné -
yiile, — FinaUfeôs eutriehiennes. '^.^Biète 'hotigreise de i&02.
— Réorganisation de rAUemaigbe. -• Empiré 'hénédiikàtréld^u-
triehe. .: -..-... ^i .....,*...- 1 f • *.* •]•}• 'r rt t- / i i^f
Il -1 . ' . I
ulL r^ DK LA FANDATIOîi DE . ^ EMP^J^E o!f ÇTRIÇHE A. LA
; RÉyOLpjION DE 1848., [sDITE DES LUTTES CONTRE l'eM^I^ïî./
CONGRÈS PE VIENNE. — APSOLUTISME, 18C|4-1848j) .^,,^ ,,, , ^ ^1
CHAPITRE !«'. — Empire français e*!; royaunie d'Italie. -^ Nou-
Vefllè côàlltlbn. — Cam^iagné de 48061 — Gapitulàtièn d*Ulmi —
Prtise de Vîeiilie. — Austerlitz. — Part dé Presbowg. -^ Dfete
^ 'hongroise • dé 1805. — If^apoléon'et les' H^mg^oi*; *^Gonfédéra-
•' tîttat àii' Rhin. — PréVisions-de Geûta* -^ Mîûistèrfe Stadioïii —
' Diètèf «cmgpolde de 1807»et 1«08. — EMt^erue-tfErfurt.w. '81
CaiAPitRÉ II./— Càmpagjcie de 1809. — Èckmûhl. . ^' Deuxième
prise de Vienne. — Êssling. — Bataille de Raab'. -f- Wi^am.
— Paix de Vienîie.*— ïhsuirectîon du'TyroT."-^ Mariage de
Maric-Louiée. -i- Tihaùfeé^.^^-^" ÔaaqiierDtrté? de î^lï.'^' Diète
hongroise de 1811-18*2.'' -i'MrdiaHdn"dè'l'A'tttrichei -^ Ôatanlle
de Leipzig. — CamtyagAe dè'Pifenfcé. -^ Tf àité 'de PëWs. . ./' 91
GHAPITOE III. — Congrès deViefline. — L^. Pologne. '-^ -h^^^^
butiçn de territoires. — Nouvelle constitmUon^âUèiii^^çlç.j —
Waterloo. — Metternich et la réaction en Autri^çhe^ rjf^La
société. — Le peuple. — Les nationalités. — L'Eglise.'— Fi-
nances. — La Lombardo-Vénétie. — La Hongrie. — La Sainte-
AlUanee. — Réveil de FAUemâ^ne; ^ Résolotion»^ dô^C^HUid.
— -Congrès de< Troppau, d« La^ach -et de. yérone* — Le ^iel-
. '})erg. — La police^, —.Affaires turques- .,.,,, ^,.,pj,,,« 101
CHAPITRE IV. — La révolution de 1830. — InsijiiTjeftipn, de3
^ Qon^agnes* ^r. Insurrection de Pologne. — Agitaiion en AÏle-
,j m^n^, 7- pé^plution 4e .Vj^enné; — ^fongrié : Diète de jl825
..et renwss^njçe. — Diète d^ 1832. ^ Mort,dQ^j;ançois. '■ — Fer-
, dijaan4il''' tt L^s B^ândiera, —pie ^. — AjBfjpires ^urgues de
.,1840, ' — ^yéi^pm^nte rj^^ Gçîllicie^ -y Cra<fovie^. .,...^.".,1., ,^133
LlVftEjnl — i)Tp La ilévôLUTïoii de f 848' a la gc^rre d'iïa-
.' LIE EN 1859 (lutté DES 1^ATiÔNA1;ïTÉS. — DESPOTISME ' DE
BACH ET DE SCHWARZENBERG. — GUERRE DE CRIMÉE. — GUERRE
d'italie.) .'....'.."..«.'..'.... i^
' . .1*'
CHAPITRÉ I«>f. — 1848. ^ Situation de rem{)ipè : HdiiigWe, Croatie,
Slavonie, Dalmatie; Serbes; eonfififl^militfiire»;*Tran87iiranie;
TABLE MS MATliRBS VII
• Crallide ; Bohême. — Réyohitioas en Allemagne. — Journées
. 4e Buur». -^ Fuites de Mettemich. — Constitution du 25 avril.
*-^ FerdiaoïaBd à Insprûck. ^ Journées de mai • 155
CHAPITRE IL — Hongrie. — Diète de 1847. — Kossuth. — Minis-
tère Batthyani. — Lois hongroises de 1848. — Insurrection
serbe. — JeUacic. — Insurrection des Roumains. — Bombar-
dement de Prague. -^ Pologne. — Italie : défaites de Charles-
Albert : 182
CHAPITRE III. — Débats de la diète hongroise. — Jellacic entre
ejfiHongrie^ — Bataille de Pakozd. — Vienne : massacre du
ministre Latour. Ferdinand àOhnûtz. — Bombardement
de Vienne. — Bataille de Schwechat. — AVindisgraêtz. —
Abdication de Ferdinand : François-Joseph. — Prise de Buda-
- Pesth. — Le gouTemement hongrois à Débreczen. — Bataille de
Godollœ. — Bem en Transylvanie. —Constitution du 4 mars 1849.
— Déclaration d'indépendance de la Hongrie. -^ Intervention
russe,— "Capitulation de Vilagos. — Supplices d*Arad. — Novare.
— Venise...... 203
CHAPITRE rV. — Ministère Schwarzenberg. — Bach. — Réaction.
— Parlement de Francfort. —:. Archiduc Jean. — Parlement
d'Erfiirth^ — Conférences d'Olmûtz. — Dix ans d'absolutisme.
— Voiévodine serbe. — Finances. » Abolition de la Constitution
du 4 mors. — Concordat de 1855. — Zollverein. — Guerre de
Cmiiéè. — ' Congrès de Paris. — Guerre d'Italie. — Solferino. —
.Villafranca. ; ; 235
LIVRE rV. -^ DB LA &CERRE d'ITALIE A NOS JOURS. — (TENTA-
TIVES CONSTïTTTTIONNELLES. — GUERRE CONTRE LA PRUSSE. —
LE DUALISME AUSTRO-HONGROIS, 1859-1876.) 263
CHAPITRE I*r. — Hésitations constitutionnelles. — Conseil de
Tempire. — Constitution du 20 octobre 1860. — Constitution du
26 février 1861. — Déak. — Diète hongroise de 1861 et son
adresse. -^ M. de Schmerling. — Tchèques, — M. de Reichberg.
— Affaires d'Allemagne. — Congrès de Francfort. — Affaires du
Slesvig-Holstein. — Paix de Vienne. — Affaires de Pologne. 263
CHAPITRE IL — Préliminaires de Sadowa. — Conférences de
. Gastein et coi^venjtixui. — . Ministère. Belcredi. — La diète de
Francfort vote l'exécution fédérale contre la Prusse. — Sadowa.
— Italie : Custozza et Lissa. — Traité de Prague 288
CHAPITRE III. — Le dualisme. — M. de Beust. — Exposé de
la Constitution de décembre et du mécanisme dualiste. —
Gonstitntioii 4e la Cisleithanie. — Constitution de la Translei-
thaoie* -^ Lms 4M)nfessionneUeâ. — Finances. • • • • 306
VIII
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE IV. ~ Politique extérieure. — Fête des tireure alle-
mands. — Mouvements des nationalités : Bohême; Croatie-
Gallicie ; Roumains. ^ Révolte du Cattaro. — Serbes. — Minis-
tère Potooki. — Guerre franco-allemande. — Ministère Hohen-
wart. — Entrevues dllsch, de Gastein et de Saltzbourg. —
Chute de M. de Beust : M. Ândrassy. ^ Réforme électorale
de 1873. — Conclusion 326
i )
I ■
; M-
! ■ » i ;
'Il
INTRODUCTION
Avant d'entrer dans l'histoire de l'Autriche depuis la
mort de Marie-Thérèse, il est indispensable d'avoir une
notion très-exacte et très-nette de la formation territo-
riale et de l'ethnographie de cet empire compliqué. On
ne comprendrait rien à la série des faits, si préalable-
ment on ne se rendait pas compte du milieu spécial où
ils se sont produits.
L'empire d'Autriche s'est formé de matériaux dispa-
rates, juxtaposés, sans qu'aient pu les fusionner les di-
vers systèmes de centralisation essayés ensemble ou
séparément par les hommes d'état de cet empire : cen-
tralisation par la bureaucratie — par le despotisme
politique — par le despotisme religieux — par la ger-
manisation — par le militarisme. Le plus récent sys-
tème, à l'essai duquel nous assistons et qu'on appelle le
DuaUsmej paraît déjà voué aux mêmes échecs. Certes,
elle était ingénieuse, l'idée de couper l'empire en deux
pour essayer dans chaque moitié ce qui n'avait pu
réussir daD8 Tensiemblei il étail sédnvsaivtj de ^ëe dir^
ôntre^ Allemands et Magyai^ :; Pmsqu^après tan*' de
luttes*, nm» Ti'BLy&iis ^ nous: abeôrbeir iba daAs-rauipey
centraUôons chaciiti dan^ ïiotre: sqphèi^ej'moî Mïeiûiawdlî
en deçà d^e iB,L^tha,^èn 'germanisant les Tchèques' de là'
Bohièîlnie- et d\ft laMoi'a'^îei leis Polonais et les^ Rûttién^
de la Gallide, les SlbvÀq;àes delà Moravie et deikt Silén
si^èj'les S^bo-Cï'oated de là DiJmatlej' lès-^ovèwesf de
]a< Garînthiev de la Styrie et dQ la 6ai*niblev3iesiltailiefi8
du Tyrbl et des 'bords de = i'AdmtâJque ; vôois/ Magyar,
aU^tfèlà^ de l|i liieithà, en m^gyarisant les^ Sei^p^Grôa^es
d)é'lk>Gi^Ofttie;'dè'la Slavonie,-des «onfins' milttûreéiet db
la^olé>tt^dîjrei'les'^B;ouhiabts^' deila Tibasjdhrahie tet'âes
comptais dti'Sud;leB'âla9â^«iieSides'.(»}mltat6 durNord; ;i
Mais on à vàin^meiit dé^dbfê) lè itérer 'Oèn^aîiBa*
tettr .' Pesth fee heurte àUîi'mêïÈi'es diffifsultée qae'Vifenmei
et- ne^ pésoul! ^as pluâ la qttebtion crte^ey- laJ'qnié&ttori
8él*e, la^ttestiônf Tottmaiïie, que ^iknmf ner^tiômphi
de là kïuè«stî<yh ' tchè^iie,^ de la question' polonaisei'de^ lé
question mthèna. G'est qu?e dans eetempi'fe lentemewl
fotftié'pfetk* les ^Habsbourg, èbaqbe race^ oônserré* son
type, sa langue j ^on îiïdlvldiââtHté 'et qde ièette 'hiOsaï^
^& • mfenogrâphiqttè n''à jamais^ c'dto^tiiâî ' ton '{>ëuif)le
ofiMélHeU; eottifae'^l y a tin; ï)euple' Mttçàis 'Ot* ^«H
féupïf^ àA^lrisi De plus ^chacune d'elles a éftê^reubteà!
i'tmpifëk (tes titl'e*' divéts : eohquéte, kchat^ liteage^
hérltagée,' life^ë conseritelnent'; Or lè-bas lefr ' tradition^
hifetoriques joiient^n rAlcprépoladéraèt : ledniît pubKb
sY appuie beaucoup plus sur les trtrlBs, les paTcheifains;
les 'ôonti'ats pbudreuxvque sui? le-'cb^ô^è^ ôâttfrelî^t s«#
l'intérêt' gënércrf. îieôVeyaiumeè^et les^provîAdt^'^evewdF
mTftODUCTIOK XI
quônileut aaiociMiie M. nom de pacta»* originaire» li^
brem^nt eon^nti&tet; qu'ils considèrent comme ayant
toujoui!s- Iftlc^ de loi. Fi^uron&tnoua la Bretagne réda**
Di^iune existence à part, iavoquant 1^ stipulatîopA
in QonlarÉjt 4ei mariiag^ d'Mne et de Cbarles YIU, .pré-.
teod^Htifue'ae 4ontiratilûL; assuira jume a4n)iiiiati:atioi)
paiiticftilidre et;l!i}saga officiel de la langue arnior^aîneiy
dt>argwmetitaRt:de la svdte de siècle» où elle a eomstitùé
lui^ùodividi^aUtié hi^cfriqiie douée- d-une destinèi^ prqpi^q
eiid'ueilyitialLfcé:eonti0iii€f^J?$isQ)iS:le même effort' d^tn^r
gkfttiiûn pont la iPvovôDi^K ]^mxv h Btorn, poiir> lai^anr
dînei Reppésenlbons-nous > ces. proYiqee^. . ctie^-qb wt : infatih
gAlesn0ni>^toft l0Ura-pj|rleiilentat4p4e)a^^v:daA$ Iieur
littëfatfnd^ dtmlsiJtei%rsi';li'a4i^QQ&ll0ca}q$). £laiQ!s la« pous-
ftièir^^^leuirft iu^ldV6S[(4^t çt4»f9 les. plus lointains ^onve-
pii!3id^l(liipisatiioi)dlitér 4^ points de résistance ft^oo^re
te>{}0«iivpiQipenAQalri'^&â,otaires aux Lpuië Xi, aux- Ri^he-
l«l^ffiiiaiix.iM«9'3yiV,n>yattt jamais v^ creuser entre
li$iHtp^s#ietileiiir'pré8Qi)t le gtand(o$âé d*«un B9| et no^s
M»TyH)i9tUAe «id^e appro<5bante de ce qui se pa^se dam
TAutTiobei.} M fçst t^utel|t.^lé de son hiâloii^ ifi^éri^jL^re»
: -ijÈ.tnfUo#0^4'a)^ordla.fbr99Qiajtio(Qier^^^ ;- f/.
I i!,|illlips^i /^ffluefut jda Dfoïub^, ^séparait au ix- »M^ : te
8ftvi^e,^fl^îiiqttp dfV r€ryaun>e deÉf H^m m Âv^^*
ÇhffifieD^gpe i<;o«qui|t ce .ngr^iuia© enpluftieurs! qflfmp^^r
gaep>.(7JÏ|r78H)'^J; il;.4?onfia à^desHÇpmt^ ou; ijnaçgraves
l^'gouyerneme^tjd^ la > zone, militaire qu'il , avait créée
dQ.Oe.Qi^téfpQur la ptu^tection' de ses domaines et qui
n^ttt Je jd^ùip^ de MmeJm Amtriaoa (marche orieptate).
G0S maiig^il^igi si<^u8iJi0ui94e4îros;parvinreiii. à rendre
^eiiai^jA^tédjitaire,dan8tlettr;faniil]Qt la f^n^lle d6
xn INTRODUCTION
Bambergou Babenberg. Ilar^oreat :dea empereurs Tin^
vestiture des conquêtes qu'Us faisaient: sur les .Hongrois^
tribus ouralcMiltalques ou de race jaune lOiélangée.d-é^
léments turcs dont les rapides. cavaUerS, induits par
A^pad, avaient envabi la vaUée du Daattbe« Pisu àpeu^
ils arrondirent ces pi?ovinces qui ont seujes, droit au
nom d'Autriche (Haute Autriche, linz; et/Basaè-Au'*
triche, Vienne) et formèrent de Tancienne àiarohe aux
limites indécises un fief compact et homogène. En 1156,
Fi^déric Barberouase leur conféra le titre de duc, hâré-
ditaii:e à perpétuité;
Alpra, ai^^ur de ce noyau des pays de l'Eus et de la
Salza, commepç^ çç travail d'anneppon de, prof^^© en
proche d'où est sortie rAuJrifjJie. moderne. En 1192^ les.
ducs autrichiens se vii^nt léguer Jia Stylée (Gra^tz) pax
son possesseur mort sans enfenjts. /Aut coi^p^^aceniient
du xiii* siècle, ils achetèrent la Car^iole^. (Ji^ayMch) .
1650 marcs d'argent. Quand, à Textinction de l^np^f^fp^
de Bamberg (1346), ces possessions passèrent àOttoi^ar^f
roi de Bohême et beau-frère du ;deroipr des Bamberg,
elle^ étaient déjà, trèsrrespectables. ,
En 1273, un petit gentilhomme d'Argovie, Rodolphe
de Habsbourg» fut élu empereur d'Allemagp^. En 43^78^.
iljd^fit et tua à la bataille de Marckfeld le puî^siant!
Ottokar, eten 1232 la diète d'Augsboprgd^égua. à ses
deux fils la possession de l'Autriche, de la Styrie et de
la Garniole. La maison de Habsbpu^g; était. fondée,, et
se? ducs, empereurs ou. noA;, reprirent ,le'travail\d'an-
nexion des Bcunberg. '
En 1335, ils reçoivient par investiture impériajb la
Garinthie (Klagenfurth), à la mort de son dernier due.
INTRODUCTION XIII
SbrgHeffite à la grande boa^he (Mauhtach) leurlègae le
Tyrol, auqud par des acquisitions successives ils par-*
viennent à donner ses limites naturelles de lltalie, de
la Suisse et de la Bavière. Ils réunissent les comtés de
Goritzet dô Gradisoa. Vers 1375, les habitants de Trieste
se donnent à eux librement pour échapper à la domi«
nation de Venise ;
Bientôt «Couvre pour la maison d'Autriche cette ère
des grands mariages qui soudainement lui valut une si
énorme extension et que résuma le distique railleur de
Hathias Corvin tant de fois cité : « Bélïa gérant aUi.:, 5)
Le 20 août 1477, Ferrant Maximillèn, fils de Pfé-
déric III, épouse Marguerite, héritière- de Gharles-le-
Téméraîre. Leuï* fils Philippe le Beau épouse à son
tour Jeannerla-Péllè, héritière d'Aragon et de Castille,
dont il a Gfiàflèà-Quint et ï'erdinand. En 1522, Gharles-
QrfHll'*c^îS& à ^ôn 'frère Ferdinand toutes les possessions
allèihàiides dé la maison d'Autriche, et la même année
FèpcKnahd épouse Anne Jagellon, sœur et unique héri-
tière de liiuis, roi de Bohême et de Hongrie. Gé splen-
dide héritage ne tarde pas à s'ouvrir : Louis succombe
sdoa tés coups des Turcs à la fameuse bataille de
ïfôhacz (1526) et son beau-frère Ferdinand t^éçoît la
Bohême iavec ' ses dépendances (Moravie, lés deux Lti-
saces) et la Hongrie avec ses partes anneùcse (là Croatie,
la Slavônië, et les droits éventuels à la Dalhiâtîe coh-
quise par les' VéAitiens).
En 1699^ là Transylvanie, indépendante sous ses prin-
ces depuis 1526, est réunie à l'empire, cédée, après la
défaite dé Zentfïa, par Michel II Abaffl. '
La paix de PàssarowîtTr donne en 1718 à TAutrièhe le
XIV IWTII^^WPION
Baaat 4e i T«iii«lw«r^ eeaâioa< ùonSrmM ^n = 4 !739f < paf if
irai^é de fiel^raple* Piu6r t&rd ifs Turiost cèdent ^eaeom,
par letràîté de;Kama4gl,: 6n 1777^ J(a Bukovine.: < ij
En 1772, le grand crime du pi^^m^er pialHagé'âe^to
Poloigt»etlivre!à:rAiiilrtôhe la GialUme ori€fntate, etite'C^^
alème\ptii^t (l(795).la>Gallici^<oeeidenta)64St»fiQ| p!^i&&-
iant itoujduiis ^et -qaaiid mème^ le» Hab^oûrg acquièrent
au. traité de Ûdmpo^otÉiio (1791) llstriev k Dàlmalie
fétniienne icrt les* 'Bouches du Gattaro ; à eefaii de LuQoé-
^Ite {tSÙà) le» évèchés de Tnsnte t^ de^BMxens^Eni 184(1,
4èErn9^An^k6s<S(si {iuremiBiit let •simpltaient la ville libre; de
^raèbvib cMasonridièrriiloire. "/ ^.»
• MNoU8>n'aion6iOû[itotidinii&,dBnd'ee fa^Mbde )et'peiit<4étiire
addë tableali'de'faufbifHiiatiqnifisrriteriale de VAutiâche;,
que les pays qui, au momeiDit .^ittinous^^crivetia, .foiii
-pairtte iété^ante deila mOnaireUe.iiMab'^lQB^'^tres
pays out'loijirrà tour étéréunis^' séjpajrês) reotoqpuâ»
puis définiiivÀmeikt enlevés à lad^minalioii des-fiato-
bourg iJès Pays^baë (Bel^qiiÀ< actuelle) .qu-^ilalontipti^*-
aëdéAiide)i774ià i^OOsle* (rdyausnafLaoaJyBiM-VéliHieifi
-qti'ils^ oht «pevdu'en !B59) et m iê6B ■; ' les diomai6ed. ;héfî^
éftaires daens le - Bcisgau ^^libèurg^ fit^ ¥ieux-*firâi»K^
ttédéa ou g^aaid-ducbé ditf Baidetii m r » : >. i .< ./, ,-,
i.iQaeUesisotitlés'ratcôsreiiiOontàcri éur^ciAciilifiÉiei^aief?-
xftoirBcqui's'ètend^idnilac ideGoilstdnoeiÎHstpi'aU fond^da
iflroisaafit'dleB BMJeatuèiBC.Karp0lbe6<eti(tej^u
qué'ju8(^'à la -Yisftule«?i!Voici les; résultais' dJ9s«p1ita tiré-
jcenteâ sfoti^ques^ L'^Kaàtitpdèyestien: liaiieillë. olaitière
<le laiplus' haute irapoutahaeviiKar^'i^flibite^ombiiei qtt'tinh
voquaient les ÂllemMidd pour geréiAhtedf; llAxiltfic^i et
o^estle iioitibre' e^em qulnvorqaent les âtavHs-pbur
itéelAim^îîJn i târut^t rôle^dans 'l'«mpire t 'Les< e1iifilheft> sont
Un spiidttti^<ébri&4la¥pbicUr6'4a'âflk^
iiMci lait^ai^Itlon^d'Vifpi^b'lé ^isècifinséhifent 4ié é969ir«ki
^fCK^kJdiema^ffiB'ébf&e Uieuf mMlicnDi' 455^800 -indiividtd ;■ Ià
liàeeiiiii^ei^Yeéiàei^ âiilllôiis A4ô;4^i;ikira€e itmgrotse
-0«(Riag^âPé'iSy6& eh»j[inilllûdni8 «Sâd^jOdO- ft hi'raiie'/alàie
i^èicr trffîsrtsiUièni^j4eav60&i (Lefe aoth-eis/saocis tB>p1féftèiar-
tbnti(|U'i)iiipe4itlacMBBlii^fdriikdi)ri
nîens, Grecs, Albanais, etc., eè liie'fld^nnertb diailknte
miScl iparU ^es^âigglomératftonBj r ilîis«l/&Qn( ide' aoteiVIce*
rpèbâtÉiï1f^uigUa>i]âieeJffémitix{ûË^ douoie
' nljéi^rti^dceéBMitilvfcmefiefallemandes- fivM Ja Hiaiite
AaQri(!to'iet^it»Haîbichéi/deh SahKboui^ i(10û<jO/0« d'AUeh
iSÉiAls^'iji la>Ba8BeiAiitmèhe (97*0/01) JLeffiAUemandsbdfiit-
iiy|fi[elitodaiikj)a 'Sl^è'i(«âiCl(M^i-là. Claidathiè <7S.a^G^.^.Ife
fffM^ët'h&i30^»mihBV^f^^f^/&}; eJi/gllésîéîls^fotni^nitla
iitt»iié'Jâ6f3lau|^ofMllatSiMy (âô jQf^i^;>En>Bobè«ertl68r AUfr-
Jiiibii;â6ithd:i4a)i6{ton4iiplusi 1^ 391 0/iftnet^eii!iM6-
ravie pour 25 0/0. Danshkû Hbiîi^^^i-ijIsi.fcirineBti'Uii
1^t(p9'4»it(àSÙi,Qm Indhiidufi, iâ'ft/g ^0 da-la' >pop||la-
4lo^ (tolala ,i i^lr^ i^IsuR» ibt <Dràh 9^ vs^
^Ml;dû0^ JbOj||/â)0/0^èla|poiiulaidolk M|l8isacasS>ai)i 1^
-imnoiiil^dhiiëikisiaàiitrerf pvbVfnbei^jiAii/totistl, dam.Tenr
«câitble (èsi to@i5l0ithaiik[«qJdJiiB>gQÛYe7iieni&,: où- ils ont
*llé^iiiDhia>qpolitÂqpiie;ia:di»mistrftti]fa ett.fiiianciiènet, ik
^ptfteëollMAdt ^ûfùAah. papalédmai i /
lijiLps^fioiil^oââl du Magyars^ jsesla éo lewf^^raûe '^nifiur
XYI INTHODUCTIOIV
rope: avûc tes Tm'Gf;, fornie&t dans la HoiigFii^.nn^^roa]^e
deqlfâAre miyions 700,Q0Q ittdiyi<ia&,: ou 45 O/P^ie la:
population iotâley et éam la Transylvanie» soos le iiam '
de Szeklers ou Sieules, un autre gv<m|>e de 530^000 in^t
dmduB, otL 26 (^0 de la population de la priocipauté.
Au'tûtai, dans là Tranftttitbiajiie qui leuir esili^céa pdi-r-
tiquemes^et administratiyement, comme la GiskiyianiA
1^^ aux Àlldmand&» ks Magyare représentent 'âSjO/û .de
la population. < « -i
iD^yjant oefi deux race» pkoéeis à la iCte de chacune
dfié beàiiehes du Dualisïlie: inventé €si tout .au. moins
ecmsdoré pàrMi de Beust, se dresse la arace dave, plus
nombreuso è^éiU tendâ^E^ >!es> Allemands, et Jes HcKngrois '
réunfe. ^ '';••: 1-
Il faut distinguer les Slaves du Ndrd j et les Slaves du
Sud ou Yougo Slaves, séparés lés nns;diés> autres pas les
pays hongrois et par les pays allemands. : ^^ •(' ' ; i.
Les Slaves du\Nord^ au nomhre de plus' de)dauie
millions^ comprennent les Tchèques de la Bohèùiey de 1
la Moravie et de la Silésiè^ les Slova^eedes comitals' du î
nord fie daHoffgrie) les Poloilais de la Gallide, les Bu^
thènes ou Petits-^Rtiseesde la Gallicie ot de la Bukoiâne^
Liss .Tobèques^ Moraves et Slovsufues représenten/tiea!
Bohème 66 0/0 et en Moravie 74i 0/0 de la populatiodou
Les' Slovaques entrent pôlir 17 0/0 dans la population
dé la Hon^ie^ Les Polonais représentent- 43 0/0 en
Gallieie, 29 0/0 en Silésie, mai^ ils ont 'pour tivaux
n^omériques en Gallicie les Jiuêhènes qui. représeontent
45 0/0 et qui s'élèvent dans la Bukovine à 52 0/0^ Au
total, l'élément slave septentrional est deprès de 55 0/0
dans la Gisleithanie.
IIITRODUCTION XTH
lus&'ïoago^SiaVès, au nombre de quatre aillions
250,<X)0j ediàprenaeirt : le groupe serbo-erfnte qui hsr
bile Ja Crostie^ la Slavonié, la Daimaiie, le Banal et las
afiddAd içônfiois militaires, et le g£0\xpê>shwne(m 'sriskde
dang la Stjrie, la Qarinthie, la Gamiole et Tlstm. Les
Serbo^roates s'édèrent jusqu'à 88 0/0 eh Dalmatie,94 0/0
ôfifGroatie^Slavoniet 84 0/0 dans les anoieiiB oonAns mi*
litairefr, 26 CyO dans les proymoesde Trieste et de QotH^i
les Slovènes à 90 0/0 en Gamiole, 59 0/0 à IMëste^o^
riiz/ 36D/0 en Styrie, 280/0 en Garinthie; Au totcd, lès
Yougo-Slaves représentent 30 0/0 de la pepulatfoû dd
la .Transkâtluttie^ en retranchant leô SUbxéB^» et- les
Serbo'Clirùates qui iomi partie de IsaGiMi^hànie (Gamiole,
Trieste-Goritz, Styrie, Garinthie etDalmatie surtout dont
ils ne cessent de réclaii^r raniiexioh à ia Grôatie) et en
ajontaat te icxmtié^nt des confins militaires dernière*
ment abolis et ré|^artis entre diverses provinces.
•Iiataeè latine, représentée par les iSoi^mam^ et par
left' Itcdtetis^ iexiste surtout dans' la Transleithanie. Les
BoUQïainsf, qui provieonent, croitH>n, d!un mél»nge'de
Daces et de colûnd romains, forment 57 0/0 de la^opnla-
tm de la 'Transylvanie et 12 0/0 de celle <le Itî Hongrie.
Bn C&sleHhanie, on les trouve à Tétat de groupement'
daikS'la Bokovine (43 0/0 de la population), et dans leà'
ex-confins miUtaires (13' OfV), Us ont été longtemps op*
prbnésv à peine tolérés, bien que de leur sein soient
sertis Jean- Huiiyadé et Mathias Gorvin et récemnaent
e&eo4?e ils: ne égaraient paâ^mème, malgré lemr nombre,
parmi lestroâ nations >de Tranâylvaiue ; aussi leurs re-
^ndicktions sonti-elles énergiques.
Les Italiens sont surtout répandus dans Trieste^io-
XVIII tNTRÔÛtJCT'IOÏ^
rite (37 0/0) et tlaris le 'T3^^ôï (42 0/0).' lié forment' îin
peu pÎTis tjtie le dlxîèrtt^e de la population de ta^Dal-
matîe. H y a à, TViesté imparti itaHànûsimé qui y ôii'
dMt !larhïex:ion dii' graiïd^ôrtde rAdriàtiquë à ïltâliè;'
îl' y a aussi' défe aspliràtions séparatistes tt^és-reniùantès
et'très-éhergiqùeédatis1èT>T0l. ' '" ' ' ' '
"Oh peut dire, en Résumé, que sut les 35 à i3& mil-
Uàné d'habitants^ iiué i*Austro-Hbngrié ' nourrit sur les
624,073 kit carrée, il y a 46 0/0 de Slaves, 26 O/Ô d'Alle-
niÀilds, 15 1)/0 de lià^ars, 10 0/0 de Latins et 3 0/0 de
trffeti^*divêrses, surtout; de Juifé.
Ce f àï)leau^^eul donne une première idiée de là cbm-
piéxtt'é dès' question^ qui s 'agitent en Âutrîclie. Toutes
ces nationalités jùktàpoéé^s luttent contre 'lé pouvoir
central, ' mais dé plù's elles* Itittèiit'eïïtrfe elles jusque"
dahsTêtroite enceinte d'une prdvihéé.'Dkns la' (jàllièië.
Polonais et Rûthènes se dètésteiit; dans la'-fifalïsyï-
vanie, les Roumains se débattent sous lè ptèrf dèFMil-
gyars, des Szeklers et des Saxons. On connaît les Tréven-'
dications des Croates et dès Serbes contre les Magyars :
elles ont sauvé le despotistne autrichien eiï ^49.
; Ce qui ajoute encore à ces difflcultéô, c'est qu'aux
fronfièréfe mèmfes de l'Autriche, existent des points d'at-
ti*aôtidri' qui agissent sûr ses différentes nationalités. Le
Pm^érmahémè sôllibite ses Altemands et le Pûnstavisme
ses "Téhèques, sies Croates, ses' Sei'beset ses Ruthèue».
Enfin la prinéî^atité iù^épéndàitiô deSëi^bié éfet t^e^i-dée
par quelques-uns, ftiêtoè après sisfs récents màffieurs,
comme une sorte àe Piémont dahtibien, tfestîné à unir:
les Yougo-Slaves sinon dans uii èrisèriiblé nibttàWhiqûe,
au moins dans une libre fédération. * • • •
ficielet factice, dont les,é][é^Qi^ts,,sqnt.9^3^c^se.^oil^-^^
cijl;és ç^ uûç. force . ceij^^rifugççt ^onit l'avjanîr.,fatal^st
la'fUslo^tion^ :. réfprm^^ ceptr^ljsat^ce^ à wjr^^ce. (^ç,
^•^^^A fffï if^^îPÎ^"^™^ (^W^aucra^iqu^ et. poUçâ^ de,
^V)TO^^ ab^plpti^ifl^ jifl^itaire, a^p^^ et^rel^^,
gieux des ScWarzenberg,et|deë^3aç^,,parlea^e;[)^ri^^
^M^ ^P.§?^??fS^WnÇiV.fAdéraii?i?î^ç'ti^^^ ^1-
h
séyérapime^t j)^^tiq|:^^e|,pçir. Ip9 Habsbqurgs, habiles à
^^Kfi^Wil^AiM^P^?!^^^ haines réciproque? de?.
^WfîW'^fiHn^^. ^P i^^W^^ qu>ne . CQ|0^dinatio^ et<
'iftHW% è'W^^^ ?^r^î^^ depuis lougtepapp conduiU
. Qu^^ »^ J'^i^ff e ^e^ft^iieur^ fie i:Autr^clie, pHe, ^r.
résume f^>J!i^Vi^ PP^fl^î d'uixç,part,luUe, contre l^.Pru8f|B
¥ft, y^jatJ.l^c).H^'fi,.,çûîa!i,éwl^epi^^^ ^^t^ ipor^lenf^t .^^u
njpqfi^ gjçfipi^fjiquq ejt, çopte^ qui.yeut ahsorr*
% aiest^ii^ppijLt? d^yea, eti^yçc %ueUe, pftr le par^a^e.
4ç,la,^^|QCTie,i qlle ja, VwpFp4epce' de ,?g û^e)fcj4:e,4(rçç,t^
m^^,fl09^c|.; d^^jV^tf^» — ,4çeHç poçtjipp .de isoq.
^fi9ff^,ï fe^WW^«î^«t,p^4^ de; nos. J<?i?j^. ~. lutte»
eitf^^îipie ç9^t]Çiç.J[a.I)^ypJ^^pn.^pi]u^ toui^a^e? fqfpie^;
ppflT, gu^, jl^ ,f^tçp^^fSW«ï^t.M^S ^cpou^sas. du. debp?»,fit ,
^.Kjt|^P*igfl,l^s.ff|fiç^,^Q^Ve^^ ne.jnçttçnt.pas en p^ril,
l'équilibre si laborien$ement étalai eutr^ les ip^t^îiaux
XX INTRODUCTION
hétérogènes de Tempire; Timmobilisme européen de-
vait garantir Timmobilisme intérieur.
Sadowa a fermé à l'Autriche le monde germanique
et a placé le centre d'intérêts de l'empire sur le Da-
nube. Elle s'est difficilement résignée à cette situation
prévue par Gentz dès 1804 et la voici, en 1876, devant
le double péril du renouvellement du pacte dualiste et
de la question d'Orient.
Ceci dit, nous pouvons entrer avec quelques fils con-
ducteurs dans cette histoire touffue et sans unité, qui à
vrai dire se compose de vingt histoires différentes et où
nous avons dû, pour être clair, beaucoup abréger et
distribuer par grandes masses nos innombrables maté-
riaux.
• ' < .1 i-'< ^
INDEX filfiLIOGMPHIQUE
Nous n'ayons^ pas vouhi' citer au bas de chaque pàgei oos
sources et les nombreux documents qui nous ont servi. Mais,
sans mentioiiiier les sources allemandes et austro-magyares,
nous cpoyoBSTetiû^lir un devait» de i<>yai!rtè: et»^ "reconnais-
sance en indiquant ici les principaux ouvrages français.
Citons d'abord les deux excellents volumes trop peu connus
de M. Alfred Michiels : Histoire de la politique autrichienne
depuis Marie-Thérèse (2« édition, Dentu , 1861, i vol.);
Histoire secrète du gouvernement autrichien (3« édition,
Dentu, 1861, 1 vol.).
Marcel de Serres : Voyage en Autriche, 4 vol. 1814.
A. de Gerando : La Transylvanie et ses habitants, 2® éd. 18S0,
2 vol. — De Vesprit public en Hongrie depuis la Bévolution
française, — Essai historique sur Vorigine des Hongrois,
(1 vol.)
H. de Sybel : Histoire' de VEtJtrùpe pendant la Révolution
française (3 vol. in-8% Germer Baillière, 1869-1876).
E. Sayous : Histoire des Hongrois et de leur littérature poli'^
tique de 1790 à 1815. (1 vol., Germer Baillère, 1872). Puisé
aux sources.
Saint-René Tallandier : BoJiéme et Hongrie^ xv* siècle, —
xix« siècle, i vol. 1869.
Gamier-Pagès : Histoire de la révolution de 1848, in-8»*
Louis Léger : Le monde slave; voyages et littérature é
i vol. 1873. — La Bohême historique. 1 vol. 1867.
Daniel Livy : L'Autriche-Hongrie : ses institutions et ses
mtionalités. 1 vol. 1871.
Anonyme : Les Serbes de Hongrie, leur histoire, leurs pri""
Xxn INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
vilégeSf leur église, leur état politique et social. 1 vol. 1873.
Œuvre de première main, de la science la plus accomplie.
Iranyi et Chassin. Histoire politique de la révolution de
Hongrie, 1 vol. 1859:
Félix Martin : Guerre de Hongrie en 1848 et 1849, 1 vol. 1850.
Becueil des traités, conventions et actes diplomatiques, con-
cernant l'Autriche et l'Italie, 1703-1859, 1 vol. 1859.
Smolka : Autriche et Russie, avec une préface de M. Henri
Martin. 1 vol. 1869.
Comte de Mûlineu : Les finances de V Autriche. 1 voL 1875*
De Laveleye : La Prusse et VAutriche après Sadowa, i vol.
1869.
Léonard Chodzko : Les massacres de Gallicie et Cracovie^
confisquée par VAutriche en 1846, 1 vol. 1861.
Anonyme : Le Pays Yougo-Slave (Croatie-Serbie), son état
physique et politique, sa fonction dans Véconomie générale de
r Europe, 1 vol. 1874.
Auguste Himly : Histoire de la formation territoriale des
états de V Europe centrale. 2 vol. in-8». 1876.
J'indiquerai en outre : la collection de la Revue des Deuah
Mondes et notamment les articles de MM. H. Desprez, E. de
Langsdorf, Klaczko , G. Perrot , Sayous , V. Cherbuliez,
Alexandre Thomas, Cyprien Robert, Albert Dumont, Bamberg,
André Gochut, etc», les collections du Journal des Débats, du
Mémorial diplomatique, de VOfficiel, de la Réforme économi-
que, de V Annuaire encyclopédique (très-informé sur TAustro-
Hongrie), de V Annuaire Lesur, de V Annuaire des Deux-Mondes,
de YAlmanach de Gotha, du Tour du monde (articles de
MM. Duruy, G. Perrot, Yriarte, etc.), de la Correspondance
Slave, etc., etc.
HISTOIRE
DE L'AUTRICHE
LIVRE I"
DE LÀ MORT DE MARIE -THÉIIÊSE A LA RENONCIATION DE FRANÇOIS
DE LORRAINE -JHABSpOURG A LA COURONNE IMPÉRIALE d' ALLE-
MAGNE. (l'aUTB^CHB ALLEMANDE. — LUTTES CONTRE LA RÉVO-
LUTION. ET LyEMPIRE. — 1780-1804.)
CHAPITRE I"
Règne de Joseph IL — L'unité administrative. — Réformes reli-
gieuses. — Réformes sociales^ économiques, militaires et judi-
ciaires. — Résistance des nationalités. — Exposé de l'histoire
et de la constitution des Hongrois. — Les Roumains. — Ré-
volte des Pays-Bas. — Démêlés avec la Prusse. — Guerre avec
la Turquie. — Mort de Joseph IL
Marie-Thérèse mourut le 29 novembre 1780, laissant
pour successeur son fils Joseph II, déjà empereur d'Al-
lemagne depuis 1765. Le cercueil de la virile et dévote
souveraine fut insulté comme celui de Louis XIV : on
ni jeta des pierres; un régiment de grenadiers dut
ASSELINB. 1
2 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Tescorter jusqu'à son dernier asile. Elle laissait TAu-
triche intérieurement et extérieurement dans une situa-
tion difficile.
A l'extérieur , la Prusse grandissait prospère sous
Frédéric II qui devait survivre six ans à Marie-Thé-
rèse. Cette Prusse, qu'il avait prise avec 2186 milles
carrés et 2,240,000 habitants , Frédéric la léguait à
son successeur étendue à 3452 milles carrés, peuplée
de 5,430,000 habitants et dans un irréprochable ordre
financier. La monarchie des HohenzoUern avait déjà
conscience de sa mission : se mettre à la tête du monde
germanique en rejetant l'Autriche hors de l'Allemagne :
c'était l'unique préoccupation de ses souverains et de
ses hommes d'Etat vis-à-vis d'une rivale qui, depuis
Charles-Quint, était devenue surtout hispano-latine et
la représentante de l'idée catholique contre la Réforme.
L'alliance française, cette chimère réalisée à l'éton-
nement du monde, grâce à la déplorable politique des
ministres et des maîtresses de Louis XV, allait cesser
d'être avantageuse, car la France devait devenir aussi
fatalement l'ennemie de l'Autriche, au nom des idées
révolutionnaires, que la Prusse au nom du germanisme
et de la réforme. Vainement Marie-Thérèse avait placé
sa fille Marie-Antoinette sur le trône de France et son
autre fille Marie-Caroline sur le trône des Deux-Siciles :
ces alliances avaient mêlé sans résultats politiques le
sang des Bourbons à celui des Habsbourg-Lorraine.
L'acquisition d'une partie de la Pologne, dans l'o-
dieux partage de 1772, mettait l'Autriche en contact
direct avec la Russie , aussi désireuse de la chasser du
monde slave que la Prusse de la bannir du monde
allemand.
En Italie, les Habsbourg avaient travaillé pour leur
part à l'agrandissement du petit royaume de Sârdaigne
qui plus tard devait être l'occasion de leur expulsion
de la. péninsule. A la paix d'Aix-la-Chapelle en 1748,
Marie-Thérèse céda le haut Novarrais et Vigevano à
REGNE DE JOSEPH II 3
Charles-Emmanuel III, celui-là même qui disait en par-
lant de ritalie qu'il voulait manger Tartichaut feuille
à feuille.
A l'mtérieur, l'Autriche offrait le spectacle de plu-
sieurs états féodaux plus ou moins pénétrés dans
leurs institutions particulières de l'esprit du moyen-
âge et où la lutte des religions compliquait celle des
nationalités. Sans doute la Pragmatique-Sanction de
Charies VI, édictée en 1713, et dont le but était d'éta-
blir l'union indissoluble de tous les états de la monar-
chie, avait été successivement adoptée par les diverses
diètes de l'empire, mais cette union n'existait que sur le
papier. Les Hongrois, par la convention de Szathmar
(1711), avaient consenti à ce que la couronne de Saint-
Etienne fût désormais héréditaire dans la maison de
Habsbourg, mais ils avaient stipulé que cette royauté
ne serait reconnue et ne produirait d'effets légaux
qu'autant que le Habsbourg de Vienne se serait fait cou-
ronner à Pesth avec l'antique cérémonial et aurait prêté
serment à la constitution autonome du royaume. Si la
Bohême, épuisée et morne depuis le gigantesque égor-
gement que Ferdinand II lui avait fait subir, ne protes-
tait plus, elle était désaffectionnée et ne demandait que
1 occasion de manifester son hostilité traditionnelle. Les
Pays-Bas autrichiens (la Belgique moderne) étaient prêts
à se soulever. Les autres états étaient invinciblement
attachés à leurs chartes locales, même à celles qui con-
sacraient les plus odieux abus du passé, servage, corvées,
exemptions d'impôt, inégalités sociales, etc.
L'héritier de cette situation difficile, Joseph II, était
alors âgé de trente-neuf ans. Il apportait sur le trône
catholico-féodal des Habsbourg des idées toutes mo-
dernes et un système politique bâti de toutes pièces au
nom d'un idéal d'unité puisé dans la raison pure. Son
principal éducateur, le ministre Bartenstein, l'avait fami-
liarisé avec les idées du xviii* siècle, surtout dans leur
sens anti-papal, mais sans le pousser plus loin que ce
4 HISTOIRE DE L AUTRICHE
qu'on appelle actuellement le vieux catholicisme. Le
cerveau du nouvel empereur offrait quelque peu limage
de son empire : des matériaux juxtaposés, mais non
fondus en un harmonieux ensemble.
En 1765, à la mort de son père, il avait été élu empe-
reur d'Allemagne, titre devenu à peu près nominal, car
le Saint-Empire romain, comme le disait Voltaire, n'é-
tait plus depuis longtemps ni saint, ni empire, ni romain.
L'antique machine constitutionnelle impériale, rajustée
tant bien que mal par le traité de Westphalie, fonction-
nait à peine et les Habsbourg n'avaient jamais vu dans
ce titre qu'un moyen de servir leurs propres intérêts
et non de travailler à l'unilé allemande. Mieux valait
l'énorme fortune que Joseph recevait de son père Fran-
çois de Lorraine, empereur spéculateur, agioteur et
banquier, qui se consolait dans le négoce d'être simple
prince-époux. Réduit lui-même par son impérieuse mère
au rôle de prince-fils, il occupa ses loisirs à des voyages
et à des études militaires. Du 18 avril au 30 mai 1777,
il exécuta son célèbre voyage en France, qui acheva de
TafiFermir dans sa volonté de faire de l'Autriche un état
moderne, laïque et fortement centralisé.
Dès son avènement, il se mit à l'œuvre, sans tenir
compte de l'énorme complexité d'intérêts, de traditions
et de tempéraments ethnographiques à laquelle U
allait se heurter. Semblable à ces philosophes du
xviii« siècle qui construisaient de toutes pièces dans leur
cabinet un plan gouvernemental destiné à être indiffé-
remment adapté à l'équateur ou au pôle, il voulut, dans
le court espace d'un règne, mener à bien une besogne
à laquelle il fallait plus d'un siècle ; il ne réussit
qu'à montrer l'impuissance pour le bien du despotisme
même le mieux intentionné. On a eu raison de remar-
quer que son programme était presque entièrement
celui réalisé dix ans plus tard par notre assemblée
constituante, mais un individu ne peut faire ce que fait
un peuple librement représenté : même dans une Au-
L UNITÉ ADMINISTRATIVE 5
triche débarrassée du dominant problème des nationa-
lités et des droits historiques, il eût été inhabile à
accomplir comme roi ce que la Révolution accomplit en
France par la souveraineté populaire. Quand il répondait
à une marquise de Versailles qui lui demandait s'il
sympathisait avec les insurgés républicains d'Amérique :
« Mon métier à moi, madame, est d'être royaliste », il
faisait prévoir la stérilité de ses réformes. Nous verrons
qu'en plus d'une occasion, il imita ce monarque oriental
qui voulait que ses sujets fussent heureux sous peine de
mort.
Il commença par refuser de se faire couronner et de
prêter serment aux constitutions locales : puis il établit
brusquement l'unité administrative en divisant tout
l'empire en treize départements : l<>Gallicie,2* Bohême,
30 Moravie et Silésie, 4* Basse-Autriche, 5* Autriche
centrale, Styrie et lUyrie, 6"* Tyrol, 7® Autriche anté-
rieure (Souabe), 8® Transylvanie, 9® Hongrie et Banat,
l(y> Croatie, il* Lombardie, 12* Pays-Bas, i3<* Goritz,
Gradisca et Trieste. Chaque département fut divisé en
cercles administrés par un gouverneur. Il décréta une
foule de mesures pour faire planer au-dessus de ces
divisions l'unité de langage, l'unité militaire, l'unité
financière et économique, le tout avec la prédominance
germanique.
En même temps et avec une ardeur plus grande
encore, Joseph entreprit ce qu'il regardait comme sa
tâche principale, la réforme ecclésiatique. Il se plaçait
à un double point de vue, l'un légitime : soustraire la
société civile à l'action du clergé; l'autre absurde et
qui fut aussi une des fautes de la révolution française :
réformer le clergé par l'état et légiférer en matière
religieuse.
Depuis Ferdinand II qui disait : « Plutôt un désert
qu'un pays peuplé d'hérétiques », l'Autriche était de-
venue un véritable état théocratique. L'expulsion des
• Jésuites obtenue par Kaunit? en 1773 îi*avait que biçn
6 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
faiblement modifié cette situation. Une nuée de prêtres
couvrait le pays : au sommet les riches prélats, ceux
de Gran, d'Olmùtz, de Prague, de Saint-Florentin, etc.,
dont les revenus variaient de cent cinquante mille francs
à un million et qui affichaient le luxe le plus scanda*
leux et les mœurs les plus faciles ; à la base une multi-
tude d'ecclésiastiques sans cures et sans bénéfices, vi-
vant de messes et de leçons au cachet et prêts à toutes
les complaisances pour un écu. 2163 couvents, posses-
seurs de biens immenses, entretenaient plus de soixante-
dix mille moines et religieuses. jjCet innombrable clergé
tant séculier que régulier exerçait à peu près sans par-
tage la direction intellectuelle et morale du peuple. Il
le plongeait énergiquement dans la léthargie de l'igno-
rance et de la superstition, l'enrôlait dans les confréries
infiniment multipliées, le maintenait, par la censure, au
régime des petits livres mystiques et béats, lui vendait
des indulgences et le conduisait aux pèlerinages tels
que celui de Mariazell qui mettait en mouvement des
foules énormes. Les petites pratiques, les enlaçantes
dévotions si savamment inventées et organisées par les
Jésuites, remplissaient les vides de cette existence désin-
téressée des choses de la politique, de l'esprit et dé Tart.
Le commerce des agnus Dei, des chapelets, des billets
de saint Luc était le seul prospère au milieu des lan-
gueurs de l'industrie et de l'agriculture, sans oublier
celui de la location au mois ou à la semaine des figures
de cire et des reliques pour l'adoration à domicile. On
exigeait des professeurs, avant qu'ils ne montassent en
chaire, un serment de croyance à l'immaculée-concep-
tion.
Joseph se mit vigoureusement à l'œuvre contre ce
qu'il appelait dans ses lettres la domination des Fakirs
et des Ulémas et pour enlever « à la tribu de Lévi le
monopole de l'intelligence humaine ». Les réformes se
pressent : interdiction aux jeunes Autrichiens d'aller
étudier à Rome ; interdiction aux congrégations autri-
RÉFORMES RELIGIEUSES 7
chiennes de reconnaître Tautorité de supérieurs étran-
gers; suppression de celles de ces congrégations dont
Texistence n'était pas justifiée par des services rendus
à renseignement , à l'assistance ou à la prédication :
vente de leurs biens meubles et immeubles, pour créer
une caisse ecclésiastique destinée à servir des pensions
aux religieux et religieuses sécularisés, à fonder des
séminaires et à construire des églises rurales.
Mais ce fut surtout contre l'ultramontanisme que
Joseph prit ses précautions : il défendit aux ecclésias-
tiques de correspondre directement avec le Saint-Siège.
Il leur interdit de recevoir des bulles et expéditions de
la cour de Rome sans l'autorisation, le placet du gou-
vernement. Enfin il déclara que l'état seul avait le droit
de nommer aux dignités ecclésiastiques et de conférer
des bénéfices. Cet ensemble de réformes fut couronné
par le fameux édit de tolérance du 13 octobre 1781, qui
rendait la liberté du culte aux luthériens, aux calvinistes
et aux Grecs et qui les admettait, ainsi que les Juifs, à
tous les emplois publics.
La vieille Autriche de Ferdinand II, l'Autriche du
fanatisme espagnol et du religiosisme jésuite croulait de
toutes parts. Ces coups formidables lui avaient été
portés en moins de deux années (1780-1782). Il n'était
bruit en Europe que du terrible réformateur, d'autant
plus impatient qu'il avait plus à abattre. La cour de
Rome réclamait éperdument. Kaunitz lui répondait que
du moment que l'empereur respectait la doctrine et ne
pénétrait pas dans le sanctuaire, Rome n'avait pas à se
mêler de mesures relevant exclusivement de la souve-
raineté laïque.
Pie VI, se fiant à son surnom d'il Persuasore (le Per-
suadeur), prit tout à coup la résolution d'aller à Vienne
convertir Joseph par son éloquence. Il arriva le 22 mars.
Joseph le logea au Burg impérial pour mieux l'isoler
et le surveiller. Aidé du malicieux Kaunitz, il ministro
eretïco, comme on l'appelait dans la correspondance
8 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
papale, il fit subir au pontife,'avec une implacable dou-
ceur, toute une série de décourageantes mystifications.
Pie VI finit par se le tenir pour dit. Il partit le 21 avril,
sans avoir rien obtenu et endetté du million d'écus que
lui avait coûté son inutile voyage. Mais les témoignages
d'idolâtrie fanatique prodigués par les foules à sa per-
sonne lui avaient prouvé que le souverain était plus
avancé que ses peuples et que, le souverain disparu, les
peuples lui reviendraient. N'importe I Joseph devait lais-
ser des souvenirs féconds que nous avons vu de nos
jours se réveiller en Autriche où cette fois ils trouvent
le peuple tout préparé. Le joséphisme est invoqué dans
la monarchie des Habsbourg comme le sont chez nous
les principes de 89.
Si avancé qu'il fût, Joseph n'avait aucune idée des
limites de la puissance publique vis-à-vis des croyances
individuelles. Il se mit à régler le culte, à fixer l'heure
et le nombre des messes, à prescrire dans les séminaires
l'enseignement des doctrines de Febronius. Il ne tarda
pas, d'ailleurs, à montrer par un acte déplorable com-
bien un cerveau moulé dans l'absolutisme est incapable
de comprendre la liberté et à quel point le tyran austro-
espagnol demeurait entier sous le philosophe humani-
taire. En Bohême vivaient des paysans purement déistes
qu'on appelait abrahamites et qui pratiquaient paisible-
ment une sorte de religion à la vicaire savoyard. Joseph
n'entendait pas qu'on se passât de religion positive.
Quoi I il soumettait gracieusement au choix de ses heu-
reux sujets cinq ou six cultes divers : catholicisme,
calvinisme, luthéranisme, judaïsme, hellénisme et ces
croquants s'obstinaient à ne pas choisir 1 tout déiste
reconnu fut condamné à recevoir vingt-cinq coups de
bâton. Les abrahamites, que ces arguments n'avaient
pas convaincus, furent transportés, hommes ou femmes,
dans les confins militaires et leurs biens transférés à
leurs parents orthodoxes. Tolérance et bastonnade,
philanthropie et confiscation, Joseph mêlait le tout tant
RÉFORMES SOCIALES 9
bien que mal, et prouvait qu*il était bien de la lignée
mystificatrice de ces rois philosophes du xviii* siècle
sur lesquels s'attendrissaient si naïvement les encyclo-
pédistes.
En 1783, en plein décembre, irrité de ce que le pape
refusait de confirmer la nomination d'un archevêque
de Milan favorable aux nouvelles idées, il partit pour
Rome sans avis préalable et, dans d'orageuses entrevues ^
traita la question en tête à tête avec Pie VI, stupéfait
de son arrivée. Il ne cacha pas au cardinal de Bernis
son intention d'instituer une église nationale entière-
ment soustraite à la suprématie du Saint-Siège et effraya
tellement le pape que celui-ci lui abandonna le droit
d'investiture. La revanche de Ganossa était complète.
Joseph fut mieux inspiré dans ses réformes sociales
et économiques. L'Autriche, ou mieux les divers états
qui composaient l'agglomération autrichienne, étaient
soumis au plus strict régime féodal. Le servage régnait
d'un bout à l'autre de l'empire, aussi bien sous la botte
du magnat magyare que sous le fouet du hobereau
allemand. Le serf ne pouvait ni quitter le sol, ni con-
tracter mariage, ni apprendre un métier sans la per-
mission du seigneur. La corvée et même le service do-
mestique lui prenaient son temps presque entier sans
rétribution et l'empêchaient de recueillir les ressources
nécessaires non-seulement au paiement des impôts et
des tailles qui l'écrasaient, mais encore aux besoins les
plus élémentaires de sa misérable existence. Courbé
sous le bâton et l'outrage, il se plongeait dans un abru-
tissement dont il ne se réveillait que par quelque san-
glante jacquerie promptement réprimée. Dès 1781,
Joseph abolit le servage dans la Bohême, la Moravie et
la Silésie. Il en fit autant en 1782 dans la Garinthie, la
Gamiole et le Brisgau et en 1785 dans la Hongrie. Il
régla rigoureusement le nombre et la durée des jours
de corvée et l'étendue des prestations. Il permit aux
serfs de quitter le domaine natal en payant une rede-
i.
40 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
vance fixe au seigneur. Plus tard, par un ensemble de
mesures importantes, il rendit la propriété accessible à
tous.
La noblesse autrichienne était célèbre par sa morgue
et par son faste. Morgue et faste de parvenus pour
beaucoup de ces gentilhommes qui auraient été bien
embarrassés de faire remonter leur noblesse au-delà de
la guerre de Trente ans I A cette époque en effet, les
Habsbourg espagnols avaient investi des titres et des
J)iens des familles protestantes égorgées les aventuriers
de tous pays accourus sous les bannières de la foi. C'est
alors qu'on avait vu Tempereur baronifîer le valet de
chambre Locatelli et comtifier le palefrenier Luxenstein.
Aux aînés les domaines, aux cadets les hautes fonctions
ecclésiastiques si fructueuses, à tous ce luxe effréné et
cette facilité de mœurs qui donnaient dès lors à Vienne
sa réputation de ville de plaisirs. Joseph essaya vaine-
ment d'établir des relations mondaines entre cette aris-
tocratie hautaine et la bourgeoisie méprisée. N'ayant
pu y réussir, il prodigua les titres de noblesse à qui vou-
lait les acheter. Il fit aussi des prélats et des évèques
non blasonnés.
Mais la réforme économique la plus difQcile, la plus
utile et qui ne devait malheureusement pas lui survivre,
fut celle de l'établissement du cadastre pour arriver à
une exacte et égale assiette de l'impôt. Commencée en
1785, poursuivie au milieu des plus énergiques résis-
tances de la féodalité, cette grande opération fut ache-
vée en 1789, non sans être entachée de ce caractère
hâtif et abstrait de la plupart des œuvres du rapide
réformateur. Elle débrouilla du moins ce chaos fiscal
de redevances locales, de taxes féodales, de privilèges
et de modes de perception qui variaient dans chaque
partie de la monarchie. Le paysan paya régulièrement
12 0/0 à l'état et 18 0/0 au propriétaire du sol.
L'esprit despotique de Joseph se révéla du reste dans
quelques-uns de ses procédés économiques. Pour faire
RÉFORMES ÉCONOMIQUES H
naître le commerce et llndustrie dans ses états endormis
depuis si longtemps sous la théocratie, il ne trouva rien
de mieux que de défendre Timportation de tous les pro-
duits étrangers, depuis les tissus, les vins et les porce-
laines jusq[u'aux bijoux et aux missels. Les produits
déjà importés furent saisis et vendus aux enchères pu-
bliques dans le cloître Saint-Laurent de Vienne : ceux
introduits en fraude furent brûlés ou jetés dans le
Danube. Ce protectionnisme grandiose, dans les souve-
nirs duquel Napoléon a peut-être puisé plus tard Tidée
et les procédés du blocus continental, amena la création
de nombreuses fabriques, car il fallait produire sous
peine de ne pouvoir ni se meubler, ni se vêtir, ni se parer,
ni boire. Mais on ne nous dit pas si les consommateurs
s'en trouvèrent bien au point de vue de la vie à bon
marché. Non apparemment, car Joseph dut prendre des
mesures contre les producteurs ou intermédiaires qui
vendaient trop cher. Tout boucher convaincu de vendre
au-dessus de la taxe ou de fournir de mauvaise viande,
fut prévenu qu*il recevrait cinquante coups de bâton,
vingt-cinq de plus que les déistes. Le bâton était déci-
dément la suprema ratio du César bien intentionné.
Le bien et le mal se côtoyaient sans cesse dans Tœuvre
de Joseph. C'était une vue économique aussi légitime
cpi 'excellente de rendre l'Escaut à la navigation com-
merciale. Les Hollandais avaient fait confirmer au traité
dTJfapech — qui donnait la Belgique à l'Autriche — l'ini-
que article du traité de Westphalie en vertu duquel
la navigation maritime était interdite sur l'Escaut : les
marchands d'Amsterdam ne voulaient pas de la concur-
rence du port d'Anvers. Joseph essaya de rendre ce ma-
gnifique débouché à ses sujets belg^. Il commença par
annuler le traité dit des Barrières (de 1715) qui donnait
aux Hollandais le droit de tenir garnison aux frais de
l'Autriche dans les places fortes belges du côté de la
France, Namur, Charleroi, Ypres, etc.; il démantela ces
places (1781) et exigea le rappel des troupes hoUan-
12 HISTOIRB DE L'AUTRIGHE
daises, puis il entama la négociation de l'ouverture de
TEscaut. Les Hollandais refusèrent, canonnèrent les
deux vaisseaux qui d'Anvers voulurent descendre l'Es-
caut jusqu'à l'Océan, firent appel à l'Europe et surtout
à la jalouse Angleterre et inondèrent les environs de
leurs forts à la frontière belge. On crut un instant à
une guerre européenne. Louis XVI intervint auprès de
son beau-frère. Joseph céda (1784) et reçut pour prix
de son renoncement dix millions de florins, quelques
forts à la frontière hollandaise et le droit de commercer
avec les Indes orientales. L'année d'avant, il avait conclu
avec la Porte un traité de navigation qui permettait au
pavillon autrichien de descendre le Danube jusqu'à la
mer Noire.
Il faut louer aussi ses réformes dans l'organisation de
l'assistance publique, dans l'ordre judiciaire. Il supprima
le crime de sorcellerie, permit la recherche de la pater-
nité, établit le mariage civil, interdit la poursuite d'of-
fice de l'adultère instituée par Marie-Thérèse, impi-
toyable en cette matière et dont les « commissions de
chasteté » ont été célèbres. Mais toujours le même, déjà
pape en religion, il voulut être grand juge en justice :
s'érigeant en suprême magistrat d'appel, il révisait en
personne les sentences, adoucissait ou aggravait les
peines. L'État et l'Église, c'était lui ; et la justice, c'était
lui encore.
Secondé par Lascy, mauvais général, mais grand
administrateur, Joseph, du vivant même de sa mère,
qui avait abandonné ce département à son activité,
réforma l'armée, véritable horde où régnait un désordre
effroyable et qui conservait les habitudes d'indiscipline,
de pillage et de férocité des bandes de Wallenstein.
Règlements pour la cavalerie et pour l'infanterie, numé-
rotage des régiments, monopole des poudres, fonderies
de canons, écoles de génie, de chirurgie et d'art vétéri-
naire, camps de manœuvres, inspections générales,
fabriques d'Etat pour les équipements militaires, inva-
RÉSISTANCE DES NATIONALITÉS 13
lides, ce fut tout un ensemble de mesures vraiment
remarquables d'où sortit une armée régulière. Il échoua
dans ses tentatives pour substituer la conscription à
Tenrôlement volontaire. Le bàtonneur des déistes et des
bouchers maintint naturellement la bastonnade, mais,
avec moins de logique, l'apôtre de l'égalité sociale
réserva exclusivement à la noblesse l'achat des grades
dont il confirma la vénalité.
Dans sa tentative de réforme unitaire, centralisatrice
et laïque, Joseph devait se heurter à deux forces pré-
pondérantes en Autriche : celle de l'ultramontanisme et
celle des nationalités. Les résistances de ces deux forces
sont, à vrai dire, l'histoire de son règne, aidées qu'elles
furent d'ailleurs par sa politique extérieure également
malheureuse contre l'Allemagne et contre les Turcs.
Le signal de la résistance partit de la Hongrie.
Gomme, dans le cours de cette histoire, nous rencontre-
rons constamment la lutte du royaume de saint Etienne
contre le centralisme autrichien , les revendications
dés Magyars au nom de la continuité de leur droit his-
torique, il est bon de jeter une fois pour toutes un ra-
pide regard sur le passé de la Hongrie, d'exposer cette
antique constitution si indomptablement invoquée à
toutes les phases de l'existence nationale, et de nous
rendre compte avec précision des liens qui unissent le
royaume apostolique à la monarchie des Habsbourg.
Les Magyars sont un petit peuple ouralo-altaïque ou
de race jaune, parent des Finnois, des Turcs et des
nomades tartars, descendu de l'Altaï, probablement au
courant du vii« siècle. Fixés d'abord sur les bords sep-
tentrionaux du Palus Mœotides, ils franchirent les Kar-
pathes et envahirent la Transylvanie, l'ancienne Dacie,
où ils trouvèrent une tribu isolée de leur race, celle des
Sicules ou Szeklers descendants des Huns d'Attila. Au
ix" siècle, ils envahirent, sous la conduite d'Arpad, ces
immenses plaines du Danube et de la Theiss auxquelles
ils donnèrent par excellence le nom de Magyarie, Ma-
14 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
gyarosîag. Elles dépendaient de Tempire "de Grande-
Moravie fondé par le slave Swatoplack. Les débris de
la race vaincue, refoulés vers le nord, y devinrent les
aïeux de ces Slovaques qui ont donné Kossuth à la
Hongrie. Après un siècle de brigandages et de razzias
en Allemagne et en Italie, les Magyars, vers Tan mille,
furent initiés à la civilisation occidentale et au catholi-
cisme par leur roi qui prit le nom d'Etienne : son père
Geisa avait failli, sous les inspirations de Byzance, con-
vertir ses sujets à Thellénisme. Il serait intéressant
d'examiner comment les destinées de l'Europe auraient
été modifiées, si les Magyars, rattachés au monde
oriental, eussent retrouvé dans d'autres conditions,
leurs frères d'origine, les Turcs de l'Islam. Etienne
reçut de Sylvestre II le titre d'apostoUque que porte
encore François-Joseph en l'an de grâce 1877 et la fa-
meuse couronne, palladium de la Hongrie. Canonisé,
il devint le patron de ses états, auxquels il avait réuni
la Transylvanie. Bêla P' organisa les comitats, cette
base et ce boulevard des libertés hongroises (1061-1063).
Kalman (1095-1114) réunit à ses états la Croatie, la
Slavonie et la Dalmatie et fut couronné à Zara en Dal-
matie. Comment se fit cette réunion ? fûtrce par con-
quête ou par libre consentement des Slaves croates?
Ceux-ci réservèrent-ils leur autonomie et n'acceptèrent-
ils qu'un simple lien fédéral ? les Magyars sont-ils fon-
dés à considérer les trois états yougo-slaves comme
annexés à la couronne de saint Etienne, partes annexx,
ou bien comme royaumes simplement associés par
union personnelle, socta régna? Ces questions, ardem-
ment discutées de nos jours, ont donné lieu à une foule
d'ouvrages et de brochures, car les rapports des Croates
et des Magyars en dépendent. Il semble bien qu'il y eut
simple association et que l'indépendance de la Croatie
fut stipulée.
En 1142, Geisa II repeupla les parties désertes de la
Transylvanie avec des colons saxons auxquels il assura
HISTOIRE DES HONGROIS 15
les plus grands avantages et dont les descendants for-
ment avec les Szeklers et les Magyars les trois nations
de Transylvanie.
En 1222 les magnats magyars arrachèrent à leur roi
André II la fameuse bulle d'or, qui ne faisait que con-
firmer les droits et usages traditionnels du pays, mais
qui, rédigée en trente-et-un articles à la diète de 1231,
donnait à la Hongrie, en plein xiii" siècle, une constitu-
tion que plus d'un état moderne pourrait lui envier.
L'article 31 consacrait le droit à l'insurrection : « Si
nous ou nos successeurs voulions violer les dispositions
de cette constitution, les évoques et les nobles de ce
pays, tous individuellement, auront à jamais la libre
faculté de résister à nous et à nos successeurs, sans
pouvoir être accusés d'infidélité. »
La dynastie des Arçad s'étant éteinte avec André III,
la couronne de saint Etienne passa à des princes étran-
gers successivement élus par la diète. Le plus célèbre
fut l'Angevin de Naples, Louis PMit Louis-le-Grand, qui
fit de la Hongrie le premier état de l'Europe et l'étendit
de l'Adriatique à la Mer Noire et des Balkans aux Kar-
pathes : il confirma la bulle d'or et l'augmenta de
25 articles. Cette prospérité, après les luttes légendaires
du Roumain Hunyadi et de Mathias Gorvin contre les
Turcs, déclina sous Wladislas qui réunissait les trois
couronnes de Bohème, de Pologne et de Hongrie, et s'a-
bîma dans le désastre de Mohâcz (29 août 1526), où
trouvèrent la mort, le roi Louis II, sept prélats, cinq
cents magnats et trente mille guerriers. La Hongrie fut
ravagée et le sultan Soliman rentra dans ses états en
chassant devant lui, sur le vert tapis de la putza hon-
groise, deux cent mille captifs.
Ferdinand d'Autriche, frère de Charles Quint, recueil-
lit le magnifique héritage de la Bohème et de la Hon-
grie, du chef de sa femme Anne Jagellon, sœur de
Louis IL II fut élu par la diète de Presbourg, tandis
qu'une partie des Magyars proclamait roi Zapolya, voï-
46 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
vode de Transylvanie. Ferdinand dut prêter le serment
suivant : « Nous Ferdinand, par la grâce de Dieu, roi
de Hongrie, etc., jurons par le Dieu vivant, par sa très-
sainte mère la vierge Marie et tous les saints, que nous
maintiendrons dans leurs immunités et libertés, droits,
lois, privilèges et antiques, bonnes et approuvées cou-
tumes, les églises de Dieu, les seigneurs, prélats, ba-
rons, magnats, nobles, villes libres et tous les habi-
tants ; que nous observerons les décrets du sérénissime
roi André, que nous n'aliénerons ni ne diminuerons,
mais autant que nous pourrons, augmenterons et éten-
drons les frontières de notre royaume de Hongrie et
celles qui lui appartiennent à quelque titre ou droit que
ce soit ; que nous ferons tout ce que généralement nous
pourrons avec justice faire pour le bien public, l'hon-
neur et l'avantage de tous les états et de notre royaume
de Hongrie tout entier. Qu'ainsi Dieu nous vienne en
aide et tous les saints ! »
Tous les rois de Hongrie jusqu'à nos jours ont dû
prêter ce serment. De plus, depuis 1622, outre le ser-
ment verbal, ils durent signer au préalable un diplôme
d'inauguration où ils promettaient : « 1® Qu'ils maintien-
draient en pleine vigueur les droits, lois et franchises
du royaume ; 2® que la décision des affaires publiques
appartiendrait uniquement à la diète ; que les natio-
naux, à l'exclusion de tous étrangers, pourraient seuls
prendre part au gouvernement du pays et obtenir des
commandements dans l'armée hongroise ; 3® que nul
citoyen hongrois ne pourrait être traduit devant d'au-
tres tribunaux que les tribunaux nationaux et jamais
ne serait tenu de comparaître devant une cour siégeant
en dehors des limites du royaume ; 4<» que l'intégrité
du territoire serait inviolablement sauvegardée ; 5" que
jamais une armée étrangère ne franchirait les frontières
hongroises ; que jamais aucune guerre ne serait décla-
rée ni aucune paix signée contre l'assentiment de la
diète. »
HISTOIRE DES HONGROIS 17
Telles sont les bases historiques de l'union avec TAu-
triche. Les Magyars n'ont cessé de les invoquer, de
même que les Habsbourg, malgré serments et diplômes,
n'ont cessé de les violer : dès le début de l'union, ils
manifestèrent leur intention de faire peser sur le splen-
dide héritage ramassé dans une corbeille de noces le
double despotisme civil et religieux. Les Magyars résis-
tèrent et de là ces grandes insurrections nationales
d'Etienne Bocskoi, de Gabriel Bethlen, de Georges
Rakoczy, de Tekely, de Prantz Râkôczy, dans le détail
desquelles nous ne saurions entrer et qui aboutirent aux
traités de Vienne en 1606, de Nikolsbourg en 1622, de
Presbourg en 1629, de Linz en 1645, consacrant tous
l'autonomie hongroise. Le sanglant Léopold !•' dévasta
la Hongrie, décapita les plus iUustres patriotes, livra le
pays aux jésuites et aux bourreaux et déclara à la diète
de 1671 qu'il possédait le royaume de saint Etienne
par droit de conquête. Emeric Tékély se souleva en
vain et, suivant l'habitude des princes Magyars, s'allia
aux Ottomans : le polonais Sobieski sauva Vienne (1683) ;
Bude, depuis 145 ans au pouvoir des Turcs, tomba aux
mains des impériaux. Léopold, redoublant de férocité,
lança sur les malheureux Magyars le sinistre GarafPa,
d'exécrable mémoire, et les deux jésuites Péritzkof et
Kellio. Alors eurent lieu les assises sanglantes d'Ëpéries
où, pendant neuf mois, trente exécuteurs fonctionnèrent
quotidiennement, brûlant, rouant, empalant, étranglant
des charretées de victimes.
En 1689, on signa une transaction qui rendait aux
Hongrois leurs libertés, mais qui déclarait la couronne
héréditaire dans la maison de Habsbourg. La diète, ter-
rorisée, accorda en même temps l'indigénat aux jésui-
tes. En 1711, après la révolte de Franz Râkôczy, l'au-
teur de la fameuse marche qui est la marseillaise des
Hongrois, fut signée la convention de Szatmar : elle
consacra l'autonomie du royaume et l'antique constitu-
tion en maintenant l'hérédité au profit des Habsbourg
18 HISTOIRE DE L*AUTRIGHE
dans la descendance mâle. Mais en 1723, la diète de
Presbourg accepta la pragmatique sanction par laquelle
Charles VI avait, en 1713, assuré la succession de ses
états héréditaires à sa descendance féminine. La diète
stipula que le roi ne gouvernerait en Hongrie que selon
les lois propres du pays, établies déjà ou à établir;
qu'à son avènement, il se ferait couronner selon les
formes, en vertu de Taxiome : non est rex nisi coro-
natus ; qu'il prêterait le serment et signerait le diplôme
d'inauguration et enfin, qu'en cas d'extinction de la
postérité de Léopold I^f et de Joseph I", la nation ren-
trerait en jouissance de son droit d'élire un nouveau
souverain. Marie-Thérèse, dès son avènement (1740),
confirma toutes les libertés hongroises, se fit solennel-
lement couronner et, menacée par la coalition euro-
péenne, appela à son secours, dans la diète de Pre&-
bourg de 1741, les Magyars qui poussèrent alors le cri
historique de : « Moriamur pro rege nostro Mariâ-The-
resâ », c'est-à-dire pour la petite-fille du sanglant Léo-
pold. Sauvée par eux, Marie-Thérèse ne convoqua
qu'une seule fois en dix-huit ans la diète hongroise,
mais elle dota le royaume de nombreuses institutions
utiles et y abolit l'inquisition.
Après avoir vu comment et à quelles conditions la
Hongrie a été placée sous le sceptre des Habsbourg, ce
qui nous donne la clef de ses revendications ultérieures,
voyons quelle était dans ses principaux traits cette
constitution bien-aimée, si vaillamment défendue par
les Magyars.
Le fondement de l'État en Hongrie était et est encore
le comitat, prétendu établi par Gharlemagne, mais ré-
gularisé par Bêla à la fin du xi" siècle. Chacune de ces
antiques circonscriptions est une petite république dans
l'Etat, la cellule foyer d'une vie spéciale merveilleuse-
ment intense et dont l'ensemble fait l'existence géné-
rale. Tous les trois mois, les nobles du comitat, les
délégués des petites villes, les ministres des cultes, les
CONSTITUTION DES HONGROIS 19
personnes exerçant une profession libérale, se réunis-
saient en assemblée dite congrégation. Dans ce parle-
ment communal, dans ces états au petit pied, on discu-
tait toutes les affaires du comitat. On élisait pour trois
ans les fonctionnaires de tout ordre : juge suprême et
juges ordinaires qui ne pouvaient, au civil comme au
criminel, prononcer qu avec Tassistance de jurés ; no-
taire suprême et sous-notaires chargés des détails de
Tadministration ; receveurs généraux et caissiers qui
ï>ercevaient et dépensaient les revenus, etc. Le repré-
sentant du pouvoir central, le comte suprême nommé
par le roi [Obergespan en allemand et Foîspan en ma-
gyar), était réduit au rôle de témoin sans autorité légale.
Ou siégeait à la congrégation en costume national, le
sabre au côté et quelquefois hors du fourreau ; mais la
session terminée, }es haines s*oubIiaient en de panta-
gruéliques banquets, où les vins renommés du pays
coulaient à flots et où la langue magyare succédait au
latin, langue des discussions. On sent combien ces as-
semblées étaient d'excellentes écoles pratiques de la
vie politique. C'est là que se formait ce singulier type
magyar, fougueux comme un cavalier d'Attila et subtil
comme un légiste de Byzance, en appelant avec une
égale passion aux sabres frais émoulus et aux parche-
mins poussiéreux, orgueilleux de sa patrie au point de
mépriser le reste de l'humanité, poussant à l'extrême
les magnificences et, les égoïsmes du patriotisme, enivré
de la liberté jusqu'au délire, mais ne la voulant que
pour sa race et ne se souciant nullement de cette puis-
sance d'expansion qui fait des progrès d'un peuple le
patrimoine de tous les autres. On dirait que, pour faire
un magnat hongrois, on a pris la moitié d'un lord an-
glais et la moitié d'un émir oriental.
Les comitals et les villes royales, petites républiques
aussi avec leurs magistrats élus, envoyaient des députés
à la diète ou du moins à la chambre basse de la diète,
car la chambre haute, vraie chambre des lords, se corn-
20 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
posait de toui les membres du haut clergé, archevêques
et évoques, et des membres de la haute noblesse : ba-
rons, comtes et grands seigneurs terriens. Les députés
recevaient de leurs collèges électoraux un mandat impé-
ratif, révocable même au cours de la session. Le Palatin
de Hongrie, fonctionnaire électif dont les attributions
étaient considérables, présidait la chambre haute; le
Personnal, la chambre basse. La diète devait se réunir
tous les trois ans; seule, elle avait qualité pour voter
les lois, les impôts, les levées de troupes, la paix ou la
guerre. Une foule de mesures, recueillies au xvi« siècle
par Verboczy dans son Jus tripartiturriy limitaient l'auto-
rité royale. Infâme, parjure et dégradé était déclaré le
noble qui donnait au souverain la moindre somme sans
l'assentiment de la diète. Vhabeas corpus était de droit.
Le roi était responseible en justice des méfaits de ses
agents.
C'est à cette constitution, jurée par son grand-père et
par sa mère, que s'attaqua Joseph, au nom de la cen-
tralisation politique et administrative. Non-seulement
il refusa de se faire couronner roi de Hongrie, mais il
fit enlever de Presbourg le 13 avril 1784 et conduire à
Vienne le grand talisman des Magyars, la couronne de
saint Etienne. Les comîtats furent administrés par des
préfets impériaux : la diète fut suspendue et la dignité
de grand Palatin laissée vacante. Les Magyars furieux
se virent imposer tour à tour la conscription, le cadastre,
l'égalité des impôts et, chose plus intolérable encore,
l'emploi exclusif de la langue allemande. Si Joseph avait
eu un sentiment quelconque de la liberté, il eût appliqué
le parlementarisme hongrois à tout l'empire et fait
sanctionner ses réformes par les diètes elles-mêmes.
Mais il était incapable de s'élever à cet idéal : il n'ad-
mettait pas d'autre point de départ que son initiative
personnelle, souveraine dispensatrice du bien comme
du mal.
Certes, par bien ^es côtés, les réformes de Joseph
CONSTITUTION DES HONGROIS 21
étaient légitimes; Tabolition du servage et Tégalité de
rimpôt étaient de véritables bienfaits. Dans cette bril-
lante constitution des Magyars que nous avons sommai-
rement exposée, nous remarquerons, en effet, qu'il
n'est fait nulle part mention du paysan, du serf attaché
à la glèbe. Ces institutions libérales sont le patrimoine
de la classe aristocratique et, à un bien moindre degré,
de la classe moyenne et bourgeoise : elles ne sont pas
faites pour le rural courbé sous le bâton du châtelain
qui l'épuisé de corvées, de redevances, et lui laisse le
poids des impôts. Or loseph s'occupait de ce misérable,
inaperçu entre les sillons, et les Hongrois étaient aussi
choqués de ses tentatives de ce côté que du côté de
leur autonomie politique : au nom du droit historique,
ils repoussaient le droit rationnel et la réforme sociale.
La question des nationalités, que nous traiterons plus
amplement quand nous arriverons à la grande explosion
de 1848, a en effet une double face qui fait hésiter la
philosophie de l'histoire. Si, d'un côté, elle s'appuie sur
l'indépendance d'un peuple ou d'un groupe historique et
naturel, sur la conscience de l'individualité et le senti-
ûient de l'autonomie, la protestation vivante chez les
fils contre le joug imposé aux aïeux par la conquête,
sur l'hérédité juridique et intellectuelle manifestée par
l'unité de langage et par les coutumes traditionnelles,
d'un autre côté, elle s'inspire trop souvent de l'esprit de
routine amoureux des formes antiques tant civiles que
religieuses, dans lesquelles il voit comme un préservatif
tutélaire ; de la répugnance à la solidarité humaine ; de
l'égoïsme plus détestable encore dans un peuple que
dans un individu ; de l'aveugle attachement au passé se
manifestant par la défense farouche des abus et des
privUéges qu'on croit légitimes parce qu'ils sont sécu-
laires. Les mouvements des nationalités ayant leur
racine dans ce passé, se croient obligés à conclure avec
lui une sorte d'alliance offensive et défensive. Joseph
se heurta à la fois à ce qu'il y a d'acceptable et à ce
22 HISTOIRE DE L'àUTRIGHË
qu'il y a de déplorable dans le principe des nationa-
lités.
Les comitats, la noblesse, les paysans eux-mêmes ré-
fractaires à la conscription, résistèrent avec acharne-
ment : les malheurs de la guerre contre les Turcs, —
nous les raconterons plus loin, — fournirent de nou-
veaux éléments à cette résistance devenue tellement me-
naçante, que Joseph, empêché d'ailleurs d'autre part,
dut céder. Le 28 janvier 1790, Tannée même de sa mort,
il publia sa fameuse : revocatto ordinum quas sensu com-
muni kgibus adversart vtdentur. Toutes choses étaient
remises dans le royaume de Saint-Etienne en l'état où
il les avait trouvées à son avènement; la couronne
palladium fut réintégrée à Bude au milieu "" de fêtes
magnifiques. L'esprit de nationalité, en communion
avec l'esprit du passé, avait triomphé du réformateur,
mais, du passé aussi, le réformateur avait retenu l'abso-
lutisme qui avait rendu stériles tous ses efforts.
La révolte des Roumains de la Transylvanie, dont les
Magyars firent remonter la responsabilité directe aux
innovations de Joseph, ne doit pas être omise : elle nous
permettra d'ailleurs d'étudier dans ses origines cette
question roumaine qui est une des plus importantes de
l'Autriche moderne.
Ce sont les Roumains qui représentent principalement
dans l'agglomération autrichienne la race latine. Au
nombre de deux millions 596 mille, ils sont répandus
dans la Transylvanie, dans la Bukowine, dans la Hon-
grie et dans les confins militaires, mais ils sont surtout
nombreux en Transylvanie où leurs douze cent mille
individus représentent près de 60 0/0 de la population
de la principauté. Gomme leurs frères, les Moldo-
Valaques, ils descendent probablement du métissage
des colons romains transportés en Dacie par Trajan
avec les populations indigènes; ils avaient déjà vu s'éta-
blir sur les revers des Karpathes et dans la vallée de
rOlto (Aluta) une tribu hunnique, les Sicules ou Szeklers,
LES ROUMAINS 23
quand la grande invasion des Magyars au x« siècle les
submergea tout à fait. Les rois hongrois, une fois con-
vertis au catholicisme,, furent encore plus oppresseurs
vis-à-vis des Roumains, qui appartenaient à l'église
d'Orient. Au xii" siècle, ils appelèrent des colons saxons
qu'ils établirent sur les fundi régit ou domaines royaux,
partie au midi de la principauté sur l'Olto inférieur,
partie au nord entre le Theiss et le Szamos. Les cinq
cent mille Szeklers et Magyars et les deux cent mille
Saxons s'unirent pour tenir les douze cent mille Rou-
mains dans la plus effroyable oppression sociale et reli-
gieuse. S 'intitulant les trois nations de Transylvanie, car
la nation vaincue ne comptait pas, formant par leurs
territoires une chaîne continue qui isolait les oppri-
més de leurs frères de la Moldo-Valachie et de la Bûko-
wine, ils déclarèrent que les Roumains n'avaient aucun
droit politique, qu'ils étaient simplement tolérés [admissi^
toleratt); qu'ils étaient à jamais privés du port d'armes,
de l'accès des écoles, du droit d'avoir des vêtements de
couleur : leurs prêtres, traités de brigands, furent assu-
jettis à garder les troupeaux de buffles et les meutes
des magnats. Les Roumains protestèrent plusieurs fois
par de violentes insurrections contre ce saUvage asser-
vissement; en 1437, par exemple, et en 1612, secourus
quelquefois par les Roumains-Danubiens. Un héros,
Michel le brave, parut devoir un instant les affranchir.
Radu, woïvode de Valachie , occupa même la cité
saxonne d'Hermanstadt (le Sibiu des Roumains) ; mais
ils retombèrent sous le joug, et en 1613, les Saxons
signèrent le fameux pacte d'union contre les ennemis
extérieurs et indigènes : on rédigea un recueil intitulé :
approbatae et compilatae constitutiones Transylvaniœ qui
consacrait le servage de la race latine et qui, de nos
jours, a encore force de loi devant les tribunaux ma-
gyars I c'était un véritable code de tyrannie et de mépris
pour les vaincus.
En 1700, en échange de promesses illusoires, Tempe-
24 HISTOIRE DE L'AUTRIGHË
reur Léopold P' obtint la conversion de deux cent mille
Roumains au catholicisme, sous le nom de grecs-untSy
mais unis ou non unis, les Roumains continuèrent à être
opprimés, à se voir refuser l'accès de tous les emplois,
et leur évoque, Micoul, qui insistait pour que leur natio-
nalité fût reconnue, dut quitter le pays (1732).
Joseph II, suivant son habitude, parcourut le pays et
promit aux paysans de leur faire justice. Une de ses
lettres à Catherine de Russie, publiée par M. d'Arneth,
et datée du 13 novembre 1782, montre même que les
deux souverains avaient conçu le plan singulier de
réunir tous les Roumains de leurs états respectifs en un
royaume de Dacie. Mais Joseph étreignait mal à force
d'embrasser ; les nobles des trois nations seules repré-
sentées à la diète transylvaine, se vengèrent de ses
innovations en redoublant de tyrannie vis-à-vis des
paysans roumains. Ceux-ci se soulevèrent sous la con-
duite d'un ancien soldat nommé Horjah. Le pope
Krischan et un autre chef, Klotsa, se joignirent à lui,
et bientôt quinze mille révoltés parcoururent la princi-
pauté, en massacrant les nobles, et en incendiant les
châteaux. Joseph fit marcher des troupes contre eux :
Horjah et Klotsa, abandonnés et livrés aux capitaines
impériaux, furent exécutés le 3 janvier 1785, et cent
cinquante de leurs compagnons empalés à l'orientale
autour de leur gibet. Le pope Krischan se suicida. Ma-
gyars, Saxons et Szeklers accusèrent les idées nouvelles
de cette Jacquerie, sans se dire que les masses qu'ils
traitaient comme des brutes, des brutes aussi ne pou-
vaient qu'avoir le sauvage réveil.
La résistance religieuse trouva sa plus vive expression
dans les Pays-Bas autrichiens (Belgique actuelle). Ces
belles provinces, ruinées par le traité de Westphalie et
par la fermeture de l'Escaut, s'étaient courbées sous la
plus absolue domination cléricale. Le fameux cardinal
de Frankenberg, archevêque de Malines et primat de
Belgique, créature des jésuites abolis en droit, mais
RÉVOLTÉ DES PAYS-BAS 25
existant en fait sous d'autres noms, avait livré l'uni-
versité de Louvain aux fils de Loyola. On devine quel
effet les réformes ecclésiastiques de Joseph produisirent
dans un pareil milieu. Les Pays-Bas étaient gouvernés
par Marie-Christine, sœur de Joseph, et par son mari
Albert, duc de Saxe-Teschen, fils d'Auguste III, roi de
Pologne : ils voyaient eux-mêmes d'un mauvais œil
les innovations de leur frère et beau-frère : ce fut à eux
que Frankenberg, assisté du nonce Zondandari et du
jésuite Xavier Feller, adressa sa protestation contre les
séminaires généraux institués par Joseph (1786). En
même temps éclatait une guerre de pamphlets dans
lesquels la question nationale était habilement mêlée à
la question religieuse, et les étudiants de Louvain se
mettaient en pleine révolte. Joseph fit avancer des
troupes, chassa le nonce, emprisonna quelques évêques
et appliqua avec rigueur ses réformes administratives,
judiciaires et financières.
Les populations wallones, moins ignorantes, com-
prirent combien ces réformes pouvaient relever leur
malheureux pays tenu dans le fanatisme, dans l'igno-
rance et dans la torpeur; mais les Flamands résistèrent,
réunirent les états de Brabant (avril 1787) et invo-
quèrent leur charte nationale dite de Joyeuse entrée^
avec tous les privilèges et abus gothiques qu'elle con-
sacrait. Des troubles, des émeutes éclateient dans toutes
les villes : toutes les chaires retentissaient d'appels aux
armes ; des bataillons de moines armés paradaient dans
les rues, et la foule massacra plus d'un de ceux qui
rirent à l'aspect de ces nouveaux ligueurs.
Christine et Albert ne montraient qu'indécision et
faiblesse. Ils furent rappelés, mais pour être remplacés
par des successeurs plus faibles et plus indécis encore,
Murray , Trautsmanndorf , D 'Alton . Gand , Bruges ,
Ostende, chassèrent leurs garnisons. Le 10 décembre
1789, les prêtres, du haut de la chaire de SainteGudule,
soulevèrent Bruxelles que les stupides Trautsmanndorf
ASSELTNE. ^
â6 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
et D'Alton — qui avaient plus de forces qu'il n'en fallait
pour étouffer l'insurrection — évacuèrent sans trop
savoir comment , se mettant en pleine retraite sur
la Meuse. D'Alton s'empoisonna. Le 13 décembre, les
États de Flandres, de Brabant et du marquisat d'Anvers
proclamèrent l'indépendance de la Belgique. Le 7 jan-
vier 1790, l'assemblée générale, réunie à Bruxelles sous
la présidence du cardinal de Frankenberg, abolit la
législation de Joseph et rendit le pouvoir absolu au
clergé. C'est le cléricalisme qui avait accompli la révo-
lution belge au nom du passé et des principes du plus
complet obscurantisme, et en considérant cette fois l'in-
surrection comme le plus saint des devoirs. Là encore,
Joseph avait complètement échoué.
Joseph devait être aussi malheureux dans sa politique
extérieure que dans sa politique intérieure.
Il avait conçu un double plan : asseoir son influence
en Allemagne par quelque chose de plus solide que le
vain titre d'empereur, c'est-à-dire par l'acquisition de
la Bavière et s'étendre à l'Orient aux dépens de la Tur-
quie.
L'acquisition de la Bavière eût été un avantage énorme
et qui,' établissant la prépondérance de l'Autriche dans
l'empire, eût dès l'origine coupé court au dualisme
austro-prussien. Déjà en 1777, quand, à la mort de
l'électeur de Bavière, Maximilien Joseph, ses états pas-
sèrent à l'électeur palatin Charles-Théodore, Joseph
avait essayé de conquérir la Bavière, mais la paix de Te&-
chen (1779) avait mis fin à ses projets. En 1784, il tenta
d'obtenir par des négociations ce qu'il n'avait pu obtenir
par la force. Il offrit à Charles-Théodore, en échange
de la Bavière, les Pays-Bas autrichiens avec le titre de
roi de Bourgogne ou d'Austrasie et trois millions de
florins. Charles-Théodore se serait peut-être laissé aller,
mais le duc de Deux-Ponts, héritier de la Bavière,
protesta avec énergie, en appela à la France et à la
Russie garantes de la paix de Teschen et surtout au
GUERRE AVEC LA TURQUIE 27
grand Frédéric, qui aurait tout hasardé plutôt que de
souffrir cet agrandissement matériel et moral de TAu-
triche. Le 23 juillet 1785, Frédéric conclut à Berlin une
ligue avec la Saxe et le Hanovre qui fut appelée confé-
dération des princes {Fûrstenbund) et à laquelle accédè-
rent rélecteur de Mayence et son coadjuteur Dalberg,
l'électeur de Trêves, le landgrave de Hesse-Cassel, les
margraves d'Anspach et de Bade, les ducs de Deux-Ponts,
de Brunswick, de Meklembourg, de Saxe-Weimar et de
Saxe-Gotha, le prince d'Anhalt-Dessau, Tévêque d'Osna-
brûck. Cet acte, un des derniers de la vie du grand Fré-
déric (il mourut en 1786), posait nettement la Prusse
devant TAutriche : Sadowa était en germe dans le
Fûrstenbund,
Frédéric avait laissé dans le ministre Hertzberg un
ardent représentant de sa politique anti-autrichienne,
qui essaya successivement de s'allier contre Joseph avec
la Russie et même avec la France où Vergennes fit la
gourde oreille, mais qui réussit avec Pitt : on trouve la
trace des manœuvres du prussien Lucchesini et de l'an-
glais Hailes dans les troubles de la Hongrie et des Pays-
Bas. Plus tard un comité de Hongrois mécontents fonc-
tionnait librement à Berlin.
En présence de ces difficultés, on se demande par
suite de quelle aberration Joseph se jeta dans une guerre
contre les Turcs qui devait compromettre toutes ses
réformes et lui coûter la vie. La Russie était parvenue
à se faire déclarer la guerre par la Turquie (1787);
Joseph n'avait nul besoin de devenir l'instrument des
convoitises de Catherine. A la suite de l'entrevue qu'il
eut avec elle en Grimée, il la voyait déjà s'emparant de
Gonstantinople et voulait, en cas d'une crise aussi déci-
sive, s'assurer la possession des principautés danu-
biennes : il aurait dû attendre au moins que les choses
se dessinassent et ne pas se jeter avec une inconcevable
étourderie dans une guerre contre les Ottomans. Mais
le touche-à-tout impérial — dont parfois Frédéric riai*
28 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
si fort à Berlin — déclara la guerre au sultan le 9 fé-
vrier 1788 et partit à la tète d'une superbe armée de
250,000 hommes.
Après ravoir éparpillée sur un espace de 150 lieues,
Joseph qui croyait qu'un souverain était de droit un
grand capitaine, mal secondé par Lascy, vint s'établir
à Semlin, envahit Belgrade et déclara qu'il attendrait
là l'armée turque pour l'anéantir d'un seul coup. Mais
l'armée autrichienne, campée sur un sol marécageux, se
vit enlever douze mille hommes par la dyssenterie. Jo-
seph lui-même fut atteint et contracta le germe de la ma-
ladie qui devait l'emporter. Le 7 août, l'armée turque
passa le Danube près d'Orsowa et les Autrichiens, affai-
blis, désorganisés, se mirent en retraite, le 20 septembre,
sur Karansebes. Dix mille hommes périrent encore dans
cette retraite qui ressembla à une déroute. En novembre,
on prit les quartiers d'hiver, tandis que les Turcs rava-
geaient le Banat. Le bilan de la campagne se résumait
en 36,000 hommes morts de maladie et 12,000 tués ou
prisonniers.
Joseph ne perdait pas encore ses illusions. En janvier
1789, il écrivait au prince Charles de Nassau une lettre
contenant des plans dignes de Pichrochole. Cependant
déjà très-malade, il se décida à laisser la conduite de la
guerre au vieux maréchal Loudon qui mena rapidement
la campagne et, le 8 octobre, s'empara de Belgrade. Mais
le 31 janvier 1790, la Prusse s'allia avec la Porte ; les
ratifications du traité devaient être échangées dans les
cinq mois ; on peut dire que la question d'Orient, c'est-
à-dire la question de savoir ce que deviendrait la Tur-
quie dans l'Europe moderne, était complètement posée.
La Suède et la Diète polonaise se rangèrent — cette
dernière malgré les efforts de Stanislas Poniatowski —
du côté de la Prusse, qui faisait entrevoir à la Pologne
la restitution de laGallicie, en cachant qu'elle réclamait
Dantzig et Thorn.
Mais Joseph était mourant. Son œuvre craquait de
JUGEMENT SUR LE RÈGNE DE JOSEPH II 29
toutes parts. Les Pays-Bas étaient perdus, la Hongrie
menaçante, le Tyrol soulevé contre la conscription. La
guerre de Turquie avait obligé à établir de lourdes taxes
spéciales sous le poids desquelles grondait le méconten-
tement des peuples. Il céda de toutes parts, aux Tyro-
liens comme aux Hongrois. Il rétablit même le conseil
des ministres aboli par Timpérieuse Marie-Thérèse et le
composa du vieux Kaunitz, de Starhenberg, de Lascy,
de Rotemberg, de Spielmann et de Gollenbach. Le
17 février, sa nièce favorite, Elisabeth de Wurtemberg,
mourut en couches. Ce fut le dernier coup. Le 20 fé-
vrier 1790, Joseph rendit le dernier soupir, laissant
pour mettre sur sa tombe cette épitaphe : « Ici repose
un prince dont les intentions étaient pures, mais qui eut
le malheur de voir échouer tous ses projets. » La statue
que son neveu François lui éleva en 1807 à Vienne porte
cette autre inscription : « Josepho secundo qui saluti
puèh'cœ vùnt non dm, sed totus, »
L'histoire doit-elle s'associer sans réserve à ces hom-
mages? Il est difficile de répondre affirmativement. Le
despotisme, pour être paternel, n'en est pas moins le
despotisme, et c'est au profit de ce despotisme que tra-
vaillait exclusivement Joseph, si personnel et si ennemi
de toute initiative qui n'était pas la sienne. Sa lutte
même contre le pouvoir religieux ne se faisait qu'au
nom d'une sorte de pontificat civil non moins oppressif
que l'autre. Nous avons appris à nous méfier des Louis XI
et des Richelieu centralisateurs et organisateurs de pou-
voirs forts : Joseph était un Richelieu frotté de vague
humanitarisme sous lequel le Habsbourg se retrouvait
facilement. De là la stérilité de son œuvre à laquelle ne
présida jamais que la maxime « farà da se ». Il prouva
une fois de plus — et ce ne fut malheureusement pas la
dernière fois que le monde vit ce genre de preuve —
combien le césarisme bienfaiteur et dispensateur unique
des libertés et des prospérités est impuissant à rien
fonder, soit qu'il inscrive franchement sur son draper
2.
30 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
la maxime : tout pour le peuple et sam le peuple, soit
qu'il y mette la correction hypocrite : iovXpour le peuple
et par le peuple.
Joseph n'avait pas d 'enfants. Son frère Léopold, grand-
duc de Toscane depuis 1765 etmariéàMarie-Ludovique,
fille de Charles III d'Espagne, était appelé à recueillir sa
succession. Il avait alors 43 ans. Son administration de la
Toscane l'avait rendu célèbre : il s'y était montré aussi
réformateur que Joseph et d'après les mêmes principes
de despotisme paternel. Il faut lire dans Dupaty ce
tableau idyllique où Salente et la Bétique se confondent
dans le même lyrisme. Le code criminel, inspiré par
Beccaria, était un chef-d'œuvre. La législation religieuse
avait réformé à peu près ce clergé sur lequel les mé-
moires de l'évêque Scipion Ricci nous ont laissé de si
singuliers détails. Léopold n'avait que deux défauts :
l'habitude d'envoyer aux galères ceux qui ne voulaient
pas subir le joug des doctrines jansénistes et un goût
excessif pour les femmes. Mais la laide et maladive
grande-duchesse n'en voulait pas pour si peu à son
mari et en était quitte pour faire porter son métier à
tapisserie chez la maîtresse régnante.
CHAPITRE II
Léopold II. — Abandon du système de Joseph. — Traité avec
la Prusse et paix avec la Porte. — Soumission des Pays-Bas. —
Pacification de la Hongrie. — Les Serbes. — Transylvanie.
Rude était la tâche de Léopold : à l'extérieur, il avait
à rompre la menaçante coalition de la Prusse, de la Po-
logne, de la Suède et des puissances maritimes et à
mener à bien la guerre avec la Turquie. Frère de Marie-
Antoinette, il savait qu'il allait se heurter à la révolu-
tion française. A l'intérieur, il lui fallait pacifier les
nationalités soulevées par la tentative unificatrice de
Joseph et reconquérir les Pays-Bas. Mais le réforma-
teur de la Toscane n'allait-il pas tenir à honneur de
suivre les mêmes principes que son frère? le législateur
humanitaire des bords de l'Arno ne voudrait-il pas dé-
velopper encore le Joséphisme en matière ecclésiastique
et administrative ? on le croyait, mais on fut vite dé-
trompé. A peine arrivé à Vienne, Léopold souffla sur
les réformes fraternelles comme sur un château de
cartes. Non-seulement les privilèges nationaux furent
rétablis et les diètes autorisées à se réunir, mais les
nouveaux systèmes d'impôts furent abolis, les abus
restaurés, l'enseignement rendu au clergé et toutes
choses remises en état. Léopold reprit dans tous les
sens la politique traditionnelle des Habsbourg et ce fut
32 HISTOIRE DE L^AUTRIGHE
à croire qu'il n'avait fait que jouer au réformateur dans
sa petite Toscane.
Un de ses premiers actes fut de se faire, au refus de
la Prusse, exécuteur d'un arrêt de la Chambre de jus-
tice de l'empire envers les Liégeois légitimement soulevés
contre leur prince-évèque. Les troupes autrichiennes les
remirent sous le joug. Puis il se retourna du côté de la
Prusse vis-à-vis de laquelle sa conduite fut un chef-
d'œuvre d'habileté. La guerre paraissait imminente :
Frédéric-Guillaume II, successeur du grand Frédéric,
avait porté son quartier général en Silésie, à Reichen-
bach. Tout en augmentant ses troupes en Bohème et
en Moravie, Léopold proposa de négocier. Le 26 juin,
ses plénipotentiaires, le prince de Reuss et le référen-
daire Spielmann se rencontrèrent avec le grand chance-
lier prussien Hertzberg à Reichenbach, où ne tardèrent
pas à arriver les plénipotentiaires de l'Angleterre et de
la Hollande. Le plan de Hertzberg craquait déjà de
toutes parts. La Pologne, mise en éveil, ne voulait pas
céder à la Prusse Thorn et Dantzig, c'est-à-dire le com-
merce de la Baltique en échange de la Gallicie autri-
chienne éventuellement promise. L'Angleterre et la Hol-
lande ne voulaient pas entendre parler de diminution
territoriale de la Turquie qui aurait facilité à la Russie
la conquête de Gonstantinople. L'étourdi et mystique roi
de Prusse était fatigué de ces complications et ne son-
geait plus qu'à se faire le Don Quichotte de l'absolu-
tisme européen contre la révolution française. Léopold
eut l'agréable surprise de le voir se précipiter de lui-
même au-devant de la paix que dès lors l'Autriche, par
une ruse diplomatique aussi simple que sûre, parut
beaucoup moins désirer. Le naïf Prussien envoya même
à Vienne son favori, le colonel-alchimiste Bisçhofs-
werder, qui s'entendit parfaitement avec Léopold, grand
alchimiste lui-même devant le Seigneur. Le résultat fut
que l'Autriche parut se laisser arracher une paix qu'elle
souhaitait passionnément. Hertzberg eut beau dire : les
LÉOPOLD II 33
négociations passèrent, pour ainsi dire, par-<lessus sa
tête, et le 15 août 1790 fut signé le traité de Reichen-
bach. Léopold s'engageait : 1** à traiter le plus tôt pos-
sible avec le sultan sur les bases du statu quo ante bel-
him; 2* à ne plus aider la Russie dans sa guerre contre
la Porte. De son côté, Frédéric-Guillaume promettait de
voter pour Léopold dans la prochaine élection du roi
des Romains et de Taider, de concert avec les puis-
sances maritimes, à soumettre les Pays-Bas. La Prusse
était mystifiée, mais Frédéric-Guillaume avait les che-
mins ouverts... jusqu'à Valmy.
Le 10 septembre suivant, un armistice avec la Porte
fut signé à Giurgewo, laissant Léopold libre de se re-
tourner contre les Pays-Bas. Les choses allaient mal
dans les provinces insurgées et cléricaux et libéraux en
étaient venus aux mains, aprè? toute une guerre préa-
lable de mandements et de pamphlets. Les chefs des
libéraux, l'avocat Vonek, le comte de Lamarck, corres-
pondant de Mirabeau, et Walkiers, furent obligés de se
réfugier à Namur, après deux jours d'émeute pendant
lesquels la foule fanatisée saccagea leurs hôtels. L'ar-
mée du congrès, commandée par le Prussien Schœnfeld,
marcha contre eux, et les bandes libérales, sous les
ordres de Van der Mersch, se rendirent sans coup férir.
On n'écouta heureusement pas le jésuite Xavier Feller
qui, dans son journal historique (notamment numéro
du 15 juin 1790), demandait avec une incroyable verve
de férocité la tète des prisonniers libéraux. Les troupes
autrichiennes vinrent mettre d'accord les deux partis
qui avaient montré une égale ineptie. Commandées par
le général Bender et par le comte Georges de Metter-
nich — père du fameux chancelier — elles battirent
Schoenfeld. Le congrès ne nomma pas moins ce der-
nier dictateur en lui adjoignant l'abbé de Tongerloo et
demanda le secours de là Prusse et de l'Angleterre qui
venaient justement de signer le traité de Reichenbach,
et de la France qui refusa. Le clergé alors prêcha la
34 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
levée en masse, promettant la victoire au nom du ciel.
Bender battit ces bandes, les culbuta dans la Meuse et
s'empara le 24 novembre de Namur, le 2 décembre de
Bruxelles. Les Pays-Bas furent remis légalement sous
l'autorité de Léopold qui proclama une large amnistie
et laissa aux Belges tous leurs droits et privilèges.
Le même mois s'ouvrit le congrès de Sistowa en Bul-
garie. Les plénipotentiaires autrichiens, le comte de
Herbert et le prince Esterhazy-Galantha, agirent dans
le sens de la temporisation : le 10 février 17^1 on sus-
pendit même les négociations pendant deux mois. La
paix Alt enfin signée le 4 août. L'Autriche abandon-
nait à la Porte toutes ses conquêtes, y compris Bel-
grade, sauf le territoire de la vieille Orsowa et les villes
de Zettin et de Dresnick.
Léopold s'était donc de tous côtés fort habilement
dégagé de la politique de Joseph. Il ne fut pas moins
adroit à l'intérieur où il parut céder aux nationaUtés,
mais bien plus en apparence qu*en réalité.
Joseph avait laissé la Hongrie en une eiFervescence
que n'avait pas calmée le retour de la couronne de
Sain t-É tienne. Plus d'un magnat s'était mis en corres-
pondance directe avec Berlin, comme le prouvèrent plus
tard leurs lettres livrées à Léopold, assure-t-<m, par le
Prussien Bischofswerder. Les assemblées de comitats se
réunissaient spontanément de toutes parts et donnaient
le signal d'un véritable réveil national. Les motions les
plus incendiaires étaient adoptées : changement de
dynastie par la libre élection, les tentatives de Joseph
ayant rompu la convention de Szathmar, convocation
de la diète, etc. On réagissait, avec cette haine de l'é-
galité qui caractérisé l'aristocratique nation des ma-
gyars, contre les mesures de Joseph et même de Marie-
Thérèse en faveur des paysans. N'était-ce pas la Pro-
vidence elle-même qui avait établi la distinction entre
les nobles et les serfs ? il fallait rétablir dans toute sa
rigueur l'antique servage, un des éléments indispen-
PACIFICATION DE LA HONGRIE 35
sables des vieilles libertés hongroises. Bâtonner le pay-
san qui manquait à la corvée ou aux redevances, et ne
supporter soi-même aucune charge publique, n'était-ce
pas conforme aux plus respectables traditions? Hommes
et femmes/ rejetant la poudre et les falbalas de la cour
de Vienne, reveaaieni au martial costume laagyaj?. On
revenait aussi à la langue dans laquelle les poètes chan-
taient : « La vieille liberté est le premier trésor de cette
noble nation I » Il y avait bien dans les grandes villes
un parti démocratique dont l'esprit s'était ouvert au
souffle de 89, mais il n'avait pas d'influence dans le
pays.
Léopold avait convoqué la diète pour le mois de juin,
promettant de jurer la constitution, mais affirmant son
droit héréditaire en dehors du ccwasentement de la diète.
Cette convocation ne suffisait pas aux Magyars qui crai-
gnaient qae leur assemblée ne subit des pressions et
qui trouvaient que les Belges vaincus étaient mieux
traités que les Hongrois fidèles. Pour les calmer, il fallut
promettre une session préparatoire à Bude et achever de
détruire le Joséphisme en rendant au clergé renseigne-
ment et la juridiction. Le mouvement national devenait
de plus en plus un mouvement réactionnaire. La diète
s'ouvrit le 10 juin. La Chambre haute, comprenant
225 princes, comtes et barons et trente-huit prélats,
était présidée par le comte Charles Zichy. Lepersonnal
Joseph Urményi présidait la chambre basse où Ton
voyait trente-cinq abbés élus par les chapitres, soixante-
dix-neuf bourgeois des villes libres royales et cent deux
députés des comitats, noblesse rurale également dévouée
à la patrie et au passé, et à laquelle il aurait été inutile
de proposer une nuit du 4 août. Joseph fit les frais
de cette première séance : le cardinal Batthyani fou-
droya l'impie réformateur. Il fut convenu que les pro-
cès-verbaux seraient rédigés en latin et en mag}''ar, ce
qui excita des transports d'enthousiasme. Léopold laissa
ces effervescences se produire en toute liberté* Il était
3é HISTOIRE DE L^AUtRIGHÉ
occupé aux négociations qui devaient d'abord conjurer
Torage extérieur. Libre de ce côté et n'ayant plus le
même intérêt à ménager cette indispensable mine d'or
et de soldats qu'on appelait la Hongrie, il déploya vis-
à-vis des magyars exaltés un mélange de fermeté et de
patience merveilleux : ces légistes sabreurs avaient
trouvé leur maître sous le double rapport de la toge et
des armes, toga et arma. Ils voulurent envoyer un am-
bassadeur hongrois à Gonstantinople : Léopold leur dé-
clara qu'il ne souffrirait aucune immixtion en matière
de relations étrangères. Ils voulurent que l'armée restât
magyare, commandée par des officiers magyars en
langue magyare et cantonnée en temps de paix sur le
territoire national : les deux auteurs de la motion, Fes-
tetics et Laczkovics, furent arrêtés, et Léopold fit com-
prendre à la diète qu'il y aurait danger pour elle à in-
sister. Ils voulurent que Léopold consentît à prêter, non
pas seulement le vieux serment habituel, mais un nou-
veau serment beaucoup plus explicite, consacrant des
droits spéciaux et annulant en fait les conséquences de
la Pragmatique Sanction : Léopold refusa, tout en pro-
testant de son respect pour les antiques privilèges et de
la sincérité de ses intentions, et insinua que devant tant
de défiances, il renoncerait à se faire couronner. La diète
céda ; le couronnement eut lieu le 15 novembre 1790,
mais Léopold eut soin d'amener avec lui les cuirassiers
de sa garde.
La fête se passa à Presbourg avec ce débordement
d'enthousiasme monarchique dont les Hongrois et les
Anglais semblent avoir seuls en Europe conservé la
recette. Toutes ces archéologies d'étiquette et de cos-
tume furent saluées des plus retentissants eljen , le
hurrah magyar. Léopold permit qu'on rétablît la di-
gnité de Palatin, et la diète, chevaleresquement, la con-
féra au jeune archiduc Alexandre, fils de Léopold. On
vota un considérable présent de joyeux avènement.
La diète renouvela les lois tutélaires dérivant de la
DÉBÂTS DE LA DIËTE HONGROISE DE 1790 37
bulle d'or : convocation de la diète tous les trois ans,
couronnement du roi dans les six mois de Tavénement ;
diète revêtue de la plénitude du pouvoir législatif et
ayant seule qualité pour voter les impAts et les levées
d'hommes ; conseillers magyars pour les affaires hon-
^oises ; intégrité du royaume, etc.
Le débat sur la liberté religieuse fut très-important et
très-beau; la petite noblesse était presque toute entière
calviniste, beaucoup de villes aussi, comme Debreczih,
la capitale du protestantisme. Le clergé, par l'organe
des Batthiany, des Boronkay, fit une vive opposition.
Ii6 projet en 17 articles n'en fut pas moins voté. 11 éta-*
blissait la liberté relative du culte évangélique, lui per*
mettait de fonder, entretenir et administrer des écoles
et des hôpitaux. Mais, à côté, que de restrictions! ses
livres étaient soumis à la censure et ne devaient conte*^
nir aucune attaque contre la foi catholique. La propa-
gande était sévèrement défendue et les cas de conver*-
sion réservés à l'examen de l'autorité royale. Les mé-
nages mixtes étaient maintenus sous la juridiction du
clergé catholique. Les Ëvangéliques devaient observer
extérieurement les fêtes calholiques « pour la paix de
la société » : on les dispensait seulement de contribuer
à la construction des églises catholiques. Voilà ce que
certains historiens hongrois nous donnent comme un
monument du libéralisme de la diète et de Léopold en
matière religieuse I
De façon non moins insuffisante et bâtarde furent
résolues les graves questions relatives aux paysans et
aux bourgeois. Léopold proposa d'accorder aux serfs de
la glèbe la liberté personnelle, le droit de déplacement
et la suppression des punitions corporelles. Ce fut un
toile assourdissant de la part des députés des comitats.
Ne plus battre les paysans, c'était ruiner la propriété
foncière I leur permettre de se déplacer, c'était la ruiner
encore I On maintint la bastonnade, mais on permit le
changement de séjour, tous les ans, à la Saint-Miche
ASSBLINE. 3
38 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
On décida même, dans un accès de générosité, que les
paysans ne supporteraient plus les frais de cette diète
qui les maintenait bàtonnables à merci. Quant à la
bourgeoisie des villes, la noblesse la redoutait extrême-
ment, car ces médecins, professeurs, avocats et mar-
chands, s'étaient laissé pénétrer par l'esprit égalitaire du
XVIII* siècle. Dès le début de la diète, elle proposa bru-
talement rinaptitude aux emplois publics de quiconque
n'était pas né noble et magyar : Léopold s'y opposa
malgré les clameurs de quatre comitats menaçant de se
retirer si l'admissibilité était votée. La question fut
ajournée. Un moyen de multiplier la bourgeoisie, c'é-
tait de multiplier les villes libres et royales. La diète
demanda que désormais on la consultât et reconnut
comme villes libres, en échange de cette concession, les
villes de Temeswar et de Garlsbourg.
Diverses nationalités, opprimées par les Magyars,
profitèrent de la tenue de la diète pour adresser des
réclamations à Léopold. Les guerres contre les Turcs
avaient rendu à peu près déserte la portion du territoire
hongrois située entre la Theiss, le Danube et le Maros :
Léopold h^ invita en 1690 les Seii>es de la Turquie à
venir occuper cette contrée marécageuse, mais d'une
opulente fertilité. Son appel fut entendu et trente-six
mille familles Serbes, conduites par le patriarche Crno-
zevic, se fixèrent dans ces marches abandonnées. D'au-
tres vinrent les rejoindre en 1691 et en 1693. Un diplôme
impérial créa le banat de Ternes et la voïvodie de Serbie,
en garantissant aux colons slaves le respect de leurs
croyances et une existence séparée. Les jésuites les per-
sécutèrent pour les rallier au rite grec uni, mais ils de-
meurèrent invinciblement attachés à Téglise orientale«
En 1733 le collège de Carlo witz (Karlovci) fut fondé et
devint le foyer de leur nationalité et de leur religion.
Industrieux et actifs, ils prospérèrent et s'accrurent ra-
pidement : Joseph II envoya même à Catherine le direc-
teur des écoles serbes, Jankovic, pour l'aider à établir
RÉCLAMATIONS DES SERBES. LA TRANSYLVANIE 39
l'enseignement primaire en Russie. En 1790, ils s'adres-
sèrent à Léopold qui, malgré les Magyars, les autorisa
à tenir un congrès national sous la présidence du baron
Ghmedfeld, gouverneur de Pétrovaradin, Les réunions
préparatoires de ce congrès furent très-orageuses et la
haine serbe pour les Magyars s'y manifesta dans les
termes les plus violents. Le congrès demanda un terri-
toire séparé. La diète de Presbourg s'y opposa vive-
ment, .alléguant que les Serbes n'avaient été reçus qu'à
titre d'hôtes. Léopold proposa que les Serbes fussent
au moins admis aux mêmes droits que les Magyars et
que leur église fût officiellement reconnue ; le diplôme
de 1791 consacra cette transaction. Nous verrons que
la question serbe est une des plus graves de rAutriche
contemporaine.
On eut aussi à s'occuper de la Transylvanie, en hon-
grois Erdely ou pays des forêts. Nous avons vu que
cette contrée était habitée par trois nations : les Ma-
gyars, les Sicules ou Szeklers et les Saxons, et que ces
trois nations avaient seules une existence politique,
malgré leur infériorité numérique, au détriment de la
masse de la population roumaine. La Transylvanie,
conquise par les Hongrois en 1004, avait fait partie de
la couronne de Saint-Etienne jusqu'en 1535 où elle de-
vint indépendante sous le rival de Ferdinand, le woï-
vode Jean Zapolya. Léopold I^f la reconquit en 1687, et
la Porte, par la paix de Garlowitz en 1699, reconnut la
souveraineté de la maison d'Autriche sur ce pays qui
garda néanmoins sa dynastie nationale jusqu'en 1713,
où la mort du dernier prince, Michel Abaffî, permit son
incorporation. Marie-Thérèse l'érigeaen 1765 en grande
principauté. Les comitats magyars formaient les sept
onzièmes du territoire, les comitats szeklers et saxons
se partageant à peu près par moitié les quatre autres
onzièmes. Ces trois fractions formaient seules la diète
de Transylvanie. Les comitats y envoyaient chacun
deux députés. Le calvinisme, le luthéranisme, le cathr
40 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
licisme et le socinianisme ou unitarisme, ces quatre re^
ligions reconnues parla diète de Maros en 1571, avaient
des droits égaux et c'était entre douze candidats leur
appartenant trois par trois que Tempereur choisissait le
gouverneur. Léopold permit la réunion de la diète,
malgré les Magyars qui voulaient passionnément la réu-
nion de la principauté à la couronne de Saint-Étienne,
vœu qui fut inscrit dans les délibérations de la diète de
Presbourg. Les malheureux Roumains adressèrent une
supplique à Léopold pour demander la reconnaissance
de leurs droits civils et politiques et la suppression de
ces termes injurieux : « Tolérait^ admtsst, tnter status
non reputati. » Léopold se contenta de renvoyer le
18 mai 1791 cette supplique à la diète transylvaine qui
la repoussa. La diète hongroise termina sa session le
9 août 1791, laissant instituées de nombreuses com-
missions de réformes.
CHAPITRE III
Entrée en lutte avec la Révolution française. — Pilnitz. — Mort
de Léopold. — François. — Alliance avec la Prusse. — Cam-
pagnes de 1792 et de 1793. — Affaires de Pologne ; deuxième
partage. — Thugut. — Campagne de 1794. — Paix de Bâle
entre la France et la Prusse,
Le 6 octobre 1790, Léopold avait été couronné empe-
reur d'Allemagne à Francfort par Télecteur de Mayence,
archichancelier de l'empire. Il était devenu le chef no-
minal de cette étrange agglomération qui ne comptait
pas alors moins de trois cents états souverains, depuis
les monarques de Prusse, de Bavière, de Saxe, de Ha-
novre, de Wurtemberg, jusqu'à ces chevaliers qui ré-
gnaient sur quelques kilomètres carrés, sans oublier les
principautés ecclésiastiques telles que les électorats de
Mayence, de Trêves et de Cologne, les évêchés, les
abbayes, les villes libres impériales, les bailliages de
l'ordre teutonique, etc., etc. Le despotisme, dispersé
dans ces innombrables molécules, n'en était pas moins
corrosif en chacune d'elles et quelques-uns de ces prin-
cipicules trouvaient moyen de déployer dans ces micro-
cosmes une cruauté à la Néron et une luxure à l'Hélioga-
bale. La vieille diète de Ratisbonne, avec ses trois col-
lèges, faisait à peine entendre le grincement de ses
42 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
rouages compliqués et, de tous méprisée et moquée, ne
brassait que petite et banale besogne.
Or ce fut la dignité impériale qui conduisit Léopold
à son premier choc avec la révolution française.
Les archevêques de Mayence, de Trêves et de Colo-
gne, les ducs de Wurtemberg et de Deux-Ponts, le
landgrave de Hesse-Darmstadt, le margrave de Bade,
les évèques de Spire, Bâle et Strasbourg, les princes de
Nassau, de Leiningen et de Lœvenstein, Tordre teutoni-
que, avaient conservé en Alsace, en Franche-Comté et
en Lorraine, des privilèges féodaux que la Constituante
abolit dans la fameuse nuit du 4 août 1789. Elle offrit
une compensation en biens nationaux aux seigneurs
allemands qui refusèrent et s'adressèrent à l'empereur.
Léopold réclama ofQciellement le 14 décembre 1790,
mais sans résultat, auprès du cabinet de Versailles. La
question était des plus graves. L'empereur d'Allemagne
alléguait que les terres privilégiées n étaient pas telle-
ment soumises à la souveraineté du roi de France que celui-
ci pût en disposer en indemnisant les propriétaires. C'é-
tait tout simplement dire qu'on voulait garder des encla-
ves purement germaniques en pleine province françaisie :
comme le remarque Michelet, on ne voulait pas dénouer
la question, mais la garder comme un en-cas de guerre.
Pendant ce temps, les émigrés étaient à Goblentz et
excitaient les rois à former une ligue internationale
contre la Révolution. Le 23 décembre 1790, Louis XVI
avait écrit au roi de Prusse, par l'intermédiaire du baron
de Breteuil, le fameux billet où il demandait contre son
peuple le secours de l'étranger et mettait en avant l'idée
d'un congrès européen « appuyé d'une force armée. »
Les libelles royalistes représentaient la France comme
en proie à des brigands que le seul aspect de la maré-
chaussée de l'absolutisme ferait rentrer en terre. Le
bouillant et mystique Frédéric-Guillaume voulait se
mettre en campagne.
Léopold était moins pressé d'agir, plus habitué qu'il
ENTREVUE DE PILNITZ 43
était à promettre qu'à tenir. Il alla, au printemps de 1791 ,
en Italie installer comme grand-duc de Toscane son se*
cond fils Ferdinand, qu'il maria avec une fille de sa sœur
de Naples, tandis que son fils aîné François épousait
l'autre fille, L'Autriche, qui établissait aussi un archiduc
à Modène et qui possédait en propre les duchés de Milan
et de Mantoue et les principautés de Castiglione et de Sol-
férino, prenait la direction absolue de la péninsule. Aux
premiers bruits'de la Révolution, tous ces princes avaient
renoncé aux réformes qui avaient rendu Léopold célèbre
et s'étaient mis en pleine réaction. Léopold reçut à
Mantoue Galonné envoyé par le comte d'Artois (fin mai),
en présence de lord Elgin, représentant de la Grande-
Bretagne, et du prussien Bischofl*swerder et consentit à
un plan d'exécution contre la France auquel il ne devait
prendre, dans l'intérêt de Marie-Antoinette, sa sœur,
qu'une part inostensible. Après la fuite de Varennes et
l'emprisonnement de la famille royale, il fit un pas de
plus et lança le 6 juillet 1791 une lettre-circulaire aux
cabinets européens pour les appeler, au nom de la
sécurité mutuelle, à envahir la France. Kaunitz et Bis-
choffswerder préparèrent même dans ce sens un traité
qui fut signé à Vienne le 25 juillet et où on décida qu'on
interviendrait en France quand Catherine aurait signé
la paix avec la Turquie, paix qui fut conclue le 11 août
suivant à Jassy et qui coûta à la Porte la province d'Oc-
zakow, avec le Dniester pour limite.
Une démarche plus décisive encore eut lieu le 25 août.
Au château de Pilnitz, en Saxe, se rencontrèrent Frédéric-
Guillaume escorté du prince royal, du général Hohen-
lohe-Ingelfingen, de Bischofi'swerder et du colonel de
Stein, et Léopold suivi de l'archiduc François, du ma-
réchal Lascy, du baron de Spielmann et du comte hon-
grois PalfiFy. L'électeur et l'électrice de Saxe donnèrent
une fête splendide à leurs hôtes. Le comte d'Artois se
présenta, suivi de MM. de BouiHé, de Galonné et de
Polignac, et non sans quelque déplaisir de Léopold. Le
44 HISTOIRE DB L'AUTRICHE
27 août fut signée la fameuse déclaration de Pilnitz. La
dernière et menaçante phrase : « En attendant, leurs
Majestés donneront à leurs troupes les ordres convena-
bles pour qu'elles soient prêtes à se mettre en activité, »
avait été ajoutée sur les instances de M. de Galonné,
après de longues hésitations de Léopold.
Le fin politique hésitait toujours et s'attirait les san-
glantes railleries des émigrés, dont il n'avait cure. Lui
et Kaunitz auraient préféré tenir la France enserrée
dans une sorte de cordon sanitaire formé par les Pays-
Bas, Tempire et l'Italie réactionnaire, la laissant, pour
prendre encore une expression à Michelet : « cuire dans
son jus jusqu'à se refroidir. » Ils comptaient aussi pour
ce résultat sur rétablissement en France d'un vague et
attiédissant constitutionalisme à Tanglaise. Brissot voyait
et signalait ce plan dans son discours du 20 octobre 1791 .
Léopold licencia même une partie de ses troupes et le
général prussien Hohenlohe — qui le vit à Prague où
il était allé se faire couronner roi de Bohême au sortir
de Pilnitz — n'obtint de lui que des réponses évasives.
Aussi quand Louis XVI accepta la constitution le 13 sep-
tembre, Léopold adressa aux cours une note pacifique,
dispersa en Belgique des rassemblements d'émigrés,
admit le drapeau tricolore et fit respecter la cocarde
nationale.
Le l" octobre 1791, la Législative succéda à la Cons-
tituante. Dès le 9 novembre, elle rendit un décret por-
tant la peine de mort contre tous les émigrés qui ne
seraient pas rentrés au l**" janvier 1792 et ordonnant la
séquestration des biens des princes émigrés : le roi fût
invité à prendre des mesures contre les puissances
étrangères qui permettaient les rassemblements. Le roi
opposa son veto : le 29 novembre, vingt-quatre membres
se rendirent auprès de lui pour le requérir de protester
auprès des électeurs de Trêves et de Mayence, qui don-
naient une si complaisante hospitalité à l'émigration.
La protestation fût faite par Yergennes et l'électeur de
DÉCLARATION DE GUERRE 45
Trêves y répondit avec une hauteur insultante. En même
temps, Léopold) le 3 décembre, dictait à Kaunitz un
acte que la chancellerie fît parvenir à Vergennes : il
renouvelait la prétention de faire réintégrer les princes
possessionnés en Alsace dans tous leurs droits, sans
accepter aucun dédommagement, et déclarait que les
troupes autrichiennes garantiraient Télecteur de Trêves.
Cette note, communiquée le 24 à l'Assemblée, y souleva
des explosions de légitime fureur : vingt millions furent
votés pour les préparatifs de la guerre. Le 14 jan-
vier 1792 Gensonné lut son rapport célèbre sur la situa-
tion de la France, où il sommait l'empereur de s'expli-
quer sur ces deux points : s'engage-t-il à ne rien
entreprendre contre la France, contre sa constitution,
la nouvelle forme de son gouvernement et de son indé-
pendance? S'engage-t-il à la soutenir, en cas d'attaque,
conformément au traité de 1756? Le 17, Guadet prononça
le magnifique discours où il jetait le gant à l'Europe.;
le 25 janvier, fut adopté le décret déclarant que, si
l'empereur n'avait pas répondu avant le 1" mars, ce
serait la guerre.
Ce fut la guerre. Le 7 février, l'Autriche et la Prusse
signèrent à Berlin un traité d'alliance offensive et dé-
fensive où elles se garantissaient leurs possessions et
s'engageaient à veiller sur la constitution allemande.
Cette monstrueuse alliance des deux rivales était accom-
plie en haine de la liberté. Léopold donna ordre au
maréchal Bender, commandant les 55,000 hommes de
l'armée des Pays-Bas, de se tenir prêt à marcher, en-
voya 6,000 hommes dans le Brisgau et fit mettre en
marche 30,000 hommes de réserve qu'il avait en Bohême.
Kaunitz rédigea et publia un mémoire, dernier produit
de sa verve octogénaire où l'ardent ennemi de la Prusse
et l'inventeur de l'alliance austro-française, rendait res-
ponsables de la guerre les républicains de la Législa-
tive et les jacobins, « secte pernicieuse et ennemie du
repos public. »
3.
46 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Mais Léopold ne devait pas voir commencer cette
guerre qu'il avait tant hésité à préparer. L*abus des
plaisirs avait ruiné sa santé : tout un harem entourait
le voluptueux Habsbourg ; Titalienne Dona Livia, la
polonaise Prohœska, madame de Wolkenstein et tant
d'autres. Pour réparer ses forces, il cuisinait des philtres
en collaboration avec le mystique favori de Frédéric-
Guillaume le général Bischoffwerder. Par malheur ce
grand empereur et ce grand général étaient de piètres
apothicaires. Léopold tomba malade le 27 février à la
suite de Tingestion d'un de ces philtres réparateurs et il
mourut dans d'affreuses convulsions le !•' mars, le jour
même où finissait le délai fixé par la Législative.
Léopold laissait treize enfants : dix garçons et trois
filles. Le trône revenait à l'aîné de ses garçons, François,
alors âgé de vingt-quatre ans, qui devait occuper le
trône d'Autriche pendant quarante-trois ans. Joseph
avait régné dix ans et Léopold deux ans. Rien ne prouve
qu'un règne plus long n'aurait pas fait d'eux ce que fut
François : l'incarnation obstinée de la contre-révolution.
La réputation de libéralisme qu'ils ont laissée n'est peut-
être due qu'à la brièveté de leur règne. Tous deux
cependant avaient plus de valeur intellectuelle que leur
fils et neveu. Il semble que le sang de la maison de
Lorraine avait régénéré pour quelque temps ces Habs-
bourg espagnols , descendant à la fois du fou furieux
Gharles-le-Téméraire et de Jeanne la Folle et qui s'ap-
pellent Rodolphe II, Ferdinand III, Léopold I". Mais
Léopold II avait épousé Marie-Ludovique , fille de
Charles III d'Espagne, issue de cette lignée des Bour-
bons d'outre-mont frappés les uns après les autres
d'aliénation, depuis Philippe V jusqu'à ce malheureux
Charles IV jouet de Godoy et de Napoléon, et sous cette
nouvelle affusion morbide, l'influence lorraine disparut :
les frères et sœurs de François étaient presque tous
soumis à des crampes nerveuses et à l'épilepsie, notam-
ment l'archiduc Charles le grand capitaine et le plus
FRANÇOIS 47
jeune, l'archiduc Rodolphe, qui mourut en 1831 cardinal-
archevêque d*Ohnûtz. Né à Florence et ainsi idlemand
croisé dltalien, François, faible et violent, d un machia-
vélisme bigot et méfiant et d*une timidité dont il se
vengeait par plus de despotisme, n'inspirait qu'une mé-
diocre confiance à son oncle Joseph. Au dedans, la cen-
tralisation à outrance, mais avec le secours de l'église,
le silence de l'absolutisme et la compression par la
force et par la police comme défense contre les idées
nouvelles, la bonhomie du despotisme paternel vis-à-
vis de ceux qui se soumettaient de corps et d'âme à cet
étouffement et le gibet ou le carcere dura pour les autres,
au dehors la politique la plus égoïste soit de conquêtes
pour augmenter les états des Habsbourg, soit d'inter-
vention pour aider, au nom de la sécurité mutuelle^* les
autres rois à maintenir les peuples et à écraser dans
son germe la contagion qui aurait pu atteindre l'Au-
triche, tel fut le programme que dès son avènement
se traça François et auquel il demeura invinciblement
fidèle avec la tenace persévérance de la médiocrité.
Son premier soin fut d'augmenter et de perfectionner
la police que Joseph II avait créée et que Léopold n'a-
vait pas négligée. Il confia la direction des affaires à
son ex-gouverneur, le comte Golloredo, sans disgracier
cependant Kaunitz et Gobentzell. Il abolit les Chancel-
leries de Bohême et d'Autriche, la Chambre des comptes,
la Chambre des finances hongroise , les Commissions
des afiaires ecclésiastiques et de l'instruction publique
et remplaça ces diverses institutions par un Conseil
sous la présidence du comte Kollowrath. Mais les préoc-
cupations de l'extérieur ne tardèrent pas à l'arracher
à ses réformes intérieures. Deux grandes questions do-
minaient la situation : la question Polonaise et la ques-
tion Française, beaucoup plus enchevêtrées l'une dans
l'autre qu'on ne le suppose communément.
Le 29 mars 1790 les Polonais avaient conclu une
alliance défensive avec Frédéric-Guillaume de Prusse,
48 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
à la suite de l'impolitique alliance de Joseph avec Ca-
therine de Russie. Le 3 mai 1791, ils adoptèrent une
nouvelle Constitution destinée à régénérer leur mal-
heureux pays en supprimant la royauté élective et en
admettant le tiers-état dans les diètes. Les naïfs Polor
nais pensaient que la Prusse avait tout intérêt, devant
la puissance formidablement croissante de la Russie,
à leur assurer l'indépendance et la tranquillité. Mais
Frédéric-Guillaume, infiniment plus âpre que cheva-
leresque, et trop peu intelligent pour comprendre quelle
devait être la vraie politique de la Prusse, ne songeait
qu*à obtenir de ses alliés Thorn et Danzig. Léopold,
bien autrement homme d'État, avait compris combien
l'existence d'une Pologne forte et indépendante était
nécessaire à la sécurité de l'Autriche et de l'Allemagne
et, abandonnant la folle poUtique russe de Joseph, avait
mis en avant une véritable idée de génie : poser la
couronne héréditaire de Pologne sur le front de l'élec-
teur de Saxe et opposer ainsi à la fois à la Russie et à
la Prusse un vigoureux royaume Polonais-Saxon dont
la création eût changé la face de l'Europe. La Russie
furieuse déclara dès le 18 mai qu'elle repoussait la nou-
velle Constitution , sous prétexte que l'ancienne , ga-
rantie par elle, ne devait pas être changée sans son
consentement : elle attendit que la conclusion de la
paix avec la Porte lui permit d'agir. Cette paix fut
conclue à Jassy le 9 janvier 1792.
Léopold était mort le i^^ mars, et le 10 le mémoire
qui contenait ses idées relatives à la Pologne arri-
vait à Berlin : royauté de l'électeur de Saxe avec ses
frères pour successeurs , armée polonaise réduite . à
40,000 hommes et neutralisation absolue du royaume.
La Russie faisait au même instant des communications
secrètes poussant au partage. Malgré le traité de 1790,
Frédéric-Guillaume n'hésita pas, trompant d'une façon
infâme et digne d'une éternelle flétrissure la confiance
des Polonais, à accueillir ces ouvertures et jil le fit si-
INTRIGUES AVANT LA GUERRE 49
gnifier à rAuiriche par Bischoffwerder eq même temps
que le rejet du projet de Léopold. Qu'allait faire Fran^
çois, d'autant plus que, le 20 avril, rAssemblée légis-
lative française avait voté, sur la proposition à contre*
cœur de Louis XVI, la guerre contre lui en qualité de
roi de Bohème et de Hongrie, à l'unanimité moins sept
voix? Allait-il abandonner la politique de Léopold et
reprendre celle de Joseph ?
Alors se croisèrent de tous côtés les intrigues les plus
honteuses et d'une complexité qui les rend difficiles à
suivre. Ferait-on la guerre par pur désintéressement,
pour sauver le principe monarchique menacé par la
révolution? ou bien la Prusse et l'Autriche, pour se
dédommager des frais de la guerre , recevraient-elles
des territoires d'étendue et de valeur égales? Et si le
principe des dédommagements était admis, où la Prusse
et l'Autriche se dédommageraient-elles? Cette question
était la plus difficile, car le principe des indemnités
territoriales fut admis avec empressement par ces che-
valiers du droit divin, qui disaient tout bas ce que les
Normands de Robert Guiscard avaient la pudeur de dire
tout haut : « Nous nous battons pour gaigner. »
Les préparatifs de guerre se faisaient lentement pen-
dant ces compétitions d'intérêts. Le duc de Brunswick
devait commander en chef les forces prussiennes et le
prince de Hohenlohe-Kirchberg les forces autrichiennes.
Le plan était arrêté : 42,000 Prussiens pénétrant par
Longwy, Montmédy et Verdun, devaient rejoindre sur
la Meuse 56,000 Autrichiens arrivés par Maubeuge, Phi-
lippeville et Givet. Les émigrés devaient passer le Rhin
à Bàle, soutenus par des corps autrichiens massés à
Fribourg en Brisgau et à Manheim. Mais les mouve-
ments de ces divers corps s'opéraient avec des retards
énormes. François en attendant alla se faire couronner
roi de Hongrie le 6 juin. Les Magyars, comme d'habi-
tude, montrèrent un débordant enthousiasme monar-
chique, avec cette facilité de jet qui les caractérise, et
50 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
la diète vota hommes et argent pour la guerre contre la
révolution française.
Les Magyars, en effet, avaient pris en haine aussi
ardemment que l'aristocratie anglaise, la révolution,
preuve de plus que leur grand élan de 1790 était pure-
ment national et égoïste. Leurs poètes maudissaient
la France en des vers aussi médiocres que violents.
Dans les villes seules un parti s'était ému aux bruits de
liberté et d*égalité venus de l'occident et s'attirait déjà
le nom de jacobin, mais il était en infime minorité.
François sut exploiter adroitement cette ardeur réac-
tionnaire : il affecta de respecter la Constitution hon-
groise et fit même quelques concessions de forme, celle
par exemple que tout nouveau souverain devrait se
faire couronner dans les six premiers mois. Mais au
fond il ne céda rien ni sur la réunion de la Transyl-
vanie ni sur le commandement exclusif par les offi-
ciers magyars. Les neuf commissions d'enquêtes con«
senties par Léopold cessèrent même de fonctionner :
ridolàtrie monarchique des Magyars et leur haine de
la révolution leur coûtaient cher. Leur pays n'allait
plus être jusqu'en 1815 qu'une usine à soldats et à im-
pôts alimentant les grandes guerres des coalitions.
Après s'être fait couronner roi de Hongrie , François
alla à Francfort se faire couronner le 19 juillet empe-
reur d'Allemagne. Le dernier électeur de Mayence, le
dernier archevêque-roi du Saint-Empire romain, cou-
ronna le dernier empereur catholique d'Allemagne et
reçut ensuite dans sa ville électorale le congrès des sou-
verains, François, Frédéric-Guillaume, le roi de Naples,
plus les électeurs de Trêves et de Cologne et les comtes
d'Artois et de Provence. Les convoitises se donnèrent
libre cours dans ces conférence?. Le Prussien déclara
qu'il entendait se dédommager en Pologne, et François,
abandonnant décidément la politique de Léopold , ma-
nifesta la même intention. Mais la Russie suggéra aux
hommes d'Etat autrichiens l'idée de reprendre le vieux
MANIFESTE DE BRUNSWICK 51
plan de Joseph, rechange des Pays-Bas contre la Ba-
vière. Spielmann et Gobentzel d'une part, Schulenbourg
et Haugvitz de Tautre, étaient en présence : les âpres
marchandeurs se brouillèrent promptement ; les Prus-
siens demandèrent tant de Pologne (Posen, Gnesen,
Kalish, Kujavie, Sieradie jusqu'à la Wartha) que les
Autrichiens ne se trouvèrent plus assez de Bavière et
demandèrent en supplément la principauté d'Anspach-
Bayreuth. Refus indigné des Prussiens et tout fut rompu.
Guillaume continuait ses négociations avec Catherine,
qui le 19 mai avait fait passer le Dniester à ses troupes
avec la connivence des seigneurs polonais réunis à Tar-
gowiez en une confédération de traîtres et de vendus.
Les patriotes, abandonnés par la Prusse au mépris des
irailés, prirent vainement 4es armes, et le 23 juillet la
Constitution qui pouvait sauver la Pologne était abolie,
et le partage devenu possible.
C'est à Mayence, pendant les conférences, que Mallet
du Pan, envoyé de Louis XVI, négociait avec les coa-
lisés et obtenait que les émigrés ne fussent pas réunis en
un seul corps, mais adjoints : 8000 à Brunswick, 5000
aux Autrichiens du Brisgau et 5000 aux Autrichiens de
Belgique, ce qui valut à Marie-Antoinette de la part de
Témigration un torrent d'injures. C'est à Mayence aussi
que fut rédigé, par le marquis de Linion, le fameux
manifeste dont Brunswick endossa si fort à contre-cœur
la responsabilité, et qui, lancé le 25 juillet, souleva la
France d'une fièvre de colère et d'enthousiasme.
Les hommes politiques de l'assemblée législative sa-
vaient très-bien quel désaccord régnait entre la Prusse
et l'Autriche, et ce fut leur politique de l'exploiter. Cette
haine des deux nations se manifestait dans toutes les
occasions. A Mayence, par exemple, il y eut de longues
discussions pour savoir si la petite armée électorale serait
commandée par un Prussien ou par un Autrichien et an-
nexée à l'une ou l'autre armée. Brunswick aurait mieux
^^mé combattre la maison de Lorraine que la France.
5S HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Nous ne raconterons pas la campagne de 92. Le
18 août, La Fayette abandonnait son armée, et les
Autrichiens Ten récompensaient en l'arrêtant et en
renfermant à Olmûtz avec ses compagnons Bureaux-
Pusy, de Latour-Maubourg et Alexandre de Lameth.
Longwy avait capitulé le 13 août, Verdun le 2 sep-
tembre. La route de Paris était ouverte, mais, le 20 sep-
tembre, l'armée prussienne était battue à Valmy, et le
soir, Goethe disait au bivouac : « Aujourd'hui, une
ère nouvelle a commencé pour le monde, et vous pour-
rez dire que vous l'avez vu s'ouvrir. » Dès le lendemain,
Dumouriez entamait avec les Prussiens, par l'entremise
de l'adjudant-général Manstein, des négociations peu
sérieuses de part et d'autre, mais qui inquiétèrent
vivement l'Autriche. Le 30 septembre, Custines, se déta-
chant de l'armée du Rhin, prenait Spire, et, le 21 oc-
tobre, entrait à Mayence, événement qui produisit une
immense impression. Du 21 septembre au 10 octo-
bre, Lille avait résisté avec un superbe héroïsme à l'ar-
mée autrichienne d'Albert de Saxe-Teschen qui se mit
en retraite. Hohenlohe leva le siège de Thionville et
évacua la France malgré les violents reproches de ses
alliés de Prusse. « La guerre, disait amèrement des
Autrichiens le diplomate prussien Lucchesini, ne semble
pas plus les regarder que le Grand-Turc. » Il est vrai
que Brunswick avait dit pendant sa retraite : « Chacun
chez nous, comme les gens de Içi noce. » Le 28 octobre,
Dumouriez, auquel Danton disait : « Console-nous par
des victoires sur l'Autriche de ne pas avoir ici le des-
pote de la Prusse, » avait commencé sa campagne
de Belgique qui aboutit le 6 novembre à l'éclatante
victoire de Jemmapes, gagnée sur l'armée autrichienne,
commandée par Clairfayt et Albert de Saxe-Teschen.
Deux jours après, il était à Mons, dix jours après à
Bruxelles : Namur tombait devant Valence, Anvers de-
vant Labourdonaye, la Belgique entière était conquise.
Mais ce fut vainement qu'on appela à la liberté ce pays
COALITION — CAMPAGNE DE 1793 53
qui avait reçu profondément l*empreinte de Tabsolu-
tisme austro-ultramontain. Il repoussa la révolution
comme il avait repoussé les réformes de Joseph II. Et
cependant on lui apportait ce grand bienfait qui épou-
vantait TAngleterre, l'ouverture de TEscaut et la liberté
de la mer! mais il se plaisait aux mains de son clergé
fanatique et ignorant, et regrettait rAutriche des Habs-
bourgs espagnols.
La campagne de 92 avait été fatale aux coalisés et
les laissait réciproquement pleins d'aigreur, en même
temps que d'une croissante avidité. François ne voulait
plus seulement la Bavière et |Anspach-Bayreuth : ce
défenseur de Tidée monarchique jetait le masque et
voulait se dédommager en France, à même du royaume
de celui qu'il prétendait secourir. Il y eut de vives dis-
putes au quartier général du roi de Prusse. Frédéric-
Guillaume déclara aux ministres autrichiens Spielmann,
Thugut et Mercy, qu'il persistait à se dédommager en
Pologne au prorata de ce qu'il fournirait de troupes à
la coalition en dehors de son contingent fédéral de
20,000 hommes, et à refuser Anspach-Bayreuth, mais
qu'il ne s'opposait pas à ce que son impérial frère
François se dédommageât en Alsace et en Lorraine. On
en était là quand l'Angleterre, menée par Pitt, entra
en ligne. La délivrance de l'Escaut, bouché depuis
deux cents ans, la renaissance possible d'Anvers dont
on a dit que c'était un pistolet visant le cœur de la
puissance britannique, la Hollande vassale menacée par
les Français, c'en était trop et suffisait, sans l'exécution
de Louis XYI, à faire déborder la coupe. Ge fut au nom
de la politique des intérêts que Pitt reforma la coalition
en vue de la campagne de 1793, tout en proclamant la
politique de désintéressement dont l'Autrichien Gobourg
était le naïf et sincère partisan. Le 1" février 1793, la
France déclara la guerre à la Hollande et à l'Angleterre.
Passons rapidement sur cette campagne de 93 dont
les commencements furent si désastreux pour la France,
54 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Elle avait à combattre 45,000 Austro-Sardes sur les
Alpes, 70,000 Autrichiens dans les Pays-Bas, 40,000 An-
glo-Hollandais en Belgique, 112,000 Prussiens et Autri-
chiens sur le Rhin. On sait comment Gustines battit en
retraite, évacua Francfort et laissa assiéger Mayence
qui succomba après la plus magnifique résistance (du
14 avril au 15 juillet). Dumouriez, acharné à la con-
quête de la Hollande, avait refusé de le secourir, et
lui-même vint se faire battre le 18 mars par Gobourg et
Glairfayt à Nerwinde, où Tarchiduc Gharles fit ses pre-
mières armes. Peu après Tintrigant général, accomplis-
sant la trahison qu'il méditait depuis longtemps, con-
clut une convention avec TAutrichien Mark, fit arrêter
et livrer à Tennemi les commissaires de la Gonvention,
et, après avoir vainement cherché à entraîner ses trou-
pes, accueilli à coups de fusil par les volontaires, passa
à Tennemi. Les Austro-Prussiens bloquèrent Maubeuge,
le Quesnoy, Gondé et Yalenciennes qui succomba le
1" août.
Tout semblait être perdu pour, la France, et tout
allait être sauvé tant par le génie des nouveaux géné-
raux de la République que par les divisions des coalisés.
Le pauvre Gobourg croyait seul à la politique de désin-
téressement et s'avisa même de préparer un manifeste
où, au nom de François, son maître, il renonçait à
toute idée de conquête. On se moqua fort de lui à la
conférence d'Anvers, où le duc d'York et lord Aukland
représentaient l'Angleterre, Metternich père et Stahren-
berg l'Autriche, le prince héréditaire d'Orange et Spie-
gel la Hollande. Metternich rédigea un autre manifeste
que Gobourg publia le 9 avril, et où la politique de
conquête était carrément affirmée. D'ailleurs Pitt voulait
Dunkerque : York, au lieu de marcher sur Paris avec
l'armée autrichienne, York, xjue Michelet appelle si
bien « le général commandité de la boutique et de la
banque », alla mettre le siège devant cette place, tandis
que Gobourg et son armée assiégeaient, de leur côté,
SECOND PARTAGE DE LA POLOGNE ' 55
les petites places frontières. Prussiens et Autrichiens
agissaient avec la même mollesse sur le Rhin. Le résultat
de ces lenteurs et de cette absence de plan et d'unité
combinées avec les inspirations de Garnot fut que Bou-
chard battit York à cette bataille de Hondschoote dont
Teffet resta immense sur Topinion publique (8 sep-
tembre), et que Jourdan battit les 80,000 hommes de
Gobourg à Wattignies (17 octobre), dans une position
de laquelle Gobourg avait dit : « Slls viennent ici, je
me fais sans-culottes. » Wurmser, chargé d'effectuer le
plan autrichien, de bloquer Landau , forcer les lignes
de Wissembourg et soulever l'Alsace, allait trouver
Hoche bientôt devant lui (novembre et décembre).
Le secret de toutes ces maladresses, de ces tempori-
sations, de ces marches et contre-marches, de ces dé-
fiances mutuelles, était dans les affaires de Pologne.
Dès le 16 décembre 1792, Ostermann, ministre de
Catherine, avait entamé, avec le ministre prussien de
Goltz, les négociations relatives à la Pologne. Gatherine
aurait préféré une Pologne vassale, ouverte à ses armées,
à une Pologne partagée avec les puissances allemandes,
mais la révolution du 3 mai lui avait prouvé que les
Polonais ne supporteraient pas cette vassalité. Elle
s'arrêta donc à Tidée d'un second partage, mais avec la
Prusse seule. Les négociations marchèrent rapidement ;
on s'entendit provisoirement sur les cessions territo-
riales, et le 6 janvier 1793, la Prusse publia un mani-
feste de la plus grossière hypocrisie où, prenant le
même prétexte que la vieille autocrate russe, elle se
déclarait forcée par les menées des Jacobins en Pologne,
à occuper les provinces limitrophes de ses états. En
effet, le 14 janvier 1793, le général Mœllendorf occupa
toute la portion du territoire polonais qui devait former
le lot de Frédéric-Guillaume. Le 22 janvier, le lende-
main même de la mort de Louis XVI, fut signé dans le
plus profond secret à BerHn, l'acte de partage. Pour
prévenir la colère de l'Angleterre quand cet acte serait
56 HISTOIRB DE L'AUTRICHE
connu, la Russie abandonna, le 6 février, les privilèges
de neutralité armée dont aurait été si fort gênée la ma-
rine anglaise dans la guerre maritime qui allait com<
mencer. C'était entre les deux cabinets le sacrifice de la
liberté des mers contre le sacrifice de la Pologne, et on
signa un traité d*alliance provisoire.
L'Autriche savait mal ce qui se passait en Pologne.
L'entrée du corps de Mœllendorf, tout en l'irritant, ne
lui avait pas semblé une mesure définitive. L'Angleterre,
contraire à cet échange bavarois par lequel on voulait
déporter la maison de Wittelsbach dans les Pays-Bas
malgré elle, conseillait à François de garder la Belgique
agrandie aux dépens de la France et de s'emparer de
l'Alsace : l'Autriche hésitait et semblait vouloir tout à la
fois dans son robuste appétit et la Bavière et l'Alsace,
et une part de Pologne. Mais le 23 mars, les ambassa-
deurs de Prusse et de Russie communiquèrent le traité
de partage de la Pologne. François II, furieux d'avoir
été ainsi joué, destitua, dès le 27 mars, Spielmann et
Gobentzel, et confia le ministère des affaires étrangères
au baron de Thugut.
Cet odieux personnage dont tout le monde â dit du
mal, y compris l'archiduc Charles qui l'exécrait et le
prince de Schwarzenberg , était fils d'un batelier du
Danube. Les jésuites, qui l'avaient élevé, l'avaient lancé
dans la carrière diplomatique ; il avait rempli des mis-
sions à Constantinople, à Varsovie et à Versailles, et
avait été sous Joseph, en 1788, gouverneur provisoire de
la Moldo-Valachie. Il n'avait ni principes ni croyances.
Catherine, en le voyant arriver au pouvoir, avait dit :
« Voilà un ministre jacobin qui s'entendra avec ses collè-
gues de Paris. )> Mais Thugut se montra le plus fanatique
défenseur du trône et de l'autel : il exploita cynique-
ment les vices de l'humanité au profit de sa politique et,
premier ministre de 1794 à 1801, il mérita cet énergique
jugement de l'historien hongrois Horwath : « Thugut a
brigandé pendant sept ans le gouvernement de l'empire, »
DÉBUTS DU MINISTÈRE THUGUT b1
Thugat voulut résoudre par la ruse la plus compli*
quée la question polonaise et la question des indem-
nités. Il serait fastidieux de le suivre dans ses trames
entrecroisées à Varsovie, à Grodno, lieu de réunion de
la diète qui devait homologuer sous le canon des Russes
Tacte de partage, à Londres où son ambassadeur Mercy
tâchait de conclure une étroite alliance avec TAngleterre
en proposant de renoncer à rechange bavarois, et à
Berlin où il repoussait le traité de Saint-Pétersbourg par
lequel la Prusse et la Russie promettaient de faciliter à
Tempereur l'échange bavarois s'il reconnaissait le par-
tage de la Pologne. La Prusse furieuse de ces menées
déclarait que l'obstination de l'Autriche la dégageait et
qu'elle ne fournirait plus que 20,000 hommes à la coali-
tion, couvrait de forteresses ses nouvelles provinces polo-
naises et restait presque inactive sur le Rhin. La Russie,
de son côté, tout en accueillant les lettres de François
et les tentatives de Thugut pour revenir à la politique
rassophile de Joseph, exigeait aussi la reconnaissance
du partage de la Pologne, au moins en ce qui la con-
cernait. Les choses en vinrent au point que le roi de
Prusse fit reculer son armée, arma en Silésie et partit
lui-même pour la Pologne. Jamais bas intérêts ne furent
si bassement discutés. Thugut demanda même la pro-
vince de Novare au roi de Piémont pour prix du con-
cours des troupes autrichiennes à une attaque sur la
Savoie et sur Lyon (15 septembre). Mais il échoua par-
tout. La diète de Grodno vota le démembrement de la
Pologne au profit de la Prusse et de la Russie et conclut
le 16 octobre, la veille de la bataille de Wattignies, un
traité qui mettait le reste du malheureux pays dans la
dépendance absolue de l'empire russe. Les frontières
autrichienne et russe désormais se touchaient.
L'Angleterre parvint à renouer la coalition à force
d'or. Frédéric-Guillaume — dont le général, Brunswick,
avait donné dès janvier 1794 sa démission, en se basant
sur les divisions des alliés, et qui avait émis la préten*
68 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
tion de faire payer ses troupes par l'empire — s'engagea
par le traité de la Haye du 28 avril à fournir 62,400
hommes moyennant des subsides anglais mensuels.
L'autrichien Mack, le futur capituleur d'Ulm, dressa un
plan en vertu duquel on devait marcher droit des Pays-
Bas sur Paris. Mais la campagne de 1794 devait être
aussi désastreuse que celle de 1793. Les Autrichiens du
reste en supportèrent le principal fardeau. Glairfayt
et le duc d'York battus par Pichegru le 8 mai à Coui^
trai, le 13 juin à Hooglede, se replièrent successivement
sur Anvers, Bréda , Bois-le-Duc et au-delà du Wahal,
laissant la Hollande ouverte. De son côté Gobourg, avec
ses 90,000 hommes commandés sous lui par l'archiduc
Charles, Beaulieu , Latour , Kaunitz et Zwasdanowich,
perdit la bataille de Fleurus (S6 juin) contre Jourdan
et ses lieutenants Marceau, Lefèvre, Ghampionnet, Ber*
nadotte, Duhesme. Il battit en retraite, laissant 7,000
morts et 3,000 prisonniers. Jourdan, à la tète de cette
immortelle armée de Sambre-et«Meuse, prit successi-
vement Bonn, Gologne, Goblentz et occupa le Luxem-
bourg. Hoche avait fait capituler Worms et Spire. Les
Prussiens étaient restés à peu près inactifs, charmés de
voir battre les Autrichiens. Aussi sur la rive droite du
Rhin, où les deux armées étaient en contact, les duels
entre leurs officiers étaient très-fréquents. Le ministre
prussien Haugwitz affichait hautement les sentiments
de haine de la Prusse pour l'Autriche, Dès ce moment ,
le projet de faire, malgré les constitutions de l'empire,
une paix séparée était arrêté dans l'esprit de Frédéric-
Guillaume et de ses conseillers. L'affaire de Pologne
était réglée : Danzig et Thorn, objets de si ardentes
convoitises, voyaient flotter le drapeau prussien. Il fal-
lait la paix pour prussianiser à loisir les nouvelles ac-
quisitions.
Mais on avait besoin de sauver les apparences* Déjà
l'immobilité de l'armée prussienne autour de Mayence
faisait crier Anglais et Autrichiens à la trahison. Fré-
PklX DE BÀLfi — MBRUN DE THIONVILLE ÔO
déric-GuilIaume eut Tart de faire saisir la diète de la
question. L'Autriche alors demanda un délai de six se-
maines et fit à son tour un traité de subsides avec TAn-
gleterre, qui lui paya cent millions. Quand, le 5 décem-
bre, trente-sept voix dans la diète se prononcèrent pour la
paix par la médiation de la Prusse, rAutriche humiliée
déclara qu'elle ne l'accepterait que sur les bases du
traité de Westphalie, ce qui était une manière de la
refuser, car on savait bien que la France voulait garder
la rive gauche du Rhin. La Prusse, forte de l'assenti*-
ment du corps germanique, se décida à agir seule. Le
â8 décembre, M. de Goltz ouvrit à Bàle avec Barthé-
lémy des négociations qui aboutirent, le 5 avril 1795, à
la paix de Bàle. Frédéric-Guillaume la signa à la fois
comme roi de Prusse et][comme membre du corps ger-
manique. Il laissait les provinces rhénanes entre les
mains de la France jusqu'à la conclusion de la paix gé-
nérale. Au courant de mai, ce traité fut complété par
des articles additionnels établissant une ligne de neu-
tralité et en somme constituant la Prusse arbitre de
TAllemagne du nord.
Il n'avait pas dépendu d'un grand patriote, Merlin
de Thionville, que la paix ne se fàt faite avec l'Autriche
plutôt qu'avec la Prusse. Sa correspondance, publiée
par Jean Reynaud, prouve que l'Autriche n'en avait pas
été éloignée. Si les Prussiens montraient tant d'em-
pressement à faire une paix séparée , si leur général
Mœllendorf, l'envahisseur de la Pologne, faisait jouer
la Carmagnole aux musiques de ses régiments, c'est
qu'ils voulaient gagner de vitesse l'Autriche. Merlin de
Thionville s'emparait à son tour de l'idée de l'échange
Bavarois, mais en donnant la Bavière à l'Autriche, il
donnait les Pays-Bas à la France. Avec une admirable
lucidité, il y voyait l'avantage de satisfaire l'Autriche et
en même temps de la mettre en guerre avec la Prusse :
« Qu'importe, écrivait-il au comité de salut public, que
les lions germains s'entre-déchirent, pourvu que la Ré-
60 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
publique triomphe?... Je ne vois pas qu'avec le Rhia
pour limite et d'autres petits états qui nous sépareront
de rAutriche, l'empereur François II puisse jamais être
redoutable à la France, même avec la Bavière ; et d'ail-
leurs vous retomberez dessus s'il vous y oblige. Si donc
il veut traiter, moyennant que vous le laissiez faire en
Bavière, n'hésitez pas à accepter , et répudiant des pro-
jets gigantesques pour aller chercher au loin des échan-
ges quand vous en aurez tout près, songez plutôt à quoi
tiennent les destinées des empires. » Les conséquences
dé l'idée de Merlin eussent été énormes : il faisait allu-
sion à ces campagnes dltalie d'où allait sortir un César;
il y a dans sa dernière phrase comme un accent pro^
phétique. François II était loin d'être rebelle à ces pers-
pectives. Déjà il avait fait pressentir Robespierre par
l'ambassadeur toscan Garletti, et il agissait à Bâle par
son agent Degelàian. L'empressement de la Toscane,
gouvernée par un frère de François, à faire la paix avec
la France (9 février 1795) montrait bien la posâbilité de
ces négociations-. Mais la vieille haine des convention-
nels contre l'Autriche l'emporta. La Prusse avait pour
partisans les Sieyès, les Boissy d'Anglas, les Rewbell,
les Aubry. Merlin ne fut pas compris, et la paix de Bàle
fut signée avec la Prusse. Après la prise de Dusseldorf
et de Luxembourg par les Autrichiens, Merlin paria de
son plan favori au maréchal Bender, qui l'accueillit avec
enthousiasme et qui assura « que, si l'on glissait quelque
chose de la Bavière, l'empereur abandonnerait aisément
les Électeurs pour se venger de leurs inclinations pour
la Prusse. » Cette nouvelle tentative échoua devant le
comité de salut public. L'année 1795 finit mal pour la
France par la trahison de Pichegru qui, vendu aux émi-
grés et aux Autrichiens, évacua Manheim, leva le siège
de Mayence et laissa à découvert les flancs de l'armée
de Sambre-et-Meuse commandée par Jourdan. Mais
Moreau remplaçait Pichegru, et Bonaparte descendait
des Alpes en Italie.
CHAPITRE IV
Troisième partage de la Pologne. — Conspiration de Martinovics
en Hongrie. — Campagnes de 1795-1797. — Préliminaires de
Léoben. — Traité de Campo-Formio. — Congrès de Rastadt. —
Campagne dé 1799. -- Alliance austro-russe : Zurich. — Ma-
rengo et Hohenlinden. — Paix de Lunéville. — Finances autri-
chienaes. — Diète hongroise de 1802. — Réorganisation de
l'Allemagne. — Empire héréditaire d'Autriche.
L*Autriche, tout en combattant la France, n*avait pas
oublié son exclusion du second partage de la Pologne.
Aussi quand Kosciuszko donna le signal du soulèvement
de sa malheureuse patrie le 24 mars 1794, joignit-elle
ses troupes aux armées prussienne et russe pour étouffer
la formidable insurrection et prendre part à la curée*
On sait que Kosciuszko, vaincu, tomba le 10 octobre sur
le champ de bataille de Macejovice, mais sans crier le
légendaire Finis Poloniœ, Après de longues négociations
qui faillirent mettre aux mains la Prusse et rAutriche»
le troisième et dernier démembrement de la Pologne
eut lieu ; le lot de TAutriche fut magnifique : il comprit
la plus grande partie du palatinat de Gracovie, les pala-
tinats entiers de Lublin et de Sandomir et la partie du
district de Ghelm et des palatinats de Bretz, de Podla-
chie et de Mazovie située sur la rive gauche du Bugi
C'était un territoire de 583 myriamètres carrés et de
A88ELINB. 4
62 HISTOIRE DE L' AUTRICHE
1,100,000 habitants; il forma la Gallicie orientale. On
ne dit pas que François II ait versé des larmes comme
Marie-Thérèse en 1772.
A rintérieur, TAutriche était soumise par Thugut au
plus dur régime de la police et de la force. L'espionnage
était organisé en grand en même temps que la censure.
Quiconque savait penser et parler était traité de jacobin
et s'exposait aux plus cruelles persécutions. En Hongrie,
on y mettait un peu plus de formes et la police y était
plus employée que la force. On affectait de respecter la
constitution, mais peu à peu on centralisait à Vienne
toutes les affaires. En même temps on soumettait les
protestants à mille vexations et on mettait les plus ingé-
nieuses entraves au ministère de leurs pasteurs ; on leur
refusait l'entrée des corporations, on les vouait de préfé-
rence au service militaire, on s'opposait aux conversions.
Et cependant ces pasteurs persécutés continuaient à
prêcher la guerre contre l'impie Révolution française,
et ces protestants bafoués fournissaient avec un sincère
enthousiasme sang et or pour permettre à leur roi- de
combattre les soldats de la liberté !
Pourtant il existait en Hongrie un faible parti démo-
cratique, composé surtout d'hommes appartenant aux
professions libérales : professeurs , médecins , avocats,
littérateurs. Mal à l'aise au milieu de leur pays épris
du passé et si foncièrement aristocratique, ils s'étaient
imbus de l'esprit de là Révolution. Voyant la réaction
grandir autour d'eux, ils formèrent des sociétés secrètes
sans but bien déterminé et plutôt en vue de la propa-
gande que de l'action. Cinq hommes surtout se mirent
à la tête du mouvement : le prêtre Ignace Martine-
vies que Léopold avait envoyé en mission près de
Louis XVI et que cette mission avait converti à la révo-
lution, le conseiller royal Hajnôczy, le capitaine destitué
Laczkovics, si fier, si ardent et si pénétré des principes
égalitaires et laïques du xviii® siècle, le beau Szentmariai
qui rappelait Saint-Just et le noble comte Jacob Zsigray
CONSPIRATION DE MARTINOVICS 63
qui avait su se mettre au-dessus des préjugés de sa
caste. Ils avaient composé une sorte de catéchisme
révolutionnaire dont ils répandaient les doctrines parmi
un cercle de plus en plus large d'affiliés.
Us fiirent trahis par un domestique ou par une ser-
vante de Martinovics. Il n'y avait pas de commencement
d'exécution, mais François et Thugut saisirent avec un
fiévreux empressement ce moyen d'effrayer la Hongrie.
Depuis août 1794 jusqu'à février 1795, on se mit à
arrêter en masse : chefs, complices, suspects, furent
entassés dans la forteresse de Bude. Plus d'un proscrit,
désespérant d'échapper aux sbires, se suicida. Parmi
les détenus, il y avait des enfants de seize ans et autant
de catholiques que de protestants. Quelques membres
de grandes familles, un lUeshazy, un Esterhazy, un
Révay se trouvèrent compromis, mais on les écarta du
procès pour laisser au prétendu complot son caractère
jacobin. Des poètes déjà célèbres, Verseghy, Bacsanyi,
Kasinczy, Kisfalady, furent au nombre des prisonniers,
ainsi que le jeune Szentjobi qui avait chanté le couron-
nement de François II.
Contrairement aux lois du royaume de Hongrie, ils
furent conduits à Vienne pour être jugés. Mais les
Magyars réclamèrent si vivement contre cette violation
de leurs privilèges, qu'on leur rendit le jugement des
accusés. Le gouvernement autrichien a détruit toutes
les pièces de la procédure et fait par tous les moyens le
silence autour de l'affaire. On sait seulement que les
chefs d'accusation étaient : manœuvres contre la sûreté
de l'état, contre les principes de la société et contre les
lois divines et humaines et crime de haute trahison
d'après un texte de 1498. Le Procureur royal déploya
un zèle meurtrier et désigna lui-même les avocats des
accusés. Les juges, de nobles Magyars, n'hésitèrent pas,
malgré le vague des accusations et les infamies de la
procédure, à prononcer la sentence de mort que Thugut
attendait d'eux et à livrer la tête de leurs compatriotes.
64 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Le SO mai 1795, Zsigray, Laczkovics, Szentmariaî, Haj-
noczy et Martînovics moururent courageusement sur
Téchafaud, Le 3 juin suivant, l'avocat OEz et le vieux
Szolarcsik subirent le même sort. Treize condamnés à
mort eurent leur grâce, mais furent renfermés dans les
forteresses, soumis au carcere duro dont plus d'un mou-
rut, notamment Szentjobi. A la forteresse de Kufstein,
quelques-uns des prisonniers eurent pour compagnon
Maret, depuis duc de Bassano, que les Autrichiens
avaient arrêté en Piémont au moment ot il se rendait
à son poste d'ambassadeur de la République auprès du
roi de Naples. Le sinistre Spielberg reçut plusieurs de
ces malheureux et François put dès lors montrer ces
aptitudes de geôlier qu'il développa si brillamment plus
tard vis-à-vis des patriotes italiens. Le jeune palatin
Alexandre, fils de François, que la camarilla viennoise
accusait de favoriser les aspirations magyares, mourut
peu après au milieu d'un feu d'artifice. Les modérés,
qui avaient cru habile, non-seulement de repousser,
mais de condamner les démocrates, ne gagnèrent rien à
cette lâche politique. La Hongrie fanatisée ne sut plus
que se battre pour ses maîtres.
Ce furent les généraux hongrois Kray et Meszaros
qui négocièrent avec Pichegru sa trahison. C'est un
autre Hongrois, Alvinczy, plus tard adversaire malheu-
reux de Bonaparte, qui devait à la suite envahir l'Al-
sace et proclamer Louis XVIII. L'abandon par la Prusse
et les désastres de la campagne d'Italie attendrirent la
vieille et fétichiste fidélité magyare. Sur les instances
de l'archiduc Joseph, la diète fut convoquée à Pres-
bourg le 6 novembre 4796. Le cardinal Batthiany y
prêcha en latin la croisade contre la France et l'enthou-
siasme des députés ne fléchit même pas devant la piètre
mine de François II en grand costume hongrois, la
plume de héron au bonnet de fourrure et évoquant le
souvçnir de Marie-Thérèse contre les impies jacobins
qui voleraient l'argent et les femmes de ses fidèles ma-
CAMPAGNES DE 1795 A 1797 65
gyareâ. Ils votèrent 50,000 conscrits, 10,000 chevaux,
90;000 bœufs, 2,400,000 mesures de blé et 4 millions de
mesures d*avoine. Ils laissèrent expulser sans protesta-
tion deux de leurs collègues qui s'avisèrent de parler
des droits de la nation. La poésie ne fit plus que chan-
ter les batailles : c^ Ne va pas trembler, 6 ma noble na-
tion, s'écriait le poète Gsokonai, que dirait Arpad ? on
nous prendrait pour des Slaves I »
Nous résumerons de la façon la plus brève les cam-
pagnes de 1795 à 1797, où TAutriche, aidée des subsides
de l'Angleterre, de quelques princes allemands et de
quelques petits souverains italiens, soutint seule la lutte
contre la République française, devant la Prusse im-
passiblement retirée sur la ligne de neutralité. Ces cam-
pagnes sont connues de tous dans leurs plus petits dé-
tails. L'Autriche, épuisant ses états d'hommes et d'or,
lançait armées sur armées dans les vallées du Rhin et
du Danube et dans les plaines de lltalie, ayant pour
généraux les Wurmser, les Glairfayt, les Beaulieu, les
Alvinczy, les Bellegarde, les Landon, les Quasnodovic,
les archiduc Charles, auxquels le conseil aulique de
Vienne imposait des plans pédantesques presque tou-
jours funestes. Les succès n'étaient dus qu'à la violation
de ces plans par un génie militaire comme celui de l'ar-
chiduc Charles, bien vite rappelé d'ailleurs à la soumis-
sion, La question en jeu était, d'abord et avant tout,
d'écraser la révolution, puis, si on ne le pouvait, d'ac-
quérir des compensations territoriales en échange des
Pays-Bas conquis par la France, toutes ces armées se
mouvaient avec une extrême lenteur, selon des straté-
gies classiques , et trouvaient devant elles des chefs
comme Bonaparte , Masséna , Jourdan , Moreau , Le-
courbe, etc. Aussi grenadiers hongrois, infanterie des
confins, cavaliers magyars et szeklers, régiments tchè-
ques et allemands fondaient dans la fournaise de ba-
tailles horriblement meurtrières.
Le désir de paix se serait pourtant manifesté plus t6t,
4.
66 HISTOIRE DE L*AUTRICHE
si la campagne de Glairfayt sur le Rhin en 1795 n*ayait
ranimé les espérances. L'invasion française avait été
repoussée : les deux armées de la République, ramenées
au delà du Rhin, tout en conservant les tètes de pont
de Neuwied et de Dusseldorf, avaient perdu la ligne du
Rhin à la hauteur des Vosges et le 29 octobre Glairfayt
avait refoulé le corps de blocus de Mayence. Le résultat
fut un armistice sur les bases uti possidetts, Glairfayt fit
à Vienne une entrée triomphale. Mais en Italie, Schérer
avait défait les Autrichiens à la superbe bataille de
Loano. L'Autriche, pour satisfaire TAllemagne lasse de
guerre, fit proposer à la France par le Danemark un
congrès : la France refusa et offrit de traiter directe-
ment. On se prépara aux campagnes de 1796. Laissant
Glairfayt jouir de son triomphe, le conseil aulique mit
Tarchiduc Charles à la tète de ses armées du Rhin. Ge
fils de Léopold n'avait alors que vingt-cinq ans et an-
nonçait un génie militaire hors ligne dans un corps
souffreteux et secoué par l'épilepsie.
Le Directoire avait pour objectif, dans la campagne
de 1796, d'envahir l'Allemagne, de prendre Mayence,
d'isoler l'Autriche des princes allemands, de porter le
théâtre de la guerre au sein des états héréditaires et de
menacer Vienne. Il avait partagé entre Moreau et Jour-
dan 130,000 fantassins et 15 à 18,000 chevaux : les Au-
trichiens avaient 115,000 fantassins et une admirable
cavalerie de 38,000 hommes. A la fin de juillet les
choses avaient pris une mauvaise tournure pour l'Au-
triche : Moreau avait débouché dans la vallée du Da-
nube et Jourdan, après avoir pris Francfort et Wûrtz-
bourg, était arrivé sur la Naab qui se jette dans le
Danube. Le conseil aulique avait défendu qu'on parlât
à Vienne de ces événements : il organisa des volontaires
et Catherine lui garantit la tranquillité de la Gallicie. Ge
fut alors que l'archiduc Charles eut une inspiration de
génie : sans s'occuper de Moreau qui marchait sur Mu-
nich, il s'élança vers Jourdan, le refoula sur le Mein à
CAMPAGNE D'ITALIE 67
Schweinfurth et gagna sur lui la bataille de Wurtzbourg
(3 septembre 1796). Jourdan, après s'être ainsi avancé
jusqu'aux frontières de la Bohême, se mit en retraite
sur la Lahn, en perdant Marceau tué par un chasseur
tyrolien. Moreàu n'avait plus qu'à l'imiter : il opéra,
devant toutes les forces autrichiennes, cette merveil-
leuse retraite qui l'immortalisa, battant même Latour à
Biberach et rentra à Strasbourg le 25 octobre. Sans le
plan vicieux du Directoire qui avait séparé les deux
années, on serait arrivé à Vienne. La capitale de l'Au-
triche respira et Charles acquit une réputation im-
mense. Il alla assiéger Kehl.
Mais Bonaparte avait vaincu en Italie. On connaît ce
poème du génie de la guerre qui s'appelle la campagne
de 1796. Après avoir séparé les Piémontais des Autri-
chiens à Montenotte et à Millesimo, il passa le Pô à
Plaisance, l'Adda à Lodi et s'empara de toute la Lom-
bardie, puis marchant sur le Mincio, il acheva de dé-
truire Beaulieu et son armée à Borghetto. Wurmser,
le vieux maréchal dé soixante-douze ans, le héros de
Manheim, vint du Rhin avec 30,000 hommes pour re-
cueillir les débris de Beaulieu. Sacrifiant le blocus de
Mantoue, Bonaparte courut à ce nouvel adversaire, l'é-
crasa à Lonato et à Castiglione et le rejeta dans le Tyrol.
Wurmser reçut des renforts : Bonaparte les battit à Ro-
vedero, coupa Wurmser, le terrassa à Bassano et l'en-
fenna dans Mantoue. L'Autriche redoubla d'efforts :
elle fit des levées immenses, reconstitua une nouvelle
armée, en donna le commandement au Transylvain Al-
vinezi, membre du conseil aulique, et l'envoya au secours
de Wurmser : on eut le droit de croire Bonaparte perdu,
mais celui-ci, traversant les marais, gagna le 15 no-
vembre la bataille d'Ar«ole, un chef-d'œuvre d'inspi-
ration qui dégagea Vérone. Alvinczy se mit en retraite
sur Vienne et sur la vallée de la Brenta.
Vienne songea de nouveau à la paix : le Directoire la
désirait aussi et désigna Glarke pour se rendre auprès
68 HISTOIRE DB L'AUTRICHE
de François, conclure un arrangement et négocier un
traité. Glarke était chargé d^offrir à TAutriche en
échange de la Belgique plusieurs compensations à choi-
sir, car on commençait en France à disposer dés peu-
ples avec un parfait sans-géne. Bonaparte voulait la
continuation de la guerre; il s'empara de Tesprit du
médiocre Glarke pour le rendre contraire aux idées pa-
cifiques. L'Autriche, d'ailleurs, ne se pressait pas, dans
Tespoir que Tarchiduc prendrait Kehl et qu*on pour-
rait envoyer à Alvinczi des renforts décisifs. L'entrée
de Vienne fut refusée à Glarke qui s'aboucha à Yicence
avec le baron de Vincent. On fit de nouvelles levées
dans l'inépuisable Hongrie : toutes les troupes, y com-
pris la garnison de Vienne, partirent en poste. Vienne
à elle seule fournit un corps de 4000 volontaires qui
reçut des drapeaux brodés de la main de Timpéra-
trice. Kehl fut pris e 9 janvier 1797 par Charles. On se
croyait sauvé et la délivrance de Mantoue semblait as-
surée. La bataille de Rivoli dissipa ces illusions : Tarmée
d'Alvinczy y fut mise en déroute (14 janvier) et deux
jours plus tard l'autre armée autrichienne était écrasée
à la bataille de la Favorite sous les murs de Mantoue.
Le nouvel armement autrichien était anéanti comme
s'il avait disparu dans un cataclysme : il avait perdu
10,000 morts et 20,000 prisonniers. Mantoue succomba
le 2 février. Le 19 février, Bonaparte signait avec le
pape le traité de Tolentino qui donnait à la France les
légations et les Romagnes avec Ancône.
La prise de Mantoue permettait à Bonaparte de mai^
cher en avant. Son armée était augmentée de la divi-
sion Bernadotte envoyée par Moreau et de la divison
Delmas envoyée par Hoche. Le conseil auiique lui op-
posa l'archiduc Gharles à qui fut confiée la dernière ar-
mée de l'Autriche. Trois routes pouvaient condui]*e en
Autriche : par le Tyrol (col du Brenner), par la Carin-
thie (col de Tarwis) et par Trieste et la Garniole. L'ar-
chiduc Gharles défendit cette dernière route. Bonaparte
PRÉLIMINAIRES DE LÉOBEN 60
fît marcher Joabert par le Tyrol, Masséna par la Tarwis
et la Garinthie, et se dirigea lui-même sur Trieste en
passant la Piave et le Tagliamento sur les bords duquel
il gagna une sanglante bataille (16 mars). Masséna, de
son côté, se battit au Tarwis au milieu des nuages, et
Joubert fit des prodiges dans le Tyrol. Le 4" avril les
armées françaises étaient réunies et prêtes à descendre
dans la vallée de la Mûr. Bonaparte entra à Klagen-
furth, capitale de la Garinthie, Vienne trembla ; on em-
barqua sur le Danube les archives et les meubles pré^
deux et on envoya les jeunes archiducs dans la Hongrie.
L'archiduc fut encore battu à Neumarkt et à Unzmarkt
(3 et 5 avril). Le 7 avril, les Français entrèrent à Léo-
ben, à 25 lieues de Vienne.
Que serait-il advenu si, sacrifiant sa capitale, Fran-
çois se fût retiré eh Hongrie ? Bonaparte, dans son désir
de se passer du concours des armées du Rhin, était
bien aventuré. Mais le parti de la paix l'emportait à
Vienne : Thugut lui-même y inclinait. On envoya à Léo-
ben MM. de Bellegarde et de Merfeld pour conclure une
suspension d'armes et traiter des préliminaires de paix
(i3 avril). Ce fut dans ces négociations que Bonaparte
eut rinfamie de sacrifier les Etats de Venise : comme
compensation à TAutriche de la Lombardie et de la
Belgique, il offrit les provinces vénitiennes entre TOgUo.
le P6 et la mer Adriatique, plus Tlstrie et la Dalmatie.
L'Autriche reconnaissait la ligne du Rhin et des Alpes.
Venise était réduite aux lagunes ; les préliminaires de
Léoben furent signés le 18 avril 1797. Déjà Soche avait
franchi le Rhin à Neuwied et battu les Autrichiens à
Heddersdorf . Moreau avait passé le fleuve à Strasbourg
et arrivait dans les montagnes Noires. La nouvelle de
l'&rmistice arrêta les deux illustres généraux.
Le 27 mai, après avoir forcé Venise à se rendre, Bo-
naparte eut sa première entrevue pour le traité de paix
définitif avec le marquis de Gallo, envoyé autrichien,
et du premier coup offrit à l'Autriche la malheureuse
70 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
Venise, Venise dans laquelle il avait établi une nou-
velle république qull assurait chaque jour de son
amitié. Et cependant TAutriche hésitait encore : Thu-
gut, dévoué à TAngleterre, traînait les négociations en
longueur et proposait un congrès à Berne. On levait en
Hongrie 18,000 cavaliers qu'on exerçait dans les plaines
du Danube. Le vrai motif, c'est qu'on espérait voir
réussir en France les complots royalistes , espérances
que déjoua le coup d'État du 18 fructidor (4 septembre
1797). Barras proposa au nom du « Directoire épuré »
que le Rhin fût notre limite, que Ton donnât Mantoue
à la république Cisalpine et qu'on refusât Venise à la
maison d'Autriche. Bonaparte , au contraire , se mit
d'accord à Udine avec M. de Gallo sur les points sui-
vants : la ligne de l'Adige à l'empereur, la ville de
Venise comprise; la ligne du Mincio et Mantoue à la
Cisalpine; à la France la Belgique, Mayence, la ligne
du Ilhin, Corfou et les îles Ioniennes. Et cependant,
dans sa lettre du 19 septembre 1797, Bonaparte avouait
« que Venise est la ville la plus digne de la liberté, de
toute l'Italie. » L'Autriche envoya à Udine un élève de
Kaunitz, M. le comte de Gobentzel. Malgré le DireC'-
toire, qui voulait l'Italie libre jusqu'à l'Isonzo et l'ex-
clusion de l'Autriche de la péninsule « puissance vo-
race, » Bonaparte voulait sacrifier Venise en dépit « des
avocats. » Le 17 octobre le traité fut signé et daté de
Campo-Formio. François nous cédait la Belgique; il
renonçait à la Lombardie en faveur de la république
Cisalpine, qui comprenait en outre les provinces de
Bergame, Crème, Brescia, Mantoue, Modène, Bologne,
Perrare et les Romagnes. Mais il recevait Venise, l'Is-
trie, la Dalmatie et tout le territoire vénitien au-delà
de l'Adige. Un congrès devait se tenir à Rastadt pour
traiter de la paix entre la France et l'Empire Germa-
manique. Serrurier remit Venise aux Autrichiens : le
doge Manin s'évanouit en prêtant le serment ; une pa-
tricienne s'empoisonna; Venise devait rester sous le
BËRNADÔTtË A VIENNE 7i
joug autrichien jusqu^en 1866 1 Si Todieux Bonaparte
avait voola combiner avec les armées du Rhin une
campagne de plus, TAutriche aurait été bannie de 11^
talie et aurait reçu la Bavière comme compensation.
Le congrès s'ouvrit à Rastadt en décembre. Bona-
parte ne fit qu'y paraître pour échanger avec M. de
Gobentzel les ratifications du traité de Gampo-Formio
et conclure la convention militaire, qui nous livrait
Hayence et Manheim. La confédération germanique
accusa TAutriche de l'avoir abandonnée et trahie. L'Au-
triche récrimina de son côté avec amertume : la vérité
est que depuis le jour où elle avait pris pour prétexte
de la guerre la cause des princes possessionnés en Al-
sace, elle n'avait fait qu'agir dans son intérêt.
La paix entre l'Autriche et la France était boiteuse '.
on sentait que ce n'était qu'une trêve ; les deux iniques
expéditions de Berthier à Rome et de Brune en Suisse
— qui avaient surtout pour but de conquérir des mil-
lions en vue de l'expédition d'Egypte — excitèrent à
Tienne le plus vif mécontentement. Bernadotte était
venu y représenter la Prusse ; il s'avisa un jour d*ar-
borer à son hôtel, contre les usages diplomatiques, le
drapeau tricolore avec la devise : Liberté, Egalité, Fra-
ternité. Le peuple assaillit l'hôtel , arracha le drapeau
et brisa les vitres; la cour eut toutes les peines du
monde à calmer cette émeute, qui lui prouva que Ses-
sujets n'étaient pas démoralisés par les revers précé-
dents et ne demandaient qu*à recommencer. Elle n'en
fit pas moins des excuses et annonça qu'elle enverrait
M. de Degelman à Paris pour la représenter ; mais elle
se prépara à une nouvelle lutte. L'éloignement de la
plus belle armée et des meilleurs généraux qui avaient
suivi Bonaparte dans l'expédition d'Egypte lui rendit
la confiance. Après Aboukir, elle n'hésita plus et prêta
l'oreille aux propositions de l'Angleterre. Les confé-
rences de Selz auxquelles elle consentit et où s'abou-
chèrent François de Neuf château et Gobentzel n'étaient
72 ' HISTOIRE DE L* AUTRICHE
qu'un moyen dilatoire. La coalition se renoua et l'Au-
triche y entra sur la promesse du concours d'une armée
russe et ;d'un subside anglais, avec la Turquie, l'Alle-
magne et le roi de Naples. La guerre allait éclater de-
puis le golfe de Tarente jusqu'au Texel (1799).
On a souvent dit : « Entre l'Autriche et la France, la
question doit se vider sur le Danube. » Le Directoire
confia une armée à Jourdan pour pénétrer en Bavière,
une d'observation à Bemadotte sur le Rhin, une à Brune
pour défendre la Hollande contre les Anglo-Russes,
l'armée de Suisse à Masséna et celle dltalie à Schérer.
La coalition disposait de 225,000 Autrichiens et de 60,000
Russes. Son général était l'étrange Souvarow, et sous
lui l'archiduc Charles en Bavière, Holtz le long du Rhin,
Bellegarde au Tyrol, Kray sur l'Adige. Le !•' mars
1799, Jourdan passa le Rhin, et le 3 mars Charles le
Lech. Jourdan pénétra jusque dans l'angle entre le
Danube et le lac de Constance ; Charles l'y battit le 22
mars, le mit en retraite et acheva de l'écraser à la ba-
taille de Stokach (25 mars). Jourdan, au lieu d'aller
retrouver en Suisse Masséna, commit la faute de se
replier sur le Rhin, mais le conseil aulique, par une
faute parallèle, obligea l'archiduc Charles à pousser
sur la Suisse. En Italie, Schérer ne fit que des fautes,
perdit la bataille de Magnano et abandonna successi-
vement la ligne du Mincio et celle de l'Adda (12 avril).
Le congrès de Rastadt continuait au milieu de la
guerre. La cour de Vienne résolut de s'emparer des
papiers de nos plénipotentiaires, et, par un exécrable
attentat dont les Habsbourgs ne laveront jamais la
tache, elle fit assassiner par une compagnie de hussards
szeklers les diplomates français Bonnier, Roberjeot et
de Bry (ce dernier survécut à ses blessures). L'AUe-
magne elle-même fut indignée de ce crime si lâche (28
avril).
Moreau, avec une admirable abnégation, prit le
commandement à la place de l'inepte Schérer au mo»
Bataille de zurigh 73
ment où la ligne de TAdda était forcée par Mêlas et
Souvarow. Serrurier perdit la bataille de Gassano, le
28 avril. Moreau fit une retraite superbe sur le Tanaro,
puis sur Gênes ; il comptait sur une jonction avec Tar-
mée de Ghampionnet que Mac-Donald ramenait de Na-
pies dans la haute Italie. Mais cette armée fut écrasée
dans une bataille de trois jours sur la Trebbia (17 à 19
juin). La bataille de Stokach avait fait perdre TAUe-
magne : celle de la Trebbia fit perdre lltalie. La France
était à la veille d'être envahie; tout fut cependant
sauvé, grâce au réveil en France de Ténergie républi-
caine et aux fautes du conseil aulique de Vienne. La
bataille de Novi, où Joubert fut tué (16 août) , nous
coûta 5000 hommes, mais en coûta 20,000 aux Austro-
Russes. Ghampionnet, qui succéda à Joubert, reprit
Tofiensive. Le conseil aulique avait envoyé Gharles sur
le Rhin et Souvarow en Suisse , où opérait déjà une
autre armée russe commandée par Gortschakoff. Les
25 et 26 septembre, Masséna anéantit à Zurich Gortsh
chakoff, qui perdit 20,000 hommes ; le 30 septembre,
il culbuta Souvarow dans la vallée de Muthenthal; le
7 octobre, Tarmée de Gondé fut écrasée. Get ensemble
d'opérations qu'on appelle la bataille de Zurich, et qui
dura quinze jours, détruisit les forces austro-russes,
affranchit la Suisse, déUvra nos frontières et réduisit
l'archiduc Gharles à l'impuissance. La France, en dépit
des mensonges de la légende impériale, était sauvée
quand Bonaparte revint d'Egypte pour commettre le
crime du dix-huit brumaire.
Le premier consul écrivit à François une lettre pour
lui demander de mettre fin à la guerre terrible qui dé-
solait le monde depuis huit ans. François refusa (jan-
vier 1800) : il était lié avec la cour d'Angleterre, en-
chaîné par les subsides de Pitt. Ses succès en Italie,
quelque précaires qu'ils fussent, l'enivraient. En vain
la Prusse, la Suède, le Danemark et bientôt la Russie
elle-même observèrent la neutralité, il voulut conti-^
AS8ELIKE. 5
74 HISTOIRE DE L'aUTRIGHE
nuer la lutte. Ses forces, augmentées des contingents
bavarois et wurtembergeois, montaient à près de
300,000 hommes : Mêlas en avait 130,000 en Italie. Les
Français étaient commandés par Moreau sur le BMn et
par Bonaparte sur les Alpes.
Moreau passa le Rhin le 25 avril 1800, battit le gé-
néral autrichien Kray à Eingen (3 mai), à Moeskirch
(5 mai), à Biberach (7 mai) où les immenses magasins
de Tarmée autrichienne tombèrent en son pouvoir, à
Memmingen (10 mai) et l'enferma dans Ulm. Puis il
attendit le résultat des opérations en Italie. Là Masséna
avait été enfermé dans Gênes par Mêlas, qui avait pris
Nice et comptait envahir la Provence défendue par Su-
chet. Bonaparte arriva, amenant Tarmée de réserve qu'il
avait formée à Dijon. Il opéra du 15 au 20 m€d le
fameux passage du Saint-Bernard : Lannes s'empara
dlvrée et de Chiasso. Mêlas était stupéfait. Le 2 juin
Bonaparte entrait à Milan après avoir battu Laudon et
pris à Pavie d'immenses provisions. Malheureusement
Gênes s'était rendue le 4 juin à Ott. Celui-ci, quelques
jours après, alla se faire écraser par Lannes à Monte-
bello. Le 14 juin Mêlas, à la tète de 40,000 hommes,
déboucha dans la plaine de Marengo, surprenant Bona-
parte. A trois heures et demie les Autrichiens étaient
vainqueurs et Mêlas annonçait d'Alexandrie sa victoire
à Vienne et à toutes les cours de l'Europe* Mais grâce à
Desaix qui y périt, cette victoire se changea pour les
Autrichiens en une affreuse déroute : ils perdirent
15,000 hommes, dont 6000 tués ou blessés, 40 pièces
de canon et 15 drapeaux. Mêlas consterné signa une
capitulation (convention d'Alexandrie) qui replaçait la
France dans la position où elle était lors des prélimi-
naires de Lêoben. Le 10 juin Moreau et Lecourbe
défirent Kray à Hochstaedt; Munich fut pris le 23 juin.
Le 15 juillet Moreau signa avec Kray à Parsdorf une
convention analogue à celle d'Alexandrie : l'armée
d'Allemagne n'avait rien à envier à celle d'Italie.
PAIX DE LUNÉVILLE 75
L'Antrîche cependant ne céda pas encore. Elle avait
signé avec l'Angleterre à la fin de juin un nouveau traité
par lequel elle s'était engagée à ne pas faire la paix
avant six mois, à. moins que l'Angleterre n'y parti-
cipât. Elle envoya pourtant le comte de Saint-Julien
à Paris (21 juillet) et celui-ci signa des préliminaires de
paix avec Talleyrand, mais François le désavoua, tout
en proposant un congrès. Le 20 septembre une prolon-
gation d'armistice de 45 jours fut signée contre la re-
mise aux Français des places d'Ulm, de Philippsbourg et
dlngolstadt. Le 9 novembre les négociations commen-
cèrent à Lunéville entre le comte de Gobentzell et Joseph
Bonaparte. L'Autriche traîna sous la pression de l'An-
gleterre. Les hostilités recommencèrent. Le jeune ar-
chiduc Jean commandait les Autrichiens. Le 3 décembre
il perdit contre Moreau la décisive bataille de Hohen-
linden entre Mulhdorf et Munich, qui lui coûta
20,000 hommes et son artillerie. Le 20 décembre Mo-
reau était aux portes de Vienne et le valétudinaire
archiduc Charles, qui avait remplacé le fatal Jean,
signa le 25 décembre l'armistice de Steyer. Mêmes succès
en Italie sous la conduite de Macdonald et de Brune :
ils aboutirent le 16 janvier 1801 à l*armistice de Trévise.
Cette fois l'Autriche n'avait plus qu'à traiter sans l'An-
gleterre. La paix fut signée à Lunéville le 9 février 1801.
L'Autriche reconnaissait définitivement la cession de la
Belgique et des provinces rhénanes à la France. Elle
gardait les états vénitiens jusqu'à l'Adige, mais perdait
la Lombardie entière. La Toscane passait à la maison
<le Parme sous le nom de royaume d'Étrurie.
Tel était le résultat des six ans de luttes que TAu-
triche, d'abord coalisée avec l'Europe entière, seule
ensuite avec l'Angleterre et avec la Russie, avait sou-
tenues au nom de l'absolutisme féodal et religieux contre
la révolution française. Si elle n'avait pas été diminuée
tenitorialement, elle s'était épuisée d'hommes et d'or
*t marchait à grands pas vers la bemqueroute de 1811.
76 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Avec son commerce nul et entravé par la multiplicité
des lignes de douanes établies entre chacun de ses états,
avec son industrie rudimentaire, son agriculture étouffée
sous les abus féodaux, elle n'avait aucun moyen de
réparer ses pertes et de bonne heure avait eu recours à
l'emprunt et au papier-monnaie. Dans son fanatique
aveuglement, exploitée par l'Angleterre, pays de la bou-
tique et de la banque, menée par le détestable Thugut
agent des jésuites et de l'étranger, elle se ruait dans les
catastrophes extérieures sans le moindre souci de sa pros-
périté intérieure. Jamais dynastie ne fut plus malfai-
sante et ne mérita mieux le nom d'ennemie du genre hu-
main que lui décerna l'ultramontain Joseph de Maistre.
Dès 1794 le gouvernement autrichien a recours à
l'emprunt forcé. En 1796, il invente l'emprunt-loterie,
à 4 0/0 avec lots de 250, 500 et 1000 florins. Sous le nom
de taxe de guerre, des emprunts forcés sont réalisés en
1796, 1797, 1798, 1799, ce qui n'empêche pas d'autres
emprunts forcés, indépendants de la taxe, en 1798 et
deux fois en 1800 (1" et 15 juin). L'année de la paix
de Lunéville, en 1801, nouvel emprunt-loterie. De
plus il y avait des emprunts spéciaux dans les di-
verses parties de la monarchie, des emprunts sur les
principales places d'Europe ; Londres, Amsterdam,
Francfort , Leipzig , Rotterdam , Trêves , Ratisbonne ,
Zurich, Berne, Augsbourg, Naples, Gênes, Livourne,
des emprunts à des princes régnants, à de riches
particuliers, à des corporations juives. Joignez-y les
subsides de l'Angleterre et l'on comprendra combien
la lutte insensée contre la révolution française coûta à
l'Autriche dont la dette en 1803 était de 792, 700, 600
florins, exigeant annuellement pour le service des inté-
rêts une somme de 23, 500, 000 florins. Aussi suspen-
dait-on de temps en temps sans façon les paiements de
ces intérêts, et quand les besoins devenaient trop pres-
sants on se faisait remettre, comme en 1803, les capitaux
disponibles et les excédants annuels de recette des con-
SACRIFICES DE LA HONGRIE 77
grégations et fondations pieuses, des établissements reli-
gieux, d'instruction publique, d'assistance publique, etc.
On réduisait les sujets à la misère et on s'emparait
des fonds charitables destinés à soulager cette misère.
Et ces sujets fanatisés, abrutis par l'ignorance et par
le joug clérical et aristocratique, se prêtaient à tout ce
que leur souverain exigeait. Quant au petit nombre qui
réfléchissait et qui protestait, Thugut avait pour eux des
bourreaux et des prisons. La Hongrie, qui se vante tant
de son libéralisme de fraîche date, applaudissait à la lutte
de son roi contre la révolution et lui prodiguait sans
compter, avec les témoignages redoublés de son ido-
lâtrie monarchique et au bruit des chants de ses
poètes, les soldats et les subsides. Son aristocratie four-
nissait à l'Autriche ses meilleurs généraux : Kray,
Alvinczy, Meszaros, Ott, Giulay. Nous avons vu la diète
de 1796 donner à François tout ce qu'il lui demanda.
Après la campagne de Souabe, la Hongrie se prit d'en-
thousiasme pour l'archiduc Charles auquel les hussards
du colonel Fedak sauvèrent la vie au combat de Tar-
wis. Après les désastres qui permirent à l'armée fran-
çaise d'arriver jusqu'à Léoben, la Hongrie réunit au
camp de Szombathély une armée de 30,000 Magyars et
de 10,000 Croates commandée par le prince Bszterhazy,
le comte Palfiy, les généraux Splényi et Meszaros, sous
les ordres du Palatin Joseph, et dont le poète Berzsényi
fut le Tyrtée emphatique. Les campagnes de 1792 à
1799 avaient coûté à la fidélité magyare 100,000 hommes
et 30 millions de florins. Elle redoubla d'efforts pour
les campagnes de 1799 et de 1800 et ce furent les hus-
sards du colonel Barbaczy qui exécutèrent l'efiroyable
attentat de Rastadt. A la veille de Marengo, le poète
magyar Csokonaî, l'insulteur des Slaves, chantait que le
sang de la famille royale de France criait vengeance au
ciel et à Vienne et qu'il fallait que l'aigle invincible de
l'Autriche parvînt jusqu'au Louvre, « devenu une ca-
verne de brigands », et « y rétablit les fleurs de lys avec
78 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Louis XVIII, digne successeur de Henri IV et de Louis-i
le-Grand. » Marengo et Hohenlinden répondirent à ces
effusions légitimistes.
Thugut, qui, en vertu d*un article secret de la conven-
tion de Léoben, avait quitté, le pouvoir, le reprit en
1799 et le garda jusqu'en 1800 où il dut disparaître
pour faciliter la paix de Luné ville. Lors de cette paix, la
Hongrie avait encore ajouté à ses sacrifices antérieurs
100,000 hommes et soixante millions de florins. Aussi
François déclara-t-il aux Magyars que la Hongrie ne lui
avait jamais été aussi chère.
La chère Hongrie était ruinée. Il y eut trois disettes :
en 1794, en 1795, en 1800. L'absurde politique com-
merciale des Habsbourg forçait les Hongrois , qui au-
raient pu s'enrichir avec leurs vins dans toute l'Alle-
magne et en Russie, à n'en trafiquer qu'avec les états
héréditaires à des conditions désastreuses. L'excès de
misère devint tel qu'après avoir oublié de réclamer la
convocation de la diète pour l'année réglementaire
1799, ils la réclamèrent pour l'année 1802 : elle fut
convoquée pour le 2 mai. François donna de belles
paroles dans son discours, mais quel mécontentement
quand on connut [les propositions, du gouvernement :
les troupes hongroises devaient conserver pendant la
paix leur effectif complet (ce qui prouvait bien que
pour l'opiniâtre camarilla la paix de Lunéville n'était
qu'une trêve) et l'impôt serait augmenté d'un million
de florins qu'on demandait à une augmentation du prix
du sel. De plus il était défendu d'aborder les ques-
tions commerciales. Enfin l'empereur proposait que
l'armée régulière fût augmentée aux dépens de Vznsur-
rection (ainsi qu'on appelait la levée momentanée des
nobles) et que la diète, au lieu de voter les levées pour
trois ans, la votât pour toujours. Ce dernier point fut
invinciblement refusé par la diète, mais elle vota
6000 recrues par an pendant la paix, 12,000 en cas de
guerre , avec obligation de servir pendant dix ans. Elle
DIÈTE HONGROISE DE 1802 79
vota aussi l'élévation du prix du sel (6 kreutzers par
quintal).
Les nobles de la diète repoussèrent le projet d'une
banque nationale et se montrèrent surtout préoccupés
de maintenir leurs privilèges en matière d'exemption
d'impôts, de droit de chasse et d'exploitation des forêts.
La diète réclama l'annexion de la Dalmatie et de la
Gallicie qui lui fut refusée : elle acheva de donner la
mesure de son libéralisme en rétablissant les ordres
monastiques dans leur ancienne situation et en rendant
au clergé l'éducation de la jeunesse. Le gouvernement
de son côté acheva la ruine du commerce et de Tagri-
cnlture hongroise en défendant l'exportation du blé
autrement que par mer ou avec la Turquie et en frap-
pant l'exportation de la laine d'un droit tellement
énorme qu'il équivalait à une prohibition absolue; et
de peur qu'on ne se plaignit trop haut, cette année
même de la diète (1802), deux avocats, Zsarnocoy et
Mikol, furent décapités à Pesth sous prétexte de haute
trahison, devant les magnats indifférents.
La France, en étendant ses frontières jusqu'au Rhin
par la paix de Luné ville, acquérait un territoire de
douze cents milles carrés et de quatre millions d'habi-
tants, mais il était dit dans le traité que les princes laï-
ques possessionnés sur la rive gauche du Rhin dont
s'emparait la France, seraient indemnisés de leurs
pertes. Comment ? en prenant les domaines ecclésiasti-
ques, si nombreux dans l'Empire, pour les donner à
des laïques, opération qui s'appelle sécularisation. C'é-
tait fort habile de la part de la France ; elle devenait
l'arbitre des princes allemands qui aspiraient à être in-
demnisés, elle les mettait dans sa clientèle. Mais en dé-
pouillant l'Autriche de l'influence qu'elle avait comme
puissance catholique, elle livrait l'Allemagne au protes-
tantisme et préparait jie transfert de la couronne impé-
riale à la Prusse en supprimant dans la diète les votes
ecclésiastiques acquis à l'Autriche. L'Autriche sentit le
80 HISTOIRE DE L'AUTRIGME
doup et François fit nommer prince-évèque de Munster
son frère Tarchiduc Antoine-Victor. La Prusse menaça et
on crut un instant que la guerre allait éclater entre les
deux puissances allemandes. L'Autriche recula, surtout
quand Bonaparte eut proposé au czar Alexandre, suc-
cesseur de Paul assassiné en 1801, de concourir à la
nouvelle organisation de TAllemagne. Elle fut dupe
d'ailleurs de sa politique d'attermoiements. Mal soute*
nus par elle, les princes allemands se tournèrent du
côté de Paris et vinrent se vautrer aux pieds de Napo-
léon pour obtenir de lui leur morceau dans la curée de
la patrie allemande. Après bien des luttes, TAutriche
isolée ratifia le 25 février 1803 Tacte ou recès de la
diète qui sécularisait le patrimoine du clergé allemand
et attaquait Texistence même de Tempire. Elle céda le
Brisgau et TOrtenau au duc de Modène et elle reçut en
échange les évèchés de Trente et de Brixen. La Prusse,
favorisée par la France, reçut les évèchés de Pader-
born et de Hildesheim, Eichsfeld, Erfurth, la ville et
•une partie de Tévéché de Munster, plusieurs autres
villes et abbayes, ce qui accrut sa population de
400,000 âmes. Le territoire de Bade fut presque doublé,
le Wurtemberg considérablement arrondi, ainsi que la
Bavière. Après de pareils changements, après la sup-
pression des trois électorats ecclésiastiques et la modi-
fication qui s'en suivit dans la répartition des voix à la
diète, François comprit combien la dignité impériale
était désormais précaire, et tout en conservant le titre
d'empereur d'Allemagne, il prit le 10 août 1804 celui
d'empereur héréditaire d'Autriche sous le nom de
François !•'.
LIVRE II
DE LA FONDATION DE L*EMPIRE d'âUTRICHE â Là RÉVOLUTION DE
1848. (suite des luttes contre L*EMPIRE. — congrès DE
VIENNE. — ABSOLUTISME, 1804-1848.)
CHAPITRE I«
Empire Français et royaume dltalie. — Nouvelle coalition. —
Campagne de 1805. — Capitulation d'Ulm. — Prise de Vienne.
— Austerlitz. — Paix de Presbourg. — Diète hongroise de 1805.
— Napoléon et les Hongrois. — Confédération du Rhin. —
Prévisions de Gentz. — Ministère Stadion. — Diète hongroise
de 1807 et 1808. — Entrevue d'Erfurth.
La lutte continentale allait recommencer. Comme
nous l'avons dit, Paul !•' avait été assassiné au moment
où, par la confédération du nord avec la Prusse, la
Suède et le Danemark, il menaçait l'Angleterre. Son fils
Alexandre n'hérita pas de son amitié pour la France.
Le traité de paix entre l'Angleterre et la France fut
cependant signé à Amiens le 25 mars 1802, mais per-
sonne ne crut à sa durée. La rupture se précipita. Na-
poléon fît occuper le Hanovre et le royaume de Naples
et rassembla à Boulogne une armée pour envahir l'An-
gleterre. Le 21 mars 1804, l'exécution du duc d'Enghier
5.
82 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
eut un grand retentissement en Autriche. Enfin l'éléva-
tion de Napoléon à l'empire le 18 mai acheva de re-
nouer la coalition sous l'inspiration delà Russie. Si l'Au-
triche avait hésité à s'y joindre, elle s'y serait décidée à
la suite du couronnement de Napoléon à Milan comme
roi d'Italie (22 mai 1805). Le traité entre l'Angleterre
et la Russie était du 11 avril ; l'Autriche y adhéra le
9 août. Napoléon tenta vainement d'entraîner dans son
alliance le roi de Prusse par l'offre du Hanovre et la
perspective de la couronne impériale d'Allemagne. Fré-
déric-Guillaume se décida pour une neutralité bien dif?-
ficile, car les Russes d'un côté menacèrent de traverser
son territoire, et de l'autre Augereau, Marmont et le
Bavarois de Wrède traversèrent son margraviat d'Ans-
pach.
Le traité des subsides entre l'Autriche et l'Angleterre
portait que l'Autriche recevrait 25 millions pour les
préparatifs de la guerre et 100 millions par an pendant
toute la durée des hostilités. Le 7 septembre 1805 l'ar-
mée autrichienne sous le commandement nominal de
l'archiduc Ferdinand et réel de l'incapable Mack,
envahit la Bavière dont l'électeur se réfugia à Wurtz-
bourg : 40,000 hommes sous Jean prirent position dans
le Tyrol et 100,000 se dirigèrent vers l'Adige conduits
par l'archiduc Charles; 100,000 Russes arrivaient en
Moravie. Napoléon, aidé des contingents bavarois,
badois et wurtembergeois, manœuvra avec une préci-
sion singulière, trompa complètement Mack et parvint
à l'entourer avant l'arrivée des renforts russes. Mack se
débattit vainement dans ce cercle : Murât défit sa ca-
valerie à Wertingen, Ney le corps de l'archiduc Ferdi-
nand à Guntzbourg, Dupont 25,000 Autrichiens à Hass-
lach. Le 13 octobre, l'armée autrichienne toute entière
était resserrée sous les murs d'Ulm : Ney anéantissait
des régiments entiers à Elchingen, Lannes emportait le
pont de la ville ; Marmont complétait le blocus de la
rive droite. Mack dut se décider à capituler avec
PAIX DE PRESBOURG — DIÈTE DE 1805 83
30,000 hommes, 60 pièces de canon, 40 drapeaux et
3,000 chevaux (15 octobre 1805). Les armes autri-
chiennes avaient rarement éprouvé pareil revers. Le
15 novembre, les Français entraient à Vienne. Fran-
çois, retiré à Olmûtz, envoya le comte Stadion et
Giulay offrir un armistice à Napoléon qui refusa et
qui marcha au devant des Austro-Russes à Brûnn en
Moravie. Le 2 décembre eut lieu la bataille d'Auster-
litz. Des hauteurs voisines Alexandre et François pu-
rent contempler TefiFroyable défaite dé leurs armées.
Deux jours après François vint traiter en personne au
bivouac de Napoléon. Une convention, à laquelle
adhéra Alexandre, fut signée, et Presbourg désignée
pour y traiter de la paix qui fut conclue le 26 décem-
bre 1805. L'Autriche cédait tout le territoire vénitien
au royaume d'Italie, le Tyrolet le Burgau à la Bavière,
des territoires au Wurtemberg, le Brisgau à Bade. Elle
reconnaissait le titre de roi aux ducs de Bavière et de
Wurtemberg et le titre de grand-duc au margrave de
Bade. Cette foudroyante campagne avait coûté cher à
TAutriche; aussi faillit-elle décourager l'enthousiasme
magyar.
Déjà la prise de possession par François du titre
d'empereur héréditaire d'Autriche avait vivement
alarmé et mécontenté les Hongrois. Avant, il y avait
plutôt une maison d'Autriche réunissant diverses pos-
sessions et dépositaire de la dignité élective impériale
qu'une monarchie autrichienne. La Hongrie se consi-
dérait comme royaume indépendant faisant partie, à
titre particulier, de ces possessions, mais maintenant
elle n'était plus qu'une des provinces d'un empire héré-
ditaire, comme la Styrie ou la haute Autriche. Fran-
çois dut formellement les rassurer à cet égard. A l'ou-
verture de la campagne de 1805, la diète fut convoquée
pour le 13 octobre. Elle n'était pas encore réunie quand
on reçut la nouvelle du désastre d'Ulm ; elle s'ouvrit le
17 octobre. Les discours du roi, du palatin et du per-
84 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
sonnai lui firent comprendre qu'il s'agissait beaucoup
plus de levées et de subsides que de réformes. On vota
froidement la formation, à côté de l'armée régulière,
d'un corps de cavaliers nobles et d'un corps de fantas-
sins non nobles, et encore fallut-il que le roi ajoutât à
la loi de 1792 quelques articles en faveur de Tusage de
la langue magyare dans les actes officiels des comitats.
La clôture de la diète eut lieu le 7 novembre.
Quelques jours après, la grande armée française était
à Vienne, et l'armée dltalie, qui avait battu Charles, ar-
rivait sur le Raab, c'est-à-dire aux frontières hongroises.
Le mécontentement magyar se traduisit par un acte
grave qui eut pour compUce le palatin Joseph : celui-ci
fit déclarer aux généraux français parle comte Pœlffyla
neutrîdité de la Hongrie. C'était agir en puissance indé-
pendante, faisant la paix et la guerre pour son compte
et séparant ses intérêts de ceux du reste de la monar-
chie. Davoût accepta cette neutralité dans les termes
les plus flatteurs pour la Hongrie que Napoléon voulait
séduire : il en vint aux pourparlers les plus amicaux
avec PœlfTy. Mais l'indignation de cette conduite des
Magyars fut ;si grande dans l'entourage de François que
le palatin Joseph désavoua Pœlfiy et que Davoût dut se
résoudre à occuper Presbourg, qu'il traita d'ailleurs
avec les plus grands égards. Quelques jours après eut
lieu Austerlitz, mais cet épisode n'en est pas moins
extrêmement caractéristique.
Napoléon, dès cette campagne, cherchait à soulever
les peuples contre « ce squelette de François II que le
mérite de ses ancêtres a placé sur le trône », ainsi qu'il
traite irrévérencieusement son beau-père dans sa cor-
respondance. Il recommande à Fouché de faire dire
dans les journaux « que l'empereur d'AUemagpe vend
le sang de ses peuples pour de l'or», il déclare que
« les Hongrois se plaignent d un gouvernement illibéral
qui ne fait rien pour leur industrie et se montre cons-
tamment jaloux de leurs privilèges et inquiet de leur
PRÉVISIONS DE 6ENTZ — CONFÉDÉRATION DU RHIN 85
esprit national. » Napoléon commençait à jouer des
peuples contre les rois, comme on en joua contre lui en
1813. Il était du moins bien renseigné pour la Hongrie.
Après la paix de Presbourg, les Allemands reprochè-
rent amèrement aux Hongrois leur attitude, mais en
réalité, par suite de l'abandon de l'empire, François jus-
tifiait ce que le clairvoyant Gentz écrivait alors à Jean
de Muller : « La monarchie autrichienne doit cesser dès
ce moment d'être considérée comme puissance d'Alle-
magne. U ne suffît pas que la dignité impériale soit dé-
truite de fond en comble, mais ce qui reste de provinces
à l'empereur n'a plus rien de commun avec l'Allema-
gne, ne tient à aucun lien et se trouve complètement
isolé. Si après cette révolution épouvantable, l'empe-
reur veut continuer d'exister comme puissance, il n'a
plus qu'un parti à prendre : transférer sa résidence en
Hongrie^ y créer une véritable constitution, établir des
rapports tout nouveaux entre ce pays, la Bohême, la
Gallicie et les débris de ses possessions germaniques,
fonder en un mot une nouvelle monarchie qui peut de-
venir puissante et respectable, mais qui ne ressemblera
guère à celle qu'il a gouvernée jusqu'ici. » C'était en
1806 tout le programme de 1866 1
Le 12 juillet 1806, Napoléon signait avec plusieurs
membres de l'ancien empire germanique l'acte de la
confédération du Rhin. Les confédérés étaient les rois
de Bavière, eX de Wurtemberg^ le grand-duc de Bade^ le
prince primat ex-électeur de Mayence, le grand-duc de
Berg, le grand duc de Hesse-Darmstadt qui formaient le
collège de rois, et les ducs de Nassau-Ussingen-Weil-
bourg, les princes de HohenzoUern-Hechingen-Sîgma-
ringen, les princes de Salm-Salm, de Salm-Kirbourg,
dlsambourg, d'Aremberg, de Lichstenstein et de Leyen
qui formaient le collège des princes. Le !•' août les
confédérés signifièrent à la diète de Ratisbonne leur
séparation du corps germanique. Le 6 août, François
fit publier à Vienne et à Ratisbonne son acte de renon-
86 HISTOIRE DE L' AUTRICHE
ciatioQ à la dignité impériale. C'était la fin de ce saint
empire romain qui existait depuis 1006 ans.
Pas plus que la paix de Lunéville, la paix de Pres-
bourg n'était sincère. Si M. de Gobentzel avait quitté le
ministère, son esprit était resté dans la cour de Vienne.
On n'y voulait à aucun prix de l'alliance française. La
campagne de 1806, qui vit les défaites de la Prusse et
de la Russie à léna, à Auerstaedt, à Friedland, à Eylau,
et qui aboutit au traité de Tilsitt, ne fit qu'engager l'Au-
triche à différer et à profiter de ce délai pour se pré-
parer. François confia la direction de son ministère à
un ennemi aussi acharné de la France que Gobentzel, au
comte Stadion. L'ambassade française, à Vienne, était
alors occupée par un général de la Révolution, An-
dréossy. 11 se plaignait de la guerre de libelles, que
la presse viennoise faisait à sa nation : mais Stadion
accueillait ces plaintes avec froideur et quand Napoléon
forma, en faveur du roi de Saxe, le grand-duché de
Varsovie, il refusa d'échanger la Gallicie contre la SUésie
prussienne; il assista impassible à la formation du
royaume de Westphalie en faveur de Jérôme et à
l'accession à la confédération du Rhin du nouveau
roi de Saxe et d'une multitude de princes allemands
(15 déceiùbre 1806). L'Autriche préparait une nouvelle
organisation militaire pour laquelle elle avait besoin de
la diète hongroise. Après bien des hésitations, après
avoir appelé en conseil les principaux Magnats à Vienne,
François convoqua la diète pour le 8 février 1807, le
jour même de la bataille d'Eylau ; la séance d'ouver-
ture n'eut lieu que le 9 avril,
La diète était animée, cette fois, d'un véritable esprit
d'opposition. Des jeunes gens pleins d'ardeur, Joseph
Vay, Lonyay, Prényi et surtout Paul Nagy, avaient été
élus. Les propositions royales étaient impudentes : on
demandait des levées régulières fixées une fois pour
toutes, et un impôt extraordinaire pour parer aux nou-
velles dépenses militaires {sivispacerriy vara bellum). Les
DIÈTE DE 4807 87
réformes se bornaient à un article sur les progrès du com-
merce et sur les améliorations financières. La chambre
basse rédigea un projet de loi directement contraire à
celui du gouvernement et qui demandait une foule de
progrès ; Nagy se montra grand orateur. Le gouver-
nement se décida à permettre l'exportation des grains
et restitua aux Magyars la gestion de leurs mines : les
Magnats, de leur côté, étaient dévoués aux volontés
impériales. Aussi vota-t-on comme emprunt extraor-
dinaire le 6"' du revenu de tous les droits féodaux et
de tous les immeubles seigneuriaux, le 6""® du revenu
des commerçants, artistes , industriels et fermiers, le
lOO»® de la valeur de tous les biens meubles. Quant aux
troupes, l'archiduc Charles avait introduit dans les
autres provinces de la monarchie la conscription et le
système de la landwehr et de la landsturm. Il de-
manda à la diète la même régularité dans les levées ;
la diète tenait à l'ancien système : un contingent voté
par elle et réparti entre les comitats et les villes; les
Magnats étaient disposés, eux, à tout accorder. La lutte
parlementaire devint très-vive. Sur ces entrefaites, Na-
poléon faisait communiquer par M. de Ghampagny la
lettre suivante à M. de Metternich, ambassadeur d'Au-
triche à Paris : « Vous avertissez partout de se tenir
prêt à marcher pour la défense de la patrie : quel
ennemi vous menace? Vous mettez toute la population
sous les armes : vos princes parcourent les champs
comme des chevaliers errants... l'Empereur veut encore
ignorer vos armements. Faites qu'on licencie cette
garde nationale qu'on lève chez vous ; laissez en repos
vos cultivateurs, vos soldats; ménagez votre argent et
ne menacez personne. »
Nagy fut appelé à Vienne pour entendre le verbe
royal [ad audiendum verbum regtum), François lui parla,
le pria, le menaça. Le Magyar en téte-à-tète avec son roi,
redevient un fidèle vassal ; Nagy obéit à cette tradition
et se tut désormais. Singulier procédé parlementaire et
88 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
qui ne pouvait réussir que dans un pays dldolàtrie
monarchique comme la Magyarie. La diète vota douze
mille conscrits par an pour trois ans, avec Tancien
mode de recrutement, et deux cent mille florins pour
favoriser les engagements volontaires, et comme elle
avait donné tout ce qu'on attendait d'elle, on ne parla
plus de réformes, et on l'engagea sans façon à se sé-
parer. Furieuse d^ètre si impudemment dupée, elle pro-
testa dans un vigoureux mémoire où étaient consignés
les gravamina ou griefs de la Hongrie. Nagy parla en
faveur de la plèbe, ce qui le fit accuser de folie par ses
aristocratiques collègues, et de la langue nationale, ce
qui le fit acclamer. La diète se sépara le 15 décem-
bre 1807.
On sait quels soins occupèrent Napoléon dans les
premiers mois de 1808 : il prépara l'invasion de l'Es-
pagne et l'abdication du vieux Charles IV à Bayonne
(avril). Ce crime abominable et cette faute gigantesque
soulevèrent l'Europe entière contre l'insatiable César.
Les peuples indignés se joignirent aux rois. L'effet fut
surtout terrible en Autriche et en Hongrie, et François
put dire à son ministre des finances Zichy : « les peuples
pèsent aujourd'hui d'un grand poids dans la balance, »
et il s'empressa d'exploiter l'ardeur desdits peuples
contre l'ennemi commun, au nom de l'exemple espagnol
{der Spanier Beùptei). Les préparatifs, les levées se
firent dans le Tyrol, en Bohême, dans les Autriches
avec des allures de croisade révolutionnaire qui ef-
frayèrent presque Stadion. La Hongrie, que nous venons
de voir irritée et défiante en 1807, subit la contagion
avec la rapidité d'une traînée de poudre. « Le mouve-
ment que vous avez inspiré est tel, put dire en août 1808
Napoléon à Metternich, que la guerre aura lieu malgré
vous et malgré moi. » On répandit même le bruit que
Napoléon destinait la couronne de Hongrie à son frère
Lucien Bonaparte. On déchaîna la presse, et Gentz et
Schlegel redoublèrent d'écrits enflammés. Aussi Fran-
DIÈTE DE 1808 — ENTREVUE D'ERFURTH 89
çob, exploitant cette effervescence, n*hé&ita pas, cette
fois, à convoquer la diète (28 août 1808) sous prétexte
de couronner sa troisième épouse, Marie-Louise, fille
du duc de Modène, alors âgée de vingt et un ans. On
eut soin que Nagy, ingrata persona, ne fût pas élu
député, et on séduisit les autres chefs de l'opposition
par des titres ou des emplois, ce qui est fréquent dans
les annales magyares. On vota d'enthousiasme toutes
les mesures militaires demandées, et on fonda une école
militaire à laquelle on donna galamment le nom de
Ludoviceum en l'honneur de la jeune impératrice :
32,000 conscrits furent accordés, et Vimurrection de la
noblesse admise, ainsi que la perspective de la levée en
masse : le souvenir des déceptions et des colères de 1807
était bien loin. Nous verrons souvent ces brusques
revirements chez les Magyars. Ils croyaient au moins
alors qu'ils allaient combattre pour la liberté, et imiter
ce peuple espagnol qui avait tout fait par lui-même.
Stadion pouvait se réjouir en Autriche de concert avec
Stein en Prusse : du Rhin à la Theiss, c'était un sou-
lèvement national, car la haine de la tyrannie française
avait révélé à l'Allemagne le besoin de l'unité et faisait
presque une nation des états juxtaposés des Habsbourgs.
En septembre eut lieu la fastueuse entrevue d'Erfurth
entre Alexandre et Napoléon : Metternich sollicita vai-
nement d'y être admis, et François y envoya le baron
de Vincent avec une lettre de compliments. Alexandre,
en échange de la Moldavie et de la Valachie que lui
cédait Napoléon, promit de se déclarer contre l'Au-
triche dans le cas où cette puissance se mettrait en
guerre avec la France. Napoléon répondit le 14 octobre
à la lettre de François par une lettre de conseils mena-
çants, qui n'empêcha pas celui-ci de presser ses arme-
ments. Quand il quitta l'Espagne, le 18 janvier 1809, il
8e répandit de nouveau en menaces contre l'Autriche :
«Est-ce que les eaux du Danube auraient acquis la
propriété de celles du Léthé? » et adressa aux princes
90 HISTOIRE DE L'AUTRIGHB
de la confédération du Rhin la circulaire la plus vio-
lente contre elle. Il est certain que Napoléon ne négli-
geait rien pour forcer rAutriche à lui déclarer la guerre,
mais il est certain aussi que, depuis Presbourg, rAu-
triche la désirait : on peut renvoyer les deux parties
manche à manche et leur partager équitablement la
responsabilité.
CHAPITRE II
Campagne de 1809. — Eckmûhl. — Deuxième prise de Vienne. —
Essling. — Bataille de Raab. — Wagram. — Paix de Vienne.
Insurrection du Tyrol. — Mariage de Marie-Louise. — Fi-
nances. — Banqueroute de 1811. — Diète hongroise de 1811-
1812. — Médiation de rAutriche. — Bataille de Leipzig. — Cam-
pagne de France. — Traité de Paris.
Le czar Alexandre résolut de rester simple spectateur
de la lutte qui se préparait et résista également aux
sollicitations de Tenvoyé français Gaulaincourt et de
l'envoyé autrichien Schwarzenberg ; il promit seule-
ment à Napoléon de concentrer un corps sur les fron-
tières de la Gallicie. En saignant à blanc la France et en
employant les contingents allemands des princes de la
confédération, Napoléon put mettre en ligne 424,000
hommes dont 100,000 hommes à Eugène en Italie,
40,000 à Lefèvre en Bavière ; 50,000 à Bernadotte en
Saxe et en Pologne, chargé d'observer la Bohème;
60,000 à Davoût aux environs de Wûtrzbourg; 50,000 à
Masséna sous le nom d'armée d'observation du Rhin, le
reste sous Augereau , Lannes, Jérôme. L'Autriche avait
450,000 hommes, dont la plus grande partie en milices :
sa principale armée était en Bohème aux ordres de l'ar-
cbiduc Charles.
L'Autriche aurait dû attaquer la France dès le âO mars
92 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
1809 et être en quelques marches à Ratisbonne au milieu
de nos corps dispersés. L'archiduc Charles perdit un
temps précieux et ne passa Tlnn que le 20 avril, tandis
que le Tyrol tout entier s'insurgeait contre les garnisons
bavaroises : il passa Tlsar le 16 avril. Alors se livra la
bataille des cinq jours dont les épisodes s'appellent
Thann, Abensberg, Landshut, Ëckmûhl, Ratisbonne,
chef-d'œuvre de stratégie qui rejeta l'armée autri-
chienne, avec des pertes énormes, sur les deux rives du
Danube. Gagnant de vitesse Charles, qui avait passé par
la Bohême pour venir couvrir Vienne, l'armée française
arriva le 10 mai devant cette capitale où l'archiduc
Maximilien tenta de résister et y entra le lendemain.
En même temps le prince Eugène rabattait l'archiduc
Jean de l'Italie sur la Hongrie après l'avoir battu à Cal-
diero, Lefèvre écrasait les insurgés du Tyrol et prenait
Insprûck, Poniatowski reprenait Varsovie à l'archiduc
Ferdinand.
Le palatin Joseph avait convoqué l'insurrection des
nobles à Raab (Gyor) et l'impératrice s'était réfugiée à
Bude. De Schœnbrunn, Napoléon adressa le 15 mai aux
Hongrois une proclçimation, qui indique une merveil-
leuse connaissance de leur histoire , de leurs revendi-
cations, de leur caractère et de leurs rancunes. On ne
s'en étonnera pas quand on saura qu'elle avait pour
auteur Bacsànyi, un des condamnés de la conspiration
de Martinovicfi, qui avait été enfermé à Kufstein avec
Maret, depuis duc de Bassano. Celui-ci le retrouva à
Vienne et lui fit rédiger la proclamation dù^5 mai. Elle
fut sans effet. Les Hongrois prirent une grande part à
ces deux terribles journées d'Aspern-Essling où Napo-
léon tenta vainement de s'établir sur la rive gauche du
Danube, où Charles se montra grand général et où
50,000 hommes furent sacrifiés, de part et d'autre, sans
grands résultats. L'insurrection que la France avait pro-
voquée en Gallicie avait rapproché les Russes des Au-
trichiens , mais l'insurrection allemande se dépensa en
BATAILLES DE RAAâ Et Dfe WAGRAM 03
tentatives stériles et le roi de Prusse, malgré les ins-
tances de François, n'osa pas se déclarer. L'Autriche ne
pouvait encore compter que sur elle-même. Napoléon
employa une vingtaine de jours à concentrer toutes ses
troupes sur le Danube et à rendre Tile de Lobau inex-
pugnable : dans Fintervalle, le 14 juin, Tarchiduc Jean
livra à l'armée du prince Eugène la bataille de Raab ;
la cavalerie noble de Hongrie, Vinsurrectton mal armée
et mal exercée, eut beau y étaler ses panaches, ses dol-
mans et ses broderies et essayer la vieille charge de
Hunyade, elle fut mise en pleine déroute, achevée par
les cavaliers de Montbrun. La bataille de Raab est
encore la source de récriminations contre les Autri-
chiens dans les historiens magyars. Jean dut se mettre
en retraite sur l'imprenable Komorn. Au même moment
Marmont battait à plusieurs reprises le ban de Croatie
Giulay. Presbourg fut en partie brûlé par Davoût.
Dans la nuit du 4 au 5 juillet, toute l'armée française
passa , sur six ponts préparés depuis longtemps , le
Danube et se trouva sur la rive gauche. Le 6 juillet se
livra la bataille de Wagram, sous les yeux des habitants
de Vienne établis sur tous les édifices. Elle était gagnée
à deux heures : l'armée de l'archiduc Charles avait près
de 25,000 hommes hors de combat. L'archiduc aurait
pu reprendre sa revanche à Znaïm : son indécision et
sa lenteur habituelle l'en empêchèrent ; un armistice
fut signé le 11 juillet.
L'Autriche n'était pas encore découragée : son armée
solide et compacte s'appuyait à la Bohême et derrière
les Français, les corps de Giulay et de Chasteler s'éten*
daient de Leoben à Trieste : le Tyrol était en pleine
insurrection; enfin elle comptait sur l'expédition de
Wellington en Espagne et sur l'expédition britannique
en Hollande. On engagea des négociations à Altenbourg,
mais il n'y eut que des escarmouches diplomatiques
jusqu'à l'issue des deux expéditions. Alexandre avait
recommandé à Napoléon de ne pas toucher à la ques-*
94 HISTOIRE DE L' AUTRICHE
lion polonaise et celui-^i cependant voulait augmenter
le duché de Varsovie, si désagréable aux Russes, d*une
partie de la Gallicie. L'Autriche, par ses plénipotentiaires
Metternich et Nugent, Vy poussait de tout son cœur,
sachant que ce serait à brève échéance une guerre entre
la Russie et la France. Il fallut en finir quand Welling-
ton eut échoué en Espagne et que les Anglais eurent
manqué leur coup à Walcheren. Napoléon aussi, après
la tentative de meurtre de Frédéric Staabs à Schœn-
brunn, se montra pressé. La paix, dite paix de Vienne,
fut signée le 14 octobre 1809 : Tarmée française évacua
Vienne en en faisant sauter les historiques remparts.
L'Autriche céda au roi de Saxe, pour être réunis au
grand-duché de Varsovie, toute la GaUicie occidentale ,
un arrondissement autour de Gracovie et le cercle de
Zamocs dans la Gallicie orientale. Elle céda aussi un
peu plus de deux millions d*âmes sur la frontière ita-
lienne ; Napoléon prit la Garniole, en Garinthie le cercle
de Villach ; en Croatie, la rive droite de la Save jusqu'à
la Bosnie et la Dalmatie pour en former les provinces
illyriennes que gouverna Marmont de novembre 1809 à
avril 1810 ; sur la frontière de Bavière, il céda Ldnz et
garda Saltzbourg^ le tout représentant 1,500,000 âmes.
Ajoutons une contribution de guerre de 85 millions et
une réduction de l'armée autrichienne. L'insurrection
tyrolienne fut écrasée et l'héroïque André Hofer alla
mourir fusillé le 25 février 1810 dans les fossés de
Mantoue.
Pendant les négociations, le séduisant Narbonne,
nommé gouverneur de Raab, avait essayé d'amener les
Hongrois à demander leur complète indépendance na-
tionale : mais il semble prouvé qu'il a exagéré son
action sur les Magyars. Les historiens hongrois et
autrichiens réfutent cette assertion : les Magyars d'ail-
leurs furent désespérés de voir, à la suite de la paix de
Vienne, réunir à l'empire français les provinces de
l'Adriatique dépendant de la couronne de Saint-Etienne.
BANi)UBROUTB DE 1811 95
L'Autriche se remit à trembler quand elle sut qu'après
son divorce avec Joséphine, Napoléon faisait demander
la main d'une sœur d'Alexandre : c'était la consolida-
tion de l'alliance franco-russe, c'est-à-dire ce qui pouvait
arriver de plus fatal à l'Autriche. Elle fit offrir au
nouveau César la main d'une de ses archiduchesses. Le
contrat fut signé par le prince Schwarzenberg, le 7 fé-
vrier 1810 : le 16 mars, Marie-Louise fut remise à Brau-
nau à la reine de Naples. Le mariage eut lieu le 3 avril
Bods une impression d'enthousiasme qui se résumait en
ces mots : « le mariage, c'est la paix. »
L'année 1810 fut pour l'Autriche une année de recueil-
lement : la ruine financière apparaissait menaçante,
inévitable. La dette était de 658,200,000 florins dont
314 millions portant intérêt à 5 0/0, 49 à 4 1/2 0/0, 282
à 4 0/0, 40 à 3 1/2 0/0, 1 à 3 0/0. Le papier-monnaie
était tombé au douzième de sa valeur. Le ministre des
finances, comte Wallis, essaya vainement urt nouvel
emprunt et un nouveau papier. Il fallut arriver à la
banqueroute, car ce fut bien une banqueroute qu'édicta
la patente du 20 février 1811 : elle réduisait les intérêts
de la dette consolidée de moitié et la valeur du papier
<le8 quatre cinquièmes. Encore ce papier ne devait
avoir cours que jusqu'au 1«' février 1812. Ce fut un cri
d'indignation et de douleur d'un bout à l'autre de la
. monarchie, mais surtout en Hongrie où le comitat de
Pesth déclara que de pareilles mesures devaient être
sanctionnées par la diète. Le chancelier de Hongrie,
Kohary, répondit par l'ordre d'accepter la patente dans
les huit jours. François écrivit à ses fidèles Hongrois
une lettre sur « leur insolence » en les menaçant des
plus « grandes violences » : les comitats cédèrent et des
commissaires royaux vinrent arracher les pages de leurs
f^gistres de délibérations. Mais on convoqua la diète
pour le 29 août 1811. Si on veut savoir quelle idée, en
cette année de grâce, se faisait de son pouvoir le séré-
^^ime empereur François, beau-père du grand Napo-
96 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
léon, on n'a qu'à lire la lettre suivante par lui adressée
à la diète : « on n*a pas montré Tempressement qui con-
vient à des sujets... on espère sans aucun fondement
changer notre volonté; nous demeurons inébranlables
dans les décisions que vient de prendre notre gouverne-
ment d'origine divine ». On avait eu la royauté de droit
divin : on avait maintenant la banqueroute de droit
divin.
Les exigences financières du gouvernement pré-
sentées à la diète étaient énormes. L'opposition devint
menaçante et le palatin Joseph eut à jouer le rôle le
plus difficile entre les deux parties. Il fut même obligé
d'aller six semaines à Vienne, pour calmer la cour qui
ne parlait que de mesures violentes. L'Autriche, qui
songeait toujours à la guerre, demandait que l'impôt
pour l'entretien de l'armée fût augmenté de douze
millions de florins : le papier n*était reçu dans les
caisses de l'état que pour le cinquième de sa valeur.
Les débats furent très-ardents : en avril 1812 une lettre
royale porta, contre les droits de la diète seule compé-
tente pour voter cette mesure, le prix du quintal de sel
de cinq florins à neuf, contribution monstrueuse. Un
orateur trop énergique, le comte Dessewfiy fut exclu de
la chambre haute. Enfin la diète fut congédiée en mai
1812. Sa résistance et ses protestations avaient été belles
au milieu de l'universelle soumission, mais la Hongrie
ne récoltait-elle pas ce qu'avaient semé son idolâtrie mo-
narchique et sa haine de la Révolution? La coalition de
1813 à 1815 allait lui demander de bien autres sacrifices.
La guerre entre la France et la Russie devenait iné-
vitable : l'ukase de décembre 1811, qui rouvrait les
portes de Russie aux produits coloniaux de l'Angleterre
et violait ainsi le blocus continental accepté à TUsitt, en
fut le signal. L'Autriche, qui ne pouvait refuser à Na-
poléon de Taider dans sa campagne contre la Russie,
mit à sa disposition un corps d'armée par le traité du
14 mars 1812 qui prévoyait l'éventualité du rétablisse-
MÉDIATION Al^MËfi DE L'AUtRlCHE EN 1813 97
ment du royaume de Pologne : 30,000 hommes sous
Schwarzenberg se joignirent à la grande armée, dont
une partie en contingents hongrois. Napoléon passa par
Dresde, où François et sa femme vinrent le saluer. Le 24
et le 25 juin 1812, le Niémen fut franchi; on sait com-
ment se termina cette campagne désastreuse : la grande
armée fut anéantie et ses débris ramenés en Allemagne
par le prince Eugène en février 1813. L'Autriche était
décidée dès ce moment à se joindre, comme le faisait la
Prusse, à la Russie, et à en finir avec Napoléon. François
cependant envoya à Paris son aide de camp, le comte
de Bubna, mais Napoléon tout le premier ne se trompa
pas à cette démarche. Il fit partir M. de Narbonne pour
Vienne, et celui-ci n'eut pas de peine à pénétrer les
secrets de la politique de Metternich, devenu ministre
dirigeant. La quadruple alliance était signée. Se voyant
découvert, Metternich prit provisoirement le rôle de
médiateur armé. Napoléon n'hésita pas à faire entrevoir
à M. de Bubna l'indépendance du royaume dîtalie, de
la Toscane, des Ëtats Romains, de la Hollande au-delà
du Rhin et des villes hanséatiques. Le 13 avril arriva
à Paris le prince de Schwarzenberg : Napoléon affecta
de ne lui parler que comme au commandant du con-
tingent autrichien. Le 16 avril Napoléon était en Alle-
magne et indiquait à la nouvelle armée qu'il avait levée
la direction par Bautzen sur Leipzig, dans le but de
s'emparer de Dresde, de se rapprocher de la Bohême et
de porter le théâtre de la guerre dans la Silésie. Le 2
mai, il battit l'armée prusso-russe à Lutzen et entra à
Dresde. François lui envoya le baron de Bubna porteur
d'une lettre où il disait : « Le médiateur est l'ami de
Votre Majesté..^ il s'agit d'asseoir sur des bases inébran-
lables la dynastie que vous avez fondée et dont l'exis-
tence s'est confondue avec la mienne. » Il proposait un
congrès dont Napoléon accepta l'idée. François avait
envoyé en même temps le comte Stadion auprès d'A-
lexandre. Le 21 mai, nouvelle victoire de Napoléon à
A.SSELINE. 6
96 HISTOIRE DE L'AUTaiGHfi
Bautzen, maifl le lendemain, en réponse à une démarche
faite le 18, le czar répondit qu'il ne pouvait recevoir de
propositions que par Tintermédiaire du médiateur,
c'est-à-dire de rAutriche. Néanmoins les coalisés offri-
rent un armistice par Ventremise du comte Stadion : il
fut accepté pour durer du 12 juillet au 9 août; aupa-
ravant, l'armée polonaise de Poniatowski avait été au-
torisée à traverser sans armes les provinces autrichiennes
pour rejoindre Napoléon en Lusace. Le 27 juin Metter-
nich vit Napoléon à Dresde : TAutriche demandait la
moitié de Tltalie, Tlllyrie, le retour du pape à Rome,
la Pologne saxonne , l'abandon de la Hollande, de l'Es-
pagne , la renonciation au protectorat de la confédé-
ration du Rhin et de la médiation helvétique. Napoléon
s'emporta et eut avec Metternich la fameuse scène où
il lui demanda combien l'Angleterre lui avait donné
pour lui faire la guerre. Le 30 juin, la convention ad-
mettant la médiation autrichienne fut signée et Prague
désignée pour le siège du congrès ; de savantes et in-
finies lenteurs prolongèrent les négociations, pendant
lesquelles la Russie, la Suède, la Prusse et l'Autriche
parfirent la quadruple alliance ; l'armistice et le congrès
n'avaient eu pour but que de permettre à l'Autriche
de compléter ses armements. Quand tout fut prêt, Met-
ternich déclara froidement le congrès dissous, et M. de
Narbonne apporta le 15 août à Dresde la déclaration
de guerre de l'Autriche, qui se proclamait « réunie de
principes aux puissances, avant même que les traités
eussent consacré leur union. »
Les alliés avaient 500,000 hommes. Schwarzenberg
commandait l'armée de Bohême, dite la Grande Armée,
Blûcher l'armée de Silésie et Bernadotte l'armée du
Nord. Avec son armée d'Italie sous les ordres de Hiller,
l'Autriche avait 130,000 hommes sous les armes. Le 26
août les alliés perdirent la bataille de Dresde, où fut
tué leur collaborateur Moreau : Schwarzenberg se mit
en retraite sur Tœplitz ; mais à Kulm Vandamme subit
CAMPAGNE DE FRANGE EN 1814 99
une défaite complète, et à Tœplitz même, le 3 octobre
fut signé le traité entre les alliés, qui rendait à rAutriche
le statu quo de 1803. Le 8 octobre, la Bavière aban-
donna Talliance française pour Talliance autrichienne
et son armée se joignant aux alliés découvrit toute la
frontière française depuis Huningue jusqu'à Mayence.
Le 13 octobre commença devant Leipzig la formidable
bataille appelée la bataille des nations. Le soir même
du 16, Napoléon envoya vainement vers son beau-père
le général Meerweldt, Tancien négociateur de Gampo-
Formio fait prisonnier. Le 17, l'armée française était
entourée de toutes parts ; le 18 vit cette lutte terrible
au milieu de laquelle l'armée saxonne passa dans les
rangs des alliés ; la retraite commença. Le 19, Ponia-
towski et des milliers de soldats franco-polonais se
noyèrent dans l'Elster. Le 30 octobre. Napoléon passa
sur le ventre de l'armée austro-bavaroise postée à
Hanau. Les souverains alliés se réunirent à Francfort,
et de là appelèrent les peuples aux armes et à la liberté
dans un langage digne de la Convention; en même
temps ils trompaient Napoléon par de fallacieuses né-
gociations qui n'avaient d'autre but que de leur rendre
l'invasion de la France plus facile et de décider l'oli-
garchie bernoise à laisser violer la neutralité de la
Suisse : le 21 décembre, Schwarzemberg entra en France
parle pont de Bâle. Le 11 janvier 1814, le roi de Naples,
Murât, signa un traité avec l'Autriche, fermant la route
de Vienne à l'armée franco-italienne.
Nous ne suivrons pas les alliés dans la campagne de
France ; on en connaît les péripéties et cette bataille
de Nangis du 17 février où Schwarzenberg fut mis en
déroute, tandis que la paix se traitait au congrès de
Châtillon. Le prince de Lichstenstein vint le 23 proposer
un armistice. Mais dans l'intervalle Blûcher conçut le
plan de marcher seul sur Paris. Le 19 mars, les alliés
rompirent le congrès de Ghàtillon. Le 23, Schwar-
zenberg et Blûcher faisaient leur jonction dans les
100 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
plaines de Ch&Ions et marchaient sur Paris, qui capi-
tula le 29 : le czar, le roi de Prusse et Schwarzenberg
y entrèrent le 31 mars. Le généralissime autrichien
déclara le premier « que l'existence de Napoléon en
France était incompatible avec le repos de l'Europe et
qu'on devait se fixer au retour de l'ancienne dynastie. »
Le 11 avril, Napoléon abdiqua à Fontainebleau. Le 15,
François arriva à Paris et fit partir le 16 pour Vienne
Marie-Louise et le duc de Reichstadt. Le traité de Paris
décida que la France serait réduite aux limites du
!•' octobre 1792, que l'empire d'Allemagne ou saint
empire romain serait aboli et qu'un congrès réuni à
Vienne dans deux mois établirait les conditions de la
paix générale, distribuerait les territoires et réorgani-
serait une confédération germanique. Après vingt-deux
ans de luttes, des torrents de sang versé et la banque-
route, la vieille Autriche des Habsbourgs allait se re-
trouver réinstallée dans son absolutisme monarchique
et clérical et augmentée de provinces nouvelles.
CHAPITRE III
Congrès de Vienne. — La Pologne. — Distribution de territoires.
Nouvelle constitution allemande. — Waterloo. — Metternich et
la réaction en Autriche. — La société. — Le peuple. — Les na-
tionalités. — L'Église. — Finances. — La Lombardo-Vénétie.
— La Hongrie. — La Sainte-Alliance — - Réveil de l'Allemagne.
— Résolutions de Garlsbad. — Congrès de Troppau, de Lay«
bach et de Vérone. — Le Spielberg. — La police, — Affaires
turques.
C'est vers la mi-septembre 1814 que les princes et
les diplomates commencèrent à arriver à Vienne.
Bientôt quatre cent cinquante personnages plus ou
moins accrédités furent réunis pour prendre part à ces
grandes assises européennes d'où l'on se flattait de voir
sortir un nouvel ordre de choses. A côté des souverains
de Russie, de Prusse, d'Autriche, de Bavière, de Wur-
temberg, de Danemark, etc., à côté des diplomates
représentant les grandes puissances : Metternich, Har-
denberg, Castlereagh, Nesselrode, Talleyrand, Munster,
Stein, se pressaient les principicules allemands, leâ re-
présentants des villes et de certains corps constitués,
tous ceux qui espéraient qu'on remettrait l'Europe dans
la situation d'avant quatre-vingt-neuf. La cour impé-
riale prodiguait à ses hôtes la plus splendide hospitalité
et. dépensait trente millions de florins, elle qui avait
fait banqueroute trois ans auparavant et qui était im-
6.
102 HISTOIRE DE L' AUTRICHE
puissante à pensionner ses cinquante mille invalides.
La joyeuse Vienne suivait Timpulsion : ce n^étaient que
bals masqués, tableaux vivants, ballets, comédies,
courses en traîneaux. La noblesse semi-orientale de
l'empire rivalisait de faste avec Faristocratie accourue
de Toccident. Le journal VObservateur ne pouvait suf-
fire au récit des divertissements et des bombances.
G*était entre une nuit de plaisirs et une après-midi de
galas que se faisait le trafic des peuples et que se heur-
taient les intérêts les plus férocement égoïstes.
Le congrès avait un double objet : la refonte terri-
toriale de TEurope et la constitution allemande, au-
quel correspondirent deux comités : le comité des af-
faires allemandes et celui des affaires européennes. La
constitution de ce dernier souleva de longs débats. On
convint que les quatre grandes puissances alliées :
Russie, Autriche, Angleterre et Prusse, traiteraient les
questions relatives à la distribution des territoires et
qu'elles s'adjoindraient la France, TEspagne, le Portu-
gal et la Suède pour les autres questions européennes.
La proclamation de Ghàtillon fournissait aux travaux
du congrès un excellent programme : « Les nations, y
avait-on dit, respecteraient leur indépendance réci-
proque. On n'élèverait pas d'édifices politiques sur les
débris d'états auparavant indépendants. Le but de la
guerre et de la paix était d'assurer les droits, la liberté
et ^indépendance de toutes les nations. » On étudia en
effet ce programme, mais pour le suivre à rebours. On
se mit à fabriquer des états de toutes pièces, au gré des
convoitises les plus éhontées, que tempérait seulement
la jalousie des autres larrons. Talleyrand lui-même en
fut écœuré et put écrire dans un de ses mémoires
« qu'au congrès, on professait le principe que tout était
légitime pour le plus fort ; que les peuples ne pouvaient
pas avoir de droits différents de ceux de leurs souve-
rains et qu'il était permis de traiter les sujets comme
les bestiaux d'une ferme. » Stein qualifia les résultats
ACCROISSEMENTS DE L'AUTRICHE EN 1815 103
du congrès de : « farce » et en plein parlement anglais
Whitbread s'écria qu*on avait découvert à Vienne : « un
nouveau système de brigandage. » Toute Thistoire phi-
losophique et politique du congrès de Vienne est résu-
mée dans ces phrases caractéristiques des trois hommes
d'état.
L'Autriche — dont nous avons à nous occuper spécia-
lement — avait d'immenses intérêts engagés dans ces dé-
bats : !• reformer son territoire ; 2® assurer sa prépondé-
rance en Allemagne ; 3* examiner les revendications de la
Prusse et de la Russie au point de vue de sa propre sécurité.
Le premier point ne souleva pas de difficultés. Met-
ternich — le vrai président et leader du congrès — ob-
tint pour son maître tout ce qu'il désirait. L'Autriche
reçut cette magnifique portion de l'Italie dont elle
forma le royaume Lombardo-Vénitien ; l'IUyrie et la
Dalmatie, c'est-à-dire tout le littoral de la mer Adria-
tique ; la Valteline, enlevée à la Suisse et qui, avec les
vallées de Chiavenna et de Bornico, lui donnait les clés
de ntalie. La Bavière lui restitua le Tyrol, le Vorarl-
kerg, les districts de l'Inn et de l'Hausmck et la partie
méridionale du territoire de Saltzbourg. Elle aurait bien
toulu conserver à titre définitif les légations romaines
de Perrare, de Bologne et de Ravennes, qu'elle occu-
pait par droit de conquête ; ces apôtres de la contre-
révolution et de l'ultramontanisme n'auraient pas hé-
sité à diminuer le patrimoine de Saint-Pierre des ter-
ntoires à leur convenance et, merveilles de la politique
des intérêts, Metternich en 1815 méditait ce que réalisa
Cavour en 1860. Mais la négociation échoua et l'Au-
tnche dut se contenter du droit de tenir garnison à
TOrare et à Comacchio. En somme, après tant de dé-
^tres, elle se relevait plus riche que jamais : son em-
pereur rayait reçue en 1792 avec 11,525 milles carrés
®t 23 millions d'habitants ; on la lui rendait en 1815
avec 12,153 milles carrés et 28 millions d'habitants.
104 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Les lignes collatérales de la maison de Habsbourg
établies en Italie se ressentirent aussi de la bienveil-
lance du congrès. La Toscane, augmentée de Piombino
et plus tard de TUe d*Elbe, fut rendue à Tarchiduc Fer-
dinand. François d*Este reprit son duché de Modène
accru des flefs impériaux de Lunigiana. L*ex-impératrice
Marie-Louise reçut Parme. La république de Gènes, dont
l'existence aurait pu rappeler aux Vénitiens qu'il y avait
^u une république de Venise, fut livrée au roi de Sar-
daigne, malgré les ardentes protestations de ses habi-
tants. Plus tard, grâce à la prise d'armes prématurée et
folle de Murât le sabreur qu'on voulait d'abord conser-
ver, Ferdinand IV récupéra Naples. L'Italie entière se
trouva donc ou directement sous la domination de l'Au-
triche ou sous son influence, grâce à ce choeur de dynas-
ties vassales qui s'inspiraient des mêmes traditions poli-
tiques.
La question des revendications de la Prusse et de la
Russie était beaucoup plus compliquée. La Prusse vou-
lait ses compensations en Saxe et la Russie en Pologne.
Alexandre parlait de rétablir un royaume de Pologne
annexé à la Russie comme la Hongrie, par exemple, l'é-
tait à l'Autriche. C'était implicitement réclamer le grand-
duché de Varsovie et poser les bases d'une reconstitu-
tion complète de la Pologne sous le protectorat russe.
L'Autriche aurait plutôt admis, comme pis aller, l'idée
mise en avant par Gastlereagh d'une Pologne complè-
tement indépendante que d'une Pologne vassale des
Gzars, « qui aurait étendu la puissance moscovite jusqu'à
la Warthaet à l'Oder. » Elle sentit pleinement alors que,
dans les partages de la Pologne, le danger pour elle
avait été égal à l'iniquité. Le 2 novembre 1814, Metter-
nich adressait à Hardenberg un mémoire où on lit ^ :
1. Correspondance relating to the négociations of the years
1814 and 1815 respecting Poland, presented to the House of lords
by command of her majesty, 1863.
NÉGOCIATIONS POUR LA POLOGNE ET LA SAXE 105
(( Animée des principes les plus libéraux et les plus con-
formes à l'établissement d'un système d'équilibre en
Europe, et opposée depuis 1772 à tous les projets de
partage de la Pologne, l'Autriche est prête à consentir
au rétablissement de ce royaume, libre et indépendant
de toute influence étrangère, sur l'échelle de sa dimen-
sion avant le premier partage, en réservant aux puis-
sances voisines le règlement des frontières respectives
sur le principe d'une mutuelle convenance Admet-
tant le peu de probabilité que pareU projet puisse être
pris en considération par la Cour de Russie, l'Autriche
accéderait également au rétablissement de la Pologne
libre et indépendante dans les dimensions de l'année
1791... ». La Prusse appuyait les prétentions de la
Russie : Hardenberg affectait de croire aux intentions
libérales d'Alexandre vis-à-vis de la Pologne et essayait
de convertir Gastlereagh et Metternich. Ceux-ci demeu-
raient inflexibles dans leur opposition aux projets du
Czar qui, furieux, menaça de dissoudre le congrès, se
bromlla avec « le scribe » Metternich, échangea avec
lui des démentis en pleine séance et déclara à François
qu'il ne voulait plus avoir aucun rapport avec ce mi-
nistre de la coalition.
La question des compensations prussiennes n'était pas
moins difQcile. La Prusse demandait la Saxe. Or l'Au-
triche ne voulait pas plus d'une Saxe prussienne que
d'une Pologne russe. Elle ne consentait qu'à un partage
dont elle restreignit les proportions jusqu'à un cin-
quième. L'Allemagne fut inondée d'un déluge de bro-
chures pour ou contre la confiscation de la Saxe. Les
choses s'envenimèrent au point que Hardenberg laissa
entendre assez clairement que la Prusse et la Russie en
appelleraient au sort des armes. On arma de tous côtés,
même en France : le grand parlement européen de la
pacification et de la restauration menaça d'aboutir à
une nouvelle conflagration générale. Metternich alla
même — après la proclamation du grand-duc Constan-
106 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
tin qui appelait les Polonais aux armes — jusque-là :
conclure le 3 janvier 1815 avec TAngleterre et la France
un traité contre la Prusse et la Russie, auquel accédè-
rent successivement la Bavière, les Pays-Bas, le Hanovre
et la Sardaigne. Il mit à Tétude un plan d'opérations
militaires.
La Russie et la Prusse cédèrent. L'on se mit d'accord,
par un nouveau partage, sur l'afifaire polonaise. La Prusse
reçut le grand-duché de Posen, tel qu'il est encore con-
stitué aujourd'hui, avec Thorn dont on avait d'abord
voulu faire une ville libre. L'Autriche reprit les parties
du territoire polonais qu'elle avait perdues en 1809 et
rétablit sa province de Gallicie dans les limites actuelles.
l»a Russie eut le reste du grand-duché de Varsovie. Gra-
covie et son territoire furent érigés en république indé-
pendante sous la protection des trois puissances du Nord.
Quant à la Saxe, elle fut partagée. Le roi de Saxe garda
son titre et un peu plus de la moitié de ses états. Le
reste (373 milles carrés et 855,000 habitants) fut donné
à la Prusse dont les souverains ajoutèrent à leurs titres
ceux de duc de Saxe, Landgrave de Thuringe, Mar-
grave des Deux-Lusaces et comte de Henneberg.
Les questions de la Pologne et de la Saxe résolues, le
reste alla rapidement. La Prusse reçut ses dédommage-
ments sur les deux rives du Rhin, en échange de la
Prise orientale cédée au Hanovre , des principautés
d'Anspach et de Bayreuth cédées à la Bavière et du
Lauenbourg cédé au Danemark.
A ne considérer que les apparences et les résultats
immédiats , l'Autriche pouvait s'applaudir des succès
de ses diplomates et la Prusse maudire l'inhabileté des
siens. La Prusse s'étalait sur une ligne immense en lon-
gueur, de défense difficile et coupée au milieu par le
Hanovre inféodé à l'Angleterre. Ses possessions rhé-
nanes mettaient sous son sceptre évangélique des popu-
lations catholiques dévouées aux traditions ultramon-
taines. La Bavière, agrandie à ses dépens des princi-
DISCUSSION DÉ LA CONStlTUTION ALLEMANDE iOl
pautés franconiennes, lui demeurait aussi hostile que
la Saxe par elle dépouillée. Oui, mais, comme le re-
marque si bien Gervinus , cette Prusse morcelée dé-
pouillait tout caractère slave pour devenir exclusive-
ment allemande. Ses longues bandes territoriales, si
défectueusement taillées sur le tapis vert du congrès,
pénétraient de toutes parts, donnant et recevant, comme
veines et artères, dans le pur corps germanique. Elle se
posait dès lors dans son rôle d'unifier TAllemagne.
L'Autriche , au contraire , cédant ses possessions de
Souabe à la Bavière et à Bade, se retirait vers Torient
magyar et slave et perdait son caractère allemand :
toute cette noblesseecclésiastique et séculière du Rhin,
qui inclinait bien plus vers elle que vers la Prusse pro-
testante, ne pouvait plus graviter dans son orbite. On
peut dire sans paradoxe que le prodigieux développe-
ment de rhégémonie de la Prusse était en germe dans
la défaite de ses diplomates au congrès de Vienne.
L'enfantement de la nouvelle constitution allemande
ne fut pas moins pénible. C'est au résultat de cet enfan-*
tement que Stein^ Tardent unitaire, a infligé spéciale-
ment la qualification de « farce ». Le 14 octobre 1814^
les cinq cabinets royaux — Autriche , Prusse , Bavière ,
Wurtemberg et Hanovre — formèrent un cabinet spé-
cial pour les affaires allemandes. Il y avait cinq partis
à prendre : Tunité sous la direction d'une seule puis-
sance : Prusse ou Autriche — le dualisme , avec les
deux puissances sagement équUibrées — la pentarchie
ou comité des cinq royaumes — le pouvoir égal de tous
les états — une simple confédération sans puissance
dominante. L'Autriche était prête à accepter ou une
fédération fortement centralisée à la tète de laquelle
elle serait expressément et directement placée, ou une
fédération assez flottante et assez lâche pour que son
influence pût y dominer sans obstacle* La Prusse s'op-
posait* naturellement au premier projet, et quand Iç
Russe Gapodistrias publia un mémoire où il proposait
106 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Tempire pour rAutriche, Humbold répliqua par un
autre mémoire où il démontrait que la Prusse ne se
soumettrait jamais à un pouvoir impérial réeL Les rois
de Wurtemberg et de Bavière, de leur côté, déclarèrent
qu*ils n'entendaient pas qu'on s'immisçât dans la consti-
tution intérieure de leurs états par une surveillance fé-
dérale. Selon eux, la confédération ne devait avoir qu'un
effet extérieur et se réduire à une alliance contre l'é*
tranger.
Il est difficile de prévoir combien de temps auraient
duré ces conflits, dont on peut voir dans les protocoles
du congrès les fastidieux détails, si le retour de Napo^
léon de l'île d'Elbe, connu à Vienne le 7 mars 1816,
n'avait fait comprendre qu'il fallait en finir tant bien
que mal. En onze séances, du 23 mai au 10 juin, la
nouvelle constitution (elle devait régir l'Allemagne jus-
qu'en 1866) fut votée. L'Autriche triomphait par l'a-
doption de ce système encore plus terne, plus inefficace,
plus nul que la défunte constitution du saint empire. Il
consacrait l'immobilisme, ne tenai^aucune des promesses
faites aux peuples pour les soulever contre l'ennemi
commun, et ne donnait aucun gage à l'unité allemande.
C'était plutôt une ligue dont tous les membres avaient
respectivement des droits égaux, qu'une confédération
proprement dite. Son caractère était surtout défensif.
Chacun s'engageait à défendre contre toute attaque
extérieure soit l'ensemble de l'Allemagne, soit chacun
des états confédérés, en renonçant au droit d'ouvrir
avec l'ennemi des négociations particulières et de con-
clure paix ou armistice séparés. Les possessions respec-
tives comprises dans la confédération étaient mutuel-
lement garanties. Les confédérés s'engageaient de plus
à ne se faire jamais la guerre entre eux. Pour main-
tenir ce pacte d'alliance et administrer les intérêts com-
muns de la confédération, une diète permanente devait
siéger à Francfort sous la présidence perpétuelle de
TAutriche.
ASSEMBLÉES DE LA DIËTE lOd"
La diète avait deux espèces d'assemblées : les assem-
blées générales ou Plénum et les petites assemblées ou
Engere-rath. Dans le Plénum^ on comptait 69 voix :
TAutriche, la Prusse, la Bavière, le Wurtemberg, le
Hanovre et la Saxe en ayant chacun 4; la Hesse élec-
torale , la Hesse-Darmstadt , Bade , le Holstein et le
Luxembourg chacun 3 ; Brunswick , Meklembourg-
Schwerin et Nassau chacun 2 ; le reste des états chacun
une. Dans VEngere-rath^ on ne comptait plus que 17
voix : TAutriche, la Prusse, la Bavière, le Wurtemberg,
le Hanovre, la Saxe, Bade, la Hesse électorale , Hesse-
Darmstadt, Holstein, Luxembourg en avaient chacun
une ; les autres états en avaient une par curie composée
de deux, de quatre ou de six états. Le Plénum ne se
réunissait que quand il s'agissait de modifier Tacte
constitutif de la confédération ou d'y faire des addi-
tions, de prendre des résolutions relatives à l'acte pri-
mordial , aux institutions organiques de la diète , de
déclarer la guerre, de confirmer la paix, d'admettre un
nouveau membre dans la confédération, etc. Il n'y
avait dans le Plénum ni discussions ni délibérations :
on votait à la majorité minimum des deux tiers des
voix. Dans YEngere-rath^ on délibérait sur toutes les
questions à la simple majorité, et on élaborait celles
qui devaient être soumises au Plénum. Chaque état
avait le droit d'initiative, et les propositions émanées
de cette initiative devaient être mises en délibération
dans un délai fixé. La diète, malgré sa permanence,
pouvait s'ajourner à une époque qui ne devait jamais
dépasser quatre mois. Les puissances étrangères pou-
vaient entretenir auprès d'elle des envoyés spéciaux.
Toute institution commune était écartée. Au lieu de
ce suprême tribunal fédéral, signe visible de l'unité
de la « patrie allemande, » les confédérés s'engageaient
simplement à soumettre leurs différends à la diète, qui
essaierait de les concilier. La médiation ayant échoué,
les parties contendantes choisiraient la cour suprême
À8SRLINE» 7
110 HISTOIRE DE L*AUTRICHB
de justice de l'un des états membres de la confédération,
laquelle jugerait les contestations pendantes comme
tribunal d'Austrègues, suivant le droit allemand. L'arrêt
rendu, YEngere-rath déciderait s'il fallait contraindre
par la force la partie condamnée à l'exécuter.
Il en fut de même de ces espérances constitution-
nelles qu'on avait fait briller aux yeux des peuples les
années précédentes. Les alliés avaient joué de la corde
libérale au point que Napoléon put faire mettre au
Moniteur qu'il allait « affranchir l'Allemagne de la dé-
magogie dont l'ennemi avait embrassé la cause. » La
question fut posée dans le comité des cinq puissances
formé le 14 octobre 1814. Si la Prusse et surtout le
Hanovre montrèrent d'assez bonnes dispositions consti-
tutionnelles, les plénipotentiaires du dur et sensuel
tyran du Wurtemberg et du débonnaire et débauché
souverain de la Bavière dominé par son ministre Mont-
gelas, opposèrent un veto absolu. Tous ces efforts abou-
tirent à l'article 13 du pacte fédéral : « Dans tous les
états allemands il y aura une constitution d'états ter-
ritoriaux [Landstag). » Les souverains restent maîtres
de les accorder ou de les refuser du haut de leur droit
divin. Ainsi que le remarquait un publiciste allemand,
l^Allemagne victorieuse obtenait moins de droits natio-
naux que la France vaincue. On passa sous silence la
législation sur la presse, le minimum des droits indi-
viduels, l'unité de rapports avec le saint-siége.
Le 9 juin 1815 fut signé l'acte dit final ou acte gé-
néral contenant le résultat de tous les travaux accom-
plis par le congrès. Une commission territoriale , com-
posée de plénipotentiaires anglais , autrichiens , prus-
siens et russes, resta en permanence pour régler toutes
les difficultés de détails relatifs aux territoires et ne
termina sa tâche que par le Jtécès du 20 juillet 1819.
L'Autriche était entrée dans la confédération pour une
superficie de 2,017 myriamètres carrés avec une popu-
lation de 11,200,000 habitants. Ses rapports avec la
LA RÉACTION — MEtTERNICH Et SON SYSTÈME lll
Bavière furent régularisés par un traité du 14 avril
i816.
L'Autriche prit résolument la tête de cette grande
réaction absolutiste et religieuse qui sembla ramener
l'Europe dans le plein moyen-âge. Metternich — qui
fut nommé en 1821 chancelier de l'empire — se fît
l'homme de ce système de contre-révolution à l'exté-
rieur et d'oppression à l'intérieur, en donnant une cer-
taine satisfaction aux besoins matériels et en accordant
paternellement les douceurs et les bénéfices de l'engrais
à ceux qui se dépouillaient de toute virilité. Plus
homme de police qu'homme d'état, plus roué que su-
périeur, d'une facilité de conception et de coup d'œil
qu'augmentait encore sa longue expérience, mais inca-
pable de s'élever à des vues générales, Metternich n'a-
vait qu'une doctrine, celle du statu quo acharné, de la
conservation à outrance. Il s'y était butté avec l'obsti-
nation d'un esprit étroit que n'illumine aucune idée
d'avenir et qui ne dépasse jamais l'horizon des résultats
immédiats. Faire durer le plus longtemps possible l'é-
difice aux matériaux disparates construit par la bande
de monarques et de diplomates du congrès ; veiller à
son équilibre toujours menacé en éloignant les turbu-
lents de l'extérieur à coups de canon et les turbulents
de l'intérieur à coups de supplices et de police ; mettre
au nombre de ces turbulents à proscrire tous ceux
qui pensaient, tous ceux qui avaient un droit, même
le plus légitime, à revendiquer ; faire des intérêts les
plus bas, des abus les plus vieillis et des formes les
plus surannées les gardiens de la tremblante pyramide ;
la placer, soustraite à tout souffle et à toute vibration,
dans la nuit et dans le silence , tel fut tout le système
de Metternich. Il exigeait plus de ruse que de génie et
plus de poigne que d'intelligence. Ce ministre au bois
donnant savait bien qu'il y aurait un réveil, mais son
ambition se bornait à ce que le déluge vint après lui.
Kn l'attendant , il se permettait vie joyeuse et facile.
112 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Cupide et prodigue, le chancelier dépensait les gigan-
tesques subsides qu'il touchait de toutes mains, de la
Russie, de l'Angleterre, de la France, et voyait ses let-
tres de change perdre vingt-quatre pour cent sur la
place de Vienne. Il occupait de ses exploits la chro-
nique scandaleuse de la bonne ville, peu facile cepen-
dant à émouvoir en pareille matière. Le conseiller russe
Mérian l'appelait « de la poussière vernie ».
D'ailleurs tout-puissant en matière de politique exté-
rieure, il était soumis, quant à l'intérieur, à la direction
de son impérial maître. Ce féroce bonhomme, qui par-
courait sans efiPorts toute la gamme de la faiblesse à la
cruauté, tenait à gouverner lui-même; sa bête noire
était le constitutionalisme. Le mot seul de charte ou de
constitution le mettait dans un état épileptique. Aussi,
timide et hésitant dans le cours ordinaire de la vie,
devenait-il implacable dans la répression des mouve-
ments politiques menaçant même de loin son pouvoir
de droit divin. Alors il étudiait en personne, pour les
perfectionner, les plans des cachots du Spielberg et cet
épouvantable règlement du carcere duro qui imposait
la famine aux prisonniers. Il est vrai que le bigot sou-
verain ajoutait : « C'est dans l'intérêt de leur améliora-
tion, pour le remède de leur âme. » Il craignait ses
frères, le Palatin Joseph, le grand capitaine Charles et
surtout cet archiduc Jean, le vaincu de Hohenlinden,
auquel il défendit de mettre les pieds dans le Tyrol. Il
brisait ses favoris avec une parfaite indifférence, tel
que le docteur StifPt, et se montrait peu sensible au
sort de ceux qui mouraient pour lui, tel qu'André
Hofer.
Les peuples autrichiens favorisaient d'ailleurs, par
leur indolence, le système du despotisme paternel; au-
cun esprit général ne planait sur cette marquetterie
d'états. Chacun dans sa petite province — surtout dans
les états héréditaires — vivait naïvement sous la tutelle
acceptée de l'administration et de l'église. L'immense
PART DE FRANÇOIS AU GOUVERNEMENT H3
mouvement de la Révolution n'avait même pas efûeuré
ces esprits brisés au joug, Metternich prétendait que
Joseph avait inoculé la révolution à rAutriche : ces
sujets modèles ne sortaient de leur routine bourgeoise-
ment idyllique que pour se faire tuer avec une résigna-
tion moutonnière sur les champs de bataille de l'Europe.
La fureur de réaction, datée de 1815, les trouva parfai-
tement préparés, et la centralisation, sublimée et quin-
tessenciée par une prodigieuse bureaucratie, ne rencontra
aucune résistance.
Une réglementation minutieuse, sans cesse perfec-
tionnée à Vienne dans les collèges auliques de chaque
département ministériel, prévoyait tous les cas. Si par
hasard se présentait une affaire imprévue, les fonction-
naires, privés de toute initiative, devaient demander à
Vienne de nouvelles instructions. Tout aboutissait à
l'empereur qui, ne pouvant tout examiner ni tout ré-
soudre, remettait les dossiers à des conseillers arbitrai-
rement choisis, si bien qu'on avait le despotisme sans
l'unité. Les employés, mal payés à cause de leur nom-
bre, routiniers, insolents, vénaux et incapables, pesaient
sur les administrés de tout le poids d'une écrasante
hiérarchie. On publiait, à l'usage de ces administrés,
de petits manuels de servitude où l'on développait le
thème que l'empereur était maître absolu de la vie et
des biens de ses sujets.
Les diètes provinciales subsistaient, sauf à Goritz, en
Istrie et en Dalmatie. On les avait successivement réta-
blies, en 1816, dans le Tyrol et dans le Vorarlberg,
en 1817 en Gallicie, en 1818 dans la Garniole, en 1828
dans le cercle de Saltzbourg. Mais, sur bien des points,
elles ne subsistaient qu'en principe. La diète hon-
groise reste quatorze ans sans être convoquée (1811-
1825). On avait distribué aux soldats magyars des mé-
dailles fabriquées avec le bronze des canons pris sur
l'ennemi et portant pour légende : Europa liberlati
asserta. Ges fanatiques instruments du despotisme en
114 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
comprirent vite le mensonge. Les Etats de Transylvanie
ne furent pas réunis pendant vingt-trois ans (1811-1834).
Là où les diètes étaient convoquées, elles n'avaient qu'à
enregistrer les mesures relatives à la levée des recrues
et à la perception des impôts, ou à s'occuper de la
police rurale. La noblesse et le clergé possédaient seuls
des terres donnant des voix à la diète. Ainsi, en 1819,
dans la Styrie, les propriétaires roturiers de quatre-
vingts terres seigneuriales demandèrent vainement le
droit de représentation. On s'opposait, autant que pos-
sible, à ce que les villes fussent représentées : il n'y en
avait aucune en Silésie, une seule en Gallicie, quatre en
Bohème; les sept villes de Moravie n'avaient qu'une
voix collective. Les diètes avaient bien le droit de
pétition, mais on les engageait vivement à ne pas en
user, et on témoignait toute l'irritation impériale aux
états de Styrie et de Garniole qui avaient osé péti-
tionner en 1817 et en 1818.
La noblesse n'avait aucun privilège administratif,
constitutionnel ou politique. Très-nombreuse, elle pos-
sédait presque tout le sol et presque tout le numéraire ;
elle occupait toutes les hautes fonctions civiles et mili-
taires. Ses fils, pleins de morgue, avaient leurs bancs
séparés dans les universités. De mœurs faciles , elle
se livrait volontiers au jeu et aux femmes. Dans .la
molle Taïti \iennoise, le nombre des naissances illégi-
times égalait presque celui des naissances légitimes.
« Notre existence, disait un noble, est un sommeil
comme celui des animaux hivernants. » La noblesse
n'en conservait pas moins ses vassaux corvéables et ses
justices patrimoniales, contre lesquelles ne luttaient pas
toujours avec succès les bailliages des cercles.
Cet étouffant despotisme ne voulait rien laisser en
dehors de lui : tout en s 'alliant avec l'église, il la sur-
veillait et la contenait. En échange des privilèges qu'il
lui accordait, il fallait qu'elle aussi se fît instrument de
règne : on voulait changer les évoques en fonction-
ÉTAT RELIGIEUX DE L*AUTRIGHE 115
naires. En Italie, le pape, de par la maxime ultramon*
laine : tout ou rien, n'était pas éloigné de considérer
François comme le successeur de Joseph. On arriva même
en 1816 à une rupture complète et ce ne fut que le
30 septembre 1817 que le Saint-Père consentit à donner
rinvestiture aux évoques vénitiens ; il y eut même, en
1818, d'aigres propos échangés dans une audience entre
l'empereur et le nonce. Malgré un voyage de François à
Rome en 1819, un décret de la chancellerie aulique mit
en surveillance les biens du clergé et les legs. Ce fut
même vainement que, de 1833 à 1834, on essaya de
conclure un concordat. Mais la religion était ardem*
ment protégée. En 1814, les couvents avaient été ré'
tablis dans tout le Tyrol : en 1816, on avait accordé
d'énormes réductions d'impôts aux Piaristes, aux Gapu«
cins et aux Franciscains : les pèlerinages se multipliaient
(il y en avait cent soixante-dix dans le seul Tyrol). Les
livres étaient rigoureusement censurés au point de vue
de l'orthodoxie. La cour prenait une large part aux
cérémonies religieuses. Les jésuites étaient favorisés.
Mais on était surtout agréable à l'église par les per-
sécutions contre les dissidents et par l'organisation de
l'instruction publique. Les protestants étaient soumis à
d'intolérables petites vexations qui les frappaient dans
chaque acte de leur vie. On mettait des présidents
catholiques à la tête de leurs consistoires. On les obli-
geait à payer un droit d'étole au curé, à publier leurs
bans dans les églises catholiques, à admettre les curés
au chevet des moribonds. Us ne pouvaient, sans avoir
obtenu une dispense, acheter terres ou maisons, obtenir
droit de maîtrise ou de bourgeoisie, être investis de
fonctions civiles. S'ils voulaient entrer à l'Académie
militaire de Wienerisch-Neustadt, ils devaient abjurer.
Les conversions du catholicisme au protestantisme étaient
au contraire rendues impossibles. Dans le Tyrol, en 1834,
les habitants de Zillerthal s'étaient convertis au protes-
tantisme ; le gouvernement leur donna le choix de ren-
116 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
trer au giron de l'église ou d'émigrer en Transylvanie :
quatre cents s'échappèrent et se réfugièrent en Prusse.
C'est principalement en matière d'instruction pu-
blique qu'on s'était arrangé de façon qu'à tous les
degrés l'enseignement restât absolument catholique et
absolutiste. La commission aulique des études prodi-
guait les règlements les plus minutieux où tout était
prévu, jusqu'à l'attitude des enfants à la garde-robe
(lois scolaires du 30 octobre 1812). Les professeurs de-
vaient se confesser et pratiquer : l'avancement dépen-
dait du certificat de religion délivré par le catéchiste.
On contrôlait leurs lectures personnelles, ils ne pou-
vaient prendre que certains livres dans les bibliothèques
universitaires (règlement du 8 juillet 1821). Le clergé
surveillait souverainement les écoles, les gymnases et
les universités. Les couvents et les collégiales avaient
pleine liberté de fonder des maisons d'éducation. Les
sciences étaient bannies, l'histoire et la géographie
réduites au minimum. Il ne fallait pas qu'un si bel état
de choses fût troublé par des souffles pestilentiels qui
pouvaient venir de l'étranger. Des décrets de 1817,
1819, 1830, enlevèrent successivement aux étudiants
des diverses provinces, la possibilité de fréquenter les
universités étrangères. On était obligé de demander à
la police l'autorisation , révocable tous les six ans,
d'avoir des professeurs privés, et ceux-ci s'engageaient
à ne se servir que des livres autorisés. On n'admettait
pas, dans les gymnases, d'élèves étrangers âgés de plus
de dix ans.
La censure complétait cette muraille de Chine et
achevait ce blocus intellectuel. Tout ouvrage indigène
ou étranger était ou interdit ou mutilé. Les libraires
étaient soumis à de fréquentes descentes de police. La
littérature et la philosophie agonisaient. On avait, il
est vrai, conquis Schlegel, devenu réactionnaire forcené
et prédicant d'absolutisme politique et religieux. Gentz,
Adam MuUer, l'autre Schlegel, ces émules des Bonald,
MESURES FINANCIÈRES DE 1848 147
des De Maistre et des Burke, furent attirés à Vienne.
Pilât d'Augsbourg alla y rédiger V Observateur autrichien
{Œsterr Beobackter), organe du système. On ne permet-
tait pleinement que Texercice de la musique instru-
mentale.
La situation matérielle était-elle bonne au moins?
Loin de là. Nous avons raconté la célèbre quasi-banque-
route de 4811 à laquelle avait présidé le ministre Wallis.
Nous avons vu que la commission chargée d'émettre le
nouveau papier qui devait remplacer les 160 millions de
vieux papier, s'était engagée par serment à ne pas
émettre pour plus de 212 millions de florins de ce nou-
veau papier, le tout en attendant le rétablissement de
la circulation métallique. Or, non-seulement la circula-
tion métallique ne fut pas rétablie, mais les 212 millions
furent promptement portés à 466. Pour retirer ce papier-
monnaie, on se livra à une suite de compensations, de
combinaisons avec service d'intérêts énormes (notam-
ment patente du !•' avril 1818), qui pesèrent de plus
en plus lourdement sur les finances. Ces retraits s'opé-
raient à l'aide d'emprunts avec primes, loteries, etc.,
qui atteignaient à la fin du règne de François le chiffre
de 567 millions et demi de florins. En 1816, on fonda la
banque de Vienne qu'on dota de privilèges considérables.
Ses commencements furent pénibles et sur ses 100,000
actions de 500 florins, 56,621 seulement trouvèrent
d'abord preneur. Mais elle ne tarda pas à se développer,
si bien qu'en 1840 ses actions valaient 1885 florins. Elle
favorisait encore plus l*agiotage que le commerce et
l'industrie ; aussi Vienne devient déjà à cette époque la
capitale des boursiers, l'Eldorado des spéculateurs. Les
loteries d'état, la mise en loterie de nombreuses pro-
priétés foncières stimulaient encore cette ardeur spécu-
latrice. Gervinus met avec raison à Vienne le point de
départ de cette aristocratie d'argent, de cette interna-
tionale banquière qui administre comme un domaine l'en-
semble de la dette pubUque européenne et qu'on a vue
7.
118 HISTOIRE DE L' AUTRICHE
slntéresser d'autant plus à rintégrité de TAutriche que
TAutriche fournit à ce domaine le plus gros contingent.
Les travaux publics furent passablement favorisés.
On ouvrit des canaux en Hongrie et en Lombardie. En
1848 on régularisa le cours du Dniester. En 1821 on
abolit les péages et privilèges sur TElbe. On construisit
les routes célèbres de Stelvio et du Splûgen. Mais le
commerce et l'industrie étaient paralysés par les lignes
de douanes entre les provinces de la monarchie ; elles
ne furent abolies qu'en 1826 et 1827. La patente sur les
douanes de 1810 si rigoureuse ne fut réformée qu'en
1836 : le système prohibitif était appliqué à outrance.
Trieste était le seul port qui fît un commerce un peu
actif, car Venise n'était pas utilisée, même pour la
marine de guerre. En 1833 fut fondée à Trieste par un
particulier du Bas-Rhin cette grande société qui reçut
le nom de Uoyd autrichien : destinée d'abord à procurer
aux compagnies d'assurances maritimes les renseigne-
ments intéressant le commerce et la navigation à l'aide
d'agents entretenus dans tous les ports, elle ouvrit avec
toutes les échelles du Levant des lignes de bateaux à
vapeur dont la première, celle de Gonstantinople, fut
inaugurée en 1837. Mais on ne fit rien pour mobiliser
la propriété foncière. La corvée ou Robot était mainte-
nue, sauf une réforme partielle en 1819 dans la Tran-
sylvanie. Aussi l'agriculture restait-elle stationnaire. Il
y avait moins de bestiaux en 1837 qu'en 1805. Malgré
le cadastre qui fut terminé vers la fin du règne de
François, la contribution foncière restait énorme. Les
marais envahirent la Hongrie.
L'armée, aristocratiquement commandée, offrait le
plus parfait spécimen de l'application de l'axiome des
Habsbourgs : diviser pour régner. Les régiments hon-
grois gardaient l'Italie, les régiments italiens laGallicîe,
les Polonais l'Autriche, les Autrichiens la Hongrie. Elle
devenait ainsi un instrument perfectionné de compres-
sion intérieure.
L'ITALIE AUTRICHIENNE ; POLICE 119
Tel fat Tensemble du gouvernement autrichien sous
les règnes de François I« et de Ferdinand son succes-
seur. Il pesa surtout sur les deux provinces où l'esprit
national était le plus énergique : le royaume Lombard-
Vénitien et la Hongrie.
Avant la Révolution, rAutriche n'avait en Italie que
le Milanais séparé de ses états héréditaires par les évê-
chés libres de Trente et de Brixen et par la république
de Venise et la Valteline. Les traités de Vienne lui
avaient donné ce magnifique royaume Lombard-Vénitien
avec ses cinq millions d'habitants et ses quatre-vingt
millions de revenu : entourée de principautés vassales, te-
nant garnison à Ferrare, à Plaisance et àComacchio, elle
était la mi^tresse de la péninsule. Nous avons dit com-
ment était tombé le royaume dltalie. Dès janvier 1815,
la police autrichienne découvrait un complot formé
pour la résurrection de ce royaume par le colonel Gas-
parinetti, les généraux Leschi, Bellotti et Demeister, le
professeur Rasori, etc. : il valut à ses auteurs une con-
damnation à cinq ans de carcere duro. Ce fut comme le
signal de la réaction à outrance. L'archiduc Antoine,
nommé vice-roi et qui montra quelques velléités d'indé-
pendance, fut remplacé par l'archiduc Reinier. Celui-ci
resta docile pendant sa vice-royauté de trente ans, ne
8ongeant,comme le disait François lui-môme, qu'à faire
de l'argent. Toutes les institutions françaises furent abo-
lies. La parole du comte Lasansky : « Il faut germaniser
l'Italie » fut suivie à la lettre. On rétablit les cours spé-
ciales. Le clergé et les moines furent réintégrés dans leurs
biens et privilèges, la franc-maçonnerie supprimée, la no-
blesse remise en honneur, la conscription établie, la taxe
personnelle exigée avec une impitoyable rigueur; rien
ne manqua au programme. Mais ce fut surtout la police
qu'on poussa pour ainsi dire à l'état aigu. Un immense
réseau d'espionnage enlaça non-seulement les indigènes,
mais encore les étrangers, même les ambassadeurs et
les consuls. A Milan, Strassoldo succédait au comte Fra^
420 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
de Saurau soupçonné de libéralisme. On découvrit ou
on inventa la ligue Guelfe contre les Teutons, Gaulois et
Hyperboréens (1817), les complots de Garbonari, etc.
Tous les mouchards se surveillaient mutuellement : le
grand policier, le Tyrolien Torresani, était surveillé par
Brambilla qu'espionnait Malavasi. Sous eux tracassaient,
dénonçaient les Pachta, les Bolza, les Yillata, les Ra-
gazzi. La lecture de Fordonnance de 1826, code des
hommes de police, plonge dans la stupéfaction. Les
merveilleux tableaux de Beyle dans la Chartreuse de
Parme sont au-dessous de la réalité. Les nobles lom-
bards, qui avaient favorisé la chute de la domination
napoléonienne, réclamèrent vainement : eux-mêmes, les
Gonfalioneri, les Porro, les Arrivabene, étaient promis
aux cachots du Spielberg. Contre la Bibliothèque ita-
lienne^ revue austro-milanaise, Silvio Pellico fonda le
Conciliateur (1818), où il eut pour collaborateurs Roma-
gnosi, Gonfalonieri, Leopardi, et qui fut interdit au bout
d'une année.
Même système et même compression en Hongrie. Là
aussi la police que dirigeait de Vienne Seldnitzky com-
primait tout mouvement. Les fonctionnaires électifs des
comitats étaient de plus en plus remplacés par des fonc-
tionnaires à la nomination du gouvernement : on choi-
sissait pour comte suprême ou grand hpan l'homme le
plus dévoué au pouvoir central. Plus de diètes 1 l'empe-
reur répond en 1820 aux réclamations du comitat de
Pesth « que le monde entier, pris de folie, cherche des
constitutions imaginaires [totus mundus stultizat et ima-
ginarias quœrit constitutiones), » Les commissaires royaux
enrôlaient les hommes et levaient les impôts au mépris
de la constitution. Mais déjà grandissaient les Széchenyi,
les Deak, les Nagy, les Wesselenyi dont les efforts et
l'éloquence allaient amener la renaissance hongroise.
Pour maintenir ses provinces dans ce stabilisme
absolu, dans cette stagnation suprême, l'Autriche avait
besoin qu'il en fût de même au dehors. Nous allons la
LA SAINTE-ALLIANCE — DIÈTE GERMANIQUE 121
voir se développer dans ce rôle de gendarme de Tordre
européen, tant en Allemagne et en Italie où le contact
était plus direct, que dans le reste de l'Europe.
Le 26 septembre 1815, Alexandre, François et Frédé-
ric-Guillaume signèrent la Sainte-Alliance, pacte dont
ils avaient discuté, arrêté et rédigé en personne les
articles, sous l'inspiration d'Alexandre, inspiré lui-même
par la mystique madame de Krûdner. Le texte complet
en fut publié pour la première fois le 2 février 1816
dans le journal de Francfort. Cet attendrissant pro-
gramme avait surtout pour but de faire prévaloir les
principes du droit diAdn et du pouvoir absolu à l'aide
d'une assurance mutuelle entre souverains. S'ils s'envi-
sageaient « comme délégués par la Providence pour
gouverner trois branches d'une même famille », c'était
principalement pour maintenir ces trois branches dans
l'unité d'une même oppression. On appliqua d'abord ces
principes à l'Allemagne toute frémissante encore du
grand réveil de 1813.
La Diète germanique, malgré sa constitution vicieuse,
aurait pu donner de l'unité à ces revendications des
peuples déçus dans leurs espérances de réforme et de
vie nationale. Metternich y mit bon ordre. Dès le
5 novembre 1816, jour de sa première réunion sous
la présidence du représentant autrichien, comte de
Buol-Schauenstein (auquel succéda, en 1823, le baron
de Munch-Billinghausen), Metternich s'attacha à ren-
dre inutile le nouvel organe et à le diviser dans son
action. Avec un art infatigable, il y étouffa les af-
faires communes sous le poids des affaires particulières.
La Diète n'osa voter que la confédération serait repré-
sentée par des ambassadeurs. Elle renonça à instituer
un tribunal fédéral permanent, ne put aboutir à faire
une loi sur la presse et renvoya les pétitionnaires qui
s'adressaient à elle à leurs gouvernements respectifs.
Ses délibérations étaient entravées par la disposition
qui voulait qu'il y eût unanimité sur les questions graves :
122 HISTOIRE DE L'àUTRIGHE
on déclarait l6 20 décembre 1819 que cette unanimité
ne se produisant pas, « il fallait attendre le moment
favorable ». Les séances secrètes se multipliaient et
depuis 1820 les vacances devinrent de plus en plus fré-
quentes. Mettemich avait réussi à fausser et à stériliser
rinstitution,
L'Allemagne, se voyant encore trompée de ce c6té,
parut vouloir agir par elle-même. Le 18 octobre 1817,
cinq cents étudiants dléna, de HaUe et de Leipsig et
quelques professeurs se réunirent à la Wartbourg, le
vieux château où Luther s'était battu avec le diable
trois cents ans avant. Ils s'y grisèrent de discours inno-
cents, brûlèrent quelques écrits réactionnaires et firent
flotter le drapeau national rouge, noir et or. Metter-
nich épouvanté envoya Zichy faire une enquête à
Weimar et à léna sur ces saturnales. La révolution
allait-elle renaître en deçà du Rhin ? Déjà Nassau et
Saxe-Weimar avaient eu la faiblesse de donner une
constitution à leurs sujets. La Prusse, dès le 22 mai 1815,
avait promis une charte et des états provinciaux. Il
n'était que temps d'éteindre l'incendie. Mettemich, qui
avait rallié à sa politique le grand chancelier Harden-
berg, ne cessa, avec son concours, de présenter à Fré-
déric-Guillaume III les plus effrayants tableaux de la
démocratie débordante. Alexandre de Russie, venant à
la rescousse, fit écrire par un de ses jeunes diplomates,
Stourdza, un mémoire « sur l'état actuel de l'Allemagne»
où les mêmes dangers étaient signalés. Gentz, au signal
du ministre autrichien, brandit sa plume alarmée et
alarmiste contre la manie constitutionnelle des gou-
nements du sud. Un événement inattendu précipita les
choses. Le 23 mars 1819, l'étudiant Karl Sand assassina
à Manheim l'espion russe Kotzebue. Le l*'" juillet sui-
vant, un jeune pharmacien, Karl Loehning, tenta d'as-
sassiner à Schwalbach Von Ibell, le coryphée de la
réaction dans le Nassau. Les gouvernements furent pris
de terreur et crurent à l'existence d'une Sainte Wehme
ENTREVUE DE GARLSBAD 123
au sein des sociétés secrètes. Dans une entrevue à
Tœplitz avec le roi de Prusse et Hardenberg, Metter-
nich acheva de ramener le successeur du grand Fré-
déric dans le système autrichien. La Prusse, centre
d'attraction du protestantisme, espoir des patriotes
allemands, manquait une fois de plus Toccasion de se
poser devant sa rivale et d'ébranler à son profit le dua-
lisme.
En août 1819, François et Frédéric Guillaume, assistés
de plusieurs adhérents à la sainte alliance et de leurs
ministres, se réunirent à Garlsbad en Bohême. On pré-
para en secret les mesures anti-révolutionnaires des-
tinées à être proposées à la diète pour être converties en
lois fédérales et qui, selon Theureuse expression d'un
historien allemand, donnaient pour ainsi dire une for-
mule autrichienne à toute la vie publique de TAlle-
lûagne. Les gouvernements devaient s'engager à sur-
veiller les étudiants pour qu'ils ne formassent pas de
sociétés secrètes et les professeurs pour qu'ils ne pro-
pageassent pas de dangereuses doctrines. Les journaux
et écrits périodiques et les ouvrages de moins de vingt
feuilles d'impression étaient, astreints à la censure
préalable pendant cinq ans.Ladiète était autorisée à faire
saisir et à supprimer d'office tout écrit estimé capable
de troubler la paix publique en Allemagne. Enfin on
mslituait une commission centrale d'enquête composée
des représentants de l'Autriche, de la Prusse, de la
Bavière, du Hanovre, de Bade, de Hesse-Darmstadt
et de Nassau, chargée de rechercher et de pour-
suivre tous les affiliés aux sociétés secrètes. On n'a eu
qu'en 1844 le texte complet de ces résolutions et on
put y admirer une sorte de post-face où l'absolutisme
formulait toute une homélie contre l'esprit d'innovation
et de recherche. Les résolutions furent aussitôt transfor-
uiées en lois féodales par la diète. Un chargé de pou-
voirs, surveillant de la doctrine et de la conduite, fut
établi auprès de chaque université. La commission
124 HISTOIRE DE l'AUTRIGHE
d'enquête, vraie inquisition d*état, s'établit à Mayence.
Stein et Niebuhr protestèrent. Le ministre prussien Hum-
bold qui tenta de s'opposer fut éloigné par l'influence!
autrichienne. Mais cette influence ne put empêcher Ifll
petit Wurtemberg de faire sa constitution (22 sep-
tembre 1819), à l'imitation de la Bavière (26 mai 1818)
et du grand-duché de Bade (22 août 1818), voie où ne
tarda pas à le suivre la Hesse-Darmstadt (1820) . Jj'acte
final du congrès de Vienne, promulgué par la diète le
15 mai 1820, compléta dignement les résolutions de
Garlsbad. Les articles 57 et 58 déclarèrent que les cons-
titutions ne pouvaient porter atteinte aux pouvoirs de
la souveraineté qui « restent réunis dans le chef su-
prême du gouvernement » et que la publicité des débats
des chambres devait être bornée de façon à ne pas
mettre en péril la tranquillité de l'Allemagne. Les arti-
cles 15 et 16 reconnaissaient le droit d'intervention
dans le cas de révolte intérieure menaçant la sécurité
des autres états : ces dispositions supprimaient l'indé-
pendance des petits états et donnaient la police de l'Al-
lemagne à l'Autriche et à la Prusse.
On avait éteint l'incendie dans le monde germanique,
mais il se réveillait plus intense dans le monde latin.
L'Amérique espagnole se soulevait contre la domination
de la métropole. Le 1*' janvier 182Ô, Riego avait pro-
clamé dans l'ile de Léon la constitution des Gortès et
donné le signal de la révolution d'Espagne. Cette révo-
lution elle-même avait suscité au mois de juillet sui-
vant la révolution de Naples dont Guillaume Pepé se
faisait le chef militaire. Le roi de Naples et son fils, le
duc de Galabre, vicaire-général, prêtèrent serment à une
constitution à l'espagnole et convoquèrent un parlement.
Le Lombard-Vénitien frémissant, travaillé par la char-
bonnerie, se tourna vers le Piémont où un membre de
la famille royale, le prince de Savoie-Carignan (qui fut
plus tard Charles-Albert), paraissait rallié aux idées nou-
velles. Les principautés danubiennes s'agitaient. Un vent
CONGRÈS DE TROPPAU ET DB LAYBACH 125
de démagogie semblait souffler de Valparaiso àBucharest
et, chose grave qui effrayait plus que les autres la sainte
alliance, l'élément militaire entrait en scène et appuyait
les révolutions de ses baïonnettes : il fallut aviser au
plus vite.
Dès le 4 février 1820, le Czar proclama le principe
d'intervention au nom de la garantie mutuelle des
souverains, principe qui fut encore plus énergiquement
posé dans une dépèche du 3 mars adressée au comte
de Lieven. Metternich déploya une furieuse activité : il
concentra des troupes dans la Lombardie, lança la
police sur toutes les pistes et fit arrêter par fournées
nombre de patriotes, Munari, Oroboni, Villa, Maron-
celli, et, le 13 octobre, Silvio Pellico. Le Czar proposa
un congrès de princes qui s'ouvrit à Troppau en Silésie,
malgré les protestations du ministre anglais Gastlereagh
contre le nouveau Pilnitz. Un protocole fut dressé le
19 novembre et une circulaire au nom de l'Autriche,
de la Russie et de la Prusse, adressée le 8 décembre à
toutes les puissances. La sainte alliance y était renou-
velée sôus le nom de : « centre de l'union des états
européens », et le principe d'intervention établi « contre
la rébellion et la crise des sujets. » On annonçait en
même temps que le congrès serait transféré à Laybach
en Gamiole pour permettre au roi de Naples de s'y
présenter. Les petits états allemands tremblèrent et
la Bavière, le Wurtemberg et Bade songèrent un ins-
tant à un contre-congrès à Wûrzbourg. Tout en refu-
sant de prendre part aux délibérations de Laybach
comme à celles de Troppau, Gastlereagh n'en laissait
pas moins, par sa note du 19 janvier 1821, à l'extrême
indignation des whigs, carte blanche à la coalition. Le
congrès s'ouvrit à Laybach le 26 janvier. Le premier acte
du roi de Naples fut d'y violer joyeusement son ser-
ment constitutionnel et d'adresser à ses sujets une som-
mation de rentrer dans le devoir. Le 5 février, le général
Primont franchit le Pô à la tète de quarante mUle Au-
126 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
trichiens, précédé^d'un manifeste annonçant que, s'iL le
fallait, Tempereur de Russie joindr^t ses guerriers à
ceux de son frère d'Autriche.
A cette nouvelle, l'insurrection, depuis longtemps
préparée, éclata dans le Piémont, à Alexandrie, à Asti,
àPignerol, dirigée par les comtes Palma, Lisio etSanta-
Rosa et avec la connivence hésitante du prince de Ga-
rignan, dont la sœur avait épousé le vice-roi Reinier.
Turin tomba aux mains des révoltés qui sommèrent le
roi Victor-Emmanuel d'accepter la constitution. Celui-
ci aima mieux abdiquer en faveur de son frère Charles-
Félix dévoué aux Autrichiens. Le prince de Garignan
prit la régence, proclama la constitution et institua une
junte. Mais arrivèrent de Naples des nouvelles déplo-
rables. Le Parlement n'avait rien su faire et Pepé avait
vu son armée s'enfuir à Rieti au premier choc de l'a-,
vant-garde autrichienne (7 mars 1821). L'armée de Ca-
rascosa n'eut pas meilleure attitude et les Autrichiens
marchèrent librement sur Naples où le Parlement se
dispersa après une vaine protestation et où ils entrèrent
le 23 mars. « Si la nouvelle de cette défaite sans luttes
se confirme, s'écria Thomas Moore, le macaroni a perdu
toute vertu I » Le prince de Garignan se démit de la
régence dès le 21 mars et se sauva dans le camp autri-
chien. Les deux révolutions n'avaient su se prêter aucun
appui mutuel. L'armée austro-piémontaise commandée
par Latour et par Bubna défit à Novare le 9 avril l'ar-
mée constitutionnelle, à ce même Novare où le même
prince de Garignan, devenu le roi Charles-Albert, de-
vait, vingt-sept ans plus tard, perdre sa couronne sous
le choc des armes autrichiennes. Le 18 avril Turin ouvrit
ses portes. En vertu d'une convention du 24 juillet 1821,
12,000 Autrichiens occupèrent le Piémont et 42,000 au-
tres les Deux-Siciles. « Voilà ce que c'est qu'une révo-
lution qu'on prend à temps, » dit triomphalement Met-
ternich au Gzar. Les puissances réunies à Laybach dé-
courageaient en même temps la révolution grecque
CONGRES DE VÉRONE 127
dTpsilanti dans les principautés danubiennes, et celui-
ci, réfugié en Transylvanie, était jeté par rAutriche dans
une dure captivité de six ans et demi qu'il subit à
Moungacz et à Theresienstadt. Le 12 mai, le congrès de
Laybach se sépara après avoir publié une hautaine dé-
claration due à la plume de Pozzo di Borgo.
Le succès encourage. Troppau et Laybach avaient si
bien réussi qu'on songea à un nouveau congrès. Metter-
nich désirait même que llnstitution de ces congrès de-
vînt régulière et que la Sainte-Alliance tînt périodique-
ment ces assises de l'absolutisme, dont les armées du
Nord feraient exécuter les décrets dans toute l'Europe.
A la suite de conférences préparatoires tenues à Vienne
par les ministres, Vérone fut désigné comme lieu de
réttûion du congrès qui s'ouvrit en octobre 1822. Le
Gzar, l'empereur d'Autriche, le roi de Prusse, les rois
des Deux-Siciles et de Sardaigne, les petits princes ita-
liens y assistèrent, ainsi que Metternich, Wellington,
Nesselrode, Haxdenberg, Bernstorf, Pozzo di Borgo ; la
France y était représentée par le duc de Montmorency
et par le vicomte de Chateaubriand. Le baron de Roths-
child y jouait, du haut de ses millions, un rôle impor-
tant. Metternich conduisait tout et Gentz tenait la plume.
Oa devait d'abord s'occuper des affaires italiennes, mais
celles d'Espagne prirent la place principale. Metternich
s efforça d'éviter une action séparée de la France dans
ces affaires et tenta de substikier l'offensive européenne
^ celle des armées de Louis XVIIL Mais il céda et la
France eut l'honneur d'être autorisée à se faire le gen-
darme de la Sainte-Alliance contre la révolution espa-
gnole. Le grand chanceUer de l'empire des Habsbourgs
l^onnait : non-seulement François, mais le Gzar et
^déric-Guillaume subissaient son influence : il avait
pu renverser Humbold à Berlin et Kapodistrias à Saint-
Pétersbourg et il espérait renverser Ganning à Londres.
|1 entassait mémoires sur mémoires pour formuler la
^^orie de plus en plus complète du droit divin et de la
128 HISTOIRE DB L'àUTRIGHE
politique d'intervention. Il signalait à Tindignation des
souverains du congrès les constitutions « démocratiques
et quasi révolutionnaires » accordées par les gouverne-
ments de l'Allemagne du Sud, notamment par le Wur-
temberg. Ce fut même à son instigation qu'à Mitten-
wald le Gzar adressa de violents reproches sur ses con-
cessions au roi de Wurtemberg, qui répondit par une
dépêche si insultante pour la .Sainte-Alliance (janvier
1823) qu'il fut question de le mettre au ban de l'empire.
Metternich — et par conséquent l'Autriche — se mon-
trait ainsi l'âme de la réaction universelle et se voyait
sur le point d'imposer à l'Allemagne et à l'Europe en-
tière le régime de force et de silence qu'elle imposait
elle-même à ses sujets. La Prusse protestante, la Prusse
espoir des patriotes, désertant son rôle, gravitait hum-
blement dans l'orbite de la grande puissance catholico-
latine.
Le congrès de Vérone décida le 2 décembre 1822 l'é-
vacuation du Piémont par les Autrichiens. Le 13 dé-
cembre, il recommanda aux princes italiens par une
note « de travailler à la formation d'esprits tranquilles. »
L'effectif du corps d'occupation de Naples fut réduit. Le
congrès s'occupa accessoirement du litige entre la Rus-
sie et la Turquie et fit présenter au sultan par l'ambas-
sadeur anglais lord Strangfort un ultimatum où était ré-
clamée l'exécution exacte du traité de Bucharest en 1812.
Mais il refusa de recevoir les députés des Grecs insurgés
débarqués à Ancône.
Cette série de congrès, après avoir comprimé les mou-
vements constitutionnels des deux péninsules, donna
naturellement le signal de ces réactions sanglantes fa-
milières aux conservateurs, quand leur première peur
est calmée et pendant lesquelles ils se livrent patiem-
ment et froidement à une suite de quatre-vingt-treize
perfectionnés. Sous les inspirations de l'Autriche, le sang
coula à flots dans le Piémont où tous les chefs du mou-
vement dont on put s'emparer portèrent leur tète sur
U RÉACTION — LES PRISONNIERS DU 8PIELBERG 129
l'échafand. La défection du prince de Garignan n'empê-
; eha pas Metternich de chercher, dans des négociations
qui n'ont jamais été bien élucidées, à lui enlever son
droit de succession. À Naples, la répression dirigée par ce
bourreau qui a nom Ganosa, prit des proportions insen-
sées. Seize mille individus furent en quelques jours jetés
dans les prisons. Un an après, en 1822, on pendait et
on exécutait encore, car il est à remarquer que les ran-
cunes du despotisme durent volontiers. L'Autriche elle-
même fut obligée de faire des représentations à Fer-
dinand.
Elle avait d'ailleurs pour son compte institué à Milan une
commission chargée de rechercher les rapports qui avaient
existé entre les conspirateurs piémontais et les conspi-
rateurs lombards. Les patriotes arrêtés furent livrés à un
tribunal extraordinaire siégeant à Venise et qui, neuf et
dix mois après les événements, les condamna à mort,
peine qui fût commuée en carcere duro à perpétuité ou
à temps (Gonfalioneri à perpétuité, MaroncelU à vingt
ftns, Silvio Pellico à quinze, etc.). Le Spielberg, la si-
nistre forteresse voisine de Bninn en Moravie, reçut ces
fîis de lltalie, après une exposition publique subie à
Venise. Le livre de Pellico, ce livre dont on admirerait
Ift résignation si elle n'allait pas si souvent jusqu'à la
lâcheté, a appris au monde quel traitement ils y subi-
rent. Couchés sur la planche, les fers aux pieds, su-
bissant trois perquisitions par jour, ne se promenant
qu'une heure entre deux soldats le fusil à l'épaule, ils
soufiFraient les tourments de la faim et de l'isolement
absolu, privés de toutes nouveUes du monde extérieur.
L*un d'eux, Villa, mourut littéralement de faim. Oro-
boni le suivit de près. MaroncelU dut subir l'amputation
d'une jambe. L'empereur François se faisait rendre un
compte minutieux de l'existence des prisonniers, con-
trôlait les rapports sur des plans de chaque cachot et
tenait la main aux rigueurs ingénieuses et multipUées,
ce qui n'empêche pas une foule d'historiens d'assurer
130 filSTOIRr DE L'AUTRICHE
que c'était un excellent homme, un père non-seulement
pour sa famille, mais pour ses fortunés sujets.
La police fut encore perfectionnée et multiplia ses es-
pions et ses sbires sur toute la surface de la Lombardo-
Vénétie. Chacun apprit à se méfier de son voisin ; les
hommes influents reçurent défense de voyager. La bu-
reaucratie devint plus tracassière et accomplit ce mi-
racle de se surpasser elle-même. Les princes italiens
méritèrent les félicitations de TAutriche en se surpas-
sant aussi eux-mêmes. La palme appartint au pape
Léon XII qui, flanqué des cardinaux Pallotta et Riva-
rola, pendit, guillotina, fusilla et envoya aux galères ses
sujets avec une grandiose prodigalité. Ainsi, à Faenza,
en un an à peiné, son Éminence Rivarola condamna
cinq cent huit personnes, dont deux prêtres et trente-
huit militaires.
Metternich, mis en goût et qui avait obtenu de la
diète la prolongation des lois fédérales et la restric-
tion de la publicité des débats parlementaires, fit en
mars 1825 un voyage à Paris auquel on donna pour
objet une demande de suppression de la tribune fran-
çaise. Un des plus éclatants orateurs de cette tri-
bune, le général Poy, se fit même l'écho de ces craintes
mal réfutées par le président du Conseili Metternich
Voulait aussi obtenir l'adhésion de la France à l'idée
d'un nouveau congrès à Milan où Ton examinerait les
aff'aires d'Italie, de Grèce et des colonies espagnoles. Il
échoua. Pour s'en consoler, François fît la même année,
avec toute sa famille, un solennel voyage en Italie. Il fut
reçu le 9 mai à Milan par les princes italiens, et séjourna
à Venise du 26 juillet au 11 août, mais la Lombardo-
Vénétie ne retira aucun bénéfice de sa présence.
Avant d'aborder les afî'aires de Hongrie, nous conti-
nuerons de suivre dans ses diverses manifestations la
politique extérieure de l'Autriche, tant dans les affaires
d'Orient que dans celles d'Allemagne, d'Italie et de l'Eu-
rope occidentale.
AFFAIRES d'orient — NICOLAS 131
Malgré son intimité avec la Russie, TAutriche avait
un intérêt trop direct aux affaires turques pour ne pas
suivre avec vigilance les relations de la Russie et de la
Porte. Par le traité de Bucharest du 28 mai 1812, la
Porte avait cédé à la Russie toute la portion de la Mol-
davie au-delà du Pruth et la Bessarabie. L'insurrection
grecque d'Ypsilanti en Moldavie , bien que vivement
désavouée par le Czar, n'en fut pas moins crue inspirée
par la Russie, et le soulèvement général de la Grèce
en 1821 attribué pour une bonne part à la même in-
fluence. La Russie avait en effet tout intérêt à affaiblir
la Turquie pour hâter son morcellement et s'ouvrir
cette Méditerranée tant convoitée. Les inquiétudes de
l'Autriche étaient vivement éveillées. Aussi, quand une
nouvelle guerre menaça d'éclater- entre les Turcs et les
Russes, elle s'empressia d'interposer ses bons offices,
Alexandre et François traitèrent la question ensemble
à l'entrevue de Czernovich (octobre 1823) et MM» de
Nesselrode et de Metternich eurent de longues confé-
rences à Lemberg. Les Turcs consentirent à évacuer
la Moldo-Valachie, Alexandre sacrifia les Grecs, et l'Au-
triche put s'applaudir du succès de ses efforts. Les deux
ennemis se réconcilièrent même trop au gré de la di-
plomatie autrichienne, car la convention d*Akjerman
signée entre la Porte et la Russie le 6 octobre 1826
donnait de grands avantages à la Russie : on lui con-
cédait la libre navigation de la mer Noire. La Moldo-
Valachie et la Servie, réorganisées, étaient placées sous
son influence. A Alexandre mort en 1825, avait succédé
Nicolas, beaucoup moins maniable et sur lequel Met-
ternich n'avait aucune action. Le nouveau czar favorisa
l'insurrection grecque et parvint à rallier à lui la France
où les sympathies philhellènes étaient si vives et, chose
plus difficile, l'Angleterre qui était partagée entre son
désir de protéger la Grèce et celui de ne pas trop affai-
blir la Turquie. Metternich n'en montra que plus d'a-
version pour la cause des Grecs. Il fut surpris par le
132 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
traité du 6 juillet 1827 entre la Russie, rAngleterre et
la France, qui stipulait Tindépendance de la Grèce et
qui eut pour corollaire cette bataille de Navarin où la
flotte ottomane succomba. Ce fut bien pire quand la
Russie, Tannée suivante, se fondant sur ce que la Porte
n'exécutait pas les conditions de la convention d'Ak-
jerman, fit passer le Pruth à son armée. La guerre
aboutit à la paix signée le 14 septembre 1829 à Andri-
nople. Cette paix donnait les embouchures du Danube
à la Russie, régularisait avantageusement ses frontières
et lui permettait le libre commerce de la mer Noire
et de la Méditerranée. La Serbie, la Moldavie, la Vala-
chie reçurent des constitutions indépendantes garanties
et protégées par la Russie. L'indépendance de la Grèce
fut reconnue. Désormais la Russie allait avoir le rôle
prépondérant dans la question d'Orient ouverte en toute
sa grandeur ; les flots du panslavisme battaient les fron-
tières de TAutriche. Aussi, malgré le savoir-faire de
Metternich, Talliance si intime des cours du Nord ne
subsista plus qu'avec des intermittences et seulement
quand un grand intérêt commun les réunissait.
CHAPITRE IV
La réyolution de 1830. — Insurrectioii des Romagnes. — Insur-
rection de Pologne. — Agitation en Allemagne. — Résolutions
de Vienne. — Hongrie : Diète de 1825 et renaissance. — Diète
• de 1832. — Mort de François. — Ferdinand !•'. — Les Ban-
diera. — Pie IX. — Affaires turques de 1840. — ÉTénements
de Gallicie. — Cracovie.
La révolution de 1830, qui amenait à sa suite celles
de Belgique et de Pologne, sans exercer d'influence
dans l'intérieur même de l'Autriche , lui inspira des
craintes violentes pour lltalie et pour la Gallicie. Des
360,000 hommes de son armée, elle en envoya 80,000
en Italie et 40,000. aux frontières de la Pologne russe.
Charles-Albert était monté sur le trône de Piémont ,
Ferdinand II sur celui de Naples ; Grégoire XVI occu-
pait le Saint-Siège. L'insurrection italienne, pleine d'es-
poir dans le concours du gouvernement français, éclata
le 3 février 1831 à Modène, le 4 à Bologne et dans les
Légations, le 10 à Parme que Marie-Louise dut aban-
donner, le 17 à Ancône. L'Ombrie suivit le mouvement.
Le 4 mars, les députés de toutes les villes soulevées se
réunirent à Bologne et proclamèrent le Statut constt^
tutionnel provisoire des provinces unies italiennes. Mais
ce trop sage gouvernement révolutionnaire, craignant
de donner un prétexte d'invasion aux Autrichiens,
▲SSELINB. 8
434 HIStOIRE DE L* AUTRICHE
comme si les Autrichiens ne devaient pas envahir
quand même, défendit la propagande en Lomhardie-
Vénétie. En même temps Louis-Philippe, uniquement
préoccupé d'entrer dans ce qu'on appelait le concert
européen, faisait disperser les rassemblements de réfu-
giés qui menaçaient la Savoie et empêchait Pepe de
s'embarquer pour Naples. Les Autrichiens avaient le
champ libre : du 1*"^ au 3 mars, ils passèrent le Pô sous
le commandement de Frimont et les Modénais, écrasés
le 5 à Novi, furent livrés à l'effroyable réaction de leur
duc. Le 10 mars ils entrèrent à Bologne et battirent à
Rimini l'arrière-garde de l'armée du gouvernement,
dont les membres s'étaient réfugiés à Ancône. Geux-ci
signèrent avec le cardinal Benvenuti une capitulation
que les Autrichiens s'empressèrent de violer, et au mé^
pris de laquelle ils capturèrent le bâtiment VIsola qui
portait les réfugiés d'Ancône : on les jeta sousles plombs
de Venise. Le gouvernement pontifical se livra à une
telle fureur de vengeance que les cinq puissances, sur
l'initiative de la France, lui adressèrent un Mémo-
randum. Il fit des promesses, mais après le départ en
juillet des troupes autrichiennes, il redoubla et força
de nouveau à se soulever ses malheureux sujets qu'il
massacra à Gésène, à Porli et à Ravenne (1832)* Les
Autrichiens en prirent occasion de réoccuper Bologne
(28 janvier). Le gouvernement français leur riposta en
prenant et en occupant Ancône (22 février) qu'il garda
jusqu'en 1838.
Le seul résultat de l'insurrection des Romagnes fut
un redoublement d'oppression pour les malheureu:ft
Lombards-Vénitiens. On remplit de troupes leur paya
ainsi que le Tyrol. On défendit la représentation des
pièces les plus innocentes. On interdit aux paysans le
port des faulx, faucilles et serpes. François rétablit
une disposition proscrite par Marie-Thérèse et par
Joseph, à savoir que la preuve par simple indice suffi-
sait à former preuve légale et à justifier la peine de
MAZZim — INSURRECTION DE LA POLOGNE 135
mort. Les conspirateurs italiens, abandonnant alors le
stérile libéralisme constitutionnel des carbonari, ne
virent plus de salut que dans la République. Mazzini
fonda à Marseille en 1832, aidé de quelques réfugiés, le
journal la Jeune Italie^ qui prêchait l'unité républicaine
de ritalle avec la confuse devise : Dieu et le Peuple.
Le journal était doublé de deux sociétés secrètes : la
Jeune Italie et la Jeune Europe. En 1834 le moment
parut favorable à Mazzini pour un soulèvement général.
L'année précédente, la féroce répression des complots
tramés par les fils du général Roussaroll et par le che-
valier Ricci, qui avait fait couler des flots de sang à
Naples, en Piémont, à Modène et de nouveau peuplé
le Spielberg, avait laissé les esprits exaspérés. Mazzini
et Ramorino partirent de Genève pour essayer de sou-
lever la Savoie et le Piémont. A Annemasse, ils n'a-
vaient pu réunir encore que huit cents hommes. Ramo-
rino s'enfuit, la petite bande fut écrasée, et Mazzini
parvint à regagner, au milieu de mille périls, la Suisse,
qu'il fut obligé de quitter pour l'Angleterre sur les ré-
clamations de l'Autriche. Le Piémont gravitait alors
complètement dans l'orbite des Habsbourg. En janvier
1831 , l'héritier présomptif d'Autriche avait épousé
Marie-Anne, sœur du roi de Sardaigne Charles-Félix.
L'insurrection de Pologne éclata à Varsovie le 29 no-
vembre 1830. On sait comment l'aristocratie, qui prit
d'abord la direction des affaires dans la personne des
Czartoryski, des Lubecki et des Chlopicki, fit perdre un
temps irréparable en négociations avec Nicolas dont le
seul effet fut de permettre à la Russie, d'abord surprise,
de s'armer. On sait aussi comment, malgré des miracles
de bravoure et d'enthousiasme, les divisions des partis,
les brusques changements de commandement, l'esprit
de cajste amenèrent la défaite de l'insurrection, et le
8 septembre 1831 la capitulation de Varsovie, où les
Russes « firent régner l'ordre ». L'Autriche, pendant
toute la durée de l'insurrection, affecta de garder une
136 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
exacte neutralité. Elle établit aux frontières galliciennes
un cordon militaire pour empêcher toute exportation
de munitions et d'armes. Quand, le 17 avril, Dwernicki,
cerné par le Russe Rudiger, se réfugia en Gallicie dans
l'espoir qu'on lui permettrait de rentrer en Pologne
avec ses troupes, l'Autriche fit désarmer sa division,
l'envoya prisonnière de guerre en Hongrie et l'interna
lui-même à Laybach : mais elle permit à une division
russe, qui se trouva dans le même cas, de rentrer en
Pologne. Après la victoire, cette prétendue neutralité
s'accusa de moins en moins. L'Autriche souffrit que Ni-
colas portât un des premiers coups aux traités de Vienne
en abolissant la constitution qu'ils garantissaient à la
Pologne, et sans plus protester contre les impitoyables
vengeances de Nicolas que contre les mesures qui rus-
sifiaient le malheureux pays , elle consentit à l'occupa-
tion de la ville de Gracovie par Rudiger et prit part,
avec la Prusse, aux négociations qui modifièrent la
constitution de l'humble république. Les trois souve-
rains du Nord signèrent même en 1833 *un traité par
lequel ils s'engageaient à se livrer réciproquement ceux
de leurs sujets accusés de haute trahison, de lèse-ma-
jesté, de révolte à main armée ou de complot contre la
sûreté du trône et de l'État.
Les révolutions secondaires déchaînées par le mouve-
ment de 1830 étaient donc écrasées en Italie et en Po-
logne. L'Autriche veilla à ce qu'il n'y eût même pas un
commencement d'incendie en Allemagne. La fermenta-
tion des esprits y était extrême. L'association connue
sous le nom de Burschenschaft et les Burschensckaften
locales semblaient préparer un mouvement et travail-
laient vigoureusement les universités, à l'exception de
la sage université de Vienne qui ne se réveilla qu'en
1848, mais qui fut alors si énergique. Les réfugiés po-
lonais sillonnaient le pays]; des insurrections avaient
éclaté dans la Saxe, le Brunswick et le Hanovre. Cer-
tains gouvernements, la Bavière en observant fidèle-r
LA RÉVOLUTION DE 1830 ET L'ALLEMAGNE 137
ment le régime constitutionnel, Bade en abolissant la
censure, semblaient attiser indirectement le feu. L'Au-
triche commença par inspirer à la diète le décret du
21 octobre 1830 qui était assez modéré dans la forme :
puis quand elle fut convaincue que la royauté de juillet
maintenait la France au régime de la paix à tout prix,
quand les armées russes eurent définitivement écrasé la
révolution polonaise, alors elle fit rendre par la diète
les décrets les plus réactionnaires. Le 27 octobre 1831,
la diète déclara qu'elle ne souffrirait pas qu'on lui remît
des adresses relatives aux intérêts généraux de l'AUe-
magae, comme étant une atteinte aux droits des souve-
rains. L'année suivante, elle supprima les deux jour-
naux bavarois, la Tribune allemande du docteur Wirth
et le Messager de touest de Siebenpfeiffer. Les deux jour-
nalistes furent acquittés et l'un d'eux, le 27 mai 1833,
convoqua autour du vieux château de Hambach une
assemblée de libéraux et de patriotes allemands qui
excita le plus fiévreux enthousiasme. Metternich, épou-
vanté et aidé d'ailleurs de la Prusse, proposa à la diète
et fit voter par elle les fameux décrets du 28 juin 1832,
qne complétèrent ceux du 5 et 19 juillet. On renouvela
les décrets relatifs aux universités : les gouvernements
furent invités à surveiller les suspects, indigènes ou
étrangers, à se signaler réciproquement les associa-
tions, etc.
La sensation fut inexprimable en Europe et ces^ me-
sures odieuses flétries en pleine chambre des communes
anglaises. Les libéraux exaspérés virent cependant les
gouvernements accueillir ces décrets malgré les pro-
testations des chambres basses de chaque état cons-
titutionnel. Quelques-uns des plus exattés, aidés de
quelques réfugiés polonais et de quelques paysans,
organisèrent le 3 avril 1833 contre la diète la ridicule
échauffourée de Francfort qui ne dura pas une heure
en tout et que quelques compagnies de ligne réprimè-
rent si facilement. La réaction appela pompeusement
8.
138 HISTOIRE DE L*AUTRIGHB
cette émeute Vattentat de Francfort. Des dix*hmt
cent goixaate-sept individus poursuivis par la diète,
la plupart ne forent jugés qu'en novembre 1836 et
condamnés à une prison perpétuelle. L'Autriche en
profita pour appesantir son système sur TAllemagne.
Le 12 janvier 1834 s'ouvrit à Vienne d'accord avec la
Prusse une sorte de congrès ministériel, dont les réso*
lutions furent enregistrées par la diète. On établit un
tribunal arbitral {Bundesschtedsgericht) de première ins-
tance destiné à juger les différends entre les gouverne-
ments et leurs chambres, disposition où l'on reconnaît
l'ingéniosité de Metternich, car les princes constitution-
nels étaient ainsi placés sous la juridiction des deux
grandes puissances absolutistes. Les autorités académi-
ques furent privées de leur ancienne juridiction en ma-
tière de police. La diète prit d'autres mesures complé-
tant cet ensemble en 1835 et en 1836. Ainsi elle défen-
dit aux ouvriers allemands de voyager dans les états où
étaient tolérées des associations poUtiques. Elle imposa
le compte-rendu officiel pour les débats parlementaires;
elle déclara que toutes les tentatives contre l'existence,
l'intégrité ou la sûreté de la confédération seraient
punies, dans chacun des états, comme si elles étaient
dirigées contre lui-même et qu'on se livrerait récipro-
quement les criminels politiques. L'Allemagne voulait
l'unité : on lui donnait l'unité de la répression.
Mais la quiétude du gouvernement autrichien, assise
sur tant de triomphes de la force et de la diplomatie,
était troublée par l'état des esprits en Hongrie. Toutes
les autres parties de l'empire restaient calmes et comme
endormies sous le régime de compression et de silence
de Metternich; les secousses extérieures n'y avaient eu
aucune répercussion ; mais il n'en était pas de même en
Hongrie. La sévère et hautaine allocution que François
avait adressée en 1820 à la députation du comitat de
Pesth, n'avait pas été prise pour parole d'évangile. Le
vivace esprit public des Magyars protestait cohtre les
DIÈTE HONGROISE DE 1825 139
actes de la chancellerie hongroise de Vienne et de la
lieutenance royale de Pesth qui faisaient litière des
vieilles libertés et agissaient partout par commissaires
royaux. Il était soutenu d'ailleurs par les sympathies
non dissioiulées de Tarchiduc Joseph, palatin de Hon-
grie depuis 1796. François comprit que dans Fétat gé-
néral de l'Europe, il fallait donner quelques satisfac-
tions à ces Magyars qui avaient prodigué sans compter
leur sang et leur or pendant les guerres de Tempire.
U se décida à convoquer la diète pour le il septem-
bre 1825. Il désirait d'ailleurs faire couronner reine de
Hongrie sa quatrième femme Charlotte de Bavière. Cette
cérémonie eut lieu le 25 avec la pompe accoutumée.
L'assemblée offrait une remarquable réunion d'hommes
de haute intelligence et de brillantes facultés oratoires,
Széchenyi, Wesseleny à la chambre haute ; Paul Nagy,
Thomas de Ragaly, Jean de Balogh, Etienne de Borsitzky
à la chambre basse, et parmi eux un avocat de vingt-
trois BIÏ8, élu par le comitat de Zala, François Déak. Les
députés présentèrent la liste de leurs griefs, gravamina^
qui consistaient en ces divers points que depuis dix ans
on avait perçu les impôts et opéré les levées sans le
consentement de la diète ; qu'au lieu de convoquer
périodiquement la diète, on avait déclaré que cette con-
vocation dépendait uniquement des circonstances du
temps et des besoins du gouvernement ; que les com-
missaires royaux s'étaient livrés à d'innombrables abus
de pouvoirs dont on énumérait les principaux. Ils de-
mandèrent la convocation de la diète tous les trois ans,
la publicité des débats et l'exécution des articles 10, 12
et 19 de la diète de 1791. François fit une réponse très-
hautaine et très-dure à ces réclamations et repartit
pour Vienne en laissant la diète fort irritée. Le palatin
offrit sa médiation et obtint de l'empereur un rescrit
plus modéré. La diète, après d'orageux débats où se
signalèrent les orateurs que nous avons nommés, adopta
le 20 janvier 1826 une adresse où elle maintenait toutes
140 HISTOIRE DB L*AUTRICHB
ses prétentions. Le rescrit impérial du 9 avril admit
une partie des demandes, mais rejeta les plus essen-
tielles : il maintint surtout le latin comme langue offi-
cielle et la censure royale pour les débats législatifs.
Il y eut d'ailleurs dissentiment entre la chambre hante
et la chambre basse sur la question de savoir si les
biens-fonds de paysans possédés par des nobles de-
vaient être soumis à Timpôt. Les magnats en effet
tenaient à leurs privilèges et le peuple lui-même n'était
pas éloigné de voir dans ces institutions féodales et
dans ces criants privilèges le palladium de ses vieilles
libertés. En somme, quand la diète fut close le 48 août
1827, elle avait obtenu gain de cause relativement à la
reconnaissance absolue de son droit exclusif de voter
les impôts et les recrues, les levées de florins et les
levées de soldats.
Cette diète de 4825 avait surtout eu pour résultat un
prodigieux réveil de l'esprit national. Les élections des
comitats s'étaient faites au milieu d'un ardent enthou-
siasme. Paul Nagy plaida avec véhémence la cause de
la langue nationale : il proposa la fondation d'une aca-
démie magyare et fit à la générosité des magnats un
appel qui fut entendu. Le comte Stéphan Szèchenyi, un
jeune noble qui avait longtemps séjourné en Angleterre
en y étudiant le régime économique et industriel, sous-
crivît pour soixante mille florins : le grand Magyar,
comme on l'appela plus tard, donna aussi le signal de
l'esprit d'entreprise et des vastes travaux publics. (Mais
on ne peut s'empêcher ici de citer les réflexions de
l'auteur anonyme du livre sur les Serbes de Hongrie :
« Ce qui frappe dans les luttes de cette époque, c'est
que la Diète n'emploie jamais d'autre mot que le mot
national, chaque fois qu'il s'agit de la langue ou des
institutions magyares. Il semble qu'il n'y ait en Hongrie
qu'un seul peuple universellement attaché à ce qui est
national. On en est presque réduit à douter, s'il existe,
à côté de la race privilégiée, des populations qui n'ont
RÉVEIL DE l'esprit NATIONAL MAGYAR 141
rien de commun avec elle. Gomment imaginer, quand
on lit cette histoire, que ces populations ont une majo-
rité réelle des deux tiers? comment surtout l'étranger
ne serait-il pas trompé par cet artifice de langage? »
La diète en 1830 consentit à laisser couronner rex
jumot* Farchiduc Ferdinand, héritier présomptif de la
couronne, et qui, réconcilié avec Metternich auquel il
avait fait longtemps de l'opposition selon l'usage de
tous les héritiers présomptifs vis à vis des premiers
ministres impopulaires, avait été en 1829 déclaré alter
ego de l'empereur. Mais on s'opposa à toute immixtion
de ce rex junior dans les affaires du pays. Le mouve-
ment de 1825 ne se ralentissait pas. En 1831 Széchenyi
provoqua la fondation d'un théâtre national magyar ;
le €ulte de la langue revêtait un caractère passionné;
En même temps Széchenyi prenait l'initiative des grands
travaux qui avaient pour but d'ouvrir au commerce de
la Hongrie le chemin de Gonstantinople : pont de Pesth,
régularisation du cours de la Theiss, tunnel de Bude,
ouverture du défilé danubien des Portes de fer. Mais on
peut dire que l'œuvre principale du grand Magyar fut
la publication, en langue hongroise, de son fameux
livre intitulé : le Crédit. C'était l'économie politique
moderne faisant une charge à fond de train contre les
institutions féodales si chères à ce peuple de la tradi-
tion histœique, une attaque en règle contre les préju-
gés gothiques du vieux magyarisme. Les magnats en
frémirent et l'un d'eux, le comte Joseph Dessewffy,
écrivit une violente réfutation du livre de Széchenyi
qui répliqua. Cette polémique brûlante profitait à la
langue nationale, car elle était employée dans les atta-
ques, ce qui obligeait à l'employer dans les ripostes.
Les Serbes de leur côté avaient fondé en 1825 la
célèbre association littéraire intitulée : mattca trpska (la
reine des abeilles serbes), dont le siège était à Pesth et qui
donna son nom aux associations analogues fondées chez
les Tchèques, les Croates , les Slovaques , les Slovènes
142 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
et les Ruihèneg, La loi hongroise votée par la diète en
1830 n*en stipula pas moins que les tribunaux inférieurs
auraient la faculté de se servir exclusivement du magyar
et qu'aucun individu ne serait admis aux fonctions pu-
bliques sans justifier de la connaissance du magyar.
Le 20 décembre 1832 s'ouvrit cette diète qui devait
durer jusqu'en 1836 et où l'esprit ancien et l'esprit nou-
veau se livrèrent de si violents combats. La Hongrie
avait trois grands problèmes à résoudre pour entrer
dans la civilisation moderne : l'affranchissement du sol,
la liberté du travail, l'égalité civile. Elle en était encore
bien éloignée. Les nobles étaient exempts de tous les
impôts, dont le poids était réservé à ce que les lois appe-
laient dédaigneusement, en une des plus étonnantes
expressions qu'ait jamais trouvées le génie féodal, mi-
sera contrïbuens plebs (la vile multitude contribuante et
payante). L'autonomie des comitats, si excellente sous
tant de rapports, était entre les mains des nobles. Les
seigneurs avaient le droit de limiter le prix des denrées;
Us imposaient à leurs vassaux qui avaient des procès le
choix d'un avocat. L'ouvrier était enchaîné par les lois
de corporation ; les non-nobles ne pouvaient ni posséder
la propriété foncière ni occuper les emplois publics.
Les corvées et les redevances féodales subsistaient sous
des formes aussi variées qu'oppressives. Une vente de
terres n'était définitive qu'au bout de. trente-deux ans,
car pendant cette période l'héritier du vendeur avait
droit de la faire annuler en remboursant le prix d'achat
et sans tenir compte des améliorations introduites par
le possesseur : c'est ce qu'on appelait Vaviticité. Les
peines corporelles n'étaient pas supprimées de seigneur
à vassal. On croit rêver en trouvant un pareil régime
dans un pays européen quarante-trois ans après la révo-
lutioDr française.
Malgré l'opposition de l'aristocratie hongroise, qui
aimait d'un égal amour sa liberté politique et ses pri-
vilèges , seigneuriaux, la diète, au nom des idées de
RÉFORMES SOCIALES EN HONGRIE — KOSSUTH i4d
Széchenp et sons rinspiraticm des Wesseleynyi et des
Déak, vota d'importantes réformes sons le nom d'urba-
rittmj ainsi qu'on appelait en Autriche les lois et pa-
tentes qui réglaient les rapports respectifs des seigneurs
et des serfs; cet urbàrium^ sanctionné en 1836, stipulait
que les serfs pouvaient, avec le consentement du pro-
priétaire, émigrer d'un village à l'autre et vendre alors
à un tiers, qui se substituait à eux, leur maison et la
plus-value de leur lot ; qu'en cas d'opposition du sei-
gneur, un tribunal composé d'un fonctionnaire du co-
mitat et de deux hommes de loi, prononcerait : que le
serf pourrait racheter les impôts et corvées qu'il devait
au propriétaire moyennant uns redevance annuelle ; que
le seigneur ne pourrait plus fkire donner la bastonnade
à ses serfs, mais seulement les condamnera un maximum
de trois jours de prison : on peut juger à de pareilles ré-
formes ce qu'était l'état de la Hongrie et des nations
renfermées dans ses limites. La diète osa même sou-
mettre les nobles au péage sur le pont de Pesth bâti pai*
Széchenyi. Elle vota que les lois seraient publiées en
double texte, hongrois et latin, ayant chacun la mémo
valeur officielle.
On remarquait, assis au bas c6té de Rassemblée, un
jeune homme de trente ans â la physionomie inspirée^
aui grands yeul bleus d^où s*échappaîentj sous de noirs
sourcils arquéS} de mystiques regards, à la Voix douce
et sympathique. Il s'appelait Louis Kossuth et était né
à Tjkely, dans le pays des Slovaques. Il figurait à la
diète de Presbourg comme mandataire d'un magnat
éloigné de la Hongrie. A la recommandation du comte
Nicolas Wesselenyi, le parti libéral lui avait confié
la rédaction de la Gazette de la diète, journal distribué
clandestinement pour échapper à la censure royale* On
s'en arrachait les exemplaires dans les comitats t jamftiê
on n'avait manié avec tant de clarté et d^élégance la
langue magyare. Cette prose alerte et brûlante mettait
à la portée de tous les graves questions qui se. débat-
144 HISTOIRE DE L^AUTRIGHË
iaient dans la diète. La Hongrie était désormais lancée
dans les voies de la révolution.
François ne vit pas la fin de la diète hongroise : il
mourut le â mars 1835 d'une pleurésie. Il avait soixante-
sept ans et régnait depuis près d'un demi-siècle (qua-
rante-trois ans). Mais, il ne mourait pas tout entier, car
le règne de son fils, le malingre Ferdinand P% ne devait
être qu'une pure et simple prolongation du sien. Avant
Tavénement de Ferdinand, on pariait de ses disposi-
tions libérales. Mais à peine sur le trône des Habsbourg,
il adressa à Metternich une lettre par laquelle il lui
annonçait que rien ne serait changé à la politique in-
térieure et extérieure de l'empire : il le confirmait
dans ses fonctions ainsi que Kolowrath. Il eut/ la même
année, des entrevues personnelles à Tœplitz, à Prague et
à Vienne, avec le Gzar et le roi de Prusse, mais la diver-
gence croissante des intérêts des cours du nord tant
dans l'Allemagne que dans l'Orient ne permettait pas
de renouer la Sainte-Alliance.
Lltalie autrichienne fut un peu moins mal traitée.
Ferdinand alla se faire couronner roi de Lombardie le
6 septembre 1838 à Monza et proclama une annistie
assez étendue. Il institua une garde noble italienne. 11
accorda quelques faveurs aux universités de Padoue et
de Pavie. Un joug moins lourd pesa sur la vie intellec-
tuelle de la nation et une assez forte impulsion lui fut
imprimée ; mais la police et la bureaucratie continuèrent
à étendre leur sombre réseau de Milan à Venise, sur les
cinq millions six cent mille Lombards et Vénitiens : les
soixante mille soldats qu'ils fournissaient annuellement
à leur souverain allaient, loin de leur patrie, surveiller
les autres peuples de l'Autriche. Venise, bien que dé-
clarée port franc, ne soutenait pas la lutte avec Trieste
et n'exportait que pour vingt et un millions contre les
quatre-vingts millions de Trieste. L'Autriche, sous Fran-
çois, n'avait cessé de rêver la constitution d'une confé-
dératiop italienne dont elle aurait été la présidente,
LES FRÈRES BÂNDIERÂ •— PIE IX 145
comme elle présidait déjà celle de rAllemagne. A vrai
dire, ses interventions en Piémont, à Naples, dans les
États Romains, semblaient indiquer que cette confédéra-
tion existait en fait avant d'exister en droit : mais elle
ne put pas se réaliser. En 1843 il fut un instant ques-
tion, à défaut d'une confédération, d'un ZoUverein ita-
lien ; la défiance des autres états de la péninsule le fit
abandonner. Si les écoles primaires se multipliaient,
on y enseignait, à l'aide de manuels venus de Vienne,
que les sujets devaient se considérer comme les esclaves
fidèles de leur souverain et les enseignements tant secon-
daire que supérieur n'étaient pas moins surveillés.
C'est dans cette période que Gioberti rêvait la régé-
ration de l'Italie par le saint-siége converti à la liberté,
que Balbo attendait que l'Autriche, dédommagée en
Turquie, cédât la Lombardie au Piémont. Mazzini con-
tinuait à rédiger à l'étranger la Jeune Italie et à prê-
cher l'avènement de la Rome du peuple placée à la
tête d'une république unitaire. De temps en temps,
quelques explosions avaient lieu dans les Romagnes et
à Naples, ces deux pays si effroyablement tyrannisés :
elles étaient réprimées d'une façon sanglante. En 1844
Ëmilio et Attilio Bandiera, fils d'un amiral autrichien,
qui avaient conspiré et qui s'étaient réfugiés à Gorfou,
tentèrent un débarquement en Galabre avec vingt com-
pagnons. Vendus par Boccheciampe, ils furent fusillés
sur la place de Qosenza avec sept de leurs amis le
25 juillet 1844, aux cris d'horreur de l'Europe entière.
Le 17 juin 1846, le cardinal Mastaï-Ferretti fut élu
pape sous le nom de Pie IX. Dès les premiers jours de
son règne, il ouvrit le sillon des réformes, au milieu de
l'enthousiasme de l'Italie et des applaudissements de
l'Europe. Tous les hommes politiques de lltalie s'effa-
cèrent avec confiance devant lui. Mais Pie IX, qui
croyait pouvoir se borner à d'innocentes réformes, ne
soupçonnait pas à quel point le sentiment national, qui
couvait depuis si longtemps dans les âmes, allait* prendre
ASSELINE* 9
146 HISTOIRE DB L'AUTRIGHB
un irrésistible essor. Quand ce sentiment fit explosion,
quand le cri « fuori i barbarie dehors les barbares I »
retentit d'un bout de la péninsule à Tautre, quand mille
symptômes prouvèrent que lltalie voulait à la fois la
lU)erté et l'indépendance, des constitutions et l'expulsion
de l'Autrichien, Pie IX hésita, louvoya, ne fit plus que
de timides concessions. L'Autriche, d'ailleurs, prenait
ses mesures. Le 2â juin 1847, elle adressa à Pie IX une
note sévère sur sa folie libérale et le 16 juillet, à la
nouvelle de la démission du cardinal Gizzi, jugé trop
modéré, elle augmenta de douze cents hommes sa gar-
nison de Ferrare, puis occupa la ville entière. La ques-
tion était posée dans toute son ampleur : personne
ne s'y méprit ; l'Autriche ne souffrirait jamais de ré-
volution constitutionnelle dans l'étendue de lltalie. Le
gouvernement français essayait de concilier les deux
partis, obtenait d'un côté le retrait des troupes autri-
chiennes, en blâmant de l'autre la protestation du
cardinal Ferretti contre l'occupation de Ferrare.
Mais le branle était donné. L'Angleterre excitait le
patriotisme italien par l'organer de son ambassadeur,
Lord Minto, en se promettant m petto de ne dépenser
pour la cause italienne ni un homme ni un écu. Léopold
de Toscane, Charles Albert de Piémont, devançant
Pie IX, accordèrent à leurs peuples des constitutions*
Le 3 novembre, leurs ambassadeurs et celui du Saint»
Siège signèrent à Turin une sorte d'alliance en vue
du progrès économique et industriel, qui préludait à
une alliance politique. La succession de Marie-Louise
(fin novembre) porta au comble la rage des patriotes
contre les Autrichiens, car ceux-ci, aux termes des
traités de 1815, occupèrent Parme et Plaisance et sair
sirent les villes en litige de Pontremoli et de Pivizzano.
Les patriotes auraient voulu que les rois indigènes sai-
sissent cette occasion de chasser l'étranger. Un mou-
vement, vite étouffé dans le sang, éclata dans les Deux-
Siciles. A Milan et à Venise, Nazzari et Manin récla-
L*AUTRICHE ET LA PRUSSE EN 1847 147
mèrent Texécaiion de la patente de 1815 : on se mit à
fuir les officiers autrichiens, à huer les soldats et à se
priver de fumer le tabac des barbares. Pie IX recula et
Bon fantôme de consulte^ réuni en novembre 1847, ne
satisfit personne.
L'année 1848 s'ouvrit sous ces auspices ; TAutriche
armait et faisait passer une partie de son armée en
Lombardo-Vénétie. Le 3 janvier ses dragons sabrèrent
des rassemblements dans les rues de Milan. Le 7, sa
police arrêtait à Venise Manin et Tommaseo. Le 29 jan-
vier, Ferdinand de Naples, à la suite d'une révolution,
était forcé de promettre une constitution qui fut pro-
mulguée le 11 février. Les Toscans eurent la l^ur le 15.
L'Autriche prit alors dans ses possessions une attitude
menaçante et le feld-maréchal Radetzki adressa à ses
troupes une proclamation qui était comme le signal des
combats.
Pendant que la domination autrichienne était ainsi
menacée en Italie, son influence décroissait rapidement
en Allemagne. C'est l'Autriche qui prenait constamment
dans la diète l'initiative des mesures réactionnaires, et,
bien que la Prusse y adhérât toujours, c'était sur elle que
retombaient les malédictions des libéraux. L'opposition
entre l'Autriche catholique et la Prusse protestante,
entre l'Autriche aussi italienne, aussi slave et aussi
magyare que germaine et la Prusse exclusivement alle-
mande, entre l'Autriche isolée du mouvement intellec-
tuel national par ses douanes chinoises contre toute
pensée et la Prusse active patronne du développement
littéraire et philosophique, entre l'Autriche enfin con-
finée dans sa solitude économique et industrielle et la
Prusse directrice de ce ZoUvereip qui depuis 1833 avait
englobé vingt états, même la catholique Bavière, et qui,
avec ses réunions annuelles et son tarif uniforme, tra-
vaillait si efficacement à la formation de l'idée d unité,
l'opposition, disons-nous, .s 'établisssait d'elle-même dans
esprits. Les événements de 1846 en Pologne et en
148 HISTOIRE DE L*ÀUTH1GHË
Gallicie, que nous raconterons tout à Theure, ajoutèrent
encore à son impopularité. La Bavière, livrée aux jésuites
par le ministre d'Abel, montrait en même temps son
roi catholique et absolu livré à la domination de la
danseuse Lola Montés, domination dont la consé-
quence fut la sanglante émeute du 10 février 1848 dans
les rues de Munich. En 1847 le roi de Prusse, échappant
à rinfluence de Metternich, avcdt octroyé une représen-
tation nationale, bien insuffisante sans doute et qui
causa une déception égale à Tenthousiasme excité par
son annonce, mais qui ne séparait pas moins la poli-
tique prussienne de la politique autrichienne si ardem-
ment ennemie des constitutions.
Les affaires européennes de 1840, qui faillirent
amener une guerre générale, surexcitèrent encore le
sentiment national allemand. C'est de cette époque que
date le chcmt de Becker. Nous avons dit quelle prépon-
dérance le traité d'Andrinople avait assurée à la Russie
dans rOrient, au grand et légitime déplaisir de l'Au-
triche. Le traité d'Unkiar-Skélessi, conclu à la suite de
la protection accordée par le Gzar au Sultan contre la
première tentative de Méhémet Ali, avait consommé
rentière vassalité de la Turquie vis à vis de la Russie. Le
sultan Mahmoud aurait tout sacrifié au désir de se venger
de son vassal révolté, Méhémet Ali, et en faisant franchir
TEuphrate à son armée le 21 avril 1839, il donna le
signal d'une crise où l'Autriche fut appelée à jouer un
rôle important. Ce rôle était tout tracé : protéger la
Turquie contre Méhémet Ali qui n'était d'ailleurs aux
yeux de Metternich que le parvenu d'une révolution,
mais la protéger par un concert européen, de façon à
affaiblir l'influence russe si menaçante pour les bouches
du Danube. Il fallait de plus mener à bien cette tâche
difficile sans compromettre cet équilibre européen dont
les hommes d'état autrichiens s'étaient fait si obstiné-
ment les conservateurs. Enfin l'Autriche, en tant que
puissance du nord et bien que ses intérêts fussent op*
LES AFFAIRES D'ORIENT EN 4840 149
posés à ceux de la Russie dans la question d'Orient, dé-
sirait détruire l'alliance anglo-française.
Le 24 juin Ibrahim-Pacha anéantissait l'armée turque
à Nézib. Mahmoud mourait le !«»* juillet, laissant l'em-
pire aux mains d'un enfant débile. Quelques jours après
Âchmet livrait la flotte turque à Méhémet Ali. Sous le
poids de ces désastres successifs, la Porte traita avec
Méhémet et lui donna ce qu'il demandait : la possession
de la Syrie et l'hérédité. M. de Metternich mit le veto
européen sur cette convention par la note fameuse du
27 juillet signée des représentants des cinq puissances.
La note, rédigée par l'internonce d'Autriche, M. de
Sturmer, n'était rien moins que l'annulation du traité
dUnkiar-Skélessi, et l'ambassadeur russe, M. de Bou-
lienef , ne la signa que parce que Metternich lui répon-
dit de l'approbation du Czar. Mais le Czar se plaignit
violemment au représentant de l'Autriche près de lui,
M. de Picquelmont, que Metternich se fût porté fort pour
lui et une dépêche de M. de Nesselrode à M. de Bou-
tienef désavoua la note du 27 juillet. Ce n'était proba-
blement là qu'une comédie : la dissolution de l'alliance
anglo-française était trop précieuse au Czar pour qu'il
insistât. M. de Brunnow, envoyé à Londres, conclut le
pacte avec l'Angleterre. Metternich, que le mécontente-
ment plus ou moins réel de Nicolas avait rendu plus ou
moins réellement malade, entra dans cette intrigue qui
devait aboutir à l'isolement de la France. Les cours du
îiord avaient trop d'intérêt à ce résultat pour que la
Russie elle-même ne sacrifiât pas quelque chose du
protectorat exclusif qu'elle prétendait sur la Turquie.
Après de longues négociations, M. Thiers étant à la tête
du ministère français et M. Guizot ambassadeur en An-
gleterre, fut signé à Londres le 13 juillet 1840, un traité
«ntre l'Autriche, la Russie, l'Angleterre et la Prusse.
^8 quatre cours stipulaient que Méhémet Ali, déclaré
pacha héréditaire d'Egypte, n'aurait que la possession
viagère de la partie méridionale du pachalick de Saint-
ISO HISTOIRE DE L^AUTRIGHB
Jean d*Acre, qu'il restituerait la flotte turque et paie-
rait tribut ; que leurs forces navales le contraindraient à
Texécution de cet arrangement ou protégeraient Cons-
tantinople contre ses attaques : de brefs délais lui
étaient donnés pour notifier son acceptation.
Toute TËurope crut à la guerre : Méhémet ne se sou-
mettrait pas, et la France, si outrageusement exclue
du concert diplomatique, le soutiendrait. Il n'en fut
rien. Napier bombarda Beyrouth le il septembre. Louis-
Philippe, partisan de la paix à tout prix, laissa tomber le
ministère du i®"^ mars. La Syrie toute entière fut enlevée
à Méhémet avec le concours de l'escadre autrichienne,
et le 27 décembre 1840, Méhémet, menacé dans Alexan-
drie, conclut avec Napier une convention qui, le 10
juillet 1841, fut changée en un traité entre les quatre
puissances. La France rentra dans le concert européen
par le traité du 13 juillet suivant, qui interdisait l'en-
trée du détroit des Dardanelles à tous vaisseaux de
guerre n'ayant pas obtenu l'autorisation du sultan.
L'Europe devenait, à la place de la Russie, arbitre de
la question d'Orient, et, en somme, les intérêts autri-
chiens, tant au point de vue des dangers de l'ambition
russe qu'à celui de la politique continentale des trois
cours du nord, recevaient pleine satisfaction.
Nous devons maintenant dire quelques mots des
événements de Gallicie et de l'incorporation de la Ré-
publique de Cracovie. L'organisation politique et sociale
de la Pologne autrichienne ofiFrait un étrange phéno-
mène : jamais la maxime des Habsbourg-Lorraine :
« diviser pour régner » n'avait été plus singulièrement
appliquée. La population se divisait en quatre classes
bien distinctes : 1® les Magnats ou grands de l'état;
2® l'ordre équestre , gentilshommes ou nobles non
titrés, seuls propriétaires fonciers avec les Magnats, et
payant 200 fr. de taxe urbaine; 3* la bourgeoisie;
4® les paysans. Il y avait un fantôme de diète qui s'as-
semblait chaque année sous la présidence d'un corn-
ÉTAT POLITIQUE ET SOCIAL DE LA GALLICIE 151
missaire du gouvernement, et qui votait sans discussion
les postulata ou ordres de l'Empereur concernant les
impôts et les levées. La session durait un seul jour; la
diète laissait une députation permanente chargée de
surveiller la répartition des impôts.
Le paysan qui ne pouvait pas acquérir de propriétés
et qui était, par conséquent, tenancier, fermier à per-
pétuité, payait son fermage en journées de travail sur
la terre du seigneur, en corvées. Ce mode, si vicieux,
excitait déjà la haine du paysan contre le seigneur et
la noblesse polonaise en avait sollicité plusieurs fois
elle-même l'abolition, mais le conseil aulique de Vienne
ou avait refusé ou avait entouré la substitution des
prestations en argent aux prestations en travail de for-
malités tellement longues et coûteuses, que la réforme
devenait impossible. De plus le noble était forcé de
remplir les fonctions de percepteur d'impôts et d'agent
de recrutement vis-à-vis des paysans, tandis que c'é-
taient les autorités du cercle, les autorités autrichiennes,
qui prononçaient sur les dégrèvements et sur les exemp-
tions. Ainsi les rigueurs et les surtaxes semblaient
venir du seigneur, les grâces et les atténuations du
paternel gouvernement de Vienne. La noblesse sentait
les dangers de cet état de choses et demanda à maintes
reprises que la propriété, stérilisée entre ses mains, fût
rendue accessible à tous. Mais une courte expérience
ayant démontré à Vienne qu'il se formait rapidement
une classe active et indépendante de petits propriétaires,
le privilège nobiliaire fut rétabli en 1819.
Toutes les charges — même celle de la justice de
première instance et de l'application des peines corpo-
relles — étaient donc encore, en 1846, imposées par
l'entremise de la noblesse, à laquelle on attribuait
comme apanage la tyrannie obligatoire. Des milliers
d'employés allemands recevaient les plaintes des pay-
sans et représentaient le protectorat tutélaire de l'admi-
nistration. En 1845, la diète avait renouvelé le vœu
152 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
d*une réforme radicale dans ce système aussi vexatoîre
que machiavélique et le gouvernement n'avait fait que
des réponses dilatoires, trouvant son profit à ces divi-
sions et à ce rôle, si incroyable pour un pouvoir con-
servateur, de semeur de haines sociales avec prémédi-
tation. Ajoutons qu'à cette question sociale se mêlait*
une question de race. Les paysans galliciens sont en
grande majorité Ruthènes, surtout dans tout Touest de
la province : ils appartiennent au rite Grec-Uni,, et
parlent un dialecte particulier ; ils font partie d'un
groupe de 14 millions d'hommes qui s'étend à la fois
sur le territoire autrichien et sur le territoire russe.
Les Ruthènes sont-ils Russes ou sont-ils Polonais? Nous
examinerons plus tard cette question si importante,
mais la question ruthène est une des plus difficiles
parmi les innombrables questions de nationalités qui
pèsent sur l'Autriche.
Le congrès de Vienne avait établi la petite République
de Cracovie, libre, indépendante et strictement neutre
sous le protectorat de la Russie, de l'Autriche et de la
Prusse. Déjà, en 1836, les trois puissances protectrices
avaient occupé temporairemsnt la ville sous prétexte
qu'elle servait d'asile aux réfugiés politiques et qu'elle
était un foyer d'anarchie. La France ni l'Angleterre ne
bougèrent, et la presse allemande établit bruyamment
que c'était une revanche d'Ancône. En 1846^ quelques
émigrés polonais préparèrent un mouvement insurrec-
tionnel aussi inopportun que mal engagé. La police
autrichienne le connaissait d'avance, ainsi que le cons-
tate un rapport du gouverneur général de la Gallicie,
l'archiduc Ferdinand d'Esté, en date du 20 janvier. Dès
le 18 février, les arrestations commencèrent à Cracovie
et le général Colin envahit la ville, mais pour l'évacuer
subitement le 22, après quelques coups de fusil tirés
dans les rues, en emmenant police, milice, gouverne-
ment et employés et en laissant les armes et les muni-
tions dans les corps de garde ; on eût dit qu'il voulait
LA JACQUERIE GALLICIENNE DE 1846 153
laisser la ville à elle-même pour que llnsurrection s'y
développât en paix.
Le plan des insurgés était de s'emparer de Tarnow
dans la nuit du 19 au 20 février ; le point de ralliement
était le village de Lisia-Gora. Mais les paysans étaient
prévenus : depuis longtemps, des soldats libérés et les
cabaretiers juifs les travaillaient et leur persuadaient
que nobles et prêtres préparaient leur extermination :
ils accoururent en foule et se jetèrent sur les insurgés. Le
préfet du cercle, Breindl, payait 10 florins d'argent par
tête d'insurgé mort qu'on lui livrait, et 5 florins seulement
pour les insurgés vivants. Les massacres s'organisèrent
dans toute l'étendue du cercle de Tarnow et gagnèrent
ceux de Bochnia, de Sandecz, de Przemyls et de Sambor.
Armés de bâtons, de faulx et de fourches, ivres d'eau-
de-vie , les paysans ruthènes égorgèrent les seigneurs :
des familles entières, femmes, enfants, serviteurs, dis-
parurent. Les villes se fermaient rigoureusement devant
la noblesse qui voulait s'y réfugier. Un chef de bandes
nommé Széla égorgea en un seul jour dix-sept mem-
bres de la famille Bogusz, depuis le père âgé de 87 ans,
jusqu'au petit-fils âgé de 14 ans. Le pillage accompa-
gnait le meurtre et plus d'une châtelaine subit les der-
niers outrages de la part de ces Jacques gouvernemen-
taux et appointés, quasi-élevés à la dignité de fonction-
naires. A Tarnow, on apporta deux cents cadavres et
on en toucha le prix. Il faut lire dans les journaux du
temps ces horribles détails, enregistrés aussi bien par
le journal prussien censuré la Gazette d'Etat que par la
Gazette d'Augsbourg, Le fait de la mise à prix des têtes
repose sur les plus incontestables témoignages. Le total
des massacrés, dans le seul cercle de Tarnow, monta à
1458 nobles ou propriétaires, ou employés de ces pro-
priétaires.
Après un léger combat à Gdow, où l'on fit aux Gra-
coviens 80 prisonniers qui furent égorgés, les Autri-
chiens rentrèrent à Gracovie où ils trouvèrent la cava-
9.
154 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
lerie russe arrivée depuis une heure. La ville fut mise
en état de siège. Le 12 mars, l'Empereur adressa une
proclamation aux fidèles GaUiciens,. et un rescrit impé-
rial à Ferdinand d'Esté remercia les employés de « leur
présence d'esprit. » Des médailles d'or de grand et de
moyen module furent décernées aux fonctionnaires des
cercles. Le 5 août 1847, la plus grande de ces médailles,
une récompense de première classe, fut accordée à
Jacques Széla, l'égorgeur de la famille Bogutz, le Tres-
taillon de cette nouvelle terreur blanche. Dès le 26 fé-
vrier, le pape avait lancé un bref qui maudissait les
victimes et glorifiait les bourreaux.
Mais on ne déchaîne pas impunément de pareilles
passions et les paysans voulurent tirer de la Jacquerie
toutes ses conséquences sociales. Les troupes autri-
chiennes durent, en avril, août et septembre, prendre
les mesures les plus violentes pour rétablir l'ordre, en
même temps qu'on décrétait à Vienne quelques timides
réformes dans le système des corvées. Le 6 octobre, il
fallut que le commissaire extraordinaire comte Stadion
établît la loi martiale. Le 11 novembre 1846, Ferdi-
nand I" déclara dans une patente spéciale que Cracovie
et son territoire étaient incorporés à jamais à son em-
pire. Le 16 novembre, le général Gastiglione exécutait
l'incorporation eflfective. La France et l'Angleterre pro-
testèrent platoniquement contre cette éclatante violation
des traités de Vienne. Mais la Prusse, la Russie et l'Au-
triche se déclarèrent solidaires, et Metternich affirma
dans une insolente dépèche que l'empereur Ferdinand
« avait non-seulement fait usage d'un droit, mais rempli
un devoir pour sauvegarder ses intérêts. » Le 29 jan-
vier 1847, le territoire de Cracovie fut enclavé dans les
lignes de douanes autrichiennes. Une fois de plus, la
force primait le droit.
LIVRE III
DE LA RÉVOLUTION DE 1848 A LA GUEBRE d'iTAUE EN 1859
(lutte des NATIONALITÉS. — DESPOTISME DE BACH ET DE
SCHWAAZENBERG. — GUERRE DE CRIMÉE. — GUERRE d'ITALIE.)
CHAPITRÉ I^
1848. — Situation de Tempire : Hongrie, Croatie, Slavonie, Dal*
matie; Serbes; confins militaires; Transylvanie; Gallicie ; Bo-
hême. — RéTolutions en Allemagne. — Journées de mars. —
Fuite de Mettemich. « Constitution du 25 avril. — Ferdinand
à Insprûck. — Journées de mai.
Nous voici arrivés au seuil de Tannée 1848, à jamais
fameuse par la Révolution, et par cette guerre des
nationalités dans laquelle faillit sombrer l'Autriche.
Afin de bien nous rendre compte des intérêts engagés
dans ces luttes et des rivalités de races qui sauvèrent
le gouvernement de Vienne, il importe d'étudier quel
était à ce moment l'état des diverses contrées de l'em-
pire et d'établir comme un arrêté de situation. Sans
cela, il nous serait impossible de nous reconnaître au
milieu de ces événements compliqués, éclatant simul-
tanément autour de vingt centres d'action différents
156 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
et s*ênchevétrant comme les épisodes du Roland fur
rieux*
Hongrie» — Nous avons exposé les principaux traits
de la constitution hongroise, le fonctionnement des
comitats, le rôle des villes libres, Tétat des personnes.
Nous n'y reviendrons pas et nous ne saurions mieux
résumer cette constitution bizarre qu'en donnant en
détail la composition de la diète qui s'ouvrit à Presbourg
en novembre 1847.
La première Chambre, Chambre haute ou table des
Magnats, comprenait :
i* Le Palatin, président né • . • 1
2* Les grands officiers de la couronne {barones regni) 13
3* Les archevêques • 3
4* Les évêques diocésains • 18
5» Les évêques titulaires 21
6" Les évêques du rite grec uni , 5
?• Les évêques du rite grec non uni 9
8« L'abbé-primat de Saint-Martin . . . , 1
90 Député du chapitre de Jazzo 1
10* Gouverneurs des comitats {comités supremi) 52
11» Gouverneur de Fiume et du littoral hongrois 1
12» L'envoyé de Croatie 1
13* Les Magnats (princes, comtes, barons) 150
soit deux cent soixante-seize membres.
La seconde Chambre, Chambre basse ou table des
états, était composée de la façon suivante :
!• Le Perspnnal, président 1
2* Les députés des comitats de Hongrie et des trois comitats
de l'Esclavonîe 98
3** Les députés des districts des Jasighes et des Kumans
et les villes des Heiduques 4
4* Les envoyés des États de Croatie 2
6* Le député du district noble de Turopolia 1
6» Le député de la ville de Fiume 1
7* Le député de la ville de Buccani 1
8* Les députés des 26 chapitres (il y en avait d'habitude 52). . 35
9* Les abbés bénéficiaires (onze ordinairement) 9
10» Les députés des villes royales (116 d'habitude) 60
LA HONGRIE A LA VEILLE DE 4848 457
11* Lès juges et pf otonotaires de la table royale 15
12* Les conseillers de la chancellerie royale de Hongrie... 6
13" Les conseillers de la Chambre royale des finances 7
U* Les mandataires des Magnats absents ou de lem'S veuves. 180
soit en tout quatre cent dix-neuf députés.
U est difficile de voir quelque chose de plus bizarre.
Que de contradictions et que d*anomalies ! Le nombre
des Magnats qui siègent à la Chambre haute varient
constamment : les Zichy, s'ils étaient au complet, n'y
compteraient pas moins de 66 membres. Les Magnats
absents de la première Chambre ou leurs veuves nom-
ment des mandataires qui siègent à la seconde Chambre.
Les représentants de la Croatie sont députés par une
diète voisine. Les députés d'un comitat de cent mille
habitants ont le même vote que ceux d'un comitat de
cent habitants. Tantôt on vote par tète, tantôt par
ordre. Les cent seize députés des villes royales comptant
650,000 habitants n'ont ensemble qu'une voix, tandis
que le comitat de Sirmie — qui n'a pas deux cents
habitants — a deux voix. Les catholiques et les grecs,
unis ou non unis, sont représentés, mais deux millions
et demi de protestants n'ont pas de représentation
directe. Des magistrats nommés par l'empereur -roi
siègent dans ces assemblées élues, seulement les uns ne
votent pas et sont simplement chargés de la police de
l'Assemblée, les autres se bornent à donner une forme
authentique aux résolutions. Mais la plus curieuse insti-
tution est celle de la jeunesse diétale : chaque député a
avec lui, dans la salle, deux ou trois secrétaires nommés
par le comitat, tous jeunes nobles et pour ainsi dire
députés stagiaires : ils interviennent bruyamment dans
les déhats, font des ovations ou des charivaris aux ora-
teurs et remplissent l'enceinte législative de leur turbu-
lence.
Quant au pouvoir exécutif, il était exercé par la lieute-
nance royale, ayant le Palatin pour président et siégeant
à Bude : ses membres étaLnt nommés par l'empereur-
158 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
roi. Elle était divisée en sections de llntérienr, de la
justice, de Tagriculture et du commerce, des travaux
publics, de rinstruction publique et des cultes. Mais les
attributions étaient de plus en plus usurpées par la
chancellerie hongroise, siégeant à Vienne, corps de con*
seillers auliques présidé par le chancelier de Hongrie.
Les finances étaient administrées par la Chambre du
trésor royal à Bude qui elle aussi, ^ce au mouvement
centralisateur, avait été mise peu à peu sous Tautorité
de la chambre du trésor de Tempire à Vienne. La justice
était exercée par la table royale à Pesth et par la table
banale à Agram. Les appels des deux tables étaient
portés à Pesth à la cour suprême des septemvtrs.
Telle était la question intérieure en Hongrie, mais la
question extérieure était encore plus importante, ce que
nous constaterons en examinant successivement la situa-
tion de la Croatie, des confins militaires, de la Transyl-
vanie et de la Voïvodie serbe,
Croatie^ Fsclavonte^ Dalmatie. — L'Esclavonîe ou
mieux Slavonie, entourée par la Save qui la sépare de la
Serbie et de la Bosnie et par le Danube et la Drave, qui
la séparent de la Hongrie et du Banat, n'est ouverte que
du côté de la Croatie. Elle est divisée en trois comitats :
ceux de Veroetz, le plus grand de tous, de Posega et de
Sirmie. Elle est peuplée de catholiques régis par Tévèque
deDiakovar ou de Syrmium, sous l'autorité de Tévèque
d'Agram. Elle compte aussi des grecs non-unis qui relè-
vent de Tévèque de Karlowitz. Les trois comitats en-
voyaient des députés à la Diète hongroise, mais ils en
envoyaient aussi à la Diète croate d'Agram.
La Croatie, nous l'avons vu, librement jointe à la
Hongrie, conservait le nom spécial de royaume annexé
de Dalmatie, de Croatie ou de Slavonie ou royaume tri-
unitaire {Trojeàina-KraUevina). Tout en dépendait du
conseil royal hongrois, il avait un chef, le Ban de Croa-
tie, qui jouissait d'une autorité considérable, vrai vice-
roi qui avait pouvoir de convoquer la Diète. La Dalma-
ÉTAT DE LA CROATIE EN 1847 159
tie, conquise au cours des siècles par Venise, puis sur
Venise par la France, était revenue en 1815 à TAutriche,
mais la cour de Vienne s'était refusée à la rendre au
royaume triunitaire et par suite à la couronne hongroise
et l'avait gardée comme simple province de l'empire.
La Diète ou congrégation générale de Croatie se réu-
nissait à Âgram {Zagreb en langue slave). Elle se com-
posait des ordres des comitats de Croatie (comitats de
Warasdin, de Kreutz et d'Agram) et des délégués de
trois comitats slavons. Elle envoyait à son tour des
députés ou mieux des fondés de pouvoir à la Diète hon-
groise, un à la table des Magnats où il retrouvait les
Magnats croates et slavons qui y siégeaient de droit, et
deux à la table des états où ils retrouvaient les man-
dataires des quatre villes libres de Croatie (Agram, Wa-
rasdin, Kreutz, Kopreinitz) et des chapitres. Le catho-
licisme romain domine en eflfet en Croatie et Tévêque
d'Agram est un riche et puissant prélat. La noblesse
croate a toujours été un instrument entre les mains des
Jésuites et des Magyars, depuis la guerre de Trente ans.
La plupart des lois de la Diète croate en matière reli-
gieuse sont des monuments de fanatisme et d'intolérance
vis-à-vis des grecs non-unis.
Les Croates font remarquer que leur Diète, malgré
l'union avec la Hongrie, a toujours joui d'une grande
indépendance. En 1712, elle accepta la pragmatique
sanction, trois ans avant la Diète de Hongrie. Jusqu'en
1790 et 1791, les lois votées à Presbourg devaient être
ratifiées par la Diète d'Agram.
Les Croates et les Magyars vécurent des siècles sans
se témoigner ouvertement de l'hostilité, courbés d'ail-
leurs sous le même joug. Mais le réveil de la nationalité
magyare de 1825 à 1830 donna le signal du réveil de la
nationalité croate, ou mieux de la nationalité slave
toute entière, et les Magyars s'y prirent de façon à
donner au mouvement des Slaves du Sud l'aiguillon
de la haine et du patriotisme, en dépit de cette ans-
160 HISTOIRE DE L* AUTRICHE
tocratie qu'ils avaient implantée parmi les Croates.
Presque toujours un mouvement national commence
par un réveil littéraire et linguistique. Un écrivain
croate, Louis Gaj, annonça l'intention et chercha les
moyens de réunir tous les Slaves du midi ou Yougo-
slaves dans une communauté de langue et de littéra-
ture. Il rêva cette unité purement spirituelle pour ce
qu'il appelait la grande Illyrte, dénomination sous
laquelle il rangeait les pays appelés l'Istrie, la Garniole,
une partie de la Garinthie et de la Styrie, la Croatie, la
Dalmatie, la Slavonie, la Serbie, la Bosnie, l'Herzégo-
vine, le Monténégro, la Bulgarie. Les Serbes et les
Croates parlent au fond la même langue, bien qu'ils
aient des alphabets et des dialectes différents, les Serbes
employant l'alphabet cyrillique et les Croates l'alphabet
latin : les Bulgares ont une langue à eux. Louis Gaj, pre-
nant pour base le dialecte parlé à Raguse {Dubrovntk) au
XVI* siècle et qui avait produit des œuvres poétiques de
haute valeur, réussit à ramener à l'unité d'orthographe
et d'idiome cette diversité de langues des pays Yougo-
slaves. En 1835, 1*' janvier, parut à Agram son journal,
d'abord intitulé Horvatzke novine (les nouvelles croates)
et qui bientôt prit le titre à'IUrske narodne novine (les
nouvelles nationales illyriennes). En 1840 fut fondée la
société littéraire Matica pour la publication et l'étude
des œuvres du passé. Le mouvement devenait si vif
qu'en 1843 M. de Metternich, d'abord favorable, pros-
crivait les mots : lUyrien et Illyrisme, et que les Ma-
gyars évoquèrent le spectre panslaviste qui joue là-bas
le rôle que le spectre rouge a joué et joue encore chez
nous. Ajoutons qu'on éveilla les défiances des serbes, au
nom de la religion grecque-orientale, contre ce mou-
venqent linguistique né en pays catholique ; au même
moment KoUar appelait aussi les Slovaques à un réveil
littéraire et national.
Mais le patriotisme local était fortement excité : le
réveil littéraire précipitait le réveil national. Le parti
RÉSISTANCE DE LA CROATIE A LA MAGYARISATION 161
des Slaves du Sud ou Yougo-Slaves remplaça le parti
illyrien. C'est à ce moment inopportun que les Hongrois,
qui résistaient si énergiquement à la germanisation,
voulurent magyariser le royaume tri-unitaire. Une loi
de 1844, rendue par la Diète de Presbourg, décida que
la langue hongroise serait désormais la seule langue
admise à la Diète, dans les comitats, devant les tribu-
naux, et chose plus dure encore, dans les actes deTétat
civil. On permettait à ceux qui ignoraient la langue
magyare de se servir pendant six ans encore du latin.
Cette loi, par laquelle la centralisation hongroise s'af-
firmait si nettement, excita une grande fureur dans tous
les paysYougo-Slaves. Wesselényi l'augmenta encore par
son livre fameux où il dénonçait aux Magyars la propa-
gande slave qu'il qualifiait de démagogique et de russo-
phile. Les Croates, qui prétendaient n'avoir avec la Hon-
grie qu'une union personnelle, comme le Luxembourg,
par exemple, l'a avec la Hollande, se sentirent atteints
de la façon la plus profonde. Dès lors la rupture fut
complète et le séparatisme mis à l'ordre du jour dans
toute l'étendue du royaume tri-unitaire. Les partisans
des Magyars , les Magyarom\ furent regardés avec hos-
tilité. En 1847 la Diète hongroise aggrava encore la loi
de 1844. Comme on l'a fort bien dit, on forçait les
Croates à choisir entre leur patrie et leur race. Écou-
tons l'historien autrichien comte Maylath : « On voulut
tout à coup transformer en Magyars six millions d'ha-
bitants appartenant à d'autres races. S'agissait-il d'un
débat d'argent, les tribunaux refusaient de prononcer si
les comptes n'avaient pas été tenus en hongrois. Les
pétitions rédigées en allemand ou en slave n'étaient
même pas reçues. Toutes les inscriptions de naissances,
de mariages, de décès, devaient être conçues en hon-
grois, même dans les communes où nul ne comprenait
cette langue. Les pasteurs étaient obligés de prêcher en
hongrois un dimanche sur trois. » Aussi l'éloquent Szé-
chenyi put-il s'écrier : « Nous autres Magyars, dans
103 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
notre folie , nous méconnaissons les Slaves et tout ce
qu*ils font pour leur nationalité, parce que nous croyons
que leur seul but est de se détacher de la couronne de
Saint-Étienne. Je crois pouvoir afBrmer que nous écra-
sons Tenthousiasme des Slaves d'une façon brutale, avec
une sévérité tout orientale, avec une injustice vraiment
asiatique. Gela est-U noble, chevaleresque et peut41 bien
finir? »
Il est nécessaire de bien établir cette situation pour
comprendre les événements de 1848 et la haine que les
Croates montrèrent contre les Hongrois dans la guerre.
Jellacic fut Tépée du slavisme méridional, plus épris
de nationalité que de liberté.
Serbes. — Les Serbes, frères d'origine des Croates et
des Slavons et parlant presque la même langue, mais
qui, tournés vers Byzance, tandis que les Croates s'étaient
tournés vers Rome, avaient embrassé la religion grec^
que orientale, cherchèrent de bonne heure à se sous-
traire à la domination turque par l'émigration. On
constate l'existence de colonies serbes en Hongrie dès le
XIV* siècle, avant et après cette fameuse bataille de Ko-
sovo (15 juin 1339), qui soumit l'empire serbe aux Otto-
mans. En 1481, 50,000 Serbes vinrent s'établir autour
de Temesvâr et furent, avec leurs prédécesseurs, les
plus vaillants lutteurs contre les Turcs, sous leur famille
nationale des Brankovic'. Après la bataille de Mohàcs,
cette émigration devint considérable. En 1522 le Kneze
Paul Bakic' avait déjà passé en Hongrie avec de nom-
breuses familles serbes. Ces émigrés se montrèrent de
vaillants soldats et servirent fidèlement la maison d'Au-
triche dans la lutte contre l'ennemi commun , contre le
Turc. Ils la servirent même contre d'autres ennemis
pendant la période suédoise de la guerre de Trente ans
où ils figurent en grand nombre dans les armées impé-
riales. L'empereur Léopold I«' voulut peupler ses fron-
tières de ces vaillantes populations qui s'étaient jointes
aux Polonais de Sobieski pour sauver Vienne, tandis
ÉMIGRATION SERBE DE 1690 — LÉOPOLD 1" 168
que les Magyars s'alliaient aux Turcs, et fit tout pour
engager Crnojevic, patriarche de Pèc, à se mettre à la
tête d'une émigration bien plus considérable que toutes
les antérieures d'habitants de la Bosnie, de la Rascie et
de la Serbie. Par sa fameuse proclamation du 6 avril
1690 (année où Belgrade retomba aux mains des Turcs),
il promit aux Serbes qui viendraient s'établir en Hon-
grie, la pleine liberté religieuse, l'indépendance vis-à-vis
de la féodalité hongroise, le droit d'élire un patriarche
et un voiévode. C'était un véritable contrat entre l'em-
pereur et les immigrants et qui liait les deux parties.
Ceux-ci, au nombre de quatre à cinq cent mille, fran-
chirent la frontière en 1693. On les cantonna entre le
Danube et la rive gauche de la Theiss (Ttsza), dans le
Banat et au nord du Maros ainsi qu'en Sirmie, en Sla-
vonie, dans la Backa. Le prince [Eugène ne perd pas
une occasion de rendre justice à ses soldats de race
serbe. En 1713 et en 1715 Charles VI confirma les pri-
vilèges des Serbes.
Mais dès les premières années, les Magyars d'une part,
les Jésuites de l'autre, se mirent à l'œuvre pour violer le
contrat et pour soumettre les Serbes au despotisme féo-
dal et au despotisme religieux. Nous ne pouvons donner
en détail l'histoire de ces persécutions continuées avec
une implacable persévérance depuis 1694 jusqu'en 1848
et qui expliquent la haine que les Serbes déployèrent
contre les Magyars. Elles amenèrent à diverses reprises
des révoltes comme celle de 1735-1736 qui fut réprimée
avec une cruauté inouïe, et même une émigration en
Russie au nombre de 100,000 (1750). En 1779, le Banat
fut réincorporé à la Hongrie et les Magyars y créèrent
une noblesse qui aujourd'hui soutient seule leur cause.
En 1790, à la diète hongroise, le cardinal Batthyani di-
sait encore que les Serbes n'étaient que des étrangers
tolérés sur le sol et il fallut toutes les instances de Léo-
pold II pour que cette même diète leur reconnût les
droits de citoyens et le libre exercice de leur culte. Et
164 HISTOIRE DE L*AUTRIGHE
cependant, durant les guerres de Tempire, les Serbes
se battirent avec fidélité dans les contingents hongrois
pour la maison d'Autriche, ce qui n'empêcha pas que
les Magyars n'obtinssent dès le début la suppression de
la chancellerie illyrienne établie à Vienne et l'attribu-
tion exclusive de toutes les affaires serbes à la chan-
cellerie hongroise (22 juin 1792). A la diète de 1843-44,
le patriarche Rajacic réclamait encore contre l'exclusion
des Serbes de tous les emplois et obtenait seulement
qu'on leur confiât une place de chef de bureau dans
chacun des trois conseils supérieurs de la Hongrie. « Les
grecs-orientaux, disait-il, ne peuvent chercher fortune
que dans les camps ou dans les monastères. ». Ainsi ce
peuple d'un sentiment national si vivace, venu lihi'e-
ment sur le territoire hongrois en vertu d'un contrat,
n'y avait rencontré ni l'autonomie poUtique, ni la liberté
religieuse, ni la vraie égalité civile, et n'avait recueilli,
en échange de son sang prodigalement répandu, que
persécutions et avanies.
Les confins militaires. — C'est une institution absolu-
ment propre à l'Autriche et qui ne fait que dispa-
raître de nos jours. Elle est née de la lutte contre les
Turcs, si longtemps la principale affaire de la mo-
narchie autrichienne : elle a été en même temps la
principale cause de la durée de cette monarchie com-
posite à laquelle elle a donné la cohésion qui lui man-
quait.
Cette armée de soldats-laboureurs, cantonnée sur une
longue et étroite bande de terre qui allait de l'Adria-
tique aux Karpathes, c'est-à-dire aux frontières moldo-
valaques, soustraite avec' son territoire à l'administra-
tion civile, composée de Croates, de Serbes, de Rou-
mains, de Magyars, de Szeklers suivant les provinces
dont elle était l'ourlet, ne s'était pas formée d'un seul
coup. Ce ne fut que successivement que les troupes en-
voyées pour défendre les lignes de l'Unna, de la Save et
du Danube contre l'invasion musulmane devinrent une
REGIME ]>fiS CONFINS MILITAIRES 165
institution permanente {Grœnztnstttuû). Le premier do-
cument où il en soit question est Tédit de Bruck-sur-la-
Mûr (en 1558). Les diètes résistent, car plus Tarmée
des conjftns s'étend, plus ce sont de citoyens et de con-
trées soustraits à leur autorité au profit du gouverne-
ment central. L'état de choses est consacré après la
paix de Garlowitz en 1699 : il est dit dans un document
annexe que « les Grœnzer ou soldats des confins doi-
vent à Tétat le service militaire* en retour des terres
dont ils ont la jouissance. » Ge n'était pas facile que de
trouver un régime convenable pour cette zone où vi-
vait une population militaire et rurale à la fois : des
vieillards, des jeunes filles, des veuves, des commer-
çants pour fournir les denrées indispensables, des pré*
très de diverses confessions. Plus de trente systèmes
furent tour à tour essayés et on se perd dans les détails
de la mobile législation à ce sujet. 11 faut étudier sur-
tout les ordonnances de 1704, de 1783 et surtout du
!•' novembre 1807, destinées à protéger les familles
conûnaires contre Tabsolutisme des états-majors. On
tenait à contenter, ces régiments qui fournissaient à l'ar-
mée son plus solide et son plus précieux contingent,
tout en maintenant un million de sujets autrichiens sous
un régime si anormal. L'ordonnance de 1807 était en-
core en vigueur en 1848.
Le territoire militaire avait, avant 1848, une longueur
de 1681 kilomètres sur une largeur moyenne de 29. 11
était partagé en cercles de régiment et cercles de com-
pagnie. Sur la rive gauche du Danube, c'est-à-dire dans
la Transylvanie et le banat de Temesvar, les soldats
étaient Roumains et Magyars ; sur la rive droite, le
long de la Save et de ses afûuents, les soldats étaient
Serbes et Croates. Chaque famille possédait un lot de
terre, à titre d'usufruit et dont le revenu garantissait
l'entretien d'un soldat. La loi foncière réglait de la fa-
çon la plus minutieuse les moyens de maintenir cette
parcelle dans les mains de la famille, de la cultiver et
166 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
d^empècher d'une part Textréme morcellement et de
l'autre la concentration en quelques mains. Les autori-
lés, depuis le colonel de l'état-major du régiment jus-
qu'au capitaine, intervenaient constamment pour assu-
rer ces prescriptions qui soumettaient à la même disci-
pline la terre et Thomme. Ces soldats paysans étaient
organisés de façon à ne rien coûter à Tétat, en même
temps qu'on les maintenait suffisamment pauvres et
ignorants pour qu'ils demeurassent soumis.
De plus les législateurs des confins s'étaient servis
d'une institution propre aux Slaves, celle de la propriété
collective, de la communauté. Un groupe d'individus
s'associe pour cultiver en commun un fonds indivis,
sous la conduite d'un chef ou d'un gérant qui est le plus
âgé ou élu par les autres. Les bénéfices sont partagés, à
la fin de la campagne, en parts égales. C'est, comme on
l'a dit, une sorte de communisme patriarcal. Dans les
confins, cette forme de la propriété fut soigneusement
maintenue par les conseils de Vienne : l'a^utorité du chef
patriarche ou gospodar y reçut protection, afin que le
Grânzer conservât les hahitudes de discipline prises au
régiment pendant les cent et quelques jours qu'il y
passe en temps de paix. Tout ce qui peut diminuer,
annuler l'individu fut savamment employé : le résultat
répondit à ces efforts. Le Granzer était paresseux, in-
souciant, ivrogne, superstitieux, demi-sauvage : c'est
lui qui a valu au nom de Croate cette renommée sinistre
qui désespère les habitants de la Croatie civile. Les
femmes étaient renommées pour la légèreté de leurs
mœurs : le nombre des enfants naturels était considé-
rable. L'Autriche jouissait de cette pépinière de soldats
soumis et farouches au prix de l'abrutissement et de la
démoralisation d'un million de ses sujets.
En 1848, les frontières transylvaines comprenaient
cinq districts ou régiments : le 1®^ et le 2® régiment
d'infanterie Valaque, le i^ et le 2® régiment d'infanterie
Szekler et le régiment des hussards Szekler. Les fron-
ÉTAT DE LA TRANSYLVANIE EN 1847 167
tières hongroises comprenaient le régiment des Tchai-
kistes (du nom des chaloupes canonnières avec lesquelles
ils surveillaient le Danube et la Save), le régiment alle-
mand bannatique et le régiment illyrien-valaque com-
posé de Serbes et de Roumains.
Les frontières croates étaient divisées en trois généra-
lats : celui de Warasdin (régiment de Kreutz et régiment
de Saint-Georges ou Gjurjevac) ; — celui de Karlstadt
(régiment d'Otocac, régiment de Lika, régiment Slunj
et régiment d'Ogulin) ; — celui dit Bannal Graenze (l*'' et
2» régiment Banal). Les frontières slavonnes compre-
naient trois régiments : celui de Gradiska,* celui de
Brod et celui de Pétro-Varadin.
Là aussi les Magyars devaient rencontrer des haines
violentes.
Transylvanie. — Nous avons déjà donné quelques dé-
tails sur cette principauté, qui fut de 1000 à 1526 pro-
vince de Hongrie — de 1526 à 1699, état indépendant
et électif que se disputaient les Turcs et les Impériaux —
et de 1699 à nos jours, province directe de la monar-
chie autrichienne. En 1848 on y retrouvait les trois na-
tions souveraines jouissant seules des droits politiques
(les Hongrois, 500,000, -^ les Szeklers 170,000 — les
Saxons 300,000) liguées pour opprimer les Roumains
ou Valaques plus nombreux qu'eux (1,250,000) et pour
les maintenir dans un effroyable état de servage. Les
quatre religions d*état reconnues par la diète de Torda
en 1562, subsistaient encore (calvinistes 300,000 — lu-
thériens 260,000 — cathoUques 580,000 — sociniens ou
unitabes 50,000) ; en face de 1,140,000 Grecs non unis
ou orthodoxes. Tous les calvinistes étaient Magyars ou
Szeklers, tous les luthériens Saxons, tous les Grecs non
unis Roumains.
Il y avait une diète dont les députés représentaient
plutôt des races que des castes et qui était ainsi com-
posée :
168 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Députés des comitats hongrois ou szeklers et des munici-
palités saxonnes 114
Députés des villes libres et des territoires soumis à la taxe. 13
Comtes suprêmes des comitats, capitaines de district, juges
suprêmes ^
Sénateurs ou juges de villes libres 6
Régence souveraine (gubemixim regium) ^
Table royale judiciaire 13
Régalistes ou députés nommés directement par le souver^n . 120
316
Le Gubemium regium exerçait le pouvoir exécutif et
siégeait -à Hersmansladt. Les régalistes, choisis parmi
les Hongrois et les Szeklers, ce qui leur donnait une
énorme prépondérance, étaient les plénipotentiaires à
la diète de ce quatrième souverain appelé l'Empereur.
Les membres du Gubemium regium et tous les fonction-
naires étaient choisis par l'Empereur sur une liste de
quatre candidats pour chaque charge élue par la diète,
chacun des quatre candidats représentant une des qua-
tre religions d'état. Il y avait à Vienne une chancellerie
de Transylvanie composée d'un chancelier et de six con-
seillers.
Telles étaient les races, les religions et les institutions
dans cette forteresse immense [arcem Hungarix) que
les Karpathes entourent au midi, à l'est et en partie au
nord comme d'un rempart taillé à pic, qui va en s'a-
baissant par larges plateaux vers la Hongrie et ({^
épanche la Maros, le Szamos et l'Olto. Les Szeklers,
Hongrois restés à l'état primitif, tous nobles, y étaient
soldats, pâtres et laboureurs. Les Saxons étaient can-
tonnés dans leurs villes manufacturières, vrais bour-
geois allemands du xvi« siècle, d'un germanisme effréné.
La diète avait pour lieu de réunion Klausenbourg.
Elle était convoquée d'une façon intermittente. Nous
l'avons vue réunie en 1790 et en 1792. En 1811, on lui
demande des hommes et de l'argent, puis on la délaissa
pendant 20 ans. Convoquée en 1834, elle est dissoute
LES POLONAIS ET LES RUÎHËNËS EN GÂLLIGIE 169
en 1835 à cause de son attitude réformatrice. En 1841-
4842, les races y luttent. Nous allons voir la Transyl-
vanie, en 1848, demander sa réunion à la Hongrie et
servir de champ de bataille aux armées de Bem.
Galltcte. — La Gallicie est un fragment de cette Po-
logne que les trois puissances du nord se sont parta-
gées en 1772, en 1792 et en 1795. Elle se compose des
royaumes de Gallicie, de Lodomérie et du grand-duché
de Gracovie. Elle compte près de cinq millions d'habi-
tants. Tandis que les Tchèques et les Magyars se sont
volontairement réunis à l'empire, les GalUciens n'ont
ratifié par aucun acte les partages, et leur seul but est
de sortir de l'Autriche par la reconstitution de la patrie
commune^ et non de faire reconnaître leur droit na-
tional sous le sceptre des Habsbourg. Sa diète, com-
posée de dignitaires ecclésiastiques, de membres de la
-haute aristocratie , de représentants de la noblesse
payant 300 florins dlmpôts fonciers, de délégués de la
ville de Lemberg, n'admettait dans son sein ni la bour-
geoisie des autres villes, ni le peuple des campagnes.
De 1817 à 1847, réunie assez régulièrement, elle émet-
tait, sous forme de vœu, des réclamations en faveur de
l'introduction de la langue nationale dans l'enseigne-
ment et de la réforme des impôts. L'Autriche soumit
les GalUciens à son étouffant despotisme. La Jacquerie
de 1846 faillit jeter la Gallicie dans les bras de la Russie,
et le marquis Wielopolsky traça un programme pan-
siaviste, mais il n'eut pas d'écho. Les vrais représentants
du Panslavisme en Gallicie étaient non les Polonais,
qui ne sont que deux millions, mais les Ruthènes au
nombre de trois millions qui occupent tout l'ouest du
pays à partir de la rivière la San, Les Polonais, géné-
ralement propriétaires, sont catholiques romains. Les
Ruthènes, paysans, sont Grecs-Unis : leur race est
répandue dans les provinces russes de la Podolie, de
Yolhynie, de Kiew, de Minsk, de Mohilev, de Grodno,
où les Gzars les ont ramenés au rite grec orthodoxe. Or
ASSELTNE. i
170 HISTOIRE D£ L'AUTRICHE
les Ruthènes persécutés par les Jésuites, opprimés par
les propriétaires polonais, frappés dans leur langue, se
tournent vers la Russie qui flatte leur clergé et qui
entretient leur sentiment national en Gallicie, tandis
qu'elle Tétouffe chez elle. L'Autriche, en 1840, se mit
aussi à favoriser les Ruthènes galliciens pour les opposer
aux Polonais. On a raconté comment, en 1846, elle les
lança contre Taristocratie polonaise. Du reste, Polonais
et Ruthènes, en 1848, se battirent sous le drapeau au-
trichien contre les Hongrois.
Bohème. — La Bohème, où les Tchèques Slaves sont
contre les Allemands dans les proportions de trois
contre deux, invoque un droit historique. En 1526,
elle appela librement au trône Ferdinand, frère de
Gharles-Quint, à titre héréditaire, mais en réservant
les droits de Tindépendance nationale : tout cela était
réglé nettement dans les Pacta canventa jurés par Fer-
dinand. La Hongrie en fit autant en 1527. La fédération
autrichienne, où chaque peuple devait conserver son
autonomie, s'était formée au xvi* siècle pour défendre
l*Ëurope contre les Ottomans : ces mêmes peuples doi-
vent renouveler, contre Tambition moscovite, les paeta
conventa du xvi* siècle, dans les conditions plus pré-
cises du droit moderne. L'Autriche a tout intérêt à le
faire, car elle a encore plus besoin de la Bohême que
la Bohême n'a besoin d'elle. C'était la thèse soutenue
à la veille de 1848 par l'historien national des Tchèques,
Palacky. En attendant, la Bohème, qui n'avait pas
montré la persistance de revendications des Magyars,
vivait avec sa noblesse féodale, ses riches prélats, ses
littérateurs, ses villes savantes, laissant les Allemands
maîtres de l'industrie, du commerce et de la banque ;
elle lisait les écrits de ses historiens qui démontraient
qu'un état constitué par les siècles, formant une incon-
testable individualité historique, a le droit de réclamer
son autonomie.
Telle était, à la veille de la grande crise de 1848,
LA RÉVOLUTION DE 1848 ET L'ALLEMAGNE 171
rètai des diverses nationalités soumises au despotisme
des Habsbourgs et aux combinaisons de Metternich.
Dès les premiers jours de mars, la Révolution fran-
çaise du 24 février eut son contre-coup dans FAUe-
magne toute entière. L'Allemagne étouffait sous la
double compression de ses princes et de sa diète go-
thique : ses velléités d'indépendance populaire cher-
chaient partout une issue, tantôt dans l'économie poli-
tique, tantôt dans les vagues idées de réforme eatho-
tique des prêtres Ronge et Gzerki, tantôt enfin dans les
doctrines philosophiques. Mais partout, dans ses élans,
elle se heurtait à ces terribles lois contre la presse si
savamment élaborées sous Tinspiration de TAutriche,
et elle retombait grondante et désespérée. Aussi l'esprit
révolutionnaire, venu d'outre-Rhin, trouva-t-il le ter-
rain admirablement préparé : en un instant tout fut en
Qamme.
Dès le 3 mars, Francfort forçait son sénat à abolir
la censure et à établir la liberté de la presse ; Hambourg
obtenait les mêmes résultats après avoir démoli les
maisons de quelques-uns de ses oligarques détestés. Le
duc de Nassau accordait une constitution le 5 mars;
le grand-duc de Saxe-Weimar en faisait autant le 6,
et le grand-duc de Hesse-Darmstadt, forcé de prendre
pour ministre le célèbre Henri de Gagern, lançait le
même jour une proclamation réformatrice qui pro-
duisit une immense sensation. Le 7, un des principicules
les plus arriérés, l'électeur de Hesse-Gassel, reçut de
ses sujets un ultimatum et, comme il n'y répondait pas,
vit son palais envahi par vingt mille révoltés qui le
forcèrent, au bruit du tocsin, à tout accorder. Dans le
grand-duché de Bade, déjà très-ouvert aux idées libé-
rales, l'agitation se manifesta dès le 29 février, et sous
l'impulsion des Struve et des Hecker, aboutit le 3 mars
à l'obtention d'une constitution accueillie avec en-
thousiasme à Carlsruhe, à Manheim, consacrée par les
larmes d'attendrissement du grand jurisconsulte Mit-
172 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
termaier, mais qui n'arrêta pas les revendications ré-
publicaines.
Le roi de Wurtemberg avait cédé de bonne grâce dès
le 2 mars, devant les démonstrations. Il fallut, au con-
traire, une émeute pour faire céder le grossier despote
du Hanovre, Ernest- Auguste. Les 2, 3 et 4 mars, on se
battit à Munich encore toute flévreuse des événements
relatifs à Lola-Montès. Le roi fit toutes les concessions
dans sa proclamation du 6 mars et abdiqua le 20 mars.
L*élan populaire triompha aussi dans le royaume de
Saxe des résistances de Frédéric-Auguste , qui , le
16 mars , prit un ministère de réformes. Enfin la
Prusse, à son tour, fut entraînée dans le mouvement,
dans Télec trique tourbillon , après avoir vainement
tenté de soulever les esprits contre la France et de
noyer l'esprit révolutionnaire dans l'esprit national.
Cet appel à la Prusse militante ne réussit pas : les
Prussiens de ce temps-là n'entendaient pas sacrifier la
vraie liberté à la fausse gloire. Il n'entre pas dans
notre cadre de raconter les journées de troubles qui
aboutirent à la patente du 18 mars, immédiatement
suivie de la furieuse bataille des rues qui se prolongea
jusqu'au 19, jour où la foule força le roi à venir saluer
ses morts. Le 21, Frédéric-Guillaume publia sa fameuse
proclamation constitutionnelle et posa en même temps
ses prétentions à l'hégémonie de l'Allemagne unifiée.
Le drame de la révolution autrichienne présente les
mêmes péripéties que les autres drames révolution-
naires de l'époque. D'un côté, un gouvernement de
mauvaise foi n'accordant des concessions qu'avec l'es-
poir de les reprendre, éveillant par cette conduite des
soupçons qui se traduisent en émeutes, essayant d'abord
d'étouffer ces émeutes dans le sang, puis cédant à
nouveau jusqu'au jour où il peut tout ressaisir par la
force; de l'autre côté, le peuple confiant d'abord, con-
tent de peu, puis éveillé au soupçon par des trahisons
(Je tout genre, s'exaspérant peu à peu par le chômage
SYMPTOMES DE RÉVOLUTION A VIENNE 173
et la misère, et finissant par retomber sous le joug,
avec quelques martyrs de plus sur le pavé des rues ou
dans les bagnes de la réaction.
La première pensée de la vieille Autriche absolutiste
fut de se mettre en travers de la Révolution. Dès le
4 mars 1848, la Gazette officielle publiait les articles
les plus violents contre la France démagogique et pro-
pagandiste, et on commençait des armements. Mais les
nouvelles de l'Allemagne, de la Prusse et des provinces
intérieures. Bohème, Hongrie, Transylvanie, Gallicie,
firent réfléchir. On se résolut au statu quo, et TEmpe-
reur publia, le 10 mars, la déclaration suivante : « Sa
Majesté considère le changement de gouvernement en
France comme une affaire intérieure de ce pays. L'Au-
triche est bien éloignée de vouloir intervenir médiate-
ment ou immédiatement dans les affaires de France...
La volonté de Sa Majesté est, dans ces temps difficiles,
de faire tous ses efforts pour que TAutriche soit fcrrte
au-dedans, respectée au dehors. Mais Sa Majesté veillera
avec la même énergie pour qu'aucune tentative de bou-
leversement n'ait lieu, qui pourrait jeter dans l'anarchie
son empire béni du ciel. » Voici les formules vagues et
les menaces précises qu'on offrait à ce peuple affamé
de réformes et enivré par les souffles qui lui venaient
de tous les points de l'horizon. Il voulait mieux et se
mit de suite à l'action.
Le 11 mars une adresse était remise aux Etats de la
Basse-Autriche (la Diète locale composée des prélats,
des seigneurs, des chevaliers et des députés des villes).
Elle réclamait (c la publication immédiate de l'état des
recettes et dépenses publiques; la convocation pério-
dique d'une assemblée des représentants pris dans toutes
les classes de la population ; la liberté de la presse ; la
publicité des débats judiciaires ; des institutions muni-
cipales et communales. » Le 12, les dix-huit cents étu-
diants de l'université de Vienne prenaient la tête du
mouvement et se formaient le 13 en cortège pour aller
10.
174 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
porter leurs vœux au Palais des États. Ils se heurtèrent
à un grand déploiement militaire : les places étaient
garnies de canons. Alors éclata la colère populaire ; aux
cris furieux de : A bas Mettemich, on alla démolir au
Renweg la villa du ministre exécré. A quatre heures et
demie, les troupes firent une première décharge sur la
Judenplatz et couchèrent sur le pavé six morts : le com-
bat s*engagea. L^arsenal fut forcé et pillé, et du haut de
son palais, Ferdinand pleura en voyant incendier ses
écuries. A neuf heures du soir une députation des États
vint demander la retraite de Mettemich. Il n'y avait pas
à s'y tromper : c'était plus qu'une émeute, et, malgré ses
18,000 hommes de garnison et son artillerie, la cour
comprit qu'il fallait céder. Metternich épouvanté se
cacha dans le palais du prince de Lichtenstein : au ma-
tin il se sauva par la porte de Carinthie, déguisé, tapi
avec sa jeune femme, non moins détestée que lui, au
fond d'une voiture de blanchisseuse. Le Timesy en annon-
çant le 33 mars son arrivée en Angleterre, écrivait :
« Le dernier débris du vieux système est tombé; le
prince de Metternich a été vaincu dans une lutte qull
ne pouvait pas soutenir contre l'opinion publique des
pacifiques habitants de la Basse-Autriche. Le plus vieux
ministre de la plus vieille cour a été chassé... Après
quarante ans d'un pouvoir ilUmité, Metternich aban-
donne l'Autriche en arrière du reste de l'Europe, appau-
vrie dans ses finances, divisée dans ses provinces, me-
nacée ouvertement dans ses plus importantes posses-
sions. »
Le 14 au matin, on pouvait lire au coin de toutes les
rues une proclamation impériale annonçant l'armement
des étudiants, la démission de Metternich, l'institution
d'un comité des États dont était appelé à faire partie
Alexandre Bach, mais menaçant de l'emploi de la force
si on ne se contentait pas de ces concessions. La garni-
son, sortie de ses quartiers, bivouaquait sur les glacis
des remparts. Le prince de Windischgraetz était nomme
JOURNÉES DU 14 ET DU 45 MARS 1848 175
commandant supérieur des troupes. Ce choix seul mon-
trait combien la cour nourrissait d'arrière-pensées. Une
camarilla cherchait à entraîner Ferdinand dans la voie
de la résistance. Les chefs du mouvement populaire
firent déclarer au palais que cette attitude équivoque ne
permettait pas de désarmer, et la ville prit un aspect si
redoutable que Ton céda. A une heure un rescrit établis-
sait la garde nationale sous le commandement du comte
Hoyos et avant la fin de la journée quarante mille ci-
toyens s'étaient déjà fait inscrire sur ses contrôles. Une
proclamation engageait les États de la monarchie à en-
voyer des députés à Vienne pour le 3 juillet. Le Prési-
dent de la Basse-Âutrichie annonçait que la censure était
abolie et qu'on allait élaborer une loi libérale sur la
presse. Mais le soir, dans les rues déjà désertes et déjà
silencieuses, on afficha un décret mettant Vienne en état
de siège, et le lendemain, à l'aube du jour, un bando de
Windischgraetz écrit dans le style provocateur et brutal
inhérent à ce genre de littérature. Il n'y a pas dans
l'histoire de spectacle plus curieux que celui de cette
journée du 14 mars avec les alternatives précipitées de
concessions et de résistances, d'abattement et de rage
en haut, d'enthousiasme et de déception en bas, comé-
die par ces attaques et ces retraites multipliées de la
camarilla, tragédie par ces perspectives de guerre
civile entrevue grâce à l'absence de sincérité dans la
cour et au fauve désir des chefs militaires d'entrer en
lutte.
On croyait bien le 15 au matin qu'elle allait éclater
terrible, cette guerre civile. Mais la nuit avait porté
conseil et, plus que la nuit, la nouyelle des événements
de Hongrie. Ferdinand résolut de se montrer au peuple
et bientôt, accompagné de son frère et de son neveu
(François-Joseph actuellement régnant), il parcourut
les rues de Vienne dans une voiture à quatre chevaux.
Le peuple l'accueillit avec des transports d*affectîon :
ce fut un échange d'attendrissements infinis, des effu-
176 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
sions mouillées de larmes réciproques. Ferdinand, de
retour au palais, déclara à son entourage qu'il fallait
accorder à cet excellent peuple une constitution : des
lettres-patentes annoncèrent qu'un projet dans ce sens
serait soumis aux délibérations des députés des états.
Les promesses étaient vagues , mais n'en furent pas
moins accueillies avec délire. Vienne illumina : on fra-
ternisait sur les places publiques. Qui de nous n'a vu
ces haltes joyeuses dans les révolutions, ces moments
de confiance où tous les soupçons se dissipent, où
la foi rayonne, où Ton croit l'entente définitive et
l'avenir assuré? Elles sont toujours suivies de tristes
réveils.
Le vieux Kolowrat fut nommé président du Conseil ;
Lichstenstein remplaça Windischgraëtz dans le com-
mandement supérieur des troupes. Mais le portefeuille
de l'intérieur fut confié au comte de Ficquelmont, élève
de Metternich, un de ces hommes dans lesquels la réac-
tion s'incarne aux époques troublées. Le 17 mars on
enterra solennellement les victimes de la révolution;
le 23, le Spielberg rendit à la liberté et au soleil sa lé-
gion de prisonniers-spectres. La vue de cette troupe de
hâves martyrs ne suffisait-elle pas à justifier la révo-
lution?
Cette période sereine ne tarda pas à s'assombrir. Le
i^ avril Ficquelmont fut nommé premier ministre : les
principaux membres du cabinet étaient Pillersdorf,
Kraus, Sommariga. On prépara tout pour la réaction,
et Windischgraëtz reçut le commandement d'un corps
d'armée du Nord dont il était facile de prévoir la mis-
sion. Ficquelmont d'aUleurs, habile et souple, ne pré-
cipitait pas les choses. Amélioration de la loi sur la
presse, publication du budget de 1848 et des budgets
antérieurs depuis 1841, réformes sociales pour délivrer
les paysans des coutumes féodales qui pesaient encore
sur eux, aucun trompe-l'œil n'était négligé. Enfin le
25 avril, la Constitution fut octroyée avec pompe. La
LA CONSTITUTION DU 25 AVRIL 177
proclamation s'en fit devant l'armée, la garde natio-
nale et l'université.
Le préambule était plein d*effusion. La Constitution
établissait un sénat composé de princes impériaux, de
membres nommés à vie par l'empereur et de cent cin-
quante membres élus par les principaux propriétaires,
et une Chambre des députés de 383 membres élus sui-
vant un mode à déterminer. La Constitution garantissait
l'égalité devant la loi, la liberté de conscience, la liberté
delà parole et de la presse, le droit de réunion, l'éga-
lité devant l'impôt, la propriété accessible à tous. Elle
accordait le jury en matière criminelle, les juges ina-
movibles, les débats publics.
Mais cette Constitution avait deux grands vices : elle
supposait résolue la question des nationalités si domi^
nante en Autriche et étabUssait une unité et une cen-
tralisation tout à fait chimériques. Elle émanait, non
des représentants librement élus du pays , mais de
la simple volonté de l'empereur qui, l'ayant donnée,
pouvait la retirer. De plus c'était l'impopulaire FicqueU
mont qui était chargé de l'appliquer et de préparer la
loi électorale provisoire en vertu de laquelle serait élue
la prenûère diète générale. Que de motifs de défiance,
tant chez les diverses races de l'empire que chez ce
peuple de Vienne qui se sentait vaguement la . proie
d'une immense mystification I Bien des idées confuses
s'agitaient dans ces masses si récemment initiées, après
des siècles d'oppression, au mouvement de la vie po-
litique. Elles avaient quelque peu conscience qu'un
monarque absolu ne devient jamais qu'en apparence
un roi constitutionnel, et que le dogme du droit divin
n'a que des semblants d'abdication devant le dogme de
la souveraineté du peuple. Mais d'un autre côté, elles
^^ s'étaient pas encore élevées à la conception de la
République : le respect dynastique les tenait encore,
ûe là les oscillations et la gaucherie qu'on remarque
dans le cours de leurs revendications.
478 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
LTJniversilé, dont Texpression armée était la lé^on
académique, voulut au moins se débarrasser du sosie*
de Mettemich, et le 3 mai une foule immense alla de-
mander au comte de Ficquelmont sa démission immé-
diate. Il obéit après avoir consulté Tempereur et quitta
Vienne le 4 mai, laissant sa succession à Pillersdorf.
Mais son esprit parut avoir inspiré la loi électorale pro-
visoire publiée peu après. Les journaliers , c*esf^à-dire
tous les ouvriers, étaient exclus des listes électorales.
On vit de plus en plus clair dans le jeu de la cour, et
un comité central de la garde nationale se forma pour
résister à la réaction. Le gouvernement en prononça la
dissolution le 14 mai. Le 15, la légion académique ap-
pela le peuple à une grande manifestation armée et fit
parvenir à l'empereur une pétition réclamant le main-
tien du comité de la garde nationale, une autre loi élec-
torale, une seule Chambre, la sortie de la garnison. On
attendit la réponse pendant tout l'après-midi et une
partie de la nuit, faisant face aux grenadiers et aux
cuirassiers rangés devant le château. La cour céda, et
le 16 mai un rescrit concédait le maintien du comité
central et Télection d'une seule Chambre qui aurait le
pouvoir constituant et qui serait élue par le suffrage
universel. C'était la reconnaissance complète du dogme
de la souveraineté du peuple.
Mais dès ce moment Ferdinand, profondément blessé
de la ctoire de ce qu'il appelait la démagogie, avait
pris la résolution de quitter cette ville qui avait le tort
de montrer trop de logique dans les voies de la révo-
lution et de faire de chaque point conquis le point de
départ d'une autre conquête. Le 17 mai il exécuta une
fuite de Varennes qui réussit, et le 19 il arrivait à Ins-
pruck, où les dévots et monarchistes Tyroliens l'accueil-
lirent avec transport. Il se sentait chez lui dans cette
Vendée montagneuse. Aussi donna-t-il libre carrière à
ses rancunes et à ses reproches, qu'il exposa dans un
long manifeste. C'était le ton d'un père irrité gounnan-
FERDINAND S'ENFUIT DE VIENNE 179
dant ses enfants ingrats : la vieille notion du despotisme
j)atemel accordant ou refusant ses dons en vertu de
Tonmipotence que la Providence lui délègue inspirait
ce langage suranné. Et, il faut bien le dire, la masse du
peuple viennois se montra profondément déroutée et
inquiète de la fuite de son monarque : les vieilles habi-
tudes de soumission reprirent momentanément le des-
sus ; tant de siècles d'autorité incontestée en avaient
imprégné la matière cérébrale de ces hommes chez les-
quels le citoyen n'était pas encore suffisamment sorti
du sujetl
Le ministère profita de cet effarement. Composé de
Pillersdorf à Tintérieur, de Golloredo-Wadsee aux af-
faires étrangères, de Kabeck aux finances, de Stadion
à la présidence du conseil aulique et de Kollowrat et
Hardig, ministres sans portefeuille, il déclara qu'il res^
terait aux affaires, qu'il avait envoyé le comte de Hoyos,
commandant en chef de la garde nationale, et le comte
Wilczeck auprès de l'empereur pour rengager à revenir,
qu'il était prêt à s'entendre avec les comités pour main-
tenir Tordre. Le comité central se dispersa de lui-»
même. Le comte d'Auesrperg fut nommé commandant
de la garde nationale et de la légion académique
réunies ; le comte de Montecuculli, président de la ré-^
gence de la basse Autriche, fut mis à la tète dW
comité de sûreté et défendit les attroupements et les
assemblées nocturnes. Les quelques libres et prévoyants
esprits qui proposèrent de répondre à la fuite de l'em-
pereur par la proclamation de la République soule-
vèrent contre eux la réprobation et les défiances. L'ar-
deur monarchique devint du fanatisme ; les Bohèmes,
les Hongrois envoyèrent des députations à Inspruck
pour offrir un asile à l'empereur. Hoyos et Wilczeck
rapportèrent d'Inspruck une lettre impériale demandant
aux ministres de rester à leur poste et déclarant que
le maître ne reviendrait que quand le peuple serait
revenu à ses anciens sentiments de fidélité.
i80 HISTOIRE DE L'AUTRIGHË
Le bon peuple de Vienne ne tarda pas à recueillir les
fruits de cette crise de soumission et de repentir. A le
voir si courbé, les hommes du pouvoir pensèrent qu'on
le jetterait facilement à plat ventre. Le 26 mai, le comte
de Montecuculli fit afficher la dissolution de la légion
académique, cette force vive de la révolution, fermer
les portes de la ville et prendre à la garnison des dis-
positions de combat. C'était trop t6t. Etudiants, bour-
geois, ouvriers coururent aux armes. Un soldat tua d*un
coup de baïonnette un bourgeois nommé Drechsler,
ce fut le signal des barricades : la viUe s'en couvrit et
la garde nationale prit position derrière elles. Un co-
mité de sûreté spontanément formé signifia au gouver-
nement les volorités du peuple. Après bien des négo-
ciations qui durèrent le 27 et le 28 mai, au milieu d'a-
lertes continuelles, de préparatifs de lutte, le ministère
céda, et le 29 il publia une profession de foi dans la-
quelle il promettait de hâter la réunion de la Diète , de
presser le retour de l'empereur et de gouverner loya-
lement dans l'esprit des concessions du 15 mai. Monte-
cuculli prit la fuite et Hoyos fut livré en otage, bientôt
rendu à la liberté. La tentative réactionnaire avait com-
plètement échoué. L'empereur le comprit, et, par ses
proclamations dictées d'Inspruck le 3 et le 6 juin, sanc-
tionna tout ce qui s'était fait. On ne pensa plus qu'aux
élections générales.
L'empereur ne voulant pas encore revenir, envoya
comme son suppléant le populaire archiduc Jean,
l'homme à tout faire de la monarchie qu'on songeait
à Francfort à élire empereur d'Allemagne, et que la
Hongrie et la Croatie avaient choisi comme arbitre. Le^
députés à la diète se réunirent le 40 juillet en assemblée
préparatoire à Vienne; le 19 juillet fut constitué le nou-
veau ministère : Wessemberg, affaires étrangères-—
Dobbelhof, intérieur — Alexandre Bach, justice — Comte
Latour, guerre — Krauss, finances — Hornbostel, com-
merce — De Schwarzer, travaux publics. L'assemblée
LA DIÈTE DE VIENNE 181
fut ouverte le 27 juillet par un discours libéral de Tar-
chiduc Jean. Elle nomma président pour un mois le
Viennois François Schmidt, et vice-présidents Strohbach
de Prague et Magueneau de Trieste. Il y avait des re-
présentants de la Bohème et de la Gallicie. Mais nul ne
pensait que la nouvelle ère constitutionnelle, ouverte
après tant de luttes et d'agitations, aurait le pouvoir
magique d'apaiser les rivalités de races et de rallier
tant de peuples divers à l'idée de l'unité. On eut vite la
preuve que l'amour de la nationalité l'emportait sur
celui de la liberté. Voyons en effet ce qui s'était passé
dans le reste de l'empire pendant les crises révolution-
naires de Vienne.
ÀSSEL!NE. t 1
CHAPITRE II
Hongrie. — Diè^ de 1847. — Kossuth. — Ministère Batthyany.
— Lois hongroises de 1848. — Insurrection Serbe. — Jellacic.
— Insurrection des Roumains. — Bombardement de Prague. —
Pologne. — Italie : défaites de Charles-Albert.
Hongrie. Nous avons vu que les comitats étaient les
organes essentiels de la vie politique et nationale en
Hongrie sous la conduite de leurs comtes suprêmes,
présidents des assemblées électorales ou congrégations^
des diètes locales et des tribunaux de chefs-lieux. Gomme
ces dignitaires échappaient à Faction du pouvoir cen-
tral, le gouvernement de Vienne, à la suite des diètes
de 1843-1844, où s'était manifesté un si vif esprit de
réforme et d'indépendance, résolut de forcer les comtes
suprêmes à devenir ses agents directs ou de les remplacer
par des administrateurs à ses gages, qui pourraient,
à rinstar des préfets de Louis-Philippe, corrompre les
électeurs et envoyer à la diète une majorité de minis^
tériels et de satisfaits. Metternich, pour réaliser cette
idée, fit confier rarchichancellerie de Hongrie au comte
Georges Apponyi, un des auteurs de ce plan. L'exécu-
tion souleva en Hongrie les plus vives colères et Louis
Kossuth, à la congrégation de Pesth, stigmatisa le nou-
veau système dans un éloquent discours. Douze cents
libéraux présidés par un magnat dévoué à la cause po-
DIÈTE HONGROISE DE 1S41 183
pulaire, le comte Louis Batthyany, publièrent un pro-
gramme du parti progressiste dû à la plume du jeune
sage François Déak. Il se résumait dans les propositions
suivantes : 1® partage entre tous les citoyens des charges
publiques ; 2° participation des citoyens non nobles, et
avant tout des habitants des villes royales et des dis-
tricts libres, à la législation et aux droits municipaux ;
3° égalité civile ; ÂP abolition, moyennant une loi obliga-
toire, des corvées et redevances, avec indemnité aux
possesseurs ; 5<> sécurité donnée au crédit et à la pro-
priété par l'abolition de Vavittcité,
C'est sur ce programme très-modéré qu'on se pré-
para aux élections. La congrégation de Pesth, malgré
les efforts désespérés des conservateurs et au miUeu
d'un grand enthousiasme, élut députés le vice-comte
Maurice Szentkirâlyi et Louis Kossuth (17 octobre 1847).
La diète s'ouvrit à Presbourg {Posony) le 7 novembre.
Le 22 l'empereur-roi Ferdinand prononça un discours
du trône qui, au lieu d'être rédigé en latin, le fut pour
la première fois en jnagyar. Ce fut un délire et les deux
chambres élurent Palatin par acclamation l'archiduc
Etienne, fils du populaire archiduc Joseph. Celui-ci prit
possession le 15 du fauteuil de la présidence et à son
tour prononça un discours patriotique. Puis les tra-
vaux législatifs commencèrent sous ces heureux aus-
pices.
Dès les premiers jours l'attitude des deux députés
croates que la diète d'Agram envoyait siéger à la diète
hongroise fit prévoir que la question de race ne tarde-
rait pas à dominer. Ces deux députés ne cessèrent de
faire entendre leurs revendications nationales, tandis
qu'au contraire les Magnats croates faisaient cause
commune avec les Magyars.
Nous n'entrerons pas dans le détail des travaux de la
diète où chaque jour grandit l'influence de Kossuth.
On y montrait un esprit de réformes progressives et
temporisatrices beaucoup plus qu*un esprit de révo-
184 HISTOIRE DE L^AUTRICHE
luiion. C'était prudemment, morceau par morceau,
qu*on y voulait démolir Tédifice féodal. La chambre
haute ou chambre des Magnats résistait aux plus timides
innovations, ce qui était dans son rôle, et cette lutte où
tantôt Tun, tantôt l'autre des adversaires cédait, faisait
rintérêt des débats. Le Palatin intervenait comme ar-
bitre entre l'oligarchie de la chambre haute âprement
attachée aux privilèges féodaux et la bourgeoisie pour-
tant peu exigeante de la chambre basse. Il faut bien
dire que Kossuth et ses amis se montraient plus préoc-
cupés d'assurer l'indépendance de la Hongrie vis à vis
de l'Autriche que de faire passer dans les lois les prin-
cipes démocratiques. Ils le prouvèrent dans la question
des villes libres si insuffisamment représentées à la
diète. La diète alla même jusqu'à voter que les im-
migrants ne seraient naturalisés qu'à la condition de
savoir le magyar.
La nouvelle de la révolution de février vint imprimer
une toute autre allure à ces parlementaires jusque-là
si timorés. Dès le 3 mars, la seconde chambre vota
une adresse au roi dans laquelle on demandait pour la
Hongrie un ministère responsable. Le 14 mars la nou-
velle des événements de Vienne arriva à Presbourg et
excita le plus vif enthousiasme : son premier effet fût
de faire voter par les Magnats l'adresse qu'ils auraient
repoussée huit jours avant. Le 15 mars, on vota toute
une série de mesures radicales bien autrement accen-
tuées que celles qui faisaient, depuis l'ouverture de la
diète, l'objet des délibérations timides de la diète : abo-
lition définitive des corvées et de tous les droits féodaux,
avec indemnité par l'état aux seigneurs dépossédés;
droit de vote individuel entraînant l'abolition des anti-
ques classes et corporations ; nouvelles élections à bref
délai. Le même jour une députation , conduite par
Louis Batthyany et Kossuth, partit pour Vienne. Le
même jour encore, la jeunesse de Pesth ayant à sa tête
un homme qui s'était soudainement révélé grand ora-
NOUVELLES DE LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER 185
leur : Vasvari, et ses amis Pelofî le poète, Jokay le
futur journaliste, Bulyovsky, etc., fit imprimer de force,
sans visa de la censure, un programme en douze articles
qui devint la Charte de la révolution : 1" liberté de la
presse ; 2* ministère responsable siégeant à Buda-Pesth ;
3» convocation annuelle de la diète et sa réunion à Pesth ;
4* Tégalité devant la loi; 5» la garde nationale ; 6^ les
charges publiques également supportées par tous ;
7^ l'abolition de tous les liens féodaux entre les paysans
et les seigneurs ; 8<* le jury ; 9** une banque nationale ;
10* serment des militaires à la constitution ; garnison
des régiments hongrois sur le sol hongrois; 11* mise en
liberté des détenus politiques ; 12^ union de la Transyl-
vanie à la Hongrie. Puis Alexandre Petofy, qui n'avait
alors que vingt-quatre ans, lança un poème magnifique
aux strophes enflammées. Un comité de sûreté publique
fut organisé, ainsi qu'une garde nationale. On craignit
un instant, comme à Vienne, un conflit avec la gar-
nison; mais ce malheur fut évité.
Ferdinand, faisant contre fortune bon cœur, accueillit
la députation ma^are et lui accorda tout ce qu'elle
demandait. Le comte Batthyany fut chargé de former le
premier ministère national hongrois. Le 18 mars, la
diète eut une sorte de nuit de quatre août et les pré-
lats eux-mêmes renoncèrent à la dime. Pesth d'ailleurs
veillait : son comité de sûreté exerçait une pression sur la
diète dans le sens des idées révolutionnaires. Kossuth
protesta même contre ce joug d'une seule commune. Ce
fut sans doute pour mieux marquer la protestation que
la diète retomba de nouveau dans la voie des demi-
mesures et des transactions, établissant un cautionne-
ment de 25,000 florins pour les journaux, excluant les
Juifs des listes électorales municipales, accordant aux
fonctionnaires de l'ancienne administration des dédom-
magements magnifiques.
Le premier ministère national hongrois fut constitué
le 23 mars : il se composait du comte Batthyany, prési-
186 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
dent du conseil sans portefeuille ; de Szemere à Tinté-
rieur ; du prince Paul Esterhazy au département des
relations entre la Hongrie et TAutriche ; de Louis Kos-
suth aux finances ; de Mészaros à la guerre ; du comte
Széchenjri aux travaux publics ; du baron Eotvos à Tins-
truction publique et aux cultes ; de IQauzal à l'agricul-
ture et au commerce ; de Français Déak à la justice. Il
était malheureusement loin d'être homogène : rélément
libéral, conciliateur, timoré, y dominait, et par ses ter-
giversations , ses incertitudes vis à vis de TAutriche,
compromit promptement le présent et l'avenir. Les
Magyars, profitant des embarras de la cour d'Autriche,
auraient dû alors prononcer sans hésiter la séparation
absolue ; les circonstances étaient favorables. Kossuth
n'osa pas prendre ce grand parti et se contenta d'une
demi-mesure qui ne donna qu'une demi-indépendance.
Les conséquences de cette faute irréparable ne tardèrent
pas à se faire sentir. Ferdinand refusa même pendant
quelques jours d'accorder des portefeuilles de la guerre
et des finances ; il n'y consentit que le 31 mars sur les
instances du Palatin.
La diète fit une loi électorale qui établissait des élec-
teurs censitaires, laissait de côté toute la plèbe, écar-
tait les Juifs, conservait aux nobles leur ancien droit de
vote personnel. La future assemblée, élue par les douze
cent mille électeurs que donnait cette loi si timide,
devait être composée de 317 députés. La loi sur les co-
mitats conserva le droit de vote aux nobles de race et
aux capacités et maintînt aux congrégations ou assem-
blées locales leur caractère aristocratique et privilégié.
L'émancipation des juifs fut repoussée, de l'avis même
de Kossuth qui déclara la mesure inopportune.
Le 10 avril Ferdinand vint clore la diète, accompagné
du jeune archiduc François-Joseph. Il sanctionna les
trente et une lois votées au cours de la session et prononça
une allocution en hongrois qui souleva, comme d'habi-
tude, un ardent enthousiasme chez ce peuple monar-
kossuth; lois sur les langues 187
chiste jusqu'aux moelles. Cette diète de 1847-1848 s'était
montrée bien indécise, bien troublée, bien peu dégagée
de l'esprit du passé ; elle ne sut, dans aucune direction,
vouloir jusqu'au bout. Son leader, Louis Kossuth, dont
l'Europe républicaine de 1848 fit le type du révolu-
tionnaire radical et l'Europe réactionnaire le type du
démagogue eifréné, ne se montra ni l'un ni l'autre et
ne mérita ni cet excès d'honneur ni cette indignité. Il
fallut plus tard la pression des circonstances pour lan-
cer cet oratoire et mystique tribun dans des voies plus
avancées. Ses deux fautes capitales furent son refus de
briser l'union avec l'Autriche et son attitude dans la
question des nationalités. Il montra, dans cette der-
nière, le patriotisme le plus étroit et le plus égoïste : il
y fut l'incarnation de l'esprit magyar, des prétentions
de ce petit peuple à la domination sur les Slaves et sur
les Roumains, de ses préjugés de race 1 II prononça des
paroles irréparables, et il fut le principal instigateur de
la croisade des peuples yougo-slaves qui sauva la mo-
narchie autrichienne. Cette croisade se préparait, tandis
que les Magyars enivrés acclamaient à Presbourg le roi
de Hongrie. Sur la Save et à l'embouchure de la Theiss,
retentissait déjà le cri : « nolumus madgyartsari, nous
ne voulons pas être magyarisés I »
Les députés de la Diète qui venait de se clore,
avaient élaboré un projet dont voici quelques articles :
« ... â^ Dans toutes les branches de l'administration
civile et ecclésiastique, nulle autre langue ne sera désor-
mais admise que le magyar : tout document écrit dans
un autre idiome est et demeure sans caractère légal. — 7* Les
pays annexes (Croatie) auront le droit de faire usage du
latin dans le plein exercice de leurs libertés munici-
pales, mais ils devront employer le magyar dans leurs
relations avec les autorités hongroises... 8® L'enseigne-
ment de la langue magyare sera obligatoire dans toutes
les écoles... » C'était encore une aggravation de la loi
de 1844. Aussi la Diète, la réservant comme pierre d'at-
188 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
tente, n^osa la comprendre dans son décret définitf. Mais
le coup était porté : Slaves, Roumains et Serbes compri-
rent qu'au lieu des espérances d'égalité et de liberté
que leur avait fait concevoir le mouvement de réveil, le
joug magyar allait s'appesantir sur eux plus lourd que
jamais. Il y avait d'ailleurs encore d'autres motifs de
scission.
En pleine Croatie, dans le comitat même d'Agram,
se trouvait un district noble qui avait le singulier privi-
lège d'envoyer à la fois directement un député à la
seconde chambre hongroise et d'envoyer tous ses nobles
prendre part à la Diète d'Agram et y voter par tète.
Ces nobles de Turopolya, fiers de cette étrange situation,
se montraient en toutes circonstances plus Magyars que
les Magyars eux-mêmes. En 1845, la Diète d'Agram,
hardiment leur enleva le droit de voter par tête et Fer-
dinand, comme roi de Hongrie, sanctionna cette mesure.
Dès les premiers jours de 1847, le député de Turopolya
protesta à la Diète de Presbourg et déclara qu'on de-
vait regarder comme nulle l'élection des deux députés
croates envoyés à Presbourg par la Diète d'Agram.
Ceux-ci protestèrent à leur tour et conservèrent pendant
toute la durée de la session une attitude menaçante.
En même temps les nationaux croates faisaient circuler
des manifestes séparatistes qui enflammaient les esprits
et bien que Ferdinand eût fait mauvais accueil en avril
à une députation du parti illyrien, il était facile de voir
que le mouvement allait éclater. Il éclata à la fois chez
les Croates et chez ces Serbes du Banat dont nous avons
résumé la situation.
La principale des cités serbes, Neusatz (Ujvid^k)
accueillit avec une certaine sympathie les premiers
actes de la Diète de Presbourg. Elle crut que les Ma- |
gyars, qui travaillaient de si bon cœur à leur affrari- i
chissement national, allaient affranchir les nationalités ^^
dépendant de la couronne de Saint-Etienne, que ce ^
peuple si jaloux de son autonomie et de sa liberté allait i
RÉSISTANCE DES CROATES ET DES SERBES 189
garantir Tautonomie et la liberté des autres peuples.
Elle envoya le 8 avril une députation à la Diète pour
demander que les Serbes fussent reconnus à titre de
nation, admis à tous les emplois publics, autorisés à
tenir des synodes ou congrès nationaux. Kossuth fit une
vague réponse et renvoya la décision à la future assem-
blée ; puis, dans une audience privée qu'il accorda à la
députation, s'emporta et finit par s'écrier : « Dans ce
cas le glaive seul peut décider I »
En Croatie, par un rescrit impérial daté de la veille
même de la constitution du ministère Batthyany, le ba-
ron Jellacic était nommé ban et allait donner une direc-
tion unique au mouvement serbo-croate contre les Ma-
gyars. Officier chez les confinaires, Jellacic était alors
âgé de 48 ans. De belle et martiale tournure, de noble
physionomie, brave, poète, auteur de chansons popu-
laires chez les soldats, il exerçait une grande attraction.
Il avait juré de ressusciter la nationalité croate par les
armes, sachant que tout arrangement amiable avec les
Magyars était impossible. On a voulu le représenter
comme un simple instrument du despotisme autrichien,
un comparse exécutant un plan convenu d'avance dans
le drame de la réaction, en faire une sorte de Radetzky
du Danube exclusivement discipliné et militaire. C'est
un point de vue exagéré. Sans doute Jallacic, à un mo-
ment donné, combina ses efforts et ses mouvements
avec ceux de la cour impériale, à laquelle son éduca-
tion militaire le rendait tout dévoué, mais à l'origine son
action fut plus spontanée, inspirée par l'ardeur de l'idée
nationale. Quand les Croates lui ont élevé, il y a quelques
années, une statue sur une des places d'Agram, ce n'est
pas au serviteur de la djmastie d'Habsbourg-Lorraine
qu'ils ont entendu l'élever, mais au serviteur de la grande
cause yougo-slave contre la tyrannie magyare, à celui
qui posa le premier jalon de la confédération des peuples
du Danube.
Jellacic arriva à Agram le 18 avril et dès le 49 il se
il.
100 HISTOIRB DE L'AUTRICHE
mit à Tœuvre en plaçant sous le coup de la loi martiale
quiconque oserait agiter les esprits contre le roi légitime^
la patrie et la nationalité croates. Le 25, il détacha du
littoral hongrois (directement placé sous Tautorité de la
couronne de Saint-Etienne et représenté à la Diète de
Presbourg par son gouverneur) le district de Buccani
et l'annexa à la Croatie. Au même instant les Serbes
mettaient à la tète du mouvement Rajacîc, archevêque
de Garlowitz {Karlovci) et métropolitain des Grecs non-
unis. Le âO avril, une assemblée populaire tenue à Neu-
satz {NoviSad) vota la séparation d'avec la Hongrie et
l'union avec la Groatie-Slavonie et décida qu'une grande
Assemblée nationale serbe se réunirait le 13 mai. Le
24 avril, à Nagy-Kikinda, dans le comitat de Torontal,
les Serbes se mirent en insurrection et chassèrent les
autorités hongroises. Mêmes faits le 26 avril à O'Becse
dans le comitat de Bdcs. Partout on brûlait les registres
de l'état civil tenus en langue magyare. Enfin, le 13 mai,
eut lieu à Garlowitz la réunion annoncée. Des milliers de
Serbes votèrent : 1** que la dignité de patriarche serait
rétablie dans la personne de Rajacic et celle de voï-
vode dans la personne d'Etienne Schuplikatz ; 2** que
les Serbes se constituaient en nation libre et indépen-
dante sous le sceptre de la maison d'Autriche et sous la
couronne de Hongrie; 3<> que la voïvodie serbe se com-
poserait du comitat de Sirmie avec ses confins mili-
taires, des comitats de Baranya et de Bacs avec les con-
fins des Tchajkistes, du banat de Temesvar avec ses
confins et du district de Kikinda; 4^ que la nouvelle
voïvodie serait unie au royaume de Croatie, de Sla-
vonie et de Dalmatie sur la base de la liberté com-
mune; 5' qu'une députation serait envoyée à Vienne
et une autre à Agram ; 6° qu'un comité prendrait la
direction du mouvement et qu'on mettrait à sa dispo^
sition les fonds des églises et des écoles. Le comité
choisit Rajacic pour président et, pour vice-président,
un jeune homme de 26 ans, ancien lieutenant dans
LE MINISTÈRE BATTHYANY ET LES SERBES 191
Tannée autrichienne, Georges Stratimirovic. Des repré-
sentants devaient être envoyés au congrès général des
Slaves de Prague; une proclamation fut adressée, pour
les rassurer, aux nombreux Allemands de la Backa.
Le ministère Batthyany manqua d'énergie et de déci-
sion contre l'agitation serbo-croate : il obtint de Ferdi-
nand un rescrit qui lui soumettait Jellacic et qui en-
voyait en Croatie un commissaire extraordinaire pour
réprimer les tendances séparatistes , le général Hra-
bovsky. Il chargea le comte suprême de Temes, Crno-
jevic, de réprimer les petites insurrections serbes : les
patrouilles magyares le firent avec une grande cruauté ;
on brûla et on pendit. Il convoquait en même temps
les Serbes à un synode national à Garlowitz pour le
15 mai, qu'il ajourna ensuite au 15 juin. Enfin il dé-
créta une levée de 10,000 hommes de gardes natio-
nales. Il ouvrit une souscription nationale pour les be-
soins de la patrie menacée. Il établit un camp à Szeged
et y appela les régiments transylvains sicules. Le
14 mai, il fit destituer Jellacic de sa dignité de ban
par décret du Palatin. Enfin, à la nouvelle de la fuite
de l'empereur de Vienne le 17 mai, il fit supplier Fer-
dinand par le ministre Esterhazy de venir s'établir
au milieu de ses fidèles Hongrois. C'est ainsi qu'en
tout et toujours, Batthyany et ses amis se montraient
constitutionnels scrupuleux et dynastiques dévoués, in-
voquant contre les rebelles serbo-croates l'autorité
royale, sauf à s'indigner plus tard que les Serbes et
les Croates invoquassent contre les Magyars l'autorité
impériale. En offrant un asile à Ferdinand, qui d'ail-
leurs refusa, ils blessaient en même temps les révolu-
tionnaires viennois.
Jellacic répondit aux timides mesures du ministère
hongrois en ordonnant la levée en masse, en convoquant
la congrégation générale des Croates et des Slavons
pour le 5 juin et en faisant désarmer les nobles du dis-
trict de Turopolya inféodés à la cause hongroise (25 mai).
192 HISTOIRE DE L'âUTRIGHE
Le ministère hongrois, devant cette audacieuse activité,
émît pour 12 millions et demi de billets de 1 à 2 florins,
payables à vue à la Banque commerciale de Pesth, et
poussa à la souscription nationale qui, malgré Télan
général, ne produisit que deux millions de florins. De
plus il avait négligé, quand 'on avait institué la garde
nationale, de faire venir du dehors des fusils pour l'armer,
et cette faute grave pesa sur toute la suite des événe-
ments. Quant à sa sommation respectueuse à Ferdinand
d'avoir à rappeler les régiments hongrois qui alors com-
battaient pour l'Autriche en Italie, il savait bien que la
cour ne ferait jamais droit à cette demande. Mesure
dérisoire aussi que celle par laquelle il exigea que tous
les corps stationnés en Hongrie prétassent serment à la
constitution hongroise. Plus efQcace fut la réunion de
la Transylvanie à la Hongrie décrétée le 30 mai par la
Diète assemblée à Kolosvar, avec l'enthousiasme des
deux nations magyare et sicule, avec quelques réserves
de la troisième nation, la nation saxonne. Un décret
abolit les corvées, dîmes, redevances et autres abus féo-
daux, sur la proposition du vieux patriote Wesselenyi
(6 juin). Le 19 juin un rescrit royal daté d'Inspruck
confirma l'union.
Mais cette union réveilla la question roumaine. Nous
avons dit combien les Roumains, qui forment la majeure
partie de la population de la Transylvanie, étaient
opprimés par les trois nations souveraines des Magyars,
des Sicules et des Saxons. Le mouvement partit de Hei^
manstadt (Nagy-Szeben). Dès le 25 mars des proclama-
tions manuscrites circulaient et rappelaient les griefs
de la race misérable. Une grande Assemblée nationale
fut indiquée pour le 15 mai à Balasfalva (Blajum). Les
journaux roumains y préparèrent les esprits par une
ardente polémique. L'arrestation de l'avocat valaque
Micas, porta au comble l'irritation que le gouverneur
autrichien, le comte Teleki, tenta vainement d'apaiser.
L'Assemblée eut lieu le 15 mai ; les patriotes roumains.
ASSEMBLÉE DES ROUMAINS A BALASFALVA 193
Janka, Butéano, l'évêque Schaguna y prononcèrent des
discours enflammés devant plus de quinze mille de leurs
concitoyens. Les Hongrois répandirent alors le bruit, de-
puis prouvé faux, que la tribune était décorée de dra-
peaux russes, leur intérêt étant de faire soupçonner der-
rière les levées de boucliers de chaque nationalité contre
leur tyrannie des influences panslavistes et Tor de la Rus-
sie. L'Assemblée vota une adresse célèbre, qui est restée
la charte des revendications roumaines. Elle demanda :
l<*la reconnaissance de la nation roumaine comme qua-
trième nation constitutionnelle, 2® Tégalité des cultes,
3" Tabolition des dîmes et corvées, 4° la liberté îndus-
trklle, 5** la liberté de la presse, 6<^la liberté individuelle
et le droit de réunion, 7® le jury, S^ un budget des cultes,
9^ la suppression des termes outrageants pour les Rou-
mains contenus dans le corps des lois, !(>> le retard du
vote d*union avec la Hongrie jusqu'au jour où les Rou-
mains seraient représentés dans la Diète. L'Assemblée
prêta serment dé fidélité à Ferdinand P'^, empereur
d'Autriche, et non à Ferdinand V, roi de Hongrie. Gomme
les Croates, comme les Serbes, comme les Tchèques,
les Roumains voulaient former une confédération d'états
indépendants sous le sceptre de l'empereur de Vienne,
ce qui allait directement contre les idées et les préten-
tions magyares. Une députation conduite par Schaguna
reçut à Pesth du ministère hongrois un fort mauvais
accueil et alla jusqu'à Inspruck, où on lui répondit que
l'union avec la Hongrie étant sanctionnée par l'empe-
reur, il n y avait qu'à se soumettre. La mise en liberté
de l'avocat Micas fut refusée.
La guerre des races pouvait être considérée comme
commencée. Ce furent les Serbes qui en donnèrent le
signal eifectif Non contents d'avoir envoyé des délé-
gués à la congrégation d'Agrara du 5 juin (illégalement
convoquée par Jellacic), ils s'emparèrent de l'arsenal
de Titel, chef-lieu du district frontière des Tchajkistes,
entraînèrent dans le mouvement ces Graentzers (soldats
194 HISTOIRB DE L'AUTRICHE
des confins) et se retranchèrent fortement. Un autre
camp se forma à Garlowitz même pour la défense du
comité central, à une heure de Petrovaradin, résidence
du général Hrabovszky. Les Serbes déclarèrent à celui-
ci qu'ils ne le considéraient que comme général de la
couronne de Hongrie et conséquemment comme en-
nemi. Hrabovszky fit attaquer Garlovitz par une co-
lonne hongroise qui fut repoussée avec de grosses pertes
(12 juin). Aussitôt la révolte gagna les coiâns militaires
que le ministre de Pesth avait eu Tûapardonnable fai-
blesse de laisser organisés comme devant, au lieu de
les faire rentrer dans le droit commun, faute grâce à
laquelle les Serbo-Croates eurent de suite sous la main
une puissante force organisée, la meilleure partie de
rinfanterie de l'armée autrichienne. Le comité serbe
mit sa caisse en sûreté à Belgrade, entre les mains du
ministre de la principauté sœur d'où ne tardèrent pas à
arriver de nombreux volonts4i^s.
Simultanément, Jellacic, tout destitué qu'il était de
sa dignité de ban par décret du Palatin, conduisit à
Inspriick une députation serbo^roate. Il fut d'abord
reçu par l'archiduc François-Charles, frère puîné et
héritier de Ferdinand et époux de cette archiduchesse
Sophie, mère de l'empereur actuel, qui était le vrai
homme de la famille pour l'énergie, l'audace et le sens
des situations. Est-ce dans cette entrevue du 19 juin,
comme le prétendent les historiens hongrois, que le
pacte fut conclu entre le despotisme autrichien et la
nationalité yougo-slave? Est-ce là que l'on convint que,
tout en désavouant hautement Jellacic au nom de la
constitution magyare, on le mettrait peu à peu à même
de constituer l'armée destinée à écraser les Magyars?
Le problème est difficile et j'incline à croire que les
rôles ne furent pas distribués ce jour-là avec cette pré-
vision et cette précision : la cour de Vienne devait en-
core hésiter et temporiser. Le lendemain l'empereur
reçut, à titre de renseignement, la pétition croate qu'il
LES TCHÈQUES DE BOHÊME 195
remit au prince Esterhazy, ministre hongrois présent,
et engagea les pétitionnaires à s'entendre avec les Hon-
grois par Tentremise de Tarchiduc Jean. Ferdinand en
fit autant pour la pétition serbe.
Avant de poursuivre ce récit, racontons les infortunes
d'un autre peuple slave, mais appartenant aux Slaves
du Nord. L'épisode fut court et terrible : il venait d'a-
voir son dénouement suprême la veille même du jour
où Jellacic et Rajacic, mandataires des Slaves du Sud,
étaient reçus à Inspruck. Je veux parler des Bohémiens
ou Tchèques.
Nous avons vu, dans le tableau général de la situa-
tion en 1848, quelles étaient les aspirations des Tchè-
ques ou Bohémiens. La révolution de Vienne leur ofiFrit
le moyen de les réaliser. Une députation partie de
Prague fut chargée de porter à Vienne les vœux de la
nation formulés dans une assemblée au Wentzelbad
(19 mars). Il ne s'agissait pas seulement des revendica-
tions générales telles que l'abolition des dîmes et cor-
vées, la suppression des droits et des justices féodales,
mais bien de la reconstitution de l'antique royaume de
Bohème (avec la Moravie et la Silésie) ayant, dans le
sein de la monarchie, son existence distincte à l'instar
de la Hongrie, avec diète siégeant tantôt à Prague, tan-
tôt à Brunn. L'empereur d'Autriche se ferait couronner
roi de Bohème comme il se faisait couronner roi de
Hongrie. La cour d'Autriche promit, par un rescrit en
date du 8 avril, de donner satisfaction à ces vœux et, en
attendant, elle confia le gouvernement de la Bohème
au jeune archiduc François-Joseph.
Mais bientôt les aspirations nationales redoublèrent
de vigueur et s'élargirent. Les sommations des Alle-
mands qui préparaient le parlement de Francfort les
surexcitèrent. Les Allemands, maîtres dans les villes de
la Bohème, croyaient avoir germanisé le royaume et le
voyaient déjà englobé dans la grande unité qu'on allait
créer à Francfort : le mouvement littéraire, linguistique
196 HISTOIRE DE L-AUTRIGHS
et historique suscité par les Palacky, les Bieger 6t au*
très ne les avait que médiocrement inquiétés ; mais cette
idée de Tunité allemande réveilla précisément Tidée de
Tunité slave. Les Tchèques refusèrent netteftient d'en-
voyer des députés à Francfort, malgré les invitations
pressantes et redoublées de la commission des cin-
quante. Le i" mai, ils lancèrent un appel à tous les
Slaves, tant du nord que du midi, pour se réunir le
31 mai à Prague en une assemblée rivale de celle de
Francfort. « Les Allemands, disait cet appel, se ras-
semblent au parlement de Francfort, qui doit prendre
à TAutriche autant de souveraineté qu'il en faut pour
constituer Tunité germanique. L'empire autrichien va
donc s'incorporer à l'empire allemand et avec lui il en-
traînera toutes les provinces non allemandes, la Hon-
grie exceptée. L'indépendance et la nationalité des peu-
ples Slaves n'ont jamais couru de plus grand péril.
C'est notre droit d'homme de protéger notre bien le plus
sacré. Le temps est arrivé où, nous autres Slaves, nous
sommes également obligés de nous concerter pour agir. »
Les Allemands poussèrent des cris de fureur au nom
de la grande Allemagne qui voulait englober toutes Jes
provinces de l'Autriche autres que la Hongrie. Les Hon-
grois, qui séparent si fâcheusement les Slaves du nord
des Slaves du sud et qui sentaient frémir leurs sujets
slovaques à la voix du prêtre Urban, prirent parti, dans
tous leurs journaux, pour les Allemands, et applaudirent
aux nouvelles et menaçantes déclarations de la com-
mission des cinquante.
Quand l'empereur se sauva de Vienne pour se réfugier
à Insprûck, les Tchèques lui offrirent de venir au mi-
lieu d'eux et protestèrent contre la révolution de là ca-
pitale ; leur président, le comte Léon de Thun, le iypf
du vieux Tchèque, était aussi peu révolutionnaire qu u
était national. Vienne, indignée, voulut chasser les ou-
vriers et les employés tchèques. Le 31 mai, s'ouvrit à
Prague le congrès slave : ce fut un curieux spectacle.
LE CONGRÈS SLAVE DE PRAGUE 107
Ea tète du cortège marchaient les étudiants, les corps
firancs, de belles amazones, puis les représentants des
divers peuples slaves, le Slovaque Urban, le Serbe Ka-
radjic, le Polonais Lubomirski, le grand historien Schaf-
farik, l'exilé russe Bakounine, des Croates, des Slavons^
des Dalmates, des Ruthènes, etc. Palacki fut nommé
président général. Le 8 juin le congrès décida qu'il n'en-
verrait de députés ni à la diète de Vienne ni au parle-
ment de Francfort. L'aspect de Prague était étrange : les
afiaires et le travail étaient suspendus ;- on se pressait
autour du lieu où siégeaient les assises de la nation
slave ; on s'enivrait d'espérances et de perspectives im-
menses : le réveil devait être terrible. Le 11 juin, le
prince Windisgraetz, commandant militaire, ayant re-
fusé armes, canons et munitions à la légion des étu-
diants, ceux-ci mirent la ville en insurrection. Le 12,
tout Prague était couvert de barricades. On attaqua
l'hôtel du prince, et la princesse, s'étant mise impru-
demment à une fenêtre, tomba mortellement frappée.
Le 43 et le 14, un horrible combat des rues, rappelant
nos journées de juin, se livra sur chaque rive de la
Moldau. Cette population mal armée se battait avec
rage. Windisgraetz, ne pouvant venir à bout de ces in-
surgés indomptables, prit un grand parti. Il fit évacuer
la ville, installa son artillerie sur le cirque de monta-
gnes qui l'environne et de là bombarda pendant deux
jours la vieUle cité slave. Sous cette pluie de feu et de
fer, des quartiers entiers s'écroulaient ensevelissant sous
leurs décombres les ouvriers, les étudiants, les ama-
zones (qui se battirent intrépidement), aussi bien que
les Allemands ennemis de l'insurrection. Il fallut se ren-
dre : le 17, les otages furent livrés, les meneurs arrêtés,
et parmi eux le brasseur Faster. Les troupes occupè-
rent la ville qu'elles avaient foudroyée de loin n'ayant
pu la prendre et les cours martiales se mirent à fonc-
tionner impitoyablement. L'assemblée slave disparut
dans la tempête,
196 HISTOIRE DE L'AUTRIGHB
Que de contradictions dans ce formidable imbroglio
de 18481 La révolution viennoise, au nom de Tidée alle-
mande, mitraillait la révolution slavo-tchèque, et bien-
tôt les Slaves du sud, frères de race des Tchèques, al-
laient aider les Allemands à mitrailler la révolution
viennoise en même temps que la révolution magyare.
Les questions de liberté s'effaçaient de toutes parts de-
vant les questions de nationalité. Les cheâ des mouve-
ments de races ne reculaient pas devemt les alliances les
plus réactionnaires pour arriver à leur but et demeu-
raient étrangers à toute idée supérieure et générale,
égoïstement cantonnés dans leurs revendications.
Court épisode aussi que celui de la tentative de la
nationalité polonaise pour reconquérir quelque autono-
mie. Les haines sociales que TAutriche avait, avec une
si sanglante habileté, exploitées en 1846 dans la Gallicie,
étaient toujours vivaces. Le gouvernement de Vienne
avait continué dans cette province son rôle de réforma-
teur sociaUste et de protecteur des paysans contre les
nobles. Dès les premiers jours de mars, Lemberg en-
voya à Vienne une députation demander l'organisation
d'un comité national provisoire chargé d'élaborer une
constitution et une loi électorale pour une nouvelle as-
semblée destinée à remplacer la diète, et de résoudre
toutes questions administratives et sociales. L'empereur
fit de vagues promesses : le populaire archiduc Jean
donna de bonnes paroles et maudit rétrospectivement
le partage de la Pologne. Et pendant ce temps, la cour
de Vienne faisait afficher à Lemberg et dans toutes les
parties de la Gallicie une patente qui, motu proprto, af-
franchissait les paysans des dîmes et corvées, tout en
promettant une indemnité aux nobles. Il arrachait ainsi
à la noblesse la gloire et le profit du sacrifice qu'elle
voulait faire : la noblesse expiait durement les crimes
de ses ancêtres. Les paysans, au moindre mouvement
des nobles et des bourgeois, étaient prêts à renouveler
les massacres de 1848.
ÉVÉNEMENTS DE GRACOVIE 199
A Cracovie, dont nous avons vu Tannexion, un comité
de quarante membres s'était formé spontanément : il
lança une proclamation le 6 avril dans le style mystique
et religieux qui est dans les habitudes polonaises. Les
autorités autrichiennes laissaient faire. Le gouverneur
militaire comte de Gastiglione laissa même, malgré le
staroste Krieg, rentrer les proscrits qui se dirigeaient de
toutes parts vers la ville (24 et 25 avril). Mais c'était
un leurre : le 26, toutes les dispositions militaires étant
achevées, les soldats autrichiens ouvrirent le feu sur
les rassemblements, sans sommation. Gomme Prague,
Cracovie se hérissa de barricades ; comme à Prague, la
population à peine armée se battit avec rage et fit flé-
chir les troupes, mais, comme à Prague encore, du haut
de la citadelle, les troupes couvrirent la ville d'obus et
de fusées à la congrève. Il fallut capituler le 27. Le co-
mité dissous fît ses adieux dans une proclamation tou-
chante et Cracovie retomba dans le silence et dans l'op-
pression. Le 27 mai, le ministère de Vienne signifiait à
la députation gallicienne que toutes ses demandes étaient
repoussées.
Après avoir dompté la nationalité tchèque et la na-
tionalité polonaise, l'Autriche devait dompter aussi
avec le même succès la nationaUté italienne. Ce sont
les succès momentanés de celle-ci qui expliquent la
condescendance que la cour de Vienne témoigna d'a-
bord à la Hongrie : elle ne voulait ni ne pouvait se
mettre tant d'affaires sur les bras. Mais la guerre ita-
lienne terminée, elle devait jeter le masque vis à vis
des Magyars en prenant pour auxiliaire la nationalité
serbo-croate.
Dès le 17 mars la nouvelle de la chute de Metternich
et de l'état révolutionnaire de Vienne avait répandu
une violente agitation à Milan. Vainement le gouver-
neur comte O'Donnel convoqua-t-il pour le 3 juillet
l'assemblée centrale du royaume Lombarde-Vénitien;
l'insurrection s'organisa sous l'impulsion des Cernus-
200 HISTOIHE DE L'AUTRICHE
chi, des Gattaneo, des Terzaghi et répondit par une
prise d*armes aux menaces de bombardement de Ra-
detzki retiré dans le château. La lutte dura effroya-
ble, héroïque, acharnée^ le 19, le 20, le 21 et le 22 mars.
Le soir du 22, Radetzki abandonna la ville et le châ-
teau en emmenant toute Tarmée autrichienne. Le
même soir, après deux jours de lutte, le comte Zichy
était chassé de Venise et les Autrichiens de Brescia, de
Bergame, de Padoue. Le 24, le roi de Piémont, Charles-
Albert, se décida à se jeter dans la lutte et passa le
Tessin. S'il Tavait fait deux jours plus tôt, comme le
lui proposa le général Lecchi, Tarmée autrichienne,
coupée dans sa retraite, était perdue. Mais il laissa le
temps à Radetzki d'aller s'établir solidement dans le
fameux quadrilatère.
Lltalie aurait eu besoin d'un immense effort dans
une immense union. Mais les souverains de la péninsule
trouvaient que dans le mouvement d'indépendance U y
avait trop de mouvement révolutionnaire. Pie IX, sur
lequel on avait l'illusion de compter, ne laissait qu'à
regret Durando former une armée dans les États de
l'église. Le duc de Toscane n'envoyait qu'en rechignant
quelques régiments sous les ordres de Laugier. Le roi
de Naples, furieux d'avoir subi une constitution, n'at-
tendait que l'occasion de trahir la cause nationale.
Charles-Albert lui-même manquait d'élan, s'irritait
que la république eût été proclamée à Venise par Ma-
nin et repoussait l'alliance de la République française
par la fameuse phrase : Italta fara 4a se.
La guerre commença le 6 avril. Les volontaires ita-
liens cherchaient à couper les communications de
Radetzki avec le Tyrol et les Vénitiens sa retraite sur la
Piave. Le 8, Charles-Albert s'empara du pont de Goïto
sur le Mincio. On s'attendait à une grande bataille,
quand Radetzki, abandonnant tout à coup la ligne du
Mincio, se replia sur l'Adige. Charles- Albert perdit un
temps précieux à s'établir sur le Mincio et à investir
CHARLES-ALBERT BATTU A CUSTOZZA 20l
Peschiera. Radetzki en profita pour chasser les volon-
taires du Tyrol et pour attendre l'armée de réserve que
lui amenait Nugent. Le 29 avril, les Piémontais s'empa-
rèrent de la hauteur de Pastrengo qui protégeait Vé-
rone et Radetzki recula encore , sans accepter de
batailles.
Mais le même jour Pie IX, trahissant la cause natio-
nale, publia la fameuse encyclique qui condamnait la
guerre contre l'Autriche et qui mettait fin à la comédie
du papisme révolutionnaire. Nugent s'empara d'Udine
sur le Vénitien Zucchi, se rapprocha de la Piave qu'il
passa le 8 mai en battant le Toscan Ferrari, défit Du-
rando et ses Romains le 9, et le rejeta sur Vicence. On ne
comptait plus que sur les 16,000 Napolitains qu'ame-
nait Pepe pour empêcher la jonction de Radetzki et de
Nugent.
Le moment était grave : Parme et Modène s'étaient
donnés au Piémont et la Lombardie était appelée à la
fin du mois à voter sa réunion. Il fallait des succès.
Mais le 15 mai Ferdinand de Naples dissolvait son par-
lement, reprenait le pouvoir absolu à la suite d'une
guerre de rues où les Suisses lui donnaient la victoire et
s'empressait de rappeler Pepe qui résistait, mais que son
armée abandonnait. Le 22 mai, la réserve autrichienne
opérait sa jonction avec l'armée de Radetzki qui put
reprendre l'offensive, et qui, maîtresse le 5 juin de Vi-
cence, n'avait plus à s'inquiéter d'être coupée par le
Tyrol.
Charles-Albert fit venir ses réserves du Piémont,
équipa tant bien que mal Tarmée lombarde, et rassem-
bla 80,000 hommes sur le Mincio. Le 22 juin Radetzki
l'attaqua. Après une série d'engagements autour des
collines de Sona et de Somma Gampagna et des posi-»
tiens de Custozza et de Volta, sur les deux rives du
Mincio dans les journées du 23 et du 24, l*armée ita-
lienne fut complètement battue et se mit en retraite
sans pouvoir se défendre ni sur l'Oglio ni sur l*Adda*
202 HISTOIRE DE L'AUTRICHB
Charles-Albert rentra le 3 août à Milan où les Lom-
bards désespérés raccueillirent d'une façon menaçante.
Le 6 il signa une capitulation, et le 7 il évacua la ville
que Radetzki occupa. Le 10 août, le roi de Piémont
dut consentir à un armistice par lequel il cédait Pes-
chiera et promettait de retirer de la Vénétie toutes ses
forces. Le sol lombard était tout entier rentré sous le
sceptre autrichien.
Restait la Vénétie et l'héroïque Venise que Manin
gouvernait et que Pepe défendait. Elle devait résister
jusqu'au 28 août 1849.
CHAPITRE III
Débats de la diète hongroise. — Jellacic entre en Hongrie. —
Bataille de Pakozd. — Vienne : massacre du ministre Latour.
Ferdinand à Olmûtz. — Bombardement de Vienne. — Bataille
de Schwechat. — Windisgraôtz. — Abdication de Ferdinand :
François-Joseph. — Prise de Buda-Pesth. — Le gouvernement
hongrois à Dâ)r6czen. — Bataille de Godollœ. -~ Bem en Tran-
sylvanie. — Constitution du 4 mars 1849. — Déclaration d'in-
dépendance de la Hongrie. — Intervention russe. — Capitu-
lation de Vilagos. — Supplices d'Arad. — Novare. — Venise.
Revenons maintenant aux nationalités qui allaient
montrer plus de résistance et surtout à la nationalité
hongroise. Ce fut le 5 juillet 1848 que la diète se réunit
à Pesth. Elle fut ouverte par la lecture d*un message de
Ferdinand nommant le palatin Etienne son alter ego^ et
par un discours plein d'effusion et de belles promesses
du palatin lui-même qui préparait déjà, une correspon-
dance saisie plus tard en fait foi, Tinvasion de la Hon-
grie.
Le ministère Batthyany continua à se montrer incer-
tam et troublé, ne prenant parti ni pour ni contre la
révolution, cherchant à concilier des choses inconcilia-
bles : Tindépendance hongroise et la fidélité à TAu-^
triche, et mécontentant tout le monde. Si Kossuth, par
on de ses plus beaux discours dans lequel il révéla que
le ministère de Vienne avait envoyé cent mille florins à
â04 flIâtOIRE DE l'aUTRICHË
Jellacic, fit décréter le il juillet une levée de deux cent
mille hommes et un crédit de 42 millions de florins au
nom du pays menacé, il se montra très-faible dans son
exposé-programme du 20 juillet, en déclarant que la
Hongrie aiderait rAutriche à se défendre contre les
Italiens, avec cette restriction dérisoire que cette aide
était en vue d'une paix sauvegardant les droits de la
nation italienne. L'opposition, par la voix des Nyary,
des Madarasz, des Perczel, fit voir combien il serait
déshonorant pour la Hongrie de faire servir ses soldats
à combattre une nation qui avait autant de droits
qu'elle-même à l'indépendance nationale. Le ministère,
empêtré dans sa fausse situation, se retrancha derrière
les prescriptions de la pragmatique sanction, et Kossuth
laissa échapper l'assertion, vraie d'ailleurs, qu'en Hon-
grie le peuple était essentiellement monarchique. Après
une discussion violente et seulement sous la menace de
la question .de cabinet, Kossuth fit adopter un amende-
ment portant que les secours ne seraient accordés que
si l'Autriche consentait à accorder à ses possessions
italiennes un gouvernement indépendant sous le sceptre
autrichien et que, dans le cas où les Italiens^ n'accepte-
raient pas cet arrangement, une ligne de démarcation
serait tracée. Misérable spectacle que celui de cette pre-
mière assemblée libre de la Hongrie prenant une pa^
reille résolution contre la liberté d'un autre peuple I De
quel droit blàmera-t-elle les Serbo-Croates de s'allier à
l'Autriche pour reconquérir leur nationalité méconnue
et opprimée, quand elJe-même s'allie à l'Autriche pour
étouffer la nationalité italienne ?
Malgré cette concession, Ferdinand (qui rentra d'Ins-
pruk à Vienne le 8 août) refusa de venir à Pesth. Le
3 août, la diète hongroise vota, au milieu des acclama^
tions enthousiastes, que si le gouvernement autrichien
se trouvait impliqué dans une guerre avec l'Allemagne,
l'Autriche ne pourrait pas compter sur l'assistance de la
Hongrie. Ainsi la Hongrie, qui prétait ses soldats contre
INSURRECTION SERB& PRÉPARATIFS DE LÀ CROATIE 205
lltaliè, refusait de les prêter contre rÂllemagne, mon-
trant dès lors cette sympathie pour le germanisme
qui n*a d'égale que sa S3rmpathie pour les Osmanlis. Le
ministère présenta un projet sur l'instruction publique
tellement empreint de partialité religieuse qu'il fallut
l'amender et que l'amendement, encore bien insuffisant,
ne passa que grâce à la question de cabinet posée par
Kossuth. La discussion sur l'organisation de l'armée, où
le ministre Meszaros soutint passionnément le maintien
des peines corporelles, fut très-vive et amena un duel
entre Szechenyi et Patay. Il est important d'insister sur
ces détails pour montrer combien l'engouement de l'Eu-
rope démocratique en 1848 pour les prétendus révolu-
tionnaires hongrois était mal fondé : ils pactisaient avec
le passé, ces mesures le prouvent^ et ce ne fut que mal-
gré eux qu'ils rompirent leurs liens. Avec l'Autriche mo-
narchique, le ministère Batthyany était plus que modéré.
L'insurrection serbe se poursuivait : Stratimirovic,
son général, avait 15,000 hommes et 40 canons qui furent
bientôt portés à 30,000 hommes et cent canons. Le com-
mandant en chef de l'armée hongroise, Bechtold, avait
des forces égales, mais d'origine autrichienne ; il obéis-
sait évidemment au mot d'ordre de la cour de Vienne.
Aussi mit-il autant de mollesse dans la défense que dans
l'attaque. Le 19 août il échoua dans sa tentative de
s'emparer du camp serbe de Szent-Tamas. La guerre
avait un caractère atroce : on ne faisait pas de prison-
niers, on brûlait, on massacrait, on torturait, on rui-
nait. Les préparatifs de la Croatie étaient évidents.
Kossuth voulut poser la question nettement, d'autant
plus que Milan avait capitulé le 5 août, que Charles-
Albert était rentré dans ses états et que l'Autriche était
libre de ce c6té. Il demanda, dans la séance du 4 sep-
tembre, qu'on rédigeât un manifeste à l'Eurppe, qu'on
envoyât au roi une députation et qu'on nommât un
comité chargé de rédiger en projet de loi un compro-
mis avec les Croates. Ce fut voté. La députation partit
ASSELINE. 12
a06 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
immédiatement pour Vienne. BUe fut reçue le 9 sep-
tembre à Schœnnbrun et son président, Pazmandy, lui
une adresse où les griefs et le« demandes de la Hongrie
étaient fermement exposés. Ferdinand fit une réponse
glaciale, évasive, qui sonna comme un glas aux oreilles
des députés. Ils se retirèrent furieux d'avoir recueilli
un pareil fruit de tant de concessions et de respect de
la légalité. Mais ce fut bien pire quand, de retour à
Tienne, ils lurent dans la Gazette officielle une lettre
de Tempereur à son cher baron Jellacic, le réintégrant
dans toutes ses dignités et rengageant à persévérer,
pour l'intérêt de la monarchie, dans la voie où il était
entré. Il n'y avait plus à se faire d'illusions. Les espé-
rances constitutionnelles de la Hongrie étaient brisas.
On sut plus tard d'ailleurs que l'ordre d'attaque avait
été déjà donné à Jellacic. La députation se rembarqua,
la rage au cœur ; et cependant on' ne voulut pas encore
faire la seule réponse possible : une déclaration d'indé-
pendance I Kossuth, toujours épris de légalité, prétendit
qu'il fallait défendre à la fois la patrie et le tr6ne. Le
ministre donna sa démission, mais Kossuth, Meszaros
et Szemère déclarèrent qu'ils garderaient leurs porte*
feuilles jusqu'à ce qu'ils pussent les remettre entre les
mains de ministres légalement choisis et reconnus. Le
prince Esterhazy se rallia à l'Autriche ; le noble et
généreux Széchenyi venait d'être frappé d'aliénation
mentale. Le palatin chargea Batthyany de former ua
nouveau ministère. C'est pendant qu'on le formait
qu'arriva le 12 septembre la nouvelle que Jellacic, res-
tauré dans sa dignité de Ban, avait franchi la Drave,
près de Legrad, et que le commandant des forces hon-
groises, Adam Teleki, avait déclaré qu'il ne combattrait
pas l'invasion conduite par un général autrichien*
Teleki commandait un corps d'observation de 10,000
hommes sur la Drave. Jellacic, au préalable, avait oc-
cupé Fiume et repris sur Hrabowski le commandement
des frontières slavones.
SECOND MINISTÈRE BATTHYANY 207
C'était bien la guerre. Batthyany déclara au Palatin
qu'il n'accepterait de former un ministère qu'autant
que le roi ordonnerait immédiatement à Jellacic d'éva-
cuer le sol hongrois. Le roi répondit qu'il ne pouvait
s'expliquer sur ce point et reprocha à la Diète de n'a-
voir rien fait depuis deux mois pour apaiser le différend
entre la Hongrie et la Croatie (15 septembre). Batthyany
voulait se retirer. À la demande de la Diète , il resta et
forma un ministère tout à fait centre gauche , quand il
aurait fallu une administration révolutionnaire (Kolo-
man Ghiczy, Szentikyralyi , Erdody, Vay, Kémeny,
Eôtvos, Meszaros). On envoya une députation à l'Assem-
blée de Vienne, mais cette assemblée, par 186 voix
contre 108, refusa de la recevoir (19 septembre). Le
peuple de Vienne fit une ovation aux Hongrois. Le 22
septembre on adjoignit au ministère pour, la direction
des affaires six représentants ; Kossuth, Szemere, Nyary,
Ladislas Madarasz, Patay et Zsembery, et trois magnats :
Perenyi, Michel Eszterhazy et Josika. Le Palatin fut
chargé de combattre l'invasion : c'était son rôle consti-
tutionnel.. Mais après une rapide excursion au camp il
prit la fuite et se sauva jusqu'au cœur de l'Allemagne,
dans son château de Schaumbourg. Les lettres saisies
chez lui prouvèrent qu'il trahissait depuis longtemps la
cause hongroise : elles énuméraient les moyens à em-
ployer pour soumettre la Hongrie et indiquaient les
plus violents, même la Jacquerie à la façon gallicienne.
Et c'était le même homme qui faisait à la diète des dis-
cours si constitutionnels et si magyars 1
La situation était grave pour la Hongrie. Les Serbes
continuaient la guerre sans trop se douter que mainte-
nant, au lieu de combattre uniquement pour leurs droits,
ils faisaient le jeu du despotisme autrichien et obéissaient
à une direction nouvelle. Les Roumains et les Saxons
de Transylvanie prenaient les armes sous la conduite
du colonel Urban et du major Riebel. Les Slovaques se
soulevaient sous la direction du pasteur protestant Har-
206 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
ban. La cour de Vienne ne prenait même plus la peine
de dissimuler son hostilité : elle conservait en plein pays
hongrois les forteresses d*Arad , de Temesvar et de
Fehervar, et faillit, grâce à la trahison du général
Mœrz, occuper la citadelle de Komorn (Komarom). Deux
documents officiels vinrent porter au comble l'exaspé-
ration des Magyars. Un premier manifeste en date da
25 septembre nommait le général comte Lamberg com-
missaire royal muni de pleins pouvoirs et commandant
de toutes les forces militaires dans toute retendue de la
Hongrie. Un second ordonnait à tous les soldats de ren-
trer sous leurs anciens drapeaux. La Hongrie , envahie
par les Croates, attaquée de huit côtés à la fois, était
en même temps soumise à la dictature d'un commis-
saire autrichien : c*en était trop. L'Assemblée déclara
nulle la nomination du général Lamberg et une agita-
tion terrible commença à régner à Pesth et à Bude.
Lamberg, arrivé à Bùde, eut l'imprudence de sortir en
fiacre. Reconnu au milieu du pont qui unit les deux
villes, il fut arraché de sa voiture par une bande armée
de faux et massacré, malgré les efforts d'un poste de
garde nationale (28 septembre). La foule était persuadée
que le malheureux Lamberg précédait de peu une armée
impériale chargée d'anéantir la liberté hongroise. Ce
meurtre fut exploité largement par la réaction autri-
chienne.
Les préparatifs de défense continuaient en même
temps. Kossuth allait de ville en ville prêchant la guerre
sainte et levait en trois jours douze mille volontaires.
Toute la cavalerie hongroise en garnison en Gallicie,
en Bohême et dans les autres provinces déserta par pe-
tits détachements, dont quelques-uns accomplirent des
prodiges d'énergie et de persévérance, et vint rejoindre
le drapeau national.
Le 29 septembre, Jellacic , à la tête de 30,000 hom-
mes, quitta Fehervar pour marcher sur Pesth. Il ren-
contra la petite armée hongroise de 16,000 hommes,
BATAILLE DE PAKOZD 209
commandée par Moga, à Pakozd. Il attaqua et fut re-
poussé grâce à Tartillerie magyare bien dirigée par
Mack. Jellacic demanda un armistice de trois jours, qui
lui fut accordé à condition que les armées restassent
dans leurs positions respectives. Mais dès le lendemain,
violant Tarmistice, Jellacic se mit eh retraite du côté
de Vienne par Moor et Gyor (Raab). Il allait au-devant
des renforts impériaux. L'effet moral de cette bat£aU&
fut immense en Hongrie. Kossuth parvint à l'apogée de
la popularité. Batthyany s'était retiré, après avoir vai-
nement tenté de fléchir à Vienne , après le meurtjRç de
Lamberg, la colère de la cour. Kossuth n'était r^sté
que trop longtemps asservi à la politique indécise ji^e
ce ministère. S'il avait précipité la rupture avec TAu-*
triche tandis que celle-ci était dans tous les embarras
de la guerre d'Italie, les événements auraient pris une
Wtre tournure.
Le 4 octobre Maurice Perczel attaqua la réserve de
Jellacic laissée en arrière et lui fit 1800 prisonniers. Le
7, il fit mettre bas les armes au corps principal de cette
réserve commandée par les généraux Roth et Philip-
povich. Il avait sous ses ordres un jeune officier qu'on
appelait le major Arthur Gœrgey, qui venait d'acquérir
une notoriété en faisant pendre, pour crime de haute
trahison et relations avec l'armée croate, un magnat,
le comte Eugène Zichy. Moga suivait de loin l'armée
de Jellacic, manquant l'occasion de l'attaquer et
s'arrêtant quand il le vit firanchir la frontière autri-
chienne, faute énorme que les événements qui venaient
de s'accomplir à Vienne rendirent plus énorme en-
core.
L'empereur était rentré dînspruck à Vienne le 12
août. Le ministère du 16 juillet — dont le général La-
tour faisait partie avec le portefeuille de la guerre —
fonctionnait, et la diète — dominée par les Slaves —
poursuivait le cours de ses travaux, aussi peu sympathi-
que en majorité à la cause hongroise que l'était beaucoup
12.
310 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
le peuple de Tienne où dominait Télément gennaniqne.
Le général Latour n'hésita pas à déclarer à la diète
qu'il avait envoyé 280,000 florins à Tarmée impériale
de Jellacic, en attendant qu'il lui expédiât des ren-
forts. La garde nationale , la légion académique et le
peuple accueillirent ces déclarations avec des mur-
mures d'indignation. Depuis le 19 septembre, jour où
la diète avait refusé de recevoir la députation hongroise,
une alliance intime s'était formée entre les Viennois et
les Magyars. Aussi, le 6 octobre, quand Latour, confor-
mément à ses déclarations, expédia cinq bataillons à
Jellacic, les Viennois s'y opposèrent par la force, La
foule démolit le pont du Danube que ces renforts vou-
laient traverser , et la garde nationale attaqua les
troupes, tandis qu'une bande furieuse assaillait l'hôtel
de Latour, s'emparait de lui, l'assommait et le pendait
à une lanterne. L'insurrection acheva son triomphe par
la prise de l'arsenal le 7, à quatre heures du matin. La
lutte avait été formidable.
La diète était restée en permanence, sans prendre
part à l'insurrection. Elle demanda à l'empereur : 1® la
révocation du manifeste qui investissait Jellacic de pou-
voirs extraordinaires sur la Hongrie; 2* la formation
d'un ministère sous la présidence de Doblhof. Ferdinsuid
consentit à la seconde demande, en ajournant sa réponse
sur la première. Mais le 7, à huit heures du matin, il
s'enfuit de Schoenbrunn et gagna Olmutz par Linz. Il
laissait un manifeste que M. Kraus vint lire en son nom
devant la diète. Il déclarait quitter la capitale pour
trouver moyen de porter secours à ses sujets opprimés
et il invoquait Dieu et son bon droit. Le même jour
était lu à la diète de Pesth un autre manifeste impérial
daté du 8 octobre, saisi sur les courriers du Ban : il
dissolvait la diète, en annulait tous les actes, déclarait
tout le pays en état de siège et conférait à Jellacic des
pouvoirs illimités. Ce manifeste était contre-signe par
un vieux général hongrois retraité à Vienne, Adam
MEURTRE DU GÉNÉRAL LATOUR 211
Recsey, nommé président du conseil magyar, et que les
Viennois mirent en prison.
La situation était grave à Vienne. Forcé de battre en
retraite, le général Âuersperg, commandant militaire de
Vienne, s'était retiré avec 10,000 hommes sur les hau-
teurs du Belvédère. Il y attendait des renforts, c'est-à-
dire d'une part l'armée de Jellacic et de l'autre eelle
de Windisgraétz nommé généralissime des forces au-
trichiennes, sauf de celles dltalie, et qui avait appris
à Prague son métier de bombardeur. Ni les Viennois
ni les Hongrois ne surent prendre de décision. Si le
général Moga, sans s'inquiéter de la frontière, s'était
jeté sur Jellacic, il aurait arrêté la marche du Ban sur
Vienne et une victoire aurait changé le cours des évé-
nements. Les Hongrois, toujours formalistes et juristes,
attendaient un appel officiel de la diète de Vienne.
Celle-ci, très-travaillée par les influences slaves, refusa
cet appel. Le peuple viennois, excédé de ces subtilités
si vaines en temps révolutionnaires, invita l'armée hon-
groise à passer la frontière (10 octobre). Moga passa la
Leitha (17 octobre). Mais le comité de défense de Pesth
lui ordonna de revenir sur le territoire hongrois. Le
21 octobre, même opération : passage et retraite. Kos-
suth amena 1200 volontaires et demanda dans un con-
seil de guerre qu'on allât enfin au secours des Viennois :
Moga et Gœrgey s'y opposèrent et Kossuth n'usa pas
de son autorité dictatoriale pour ordonner le mouve-
ment. Toujours procédurier, il somma le 25 octobre
Windisgraetz de désarmer Jellacic et de lever le siège
de Vienne. Celui-ci haussa les épaules et arrêta les por-
teurs de la sommation.
Jellacic était arrivé le 9 octobre en vue de Vienne et
s'était établi à Schwechat : il reçut poliment un député
envoyé par la diète, mais sans rien lui promettre. Le
manifeste impérial prouva aux Viennois qu'ils n'avaient
plus qu'à compter sur eux-mêmes. Messenhauser fut
nommé commsmdant en chef de la garde nationale, le
âi2 HISTOIRE DE L'AUTRICSE
Polonais Bem commandant de la place : Robert Blum,
député de Zwickau au parlement de Francfort, ^tait
l'âme de la défense. La diète, délivrée de ses membres
réactionnaires qui étaient allés slnstailer à Prague,
entrait franchement dans la résistance.
Ce fut le 28 octobre que Windisgraetz donna le
signal de Tattaque générale. La lutte fut terrible : mais
le soir même, Jellacic s'était emparé des deux faubourgs
de la Landstrass et de la Mœrgass, et le lendemain le
faubourg de la Léopoldstadt tombait au pouvoir de
Windisgraetz. Le 29, il répondit à une députation du
conseil municipal qu'il commencerait le soir même à
bombarder. Le 30, Vienne capitula, et on négociait les
conditions, quand on apprit l'arrivée de cette armée
hongroise si passionnément attendue par le peuple.
Aussitôt le combat recommença dans les rues de Vienne,
et recommença aussi le terrible bombardement.
Jellacic fit front aux Hongrois enfin décidés ; la bataille
se livra à Schwechat, en vue de Vienne : elle dura de
sept heures du matin à quatre heures de l'après-midi ;
les recrues magyares ne purent entamer les solides
confînaires du Ban. Les porteurs de faux de Komarom
se débandèrent : l'armée vaincue repassa la Leitha,
laissant 1,500 morts sur le champ de bataille. Vienne
n'avait plus qu'à mourir; elle se rendit sans conditions,
et Windisgraetz y entra le 1*' novembre, précédé d'un
bando menaçant. Alors le bombardeur de Prague ins-
talla la terreur militaire dans la malheureuse capitale
des Habsbourgs. Robert Blum fut fusillé à la Briget-
tenau; Messenhauser à Neuthaus. Le journaliste Jel-
linek, le docteur Becker, des étudiants par douzaines,
subirent le même sort. La révolution autrichienne finis-
sait dans le sang ; elle avait duré huit mois : l'absolu-
tisme des Habsbourgs, vainqueur en Italie, en Bohème,
et dans les états héréditaires, n'avait plus à compter
qu'avec les Magyars.
Avant d'entrer dans la lutte, le gouvernement autri-
ABDICATION DE FERDINAND ; FRANÇOIS-JOSEPH 213
chien se renouvela. Ferdinand avait, aussitôt après la
soumission de Vienne, donné la présidence d*un nou-
veau ministère au prince de Schwarzenberg assisté du
comte Stadion et du docteur Alexande Bach, transfuge
du parti populaire. La diète constituante, transportée à
Kremsier et privée de ses éléments démocratiques, se
traînait dans de longues délibérations sur les droits
féodaux et entamait ensuite la lente élaboration de la
constitution générale qui devait être abolie dès le mois
de mars suivant. Après avoir nommé le vainqueur de
Vienne, Windisgraetz , commandant en chef de l'ar-
mée qui allait opérer en Hongrie, et lancé un manifeste
menaçant contre le rebelle Kossuth et ses complices,
Ferdinand abdiqua le 2 décembre au profit du fils aîné
de son frère François-Charles, de son neveu François-
Joseph, alors âgé de dix-huit ans. Quels furent les motifs
de cet acte? L'hypothèse qu'il répugnait à violer le
serment solennel par lui prêté à la constitution hon-
groise parait peu vraisemblable : il est plus probable
que vieux et valétudinaire, Ferdinand se sentait inca-
pable de suffire aux exigences d'une situation aussi
grave. Aidé des conseils de sa femme, l'impératrice
Marianne, et de ceux de l'archiduchesse Sophie, la
virile et ambitieuse mère de son jeune successeur, il
voulut qu'un nouveau souverain eût la responsabilité
de la politique de fer et de centralisation à outrance
qu*allait inaugurer Schwarzenberg. Le jeune François-
Joseph P' lança à son tour un manifeste de prise de
possession. « Convaincue de la nécessité et de la valeur
des institutions libérales. Sa Majesté entame avec con-
fiance la mission qui lui incombe de réorganiser et de
rajeunir toute la monarchie. La vraie liberté, l'égalité
des droits de toutes les nationalités de l'empire, ainsi que
celle de tous les citoyens devant la loi, non moins que
la participation des mandataires du peuple à la légis-
lation, telles seront les bases par lesquelles la patrie se
relèvera dans son ancienne grandeur.., l'édifice nouveau
214 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
que nous allons reconstruire sera comme une grande
tente où, sous le sceptre héréditaire de nos aïeux, les
diverses races de Tempire s'abriteront plus libres et
plus unies que jamais. » Nous verrons ce qu*allaient
être cette liberté et cette unité promises par François-
Joseph.
Certes Toccasion était belle pour la Hongrie de rompre
avec la dynastie et de proclamer son indépendance.
Mais les légistes magy^ars — qui n'étaient révolution-
naires qu'à la dernière extrémité et à leur corps défen^
dant — s'avisèrent de recourir à une fiction excessive-
ment constitutionnelle, ils refusèrent de reconnaître
l'abdication : Ferdinand fut toujours considéré comme
étant le roi, le roi trompé par une camarilla seule res-
ponsable de la violation des lois de 1848. Les officiers
ne reçurent leur commission qu'avec cette clause :
« sauf confirmation ultérieure par le roi. » Les membres
du comité de défense présidé par Kossuth ne voulurent
point prendre le titre de ministres parce qu'ils n'étaient
pas nommés par le roi. C'était pousser l'amour de la
légalité jusqu'à la duperie.
Nous raconterons très-sommairement le côté militaire
de la guerre de Hongrie, véritable épopée qui passionna
l'Europe de 1848 à 1849. Les Magyars y montrèrent
une bravoure superbe ; Kossuth sut faire sortir de terre
et organiser des armées imposantes : il y eut dans ce
peuple, combattant pour sa liberté, mais non pour
celle du monde, un élan digne de l'élan de 92. L'armée
se composa, durant cette lutte formidable, de Honveds
ou soldats réguliers engagés pour quatre ans, réunis en
bataillons de 1200 hommes, et qui rendirent célèbre
leur uniforme : Attila brun à brandebourgs rouges,
pantalon bleu et shako noir ; ce fut une admirable
infanterie; de régiments de hussards qui devinrent
légendaires; d'une artillerie improvisée, mais qui fut
promptement excellente; de légions étrangères dont la
plus nombreuse fut la Polonaise ; et enfin de volontaires
SOULÈVEMENT DES ROUMAINS 215
et de corps francs. Les forteresses de Munkacz, Léopold-
stadt et Komom restèrent aux Hongrois, mais les com-
mandants autrichiens de Temesvar, d^Arad et de Feher-
var conservèrent ces forteresses à TEmpereur.
Le plan des Autrichiens était très-simple : Tarmée
principale commandée par Windisgraëtz et par Jella-
cic devait marcher en deux corps des environs de
Vienne par Presbourg et par Raab sur Buda-Pesth.
D'autres corps d'armée devaient partir des autres pro-
vinces autrichiennes dont le cercle entoure la Hongrie
pour se rejoindre au centre : le général Goetz de la
Moravie, le général Schlick de la Gallicie, le baron
Puchner de la Transylvanie, le général Albert Nugent
de la Croatie et du Banat. Le général Simonich était
chargé de faire le siège des forteresses du Nord. Le
comité de défense opposait Arthur Gœrgey à Windis-
graëtz, Meszaros à Schlick , Perczel et Kiss à Nugent
et aux Serbes. Petrovaradin en Slavonie tenait pour les
Magyars.
L'invasion autrichienne était fortement appuyée par
les Roumains de Transylvanie et par les Serbes du
Banat. La race opprimée et méprisée des Roumains
s'était soulevée dès le printemps à la voix de chefs
populaires : Janku, Pap, Barnutz, et des officiers autri-
chiens Urban et Riebel contre ces Szeklers et ces Ma-
gyars, leurs tyrans séculaires qui prétendaient les recru-
ter pour leurs armées. Ce n'était pas par amour de
VImperatu de Vienne qu'ils prenaient les armes, mais
par soif de vengeance et d'indépendance. Le commis-
saire général magyar, baron Vay, ne sut pas d'ailleurs
agir, et le 18 octobre, le général autrichien Puchner se
mit à la tête du mouvement. La guerre prit le caractère
d'une Jacquerie : les Roumains étaient impitoyables
pour leurs oppresseurs ; il y eut des traits atroces. Le
général hongrois, Baldacsi, concentra toutes ses troupes
devant Kolosvar (Klausenbourg) et fut battu le 12 novem-
bre par Urban auquel il abandonna cette ville. Les Hon-
216 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
grois se miretot en retraite dans la direction de La Hon-
grie, évacuant la principauté-sœur.
La campagne contre les Serbes ne tourna pas mieux,
malgré les divisions entre le patriarche Rajacic plus
dévoué à FAutriche, et le jeune général Stratimirovic
plus dévoué à la cause nationale ; Tincapacité du chef
magyar Kiss, qui ne savait qu'éparpiller ses forces et
temporiser, compromit tout. Enfin ses lieutenants enle-
vèrent le canxpcerbe de Perlaz (2 septembre) , mais il fut à
nouveau repoussé dans son attaque contre Szent-Tamas
(21 septembre). Des alternatives de succès et de revers
marquèrent les mois d'octobre, de novembre et de dé-
cembre. Repoussé devant Pancsova, Kiss dut se mettre
en retraite par un froid terrible. Damjanic, un Serbe
dévoué aux Hongrois et qui exécrait ses compatriotes,
lui succéda, mais il reçut du comité de défense Tordre
de se retirer sur la ligne de la Maros, en évacuant com-
plètement la Yoiévocline serbe.
Windisgraëtz était resté six semaines inactif et on
croyait qu'il renonçait à faire une campagne d'hiver,
quand il se mit en route le 10 décembre. Le 18, il entra
à Presbourg évacué par Gœrgey, le 27 à Raab aussi
abandonnée, le 28, il défit à Babolna l'arrière-garde
de Gœrgey qui occupa les hauteurs de Bicske pour
attendre les renforts conduits par Perczel. Mais Jellacic,
qui s'était avancé de son côté, avait complètement battu
le 30 décembre, Perczel à Moor. Au nord, même insuc-
cès : Schlick battit à Kaschau (Kossa) Meszarosle 4 jan-
vier. Les nobles magyars et les bourgeois du comitat
de Saros, où s'était livrée la bataille, se déclarèrent
pour les Autrichiens. Au midi, Nugent était entré dans
Funjfkirchen, et nous avons vu que, le 2 janvier, les
^Serbes avaient battu Kiss devant Pancsova.
Buda-Pesth étaient ouvertes à l'ennemi. Le 31 dé-
cembre, Kossuth proposa que le comité de défense et
la diète se retirassent à Debreczen, derrière les marais
de la Theiss. On proposa aussi qu'une députation fût
ÉVACUATION DE PESTÏÎ "iil
iBnvoyée à Windisgraëtz. Ces deux propositions furent
adoptées. Le 1®' janvier 1849, le comité de défense partit
pour Debreczen, excellente situation à quinze lieues au-
delà de la Theiss, défendue par la rivière et par des
marais impraticables en hiver, ville de 50,000 âmes of-
frant de grandes ressources pour l'organisation mili-
taire, centre du plus pur magyarisme. Le 4, un conseil
de guerre décida l'évacuation militaire de Pesth. Gœrgey
se dirigea vejs le nord-est pour opérer une diversion en
faveur de l'armée qui allait se concentrer et se reformer
derrière là Theiss.
L'Europe crut la cause hongroise définitivement per-
due à la suite de cette campagne foudroyante de moins
d*un mois. Windisgraëtz — qui excellait dans ce genre
de littérature — lança le 7 janvier de Buda-Pesth un
manifeste terroriste et, passant des menaces aux actes,
frappa les deux villes jumelles de grosses contribu-
tions de guerre, institua des cours martiales, fit exé-
cuter deux officiers autrichiens qui avaient servi sous
le drapeau hongrois, Zell et ZoU, et jeter dans les fers
ceux-là même qui n'avaient pas .servi, mais qui étaient
restés. Les simples soldats furent envoyés en Italie.
Inutile de dire qu'il avait refusé de recevoir la dépu-
tation composée de Louis Batthyany, des deux Mailath,
de François Deâk et de l'évêque Lonovitz. Louis Bat-
thyany fut arrêté quelques jours après.
Mais on peut être un grand exécuteur sans être un
grand général : l'histoire a montré plus d'une fois des
bombardeurs de capitales insurgées se conduisant en
rase campagne, contre l'ennemi, à la façon des plus
piètres capitaines. Windisgraëtz perdit cinq semaines
à Buda-Pesth, cinq semaines qui furent admirablement
mises à profit par les Hongrois. Certes, la situation était
périlleuse, la Hongrie libre ne comptait plus qu'une
dizaine de comitats. Une foule de députés désertaient
leur poste de Debreczen, une foule d'officiers quittaient
l'armée; enfin il y avait des germes de division.
ASSELIXE. 13
âl8 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
Gœrgey, dévoré d'ambition et d'orgueil, détestait
Kossuth. La vieille lutte du pouvoir militaire et du
pouvoir civil, si visible à toutes les époques de révolu-
tion et dont notre Convention sut sortir à force d'é-
nergie, allait compromettre la cause magyare qu'elle
devait plus tard perdre complètement. Arrivé à Vacz le
6 janvier, Gœrgey publia deux ordres du jour qui étaient
deux actes d'accusation formels contre le comité de
défense et contre le gouvernement national. Il excitait
l'armée contre le comité, critiquait de la façon la plus
amère la retraite qu'on lui avait ordonnée, l'évacuation
de Buda-Pesth et l'envoi d'une députation à Windis-
graëtz. Il déclarait que, fidèle à la constitution, il ne
reconnaîtrait que les ordres de Meszaros, ministre de la
guerre régulièrement nommé par le roi, et que, si des
tentatives républicaines se produisaient, il marcherait
contre l'ennemi du dedans.
Quelque justes que fussent plusieurs des critiques
de Gœrgey, tenir un pareil langage dans un pareil mo-
ment était un acte criminel, presque une trahison. A
tout prix il aurait fallu écraser dans l'œuf ce Dumou-
riez magyar. Kossuth ne prit aucune mesure à cet égard:
il craignait que l'armée du Danube ne se dispersât si
on lui enlevait son général. Il avait d'ailleurs à lutter
dans la diète contre un parti de la paix fortement or-
ganisé. Ce parti avsdt pour organe le Kozlom où un
jeune journaliste, Maurice Jokay, développait la thèse
de l'innocence du roi trompé par la camarilla. La
seconde chambre dut déclarer cent sept députés démis-
sionnaires pour cause d'absence. Nombre des magnats
avaient accepté des emplois de Windisgraëtz . Au
milieu de ces défections et de ces sourdes hostilités,
Kossuth déploya une merveilleuse activité, levant des
volontaires enflammés par sa parole, organisant des
fabriques d'armes et de poudre, reformant des armées.
Le plan était de concentrer tous les corps de l'armée
en une seule masse compacte et de marcher sur Pesth.
BATAILLE DE KAPOLNA — DEMBINSKI DESTITUÉ 219
Mais a fallait d'abord empêcher Schlick de marcher du
nord-ouest sur Debreozen. Ce fut l'œuvre de Gœrgey,
parfaitement secondé par ses lieutenants Aulich et
Guyonl Tlrandais. La prise des défilés du Branickzko
par ce dernier (5 février) enleva sa base d'opérations à
Schlick, déjà battu à Tokai le 31 janvier par Klapka.
Désormais la concentration était possible. Un brave
Polonais arrivé de Paris, Dembinski, reçut le comman-
dement en chef et la mission de marcher sur Pesth : il
avait sous ses ordres les corps de Gœrgey, de Klapka,
de Perczel et de Damjanic (46,000 hommes, 6000 che-
vaux et 170 canons). Windisgraëtz, rejoint par les dé-
bris de Schlick, avait 60,000 hommes , 5000 chevaux
et 200 canons. Il marchait sur la Theiss et sur Dé-
breczen. La bataille s'engagea le 27 février à Kapolna.
Gœrgey, campé à quelques lieues du champ de bataille,
refusa obstinément d'amener ses 14,000 hommes à Dem-
binski dont la nomination l'avait exaspéré. Dembinski
fut battu après une lutte qui prouva au moins que
l'armée hongroise pouvait se battre contre l'armée au-
trichienne en rase campagne. Les Hongrois se mirent
en retraite sur la Theiss. Atteinte par la cavalerie des
Autrichiens le 28 février à Mezokovesd, elle la repoussa
énergiquement : Gœrgey, qui avait à se faire pardonner
son inaction, et Klapka suppUèrent Dembinski de pro-
fiter de ce succès pour faire volte-face et attaquer les
Autrichiens avec toutes ses forces réunies. 11 refusa,
passa la Theiss et vint s'établir à Tiszafiired. Le plan
avait complètement échoué.
Gœrgey donna alors cours à sa haine contre Dem-
binski : il décida le commissaire du gouvernement
Szemère à destituer Dembinski à la suite d'un conseil
de guerre auquel prirent part les autres généraux non
moins jaloux du Polonais. Kossuth arriva : Gœrgey et
Dembinski s'expliquèrent violemment devant lui, se
rejetant l'accusation d'avoir fait manquer la campagne.
Kossuth donna raison à Gœrgey dont c^était, en somme,
220 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
la seconde révolte contre ses supérieurs. Gœrgey, nommé
général des 1" et 27"« corps, fut comblé d'honneurs et
de décorations : sa rébellion fut récompensée comme
une victoire. Dembinski prédit à Kossuth qu'il se don-
nait là un rival avec lequel plus tard il aurait à compter.
Yetterfut nommé généralissime. Il résolut de reprendre
le plan primitif : le 28 et le 29, il passa la Theiss à la
tète de toutes ses forces. Mais il tomba malade et
Gœrgey fut enfin à son tour commandant en chef de
toutes les forces hongroises. L'ambition satisfaite le
maintint pour quelque temps dans le chemin du devoir
et le laissa déployer tous ses talents militaires. Win-
disgpaêtz manœuvrait de la façon la plus incertaine et
la plus décousue ; il avait dispersé ses 52,000 hommes
sur une longue ligne de Yacz à Gzegled et sur la grande
route depuis Godollo jusqu'à Hatvan. Une bataille gé-
nérale s'engagea entre Godollo et Isaszeg le 6 avril.
Schiick et Jellacic faillirent d'abord déterminer la vic-
toire en faveur des Autrichiens. Mais à cinq heures du
soir Aulich arriva avec ses 8000 hommes, sa cavalerie
et ses canons, et les Autrichiens furent complètement
battus. Le colonel Gaspar était resté immobile avec ses
16,000 hommes à une lieue du champ de bataille : s'il
était arrivé, comme Aulich, à l'appel du canon, les
Autrichiens étaient plus que battus, ils étaient anéantis.
L'effet de cette victoire fut immense. Après les désastres
de la campagne d'hiver, après l'échec de Kapolna,
l'Europe avait cru la Hongrie anéantie. L'activité de
Kossuth , l'élan des volontaires se battant comme des
vieilles troupes et renouvelant, à la grande confusion
des militaires classiques, les merveilles de 92, avait tout
réparé.
Mêmes succès en Transylvanie, grâce à un presti-
gieux capitaine, Bem le Polonais, qui avait commandé
Vienne insurgée et qui en était sorti caché dans une
bière. On voudrait conter en détail cette campagne
de trois mois dans laquelle Bem, à la tète d'une toufe
VICTOIRE DES HONGROIS A GODOLLO 221
petite armée, déploya un génie supérieur, une bravoure
épique, une activité surhumaine. La guerre entre les
Saxons, les Valaques et les Autrichiens d'une part, et
les farouches Szeklers et les Magyars d'autre part, prit
un caractère atroce. Bem, arrivé à la mi-décembre en
Transylvanie, battit les Autrichiens dans, le nord, s'em-
para le 25 de la capitale Kolosvar [Klausenbourg) et
força les débris de l'armée impériale à se retirer en
Bukovine. Puis il descendit vers le sud contre l'armée
de Puchner, la battit à Galfalva (17 janvier) et marcha
sur la capitale saxonne Hermanstadt (Nagy-Szeben) qu'il
attaqua avec des forces par trop inférieures. Il fut
repoussé et battu ensuite le 4 février. Les Autrichiens
avaient reçu un secours imprévu : ils avaient demandé
aide au général russe Luders qui occupait la Yalachie :
le czar consentit, et le !•' février 10,000 Russes entrèrent
en Transylvanie et occupèrent Hermanstadt et Grons-
tadt. Etait-ce avec l'assentiment du gouvernement autri-
chien ? celui-<îi s'en défendit et désavoua ostensiblement
Puchner et les Saxons-Valaques. En tous cas Bem,
qui avait repris l'offensive et reçu du renfort, tomba
comme la foudre le 11 mars sur Hermandstat et s'en
empara d'assaut sur les Russes et les Saxons. Les Russes
se mirent en retraite sur la Valachie par les défilés des
Karpathes, au milieu de la neige, emmenant avec eux
une partie de la population d'Hermanstadt qui craignait
les vengeances des Szeklers. Ceux-ci mirent le pays à
feu et à sang. Le joug le plus terrible s'appesantit sur
les Saxons et sur les Valaques.
Maurice Perczel ne fit pas une campagne moins bril-
lante contre les Austro-Serbes. Il ravitailla Petro va-
radin (31 mars) et s'empara le 3 avril de cette place de
Szent-Tamas qui avait été si fatale aux Magyars. Perczel,
qui était excessivement cruel, la détruisit de fond en
comble. Du reste, là comme en Transylvanie, la guerre
avait un caractère horrible. Le 10 mai il entra à Panc-
9ova, capitale des gerbes dans le Banat. Il ne restait
S22 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
plus à i*Autriche que Titel dans le district des Tchzai-
kistes et Temesvar.
Les armes hongroises étaient donc victorieuses de toutes
parts. La cour d'Olmûtz furieuse destitua Windisgraëtz
pour cause d'incapacité : on fit du sanglant bombardeur
un grand chambellan, dérision méprisante, et on le rem-
plaça par le général Welden retour d'Italie. Gœrgey,
sans perdre de temps après la victoire de Godollo, en-
voya un corps d'observation sur Pesth et marcha lui-
même pour débloquer Komorn. Le 9 avril la division
du général Gotz fut battue à Vacz (Waitzen). Le 19 avril,
la principale armée autrichienne fut mise en une déroute
qui prit les proportions d'un désastre à Nagy-Sarlô. Les
conséquences de cette victoire furent l'évacuation de
Pesth par les Autrichiens qui laissèrent une forte gar-
nison dans la citadelle de Bude et le débloquement de
Komorn où les Hongrois entrèrent le 22 avril. Le 26 avril
les Hongrois passèrent le Danube et infligèrent un nouvel
échec aux Autrichiens, qui se mirent de toutes parts en
retraite sur Raab (Gyor).
Après le gain de la bataille de Kapolna (27 février),
la cour impériale avait cru la Hongrie anéantie et le
moment venu de reprendre toutes les concessions qu'elle
avait faites sous la pression des événements. La cons-
tituante de Kremsier, épurée et languissante, élaborait
une constitution bizarre, trop libérale encore pour les
nouvelles intentions de la cour qui ne tenait plus à jouer
auconstitutionalisme. Le 4 mars, Prançois^oseph publia
à Olmûtz un manifeste par lequel il dissolvait la diète
de Kremsier. « Grâce à la marche victorieuse de nos
armées en Hongrie, disait-il, la grande œuvre de l'unité
de l'Autriche, œuvre dont nous nous sommes proposé la
réahsation comme base de notre règne, a été avancée
d'une manière notable. C'est pourquoi la diète est dis-
soute, et nousi octroyons de notre volonté impériale une
constitution à toute la monarchie une et indivisible. »
Cette constitution octroyée et préparée dans les bureaux
CONSTITUTION DU 4 MARS 223
de la chancellerie impériale, est un document peu inté-
ressant, car elle ne fut jamais exécutée. Elle supprimait
entièrement l'autonomie de la Hongrie devenue simple
province de l'empire, et en séparait la Transylvanie, la
Croatie et le territoire serbe. Elle consacrait l'égalité
des droits entre toutes les races {Gkichbefi*echtigung),
mais c'était l'égalité sous l'absolutisme, régime auquel
cette constitution du 4 mars devait, dans la pensée de
son auteur, servir simplement de transition.
Les Slaves, qui avaient si puissamment aidé l'Autriche
contre les Magyars, commençaient aussi à se sentir joués.
De vives discussions avaient éclaté entre Windisgraëtz
et Jellacic. Quand après les victoires des Hongrois, celui-
ci rentra en Croatie, il publia contre les Autrichiens un
mémorandum amer que publia le journal Serbe Serbske
novïne, H se plaignait que Windisgraëtz et son succes-
seur ne s'entourassent que de Magyars restés fidèles à
l'empereur, mais tout aussi ennemis des Slaves que les
hommes de Debreczen. Théodorovic, qui avait pris le
commandement en chef des Serbes à la mort du voïvode
Suplikatz, exhalait les mêmes plaintes et refusait de
remplacer le drapeau serbe par le drapeau jaune et
noir de l'Autriche. Les habitants des confins, replacés
sous l'ancien régime, protestaient. « Nous sommes
redevenus partie intégrante de l'armée autrichienne :
la discipline militaire est notre seul code civil... où
trouver dans le monde un peuple aussi paria que le
nôtre?... »
Vinrent les victoires des Hongrois. Kossuth comprit
que le moment était favorable pour s'affranchir de cette
légalité à laquelle on avait fait tant de sacrifices et de
proclamer l'indépendance de la Hongrie. Aussitôt après
le manifeste du 4 mars, il proposa cette mesure à la
diète. Elle fut adoptée par acclamation dans la séance
du 14 avril, après un des plus beaux discours de Kos-
suth. La Hongrie fut déclarée royaume indépendant
avec un territoire indivisible et inviolable. La maison
S24 HISTOIRE DE L'aUTRIGHE
de Habsbourg-Lorraine fut déchue pour toujours du
gouvernement, proscrite du sol hongrois. La forme
définitive du gouvernement fut réservée et Kossuth élu
gouverneur-président, choisissant des ministres et admi-
nistrant sous sa responsabilité propre et sous la res-
ponsabilité de chacun de ses ministres. Le 24 avril, la
déclaration d Indépendance fut lue solennellement de-
vant les deux chambres réunies.
Cette déclaration d*indépendance a été Tobjet de
nombreuses controverses parmi les historiens. On Ta
déclarée inopportune et on a prétendu que c'est elle
qui avait décidé TAutriche à demander l'intervention
russe. Sur le premier point, il faut plutôt lui reprocher
d'avoir été tardive. Les Hongrois se sont laissé trop
longtemps dominer par leur amour de la légalité et par
leur crovance dans la bonne foi de la cour de Vienne.
L'histoire de cette cour depuis Joseph II prouvait qu'elle
n'avait jamais renoncé à l'idée d'abolir Tautonomie
hongroise et de faire rentrer le royaume de Saint-Etienne
dans l'unité autrichienne comme simple province. Elle
ne faisait des concessions aux Magyars, sous la pression
des circonstances, que comme elle en faisait au peuple
de sa capitale, avec la ferme intention de les retirer à
la première occasion. Quant au second point, l'inter-
vention russe aurait eu lieu quand même : eUe était
préparée de longue main et la tentative de Ludërs
n'était que la préface d'une pièce convenue. Nous avons
là-dessus le témoignage officiel du colonel Ramming,
chef d'état-major de Haynau, qui prouve que l'interven-
tion était décidée au commencement d'avril. Quant à
avoir rendu cette intervention inutile en se hâtant de
traiter après les victoires, c'est une illusion : l'Autriche
n'aurait pas traité ou, si elle l'avait fait, c'eût été pour
déchirer la constitution de 1848 comme elle déchira la
constitution du 4 mars. Les Hongrois avaient deux
choses à faire : se déclarer indépendants dès le com-
mencement de la guerre et 3e réconcilier avec les Slavçs
KOSSUTH GOUVERNEUR — SON MINISTÈRE 225
du sud. Leur légalisme d'un côté, leur orgueil de Tautre,
les en empêchèrent et ils Texpièrent durement. Il est
regrettable aussi que Kossuth et ses amis n'aient pas
osé proclamer la république. Ils réservèrent entièrement
la question de la forme du gouvernement, incertains et
timides jusqu'au bout.
Kossuth forma son ministère le 2 mai ; il était ainsi
composé : présidence du Conseil et Intérieur : Barthé-
lémy Szemère ; — Affaires étrangères : comte Casimir
Batthyany ; — Finances : FrançoisDuscheck ; — Travaux
publics : LadislasCzany; — Instruction publique et cul-
tes ; l'évéque catholique Michel Horwath ; — Justice :
Sabbas Vukovich; — Guerre : Gœrgey. Le 14 mai,
Kossuth et les ministres prêtèrent serment. Kossuth
était religieux et mystique. Le bas clergé hongrois était
entré avec entrain dans la révolution , mais le haut
clergé était resté fidèle à l'Autriche.
Jellacic s'était mis en retraite sur la Croatie avec
1500 hommes : une garnison de 4000 hommes avait été
laissée dans la forteresse de Bude. Dans la nuit du 2â
au 24 avril le reste des forces autrichiennes évacua
Pesth où Aulich entra le 24 au matin à la tête d'un pe-
loton de hussards. Battu, comme nous l'avons vu, le
26 devant Komorn, Welden s'enfuyait vers Vienne. Ici
se pose un des plus importants problèmes de la guerre
hongroise : Gœrgey devait-il poursuivre l'armée autri-
chienne et s'emparer de Vienne où il aurait été reçu
comme un libérateur? Au lieu de le faire, Gœrgey ré-
trograda pour s'emparer de la forteresse de Bude, ne
laissant qu'un corps d'observation à Raab. Il s'est élevé
plus tard sur ce point la controverse la plus violente et
la plus confuse. Gœrgey a d'abord prétendu qu'il n'avait
fait qu'obéir aux ordres de Kossuth, ce que Kossuth a
démenti péremptoirement. Puis il a avoué sa vraie
raison : la déclaration d'indépendance l'avait irrité : il
voulait, à la tête de son armée victorieuse , renverser
Kossuth qu'il haïssait et qu'il enviait, et traiter avec
13.
2^26 HISTOlttE DE L'AUTRICHE
TAutriche comme dictateur de la Hongrie. Il était dans
la logique de son attitude vis* à vis du pouvoir civil,
attitude qui n'avait été qu'une rébellion permanente
dont Kossuth, avec une inexcusable faiblesse , n'avait
pas su triompher. Gœrgey, imbu de militarisme, détes-
tait les révolutionnaires et ne visait qu'à s'emparer du
pouvoir pour rétablir la monarchie des Habsbourg, tout
en stipulant pour son ambition personnelle. C'est pour
cela qu'il ne voulut pas réduire à la dernière extrémité
la cour de Vienne.
Quelles auraient été les conséquences de la prise de
Vienne ? Il est probable que les provinces allemandes
de l'Autriche se seraient jetées dans les bras de l'Alle-
magne, tandis que les Slaves du sud auraient cherché
à échapper à la tyrannie magyare en se donnant à la
Russie. Il faut donc reconnaître que l'intérêt général
de l'Europe, même de l'Europe démocratique , n'aurait
pas été servi par le triomphe des Hongrois. On s'y trom-
pait alors, car ce n'est pas au milieu de la poussière
des batailles et du choc des événements qu'on voit clair.
Mais aujourd'hui ces conséquences apparaissent avec
une entière évidence.
Après une lutte sanglante pendant laquelle les Autri-
chiens bombardèrent Pesth impitoyablement, après plu-
sieurs assauts repoussés, les Hongrois enlevèrent le 21
mai la forteresse de Bude, où ils trouvèrent 80 pièces
de siège, 4000 fusils et où ils firent 2500 prisonniers.
L'effet moral fut immense.
Mais déjà les troupes russes étaient en marche de
toutes parts. Le 1®' mai la Gazette de Vienne avait an-
noncé ofiiciellement que l'empereur d'Autriche ayant
sollicité l'assistance armée de la Russie, le Gzar la lui
avait promise immédiatement, avec le plus généreux
empressement et dans la mesure la plus Ubérale. Le
6 mai, l'avant-garde russe entrait à Gracovie. Le 8 mai,
Nicolas publiait un manifeste à l'Europe : il déclarait
envoyer ses armées écraser la révolution en Hongrie
PROTESTATIONS HONGR. CONTRE L'INVASION RUSSE. 227
« OÙ les traîtres polonais de 1831 , réunis à des réfugiés
et à des proscrits appartenant à d'autres nations, usur-
paient le pouvoir. »
La Hongrie protesta par ses représentants diploma-
tiques à l'étranger. Le comte Ladislas Teleki était l'en-
voyé hongrois à Paris où régnait un grand enthousiasme
pour les Magyars, où la parole enflammée de Michelet
recommandait cette cause, où l'on suivait passionné-
ment les péripéties de la guerre. Le 12 mai, à la nou-
velle de l'intervention russe. Flocon interpella le mi-
nistre des aifaires étrangères du président Louis-Napo-
léon, M. Drouyn de Lhuis, qui fit une déclaration assez
satisfaisante. Le 22 mai, à la suite d'un discours de
M. Sarrans jeune, M. Joly (de Toulouse) proposa un
ordre du jour des plus belliqueux qui fut combattu par
le général Oavaigftac et par le président du conseil
Odilon Barrot, mais qui fut appuyé par Ledru-RoUin,
qualifiant le manifeste du Gzar de nouveau manifeste
de Brunswick, et par Grémieux, qui déclara que l'Italie
et la Hongrie étaient les boulevards de la liberté. « La
lutte est ouverte entre la révolution et la contre-révo-
lution : il faut que la France prenne un parti. » Un
ordre du jour très- vague, proposé par le général Ga-
vaignac, fut voté par 346 voix contre 184. Le Gzar ve-
nait de reconnaître la République française. L'Angle-
terre déclara, par l'organe de lord Palmerston, qu'elle
n'avait pas à manifester d'opinion. La Turquie resta
neutre malgré les efforts du jeune envoyé hongrois, le
comte Jules Andrassy.
Le gouvernement hongrois publia le 18 mai une so-
lennelle protestation et prit un ensemble de mesures
^religioso-militaires qui peignent bien à la fois le peuple
et l'époque : la levée en masse et le jeûne obligatoire,
le tocsin et les services religieux, la destruction des
récoltes aux frontières menacées et les évèques et curés
appelés à marcher à la tète des soldats. On était en
plein mysticisme : on demandait au Ghrist en Hongrie
228 HISTOIRE DE L* AUTRICHE
de bénir les armes, comme on lui demandait en France
de bénir les arbres de la liberté.
Les partisans de la paix dans la Diète se mirent en
rapport avec Gœrgey. Il alla à Debreczen et proposa à
ses complices d'abolir la déclaration d'indépendance
par une contre-révolution militaire. Geux-ci refusèrent.
Gœrgey dut renoncer à son plan de- dix-huit brumaire,
d'autant plus que la Diète se prorogea du 31 mai au
2 juillet, après avoir décidé que le gouvernement re-
viendrait se fixer à Pesth. Mais il résolut d'agir de ruse
et de prêter serment, comme il l'avance dans ses Mé-
moires, à une loi dont le renversement lui semblait in-
dispensable. Il garda le portefeuille de la guerre et par-
vint à décider Kossuth, l'aveugle Kossuth, à le débar-
rasser de Dembinski, de Perczel et de Guyon, car il
voulait avoir toute l'armée dans la main. Il essaya aussi
de renverser Bem, mais il échoua. Perczel écrivit une
lettre où il prouvait jusqu'à l'évidence que depuis l'o-
rigine Gœrgey jouait un rôle de traître. Kossuth n'en-
tendit rien. Mystique, paisible, homme de plume, poëte
d'imagination, incomparable à parler et défaillant à
agir, il ne sut pas, au nom du salut public, briser l'ins-
trument de la contre-révolution.
Les Autrichiens, tout surpris de n'être pas poursuivis
par Gœrgey, s'étaient cantonnés à Presbourg. Ils y fu-
rent rejoints le 4 juin par une division russe. L'armée,
composée de 80,000 hommes (dont 12,000 Russes) et de
324 canons, fut mise sous les ordres du général Haynau,
le bourreau de Brescia. L'armée hongroise appuyée à
Komorn comptait 55,000 hommes et 230 canons. Le
16 juin , les généraux hongrois , attaquant sans en-
semble, furent successivement battus. Gœrgey à son
tour échoua dans les sanglantes journées du 20 et du
21 à Pered. Haynau résolut de marcher sur Pesth et fit
passer son armée sur la rive droite du Danube. Le 28 il
attaqua l'armée hongroise devant Raab et la battit com-
plètement sous les yeux du jeune empereur François-
HÉSITATIONS ET REBELLIONS DE GŒRGEY 229
Joseph. La ville fut occupée. Gœrgey écrivit à Kossuth
qu'il faUait évacuer Pesth , se réfugier à Nagy-Varad
et l'abandonner, lui, à son sort. En même temps la
grande armée russe , après avoir été passée en revue
par Nicolas à Zmygrod, franchissait la frontière du
nord sôus les ordres de Paskéwisch : elle comptait
100,000 hommes (17 juin). Enfin Luders, à la tète de
50,000 Russes, envahissait la Transylvanie (19 juin) , et
Jellacic reparaissait au sud avec 34,000 hommes. La
Hongrie était enserrée dans un cercle de près de 300,000
baïonnettes auxquelles elle n'avait à en opposer que de
150 à 160,000. Dembinski proposa à Kossuth un plan
audacieux : se retirer dans le Banat entre la Theiss et le
Maros ; de là attaquer séparément les armées d'inva-
sion ; en cas de défaite se rabattre sur Komorn et es-
sayer de prendre la route de lltalie pour rompre le
blocus de Venise et soulever les régiments hongrois de
Radetzki. Il y avait sans doute là bien des illusions,
mais c'était gagner du temps : d'ailleurs le choléra
sévissait dans l'armée austro-russe; l'automne allait
venir avec ses pluies qui transforment en marais la
Puzta. Surtout on se devait à un suprême effort.
Gœrgey, pour obéir à ce plan qu'il accepta d'abord,
devait se retirer vers la Theiss où se ferait le mouve-
ment général de concentration des forces nationales.
Mais, changeant d'avis, il se retira dans le camp retranché
de Komorn où le 2 juillet, après un sanglant combat qui
coûta aux Hongrois 1500 morts, il fut battu par les Au-
trichiens, Il écrivit au gouvernement une lettre qui le
constituait en pleine rébellion. Le gouvernement le des-
titua et nomma Meszaros généralissime. Les officiers de
Gœrgey protestèrent contre cette décision et déléguèrent
à Pesth Klapka et Nagy Sandor. Kossuth céda, à condi-
tion que Gœrgey se soumît aux ordres que lui trans-
mettrait Meszaros. Les délégués se portèrent forts pour
Gœrgey. Vaine promesse I Au lieu de quitter Komorn
pour aller opérer sur la Theiss la concentration pro-
230 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
jetée, Gœrgey se décida, malgré Klapka, à transporter
le théâtre de la guerre sur la rive droite et à attaquer
Tannée autrichienne rangée devant le camp retranché.
Kossuth eut le tort de ne pas venir lui-même à l'armée
où sa popularité était supérieure à celle de Gœrgey. Du
7 au 11 juillet, grâce à ces dissentiments lamentables,
l'armée hongroise demeura immobile : elle attaqua
enfin le 11 et fut battue. L'occasion d'opérer la concen-
tration était perdue.
Le gouvernement et la Diète s'étaient retirés à Szeged.
Dès le 3 juillet l'armée russe du nord occupa Drf)reczen.
Le 20 juillet, Percel fut battu à Tura. La veille, Haynau
avait fait son entrée à Buda-Pesth, dont il couvrit les
murs de proclamations sanguinaires. Déjà le 5 juin, à
Presbourg, il avait fait pendre les deux commandants de
la forteresse de Léopoldstadt, Mednyantzky et Guber,
et le ministre protestant Razga. Puis il marcha sur
Szeged.
Dans le Banat, Jellacic, après avoir remporté de nom-
breux succès, s'était fait battre le 14 juillet par Guyon,
mais Vetter et Guyon, après avoir vainement tenté de
s'emparer de Titel, furent rappelés à Szeged menacé.
Dans la Transylvanie, Bem, malgré des prodiges de
valeur et d'audace et après avoir essayé de soulever la
Roumanie, perdait le 27 juillet la bataille de Segesvar
où disparut le poète Petofi.
A Szeged, s'agitaient bien des intrigues. Tout un
parti conspirait pour que la dictature fût confiée au
royaliste Gœrgey et Kossuth s'agitait dans le vide, ne
sachant pas prendre un parti et finissant par décréter
deux mesures qui auraient pu tout sauver, mais qui ne
pouvaient plus avoir d'eff'et : Bem nommé généralis-
sime et les races proclamées égales (28 juillet). Il fallut
quitter Szeged et se rendre à Arad dont le général hon-
grois Vecsey s'était emparé le l®"" juillet. La diète se
dispersa. Haynau passa la Theiss le 3 août et battit le
5 août Dembinski à Szoreg. Gœrgey s'était mis en re-
ABDICATION DE KOSSUTH 234
traite sur Szeged, subordonnant évidemment ses opéra-
tions militaires à ses ténébreuses inspirations politi-
ques et laissant battre à Debreczen le corps de Nagy-
Sandor qui lui était hostile. Il arriva le 9 août à Arad.
Mais le même jour, par une fatalité qui porta le der-
nier coup à la cause hongroise, Bem était battu devant
ia forteresse de Temesvar toujours occupée par les
Austro-Serbes. Ce fut la fin. Gœrgey négociait depuis
juillet avec les Russes et leur avait offert de faire cou-
ronner le duc de Leuchtenberg roi de Hongrie, chose
absurde, car Nicolas n'aurait pas osé accepter pour un
prince de sa famille une couronne qu'il était venu pour
rendre à son allié François-Joseph, mais curieuse en ce
sens qu'elle montre des Magyars, ennemis du pansla-
visme, disposés à livrer le pays à ce même panslavisme
plutôt qu'aux Habsbourgs. Le 11 août, Kossuth abdi-
qua la dictature entre les mains de Gœrgey. Celui-ci
avait encore deux ressources : conduire son armée en
Turquie dont la route était ouverte ou se réfugier dans
Komorn défendue par Klapka et là obtenir de meil-
leures conditions. Mais il se décida à se rendre aux
Russes de Rûdiger à discrétion et, d'accord avec eux,
dirigea son armée d'Arad sur Yilagos. Le 13 août, dans
la plaine de Szollos, 23,000 hommes rendirent leurs
sabres et leurs fusils avec 130 canons. Les officiers et
les civils furent, au bout d'une semaine, livrés à Hay-
nau qui fit emprisonner les officiers à Arad et les civils
à Pesth. Gœrgey, gracié par l'empereur d'Autriche, fut
interné à Klagenfurt en Garinthie. Bem voulait lutter
encore, il somma de reprendre le pouvoir Kossuth qui
n'osa, il chercha à transporter le théâtre de la guerre
en Transylvanie, mais Vecsey se sépara de lui le
16 août pour se rendre aux Russes, et Beke avec
6000 hommes capitula le 19 août à Piski. C'était la dé-
bandade : Bem, Guyon, Stein, par des sentiers inacces-
sibles, parvinrent à gagner le territoire turc. Le 17,
Damjanich avait rendu sans conditions la forteresse
232 HISTOIRE DE L*AUTRIGHE
d'Arad aux Russes. Le drapeau hongrois ne flottait
plus que sur Pétrovaradin et sur Komorn.
Kiss rendit Pétrovaradin sans conditions le 27 août.
Klapka défendit plus longtemps Komorn où il était en-
fermé avec 18,000 hommes. Le 3 août il avait fait subir
à Tarmée assiégeante une sanglante défaite et espéra
un instant rallumer la guerre dans tout le pays. Mais
vint la nouvelle de la capitulation de Gœrgey. Après
bien des négociations, l'acte de reddition de Komorn
fut signé le 27 septembre. La garnison partait libre,
mais sans armes, les officiers gardaient leur sabre. Le
5 octobre le drapeau jaune et noir flotta sur le dernier
boulevard de la Hongrie.
Ce fut alors que l'Autriche, littéralement ivre de
rage et de vengeance, se livra à une orgie de supplices
qui flétrira à jamais le règne de François-Joseph et la
mémoire de Schwarzenberg. Le 6 octobre, le premier
ministre de la Hongrie constitutionnelle, le faible, mais
noble et sincère Louis Batthyany, était fusillé à Pesth.
Le même jour, tous ces braves généraux qui s'étaient
rendus sans conditions aux Russes et que les Russes
avaient livrés aux Autrichiens, étaient mis à mort à
Arad. Quatre furent fusillés grâce à la bienveillance de
Haynau : Kiss, Schweîdel, Dessewffy, Lazar. Neuf fu-
rent pendus : Aulich, Damjanic, Nagy-Sandor, Torok,
Lahner, Vecsey, Knézich, Poltenberg, Leiningen; ils
moururent héroïquement. Mais quelle épouvantable
tuerie 1 Le 10 octobre, à Pesth, pendaison du vieux Pé-
renyi, président de la chambre des magnats, de Szacs-
vay, secrétaire de la chambre des députés, du conseil-
ler Gsernus. Les jours suivants pendaison encore de
Csany, ministre des travaux publics, de Jeszenak, du
prince Woroniecki, du français Abancourt. Quelques
milliers de patriotes furent condamnés au bagne ou à
la détention, et parmi eux des femmes admirables
telles que la comtesse Blanka Teleki, Clara Lovey,
Eslher Lazar. Haynau fît fouetter publiquement d'au-
LES RÉFUGIÉS HONGROIS EN TURQUIE 233
très femmes, telles que madame Maderspach, et y gagna
ce renom de bourreau et de tigre qui lui valut plus tard
la rude correction des ouvriers de la brasserie Barklay
de Londres. Les biens de toutes les victimes furent
confisqués.
La question des réfugiés hongrois en Turquie devint
ane grosse question. Ils étaient environ cinq mille
(3615 Hongrois, 871 Polonais, 464 italiens). La Russie et
TAutriche firent demander l'extradition par leurs am-
bassadeurs dans les termes les plus menaçants. La
France et l'Angleterre engagèrent la Turquie à résister,
et le 6 octobre les escadres anglo-françaises de la Médi-
terranée allèrent mouiller dans les eaux du Levant. La
Russie et l'Autriche reculèrent et demandèrent l'inter-
nement ou l'expulsion de leurs « sujets rebellea ».
Bem, Kmety, Stein, Guyon et 250 de leurs compagnons
s'étaient faits musulmans. Kossuth, Casimir Batthyany,
Meszaros, Perczel, Wysocki furent internés à Kutahia
d'où en 1851 on les laissa gagner l'Amérique. Bem,
quelques jours avant leur départ, mourut de la fièvre
à Alep.
Pendant la lutte hongroise, les armes de l'Autriche
avaient été également heureuses en Italie. Dès le
9 août 1848, Venise avait proclamé la république, con-
fiant le pouvoir à Manin et la défense militaire à Pepe.
La résistance de l'héroïque cité entretenait les espé-
rances dans le reste de la péninsule et empêchait la
prescription du droit de s'accomplir. Les souverains
firent quelques concessions (ministères Montanelli à
Florence et Rossi à Rome, septembre). Mais Pie IX
s'enfuit à Gaëte (25 novembre), et le 26 décembre, Rome
fut appelée à élire une constituante qui se réunit le
6 février 1849 et proclama le 9 la république. Le 16 fé-
vrier la république était aussi proclamée à Florence.
Le parlement de Turin demanda formellement à Char-
les-Albert de recommencer la guerre contre l'Autriche.
Il céda, prit Rs^ta^zi pour ministre et dénonça le
234 HISTOIRE DE L*AUTRICHE
12 mars l'armistice à Radetzky. Dès le début, la cam-
pagne s'annonça mal. Les Piémontais commandés par
le Polonais Chrzanowsky, après avoir passé le Tessin,
furent obligés à le repasser le 21 mars par suite d'un
mouvement hardi de Radetzky. Il fallut se mettre en
retraite sur Novare et y jouer le tout pour le tout. La
bataille se livra le 23 mars et malgré la valeur dé-
ployée par les Italiens, fut perdue. Le soir même
Charles-Albert abdiqua, laissant à son fils Victor-Emma-
nuel II le soin douloureux de négocier la paix. Brescia
se défendit pendant cinq jours avec une véritable subli-
mité de bravoure. Haynau s'en empara le V^ avril et ce
bourreau, préludant à ses sanglants exploits d'Arad,
livra la ville au pillage, à l'incendie et après les mas-
sacres de la rue, fit pendre plus de cent citoyens. L'Eu-
rope en même temps, la France en tête, hélas I mar-
chait pour étouffer la république romaine. Peruzzi ré-
tablissait le grand-duc à Florence où les Autrichiens
entrèrent le 25 mai et abolirent la constitution. Us
avaient bombardé et pris Bologne le 16. Venise résista
seule jusqu'au 28 août, jour où, par suite d'une capitu-
lation honorable, le drapeau jaune et noir flotta de
nouveau sur la place Saint-Marc, quinze jours après la
capitulation de Gœrgey à Vilagos.
CHAPITRE IV
Ministère Schwarzenberg. — Bach. — Réaction. — Parlement de
Francfort. — Archiduc Jean. — Parlement d'Erfurth. — Con-
férences d'Olmûtz. — Dix ans d'absolutisme. — Voïvodine
serbe. — Finances. — Abolition de la Constitution du 4 mars.
— Concordat de 185^. — Zollverein. — Guerre de Crimée. —
Congrès de Paris. — Guerre d'Italie. — Solferino. — Villafranca.
L'Autriche était libre dès lors de poursuivre les deux
buts que Schwarzenberg avait donnés à ses efforts :
rétablir à l'intérieur l'absolutisme bureaucratique, mi-
litaire et religieux tout en conservant les réformes
sociales issues du mouvement de 48 et reprendre en
Allemagne la prépondérance que lui avaient fait perdre
les progrès de la Prusse et les aspirations unitaires.
Voltaire a écrit : « La multiplicité des états sert à
tenir la balance jusqu'à ce qu'il se forme en Allemagne
une puissance assez grande pour engloutir les autres. »
La formation de cette puissance unique et dominante,
contraire à l'esprit d'individualisme, de particularisme
de la race germanique, ne pouvait avoir lieu qu'à la
condition de créer en Allemagne un irrésistible senti-
ment national auquel elle servit d'organe. Ce sentiment
n'existait pas au-delà du Rhin au xviii* siècle. La révo-
lution française l'éveilla, mais ce qui le créa définitive-
ment, ce fut la lutte contre l'empire napoléonien : il
236 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
sortit, pour ne plus s'éteindre, de la guerre de déti-
vrance {Befreiungskrteg) ; ce fut en luttant contre l'é-
tranger que les Allemands se sentirent un peuple et que
la passion de Tunité s'empara d'eux. La Sainte-Alliance,
qui avait exploité ce sentiment contre les périls de Tex-
térieur, le combattit quand il se tourna vers les réfo^
mes intérieures. Nous avons vu que ce fut le rôle de
l'Autriche de Metternich toute occupée à maintenir la
vieille confédération dans l'esprit féodal, absolutiste et
en partie catholique qu'elle avait avant 1789. La Prusse
protestante, savante et libérale, ne jouait son rôle tout
indiqué d'opposante qu'avec timidité. Ses souverains
d'ailleurs, tout en se laissant porter à la tète du mouve-
ment populaire et unitaire dans le reste de l'Allemagne,
entendaient continuer à gouverner chez eux au nom du
droit divin, et cette contradiction nuisait singulière-
ment à leur influence. Les unitaires furent pris d'un
grand espoir à l'avènement de Frédéric-Guillaume IV.
Mais l'avortement de la révolution prussienne leur fit
voir qu'il ne fallait compter que sur eux-mêmes et fé-
vrier 1848 les détermina à agir. Cinquante délégués des
divers états de l'Allemagne se réunirent spontanément
le 5 mars à Heidelberg et prirent les mesures nécessai-
res pour qu'une assemblée préparatoire fût convoquée
le 30 mars à Francfort-sur-le-Mein. Les souverains, de
leur côté, essayèrent d'un congrès à Dresde pour le
25 mars, mais ce projet échoua, l'Autriche faisant vio-
lemment attaquer dans ses journaux officiels l'ambi-
tion et les calculs de la Prusse. L'assemblée prépara-
toire se réunit le 31 mars à Francfort. Dès le premier
moment se trouvèrent en présence le parti de la grande
Allemagne {gross Deutsch) et celui de l'Allemagne res-
treinte {klein Deutsch), Le premier voulait grouper sous
la main du pouvoir central tous les pays allemands, y
comprise l'Autriche avec toutes ses possessions : Hon-
grie, Lombardo-Vénétie, Gallicie, etc. L'autre groupait
sous l'hëgémonie de la Prusse, tous les états allenaands,
LE PARLEMENT DÉ FRANCFORT 237
excepté TAutriche, exclue ainsi avec ses neuf millions
i'Allemands de la patrie commune, parce qu'on savait
qu'elle ne se soumettrait jamais à sa rivale et qu'on ne
iroulait pas perpétuer le dualisme austro-prussien si
Funeste à l'unité allemande. La question fut ajournée ,
et on décida que la future constituante, élue par le
aiffrage universel direct, à raison d'un député par
50,000 habitants, se réunirait le 1*" mai à Francfort.
L'assemblée préparatoire avait tout d'abord écarté la
forme républicaine. Elle se sépara le 3 avril, et la cons-
Utuante, connue dans l'histoire sous le nom de parle-
ment de Francfort^ se réunit le 18 mai. L'Autriche alle-
mande y comptait 121 députés.
Lies difficultés étaient immenses et, à vrai dire, inso-
lubles par la seule action parlementaire. Chaque état
allemand convoquait des parlements particuliers, ce
qui indiquait bien l'intention de n'accepter que sous
Y>éiiéfice d'inventaire les décisions du parlement géné-
ral. Celui-ci déclara vainement, sur la motion de
M. Werner de Goblentz, que toutes les constitutions par-
ticulières ne seraient valables qu'après avoir été mises
en accord avec la constitution générale : cette déclara-
tion était dépourvue de force exécutrice. L'organisation
du pouvoir central, la forme républicaine étant écartée,
n'était pas moins difficile, et ce fut le sentiment de cette
difficulté qui fît prendre le parti bâtard de nommer
l'archiduc Jean d'Autriche vicaire général de l'empire,
en attendant l'achèvement de la constitution allemande.
Enfin la question de la grande Allemagne et de l'Alle-
magne restreinte se posa et domina tout ; elle fut tran-
chée, grâce à M. Henri de Gagern, contre l'Autriche en
faveur de l'AUenjagne restreinte. Le 27 novembre le
parlement vota les paragraphes 2 et 3 du projet de
constitution ainsi conçus : « 1° Aucune partie de l'em-
pire ne pourra être réunie en un seul état avec des pays
non allemands ; 2** si un pays allemand a le même sou-
verain qu'un pays non allemand, les rapports entre les
238 HISTOIRE DE L' AUTRICHE
deux pays ne pourront être réglés que d'après les pri»-
cipes de tunton personnelle pure, » C'était rexclusionj
complète de TAutriche, et le poète Arndt s'évanouit ei
votant cette amputation considérable. C'était en menu
temps se jeter dans les bras de la Prusse. Schwarzen-
berg, qui entrait justement au pouvoir le jour même df
ce vote si grave, prit une attitude menaçante vis à vb
de l'assemblée de Francfort à laquelle il reprochait d'(
voir reçu les envoyés mag^^ars, d'avoir porté le deuil ai
Robert Blum et d'avoir agité la question d'une média<
tion fédérale entre l'Autriche et la Hongrie. Il déclai
qu'il attendrait, pour régler la nature de ses rappoi
avec l'Allemagne, que celle-ci fût organisée. Les cathofr
ques s'alarmèrent de cette exclusion de la grande puis-l
sance catholique, la Bavière protesta : il devint évident
que l'idée de l'unité allemande allait aboutir à un écla-
tant fiasco. La Prusse elle-même hésitait, cherchant par'
une politique équivoque et par des propositions bizar-
res, à ménager à la fois le parlement et l'Autriche. Le
parlement s'irrita.
Le 14 janvier 1849, 261 voix contre 224 consacrèrent
définitivement l'exclusion de l'Autriche. Après avoir re-
poussé divers projets tendant à confier le pouvoir cen-
tral à un directoire de cinq membres, à faire passer la
couronne impériale de six mois en six mois à chacun
des souverains les plus puissants de l'Allemagne, à
créer un empereur, mais à condition que tout Allemand
fût éligible, le parlement décida par 258 voix contre
211 que la dignité impériale serait conférée à un des
princes régnants. 263 voix contre 211 décidèrent, mal-
gré les efforts de MM. Dahlmann et de Vincke combat-
tant pour l'hérédité, que cette dignité serait élective.
On institua ensuite un conseil impérial composé de plé-
nipotentiaires fournis par chaque état allemand.
Le 23 janvier, la Prusse envoya à Francfort une note
ou elle déclarait que le roi préférerait à un empire uni-
taire une union d'états reconnaissant volontairement
DISCUSSIONS SUR l'ëMPIRE 289
l'hégémonie de la Prusse et étant en politique ce que
le Zollverein était en matière commerciale. L'Autriche,
par une note du 4 février, se prononça énergiquement
contre la création d'un état unitaire et homogène, et
demanda que la constitution définitive de l'Allemagne
fût concertée entre l'assemblée et les états allemands.
Lia Prusse, émue de la note autrichienne, répondit le
16 février en protestant qu'elle était sincèrement atta-
chée à l'Autriche et d'avis de fortifier les liens sécu-
liers qui attachaient cet empire à l'Allemagne. Le 27,
l'Autriche, à son tour, protesta contre toute intention
de s'isoler et de rompre avec la confédération et pro-
posa la création d'un directoire exécutif de neuf
membres, base de discussion que la Prusse accepta le
10 mars.
Mais le parti prussien reprit courage. L'Autriche, en
dissolvant la Diète de Kremsier et en proclamant la cons-
titution du 4 mars, semblait vouloir s'organiser en état
très-centraUsé trop fort dès lors pour entrer dans l'unité
allemande. De plus, la Hongrie reprenait le dessus et
lltalie recommençait la guerre. N'était-ce pas le mo-
ment d'agir au profit de la Prusse? MM. de Gagern et
Welker proposèrent le 21 mars de conférer l'empire
héréditaire à Frédéric-Guillaume. Cette proposition fut
repoussée par 282 voix contre 252, ce qui amena la
démission du ministère de l'empire. Mais six jours après,
le 27 mars, complet revirement : 267 voix contre 263
décrétaient que la dignité impériale serait héréditaire
et le 28, 290 voix contre 248 conféraient cette couronne
héréditaire au roi de Prusse et envoyaient une députa-
tion la lui offrir officiellement. Le revirement avait pour
cause un marché entre le parti prussien et les radicaux.
Ceux-ci donnèrent leurs voix en échange des conces-
sions suivantes : l'empereur n'aurait qu'un veto suspen-
sif; il n'y aurait pas de conseil d'empire; les élections
se feraient par le suffrage universel et direct.
Mais le roi de Prusse, malgré les sommations de sa
240 HISTOIRE DE L'AUTRICHÈ
deuxième chambre qui fut dissoute à cause de cela,
refusa la couronne. La Prusse protestante et libérale
trahissait Tespoir des unitaires. Il est facile de deviner
pourquoi cet empire démocratisé, fondé sur le suffrage
universel, décerné par la souveraineté populaire, ne
paraissait plus désirable à Frédéric-Guillaume, imbu
des doctrines du droit divin. Un député obscur de la
seconde chambre prussienne, M. de Bismarck, destiné à
un si grand rôle, s'écria : « Je ne veux pas que mion roi
devienne le vassal de M. Simon » (Simon de Trêves,
président du parlement de Francfort). De plus rAutriche
sortait de ses embarras intérieurs grâce au secours de
la Russie (il est à remarquer que le refus de Frédéric-
Guillaume est du 28 avril, le lendemain même de l'in-
tervention des Russes en Hongrie) et prenait une atti-
tude menaçante : elle avait rappelé, aussitôt le vote du
27 mars, ses cent vingt-et-un représentants de Francfort
et le 5 avril son plénipotentiaire, M. de Schmerling
avait communiqué une très-vive protestation du cabinet
Schwarzenberg. Pour tous ces motifs, le cœur manqua
à Frédéric-Guillaume qui aurait accepté une unité mo-
narchique, mais qui ne voulait pas se faire l'organe
d'une unité démocratique. L'œuvre du parlement de
Francfort, le rêve de la patrie allemande, tout manquait
par la défaillance de celui en qui les théoriciens avaient
mis leur confiance. Faute de décision et d'énergie, la
représentante du progrès contre l'immobilisme autri-
chien trahit son rôle historique. Elle ne devait le re-
prendre qu'après Sadowa et après Sedan, mais en faisant
l'unité par le despotisme militaire au lieu de la faire
par la souveraineté du peuple affranchi, et en apprenant
aux descendants des démocrates de 1848 à trouver dans
la gloire des armes et dans l'ivresse de l'esprit de con-
quête une compensation à l'écrasement de la liberté.
L'Autriche l'emportait donc en Allemagne comme en
Hongrie et en Italie. Les déceptions des peuples, après
tant d'espérances, soulevèrent partout des mouvements
TRAITÉ DES TROIS ROIS 241
insurrectionnels. On se battit à Berlin le 28 avril, du 5
au 9 mai à Dresde, le 13 et le 14 mai à Garlsruhe dans
le grand-duché de Bade, à la voix des Struve, des Bren-
tano, des Gœg. La Prusse se trouva entraînée à verser
le sang des Allemands en allant au secours de ces mo-
narques menacés. Le 14 mai elle rappela ses députés
de Francfort. Le Parlement décida qu'il irait siéger à
Stuttgard, où 105 de ses membres seulement se réuni-
rent, pour achever de mourir dans Timpuissaiice et sous
la police du roi de Wurtemberg. Mais Frédéric-Guillaume
n'avait pas perdu tout espoir de se mettre à la tète de
TAllemagne, sinon par le concours des peuples, au
moins par celui des rois. C'est un curieux spectacle que
celui de ses tentatives multipliées et de l'énergique
habileté avec laquelle Schwarzenberg, qui ne voulait
que la reconstitution pure et simple de l'ancienne Diète,
les déjoua successivement.
Frédéric-Guillaume essaya d'abord de faire une cons-
titution unitaire nouvelle avec l'aide du Hanovre et de
la Saxe (traité des trois rois). Le conseil exécutif de
l'empire serait composé d'un collège de princes présidé
héréditairement par la Prusse, son pouvoir législatif de
deux chambres, la première nommée de compte à demi
par les monarques et les parlements de chaque état, la
seconde élue par le suffrage universel à deux degrés :
l'Autriche fit proposer le 16 mai un contre-projet, tout
en donnant à la Bavière le rôle d'un contre-poids entre
elle et la Prusse. Une entrevue à Tœplitz entre Frédéric-
Guillaume et François-Joseph n'amena pas de résultats,
la Prusse persistant dans sa prétention que le chef de
l'état fédéral fût un chef sérieux, disposant des forces
militaires. Enfin après bien des débats, fut signé le
30 septembre un traité qui créait, conformément aux
vues de l'Autriche, un pouvoir central provisoire intitulé :
commission d'empire, et qui durerait jusqu'au 1®' mai
1850. La commission était composée de deux membres
prussiens et de deux membres autrichiens siégeant à
àsseline. 14
242 HISTOIRE DE L^AUTRIGHE
Francfort. C'était un replâtrage de Tancienne diète ger*
manique. Le Prusse était jouée : il ne lui restait que le
conseil d'administration institué à Berlin par le traité
des trois rois : elle voulut s'en servir contre la commis-
sion d'empire, ce que l'Autriche refusa d'admettre par
une note du 25 octobre ; le Hanovre et la Saxe d'ailleurs,
les deux autres parties contractantes au pacte des trois
rois, inclinaient vers l'Autriche. La Prusse néanmoins
fit décider par ce conseil d'administration, organe d'une
union restreinte, qu'une assemblée constituante serait
convoquée à Erfurth, ville prussienne.
L'Autriche et la Bavière protestèrent et, le 8 décembre
1849, la Saxe adhéra à ces protestations. Le Hanovre
alla même plus loin : il renonça au traité des trois rois
et sortit de l'union restreinte. La Prusse était aban-
donnée par les grands états allemands : s'appuyant sur
vingt-sept petits états, elle n'en persista pas moins à
convoquer un parlement à Erfurth pour le 20 mars 1850;
alors la Bavière, la Saxe et le Wurtemberg signèrent le
27 février à Munich un traité qui organisait en face de
l'union prussienne une union particulière inspirée par
l'Autriche de plus en plus maîtresse des coups sur cet
échiquier compliqué, mais s'appliquant en même temps
avec une grande habileté à ce que l'union de Munich ne
devint pas une garantie d'indépendance pour les puis-
sances de second ordre et la faisant même blâmer par
la Russie, qui demandait le retour pur et simple à la
confédération de 1815.
Le parlement d'Erfurth se traîna dans l'impuissance
du 20 mars au 27 avril 1850 et la Prusse elle-même le
remplaça le 10 mai par un congrès des princes. De son
côté l'Autriche convoqua tous les gouvernements à se
réunir le 10 mai à Francfort pour organiser un nouvel
intérim. Il y avait donc dans ce moment deux assemblées
rivales : le congrès des princes de Berlin et la réu-
nion ou Plénum de Francfort, représentant chacun une
union restreinte et occupées réciproquement à empê-
AFFAIRES DE LA HESSE — CONVENTION D'OLMUTZ 243
cher que leurs actes ne prissent un caractère général.
Pour sortir d'embarras, l'Autriche, par l'organe de
son plénipotentiaire le comte de Thun-Hohenstein, pro-
posa à Francfort de rétablir l'ancienne diète et le vieux
pacte fédéral, tout en le mettant d'accord avec les idées
modernes. Ce fut voté le 8 août. Schwarzenberg était
arrivé à ses fins; l'ancien régime fédéral, qui donnait
en Allemagne la prépondérance à l'Autriche, était res-
tauré : il avait su constamment opposer aux efforts de
la Prusse, qui n'avait pas su se servir de la coalition
des peuples, la coalition des gouvernements. La Prusse
allait-eUe accepter cette défaite ? il y avait chez elle un
parti belliqueux qui souffrait de tant d'humiliations et
de déceptions et qui songeait à dénouer par la guerre
ces difficultés de la diplomatie. Un accident qui se pro-
duisit dans la Hesse électorale lui parut une excellente
occasion.
La Hesse venait de chasser son électeur compromis
par son ministre exécré Hassenpflug. L'électeur réclama
l'appui de la diète de Francfort, ses sujets révoltés celui
de la Prusse. Schvi^arzenberg qui avait dit : « pour dé-
moUr la Prusse, il faut l'avilir, w prit la balle au bond.
Le 12 octobre il réunit à Brégenz dans un congrès so-
lennel l'empereur d'Autriche et les rois de Bavière et de
Wurtemberg : quelques jours plus tard il ménagea une
entrevue à Varsovie entre François-Joseph et le Gzar
Nicolas devant lequel tremblaient tous les potentats de
l'Allemagne; à Brégenz comme à Varsovie, on adhéra
d'une façon éclatante à sa politique. Le 1" octobre, les
troupes austro-bavaroises entrèrent dans la Hesse et oc-
cupèrent Hanau. Le 6 novembre les troupes prussiennes
entrèrent à leur tour et occupèrent Gassel. Il y eut même
du côté de Fulda, à Bronzell, échange de coups de fusil
entre les avant-postes. Le ministre prussien, M. de Ra-
dowitz, fit décréter la mobilisation de l'armée et de la
landwehr : Schwarzenberg, grâce à l'emploi des che-
mins de fer, réunit sur les frontières de Hesse une ai^
244 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
mée de 180,000 -hommes. Le 26 novembre Fenvoyé au-
trichien, M. de Prokesch, somma la Prusse d'avoir à
évacuer la Hesse dans les vingt-quatre heures. La Prusse
céda. M. de Manteuffel remplaça le belliqueux Radowitz
et courut en hâte à Olmûtz se soumettre aux exigences
de Schwarzenberg (29 novembre 1850). On signa une
convention portant que dans la Hesse un corps d'armée
prussien coopérerait avec un corps d'armée fédéral au
rétablissement de l'électeur; qu'il y aurait même coopé-
ration dans le Holstein (affaire qui sera expliquée dans
un autre chapitre) ; que des conférences libres s'ouvri-
raient à Dresde pour régler la constitution future de
l'Allemagne.
Le mot de Schwarzenberg était réalisé : la Prusse
était avilie : elle ne désertait pas seulement les causes
qu'elle avait embrassées avec tant d'ardeur, elle con-
sentait à les combattre à côté de sa rivale. De plus elle
abandonnait les derniers débris du mouvement révolu-
tionnaire de 1848 dont elle n'avait pas su profiter à
cause de sa haine pour la révolution et elle laissait le
champ libre à l'Autriche, représentante du conserva-
tisme et marchant avec la Russie à la tête de cette
aveugle réaction qui allait emporter l'Europe toute en-
tière pendant dix ans. La journée d'Olmûtz flétrissait la
monarchie militaire de Frédéric II : celleKîi rêva de s'en
venger et dès lors s'y prépara. Schwarzenberg, en écri-
vant son orgueilleuse et hautaine dépèche du 7 décembre
où il se vantait d'avoir rétabli l'ordre en Allemagne et
clos définitivement le mouvement de 1848, ne se doutait
pas qu'il n'avait fait que préparer l'orage qui creva en
1866 à Sadowa.
Il en fut de même à l'intérieur et les dix ans d'abso-
lutisme à laquelle l'Autriche fut impitoyablement sou-
mise ne firent que la laisser, pour les désastres de 1859
et de 1866, afi'aiblie, désorganisée, ruinée, impuissante,
avec les haines de races plus vivaces que jamais et ses
nationalités diverses complètement désafTectionnées par
LA RÉACTION EN AUTRICHE 245
les déceptions qui suivirent 1849. Quand on lit les écrits
et les journaux réactionnaires du temps, on y trouve
les éloges les plus hyperboliques pour la politique de
Schwàrzenbérg sauveur de TAutriche au-dedans et au-
dehors. En France la Revue des deux Mondes publiait
de véritables hymnes d'admiration au « restaurateur de
Tempire des Habsbourgs, » à lliomme de fer qui avait
vaincu la démagogie, et Tœuvre de Thomme de fer s'é-
croula au premier choc !
La constitution du 4 mars demeura partout à l'état
de fiction et les diverses provinces de l'empire, réduites
uniformément à l'état de « pays de la couronne, » for-
mèrent de simples divisions administratives gouvernées
par des bureaucrates allemands. Fidèles comme la Croa-
tie ou rebelles comme la Hongrie, elles furent également
dépouillées de leurs privilèges et institutions autonomes,
et les Croates purent s'écrier avec justesse : « Vous nous
donnez comme récompense ce que vous donnez comme
châtiment aux Magyars. » On ne conserva des conquêtes
de la révolution que les lois qui abolissaient les privi-
lèges féodaux et qui établissaient l'égalité civile au point
de vue des propriétés et des personnes.
La Transylvanie, réunie naguères à la Hongrie avec
le plein consentement de Ferdinand, fut séparée de la
sœur-patrie. La Hongrie, réduite à l'état de pays de la
couronne, fut subdivisée en lieutenances impériales au
nombre de cinq. Tous les emplois jadis électifs et réser-
vés aux nationaux furent donnés à des Allemands venus
des provinces héréditaires : la langue allemande rem-
plaça la langue magyare dans l'administration, dans les
tribunaux, dans les écoles. De plus une véritable inqui-
sition de police appuyée de nombreux bataillons de gen-
darmerie terrorisa le pays : au moindre soupçon d'in-
telligence avec les exilés, on était arrêté, traduit devant
les commissions militaires et condamné à la mort ou au
carcere duro. Erlau vit ainsi, le 21 juillet 1851, quarante
de ses habitants arrêtés sous l'accusation d'être demeu-
14.
246 HISTOIRE DS L'AUTRICHE
rés partisans de Kossuth. Le 25 septembre de cette
même année, des greffiers lurent sur les places publi-
ques de Pesth (lecture qui dura trois beures) Parrèt
condamnant Kossuth et ses compagnons à la peine de
mort.
Les Serbes reçurent cependant un commencement de
satisfaction, car Scbwarzenberg craignait de froisser la
Russie en manquant à toutes les promesses qu*on leur
avait faites. Une patente impériale du 18 octobre 1849
érigea en Voiévodine de Serbie et BancU de la TemeSy la
Backa et le Banat (comitats de Bacs Bodrog, de Toron-
tal, de la Temes et de Krasso) et les districts de Ruma
et dllok en Sirmie (partie de la Slavonie). Le nouveau
territoire était divisé en trois grands cercles adminis-
tratifs répondant aux trois principales nations qui l'ha-
bitent. Mais Tempereur se réservait le titre de grand
voiévode et il nomma le général Mayerhofer vice-voié-
vode. Ces concessions de 1849 étaient aussi illusoires
pour les Serbes que celles de 1791. Ils furent d'ailleurs
désarmés et virent leur administration nationale dis-
soute, leurs journaux interdits, les membres de leur
ancien comité supérieur expulsés, leur drapeau sup-
primé. Au mois de juillet 1851, Mayerhofer donna sa
démission et le gouvernement civil et militaire du terri-
toire fut remis au comte Goronini-Gromberg qui ger-
manisa à outrance. Les Serbes furent dans leur propre
pays exclus de tous les emplois. Remarquons de plus
que le territoire de la Voïevodine avait été découpé de
façon à ce que les Serbes y fussent en minorité vis-à-vis
des Allemands, des Roumains et des Magyars, et que
leurs frères des confins et de la Groatie restassent en
dehors.
Les confins, qui avaient espéré, après tant de services
rendus à l'empire, rentrer sous le régime civil, furent
replacés sous le régime militaire comme devant. Une
loi du 7 mai 1850 rendit seulement le confînaire pro-
priétaire dans une certaine mesure du sol qu'il occupait
LA RÉACTION EN ITALIE ET EN GALLICIE 247
et dont il n'avait été jusque-là qu'usager et introduisit
quelques réformes dans l'organisation municipale.
La Croatie et la Slavonie avec le littoral hongrois foi^
mèrent une province à part, entièrement détachée de
la Hongrie et où la centralisation et la germanisation
s'exercèrent de concert.
La Lombardo-Vénétie fut soumise à un joug de fer
sous le gouvernement général du vieux Radetzky. Son
histoire pendant ces années maudites est celle des con-
seils de guerre, prononçant sentences sur sentences con-
tre ceux qui osaient protester. Une proclamation de
Radetzky du 22 juillet 1851 aggravait encore l'état de
siège. Les prisons se remplissaient et le 4 novembre on
fusillait à Milan le prêtre don Giovani Grioli, coupable
de publications nationales. Il faut lire dans les journaux
du temps toute cette monotone et navrante série d'ar-
rêts frappant les patriotes. Ce système de terreur ré-
gnait du reste d'un bout à l'autre de la monarchie. Au
moindra soupçon, les hommes les plus illustres étaient
jetés dans les cachots, témoin le comte Adam Potocky,
arrêté le 27 septembre 18S1 à Cracovie, à l'immense
consternation de ses concitoyens. Le 22 août de la même
année un décret avait dissous toutes les gardes natio-
nales de l'empire. L'état de siège redoublait de rigueur
à Prague. La réaction n'ayant pas encore assez de vic-
times dans les limites de l'empire, s'efforçait d'en trou-
ver à l'étranger parmi les réfugiés : elle menaçait la
Turquie et la Suisse coupables d'exercer trop large-
ment le droit d'asile, et le premier soin des chefs autri-
chiens en occupant les pays voisins était d'y saisir les
sujets de leur empereur, témoin le Hongrois Michel
Perringer arrêté dans le Schleswig et le Galhcien Patacki
arrêté à Hambourg et pendus tous deux à Vienne le
5 février 1852. Le clergé catholique reprenait sa supré-
matie tracassière et persécutrice : la guerre à la pensée
redoublait de rigueur. Un ministre de François-Joseph
eut même un instant l'idée d'exiger les catalogues de
248 HISTOIRE DE L*ÂUTRICHE
toutes les bibliothèques privées pour en bannir a les
mauvais livres ». L*ex-libéral Bach s'associait à toutes ces
mesures.
La situation financière était déplorable. L'Autriche
n*avait fait face aux événements de 1848-1849 que
grâce au concours de la banque de Tienne, vis à vis de
laquelle sa dette se monta à la fin de 1850 à la somme
énorme de 231 millions de florins et resta encore
de 1851 à 1853 à un chiffre variant de 144 à 125 mil-
lions de florins, pour remonter pendant la ^erre de
Grimée (1854-1856) à 326 et 371 millions. De plus eUe
ne cessait de faire appel au crédit par des emprunts
multipliés et dans toutes les formes imaginables, tantôt
donnant la concession de l'emprunt à qpielque grande
maison de banque, tantôt s'adressant au public par Yoie
de souscription nationale, ici promettant des intérêts en
monnaie fiduciaire, là s'engageant à payer les intérêts
en espèces métalliques, etc., etc. Le ââ septembre 1849,
elle emprunta en monnaie fiduciaire 74,550,000 florins
monnaie de Vienne (le florin de 60 kreutzers) et en
argent 33,600,000 florins f en mai 1851, 70,350,000 flo-
rins monnaie fiduciaire et 18,900,000 en argent ; en
septembre 1852, 84,000,000 florins monnaie fiduciaire,
et à Londres et à Paris 36,750,000 florins en argent ;
en 1854, 36,750,000 argent à Francfort et à Amster-
dam, 52,500,000 en emprunt-loterie monnaie fiduciaire,
525,000,000 emprunt national i. De plus les charges
résultant de la fameuse expiation de 1818, dont j'ai
exposé le mécanisme, grevaient annuellement le trésor
d*une somme considérable. Enfin nous avons à ajouter
la dette contractée en 1848 pour la libération du sol. La
loi du 7 septembre 1848 avait aboli les droits féodaux,
les uns à titre gratuit, les autres à titre onéreux. On
capitalisa la somme représentant la rente et le bénéfice
1. Voir l'excellent livre du comte de Mûlinen : Les finances de
l'Autriche; Paris, Guillaumin, 1875.
ABOLITION DE LA CONSTITUTION DU 4 MARS 249
de ces charges et servitudes : on en retrancha le tiers
comme équivalant aux charges que les ayants droit
avaient jadis à supporter et les deux tiers restants
formèrent le chiffre revenant aux anciens seigneurs,
comme rachat et comme indemnité équitable. Les pay-
sans, anciens vassaux, eurent à payer les deux tiers du
rachat et un tiers de Tindemnité, paiement qui se fit au
moyen d'une addition au principal des impôts fonciers.
Les provinces et l'État eurent à payer le surplus, ce
qu'on fit au moyen de fonds spéciaux et par le méca-
nisme de caisses provinciales. Cette dette pour la libé-
ration du sol se montait encore en 1859 à 279,172,456
florins monnaie d'Autriche (le florin de 100 kreutzers).
Un article de la Gazette de Vienne (journal officiel)
du 26 août 1851 faisait prévoir l'abolition de la consti-
tution du 4 mars, ce qui était plus franc puisque cette
constitution était abolie en fait. Cet article disait : « Il
faut ramener au trône la solution définitive de la que^
tion de constitution, la remettre entre les augustes
mains de Sa Majesté... Il faut que tout repose sur le
maintien de la puissance pleine et entière de l'empe-
reur... L'Autriche a été sauvée de la révolution par l'at-
tachement du peuple au principe monarchiqtte. » Les
augustes mains de Sa Majesté signèrent en, eflet le
!•' janvier 1852 des lettres-patentes abolissant la consti-
tution du 4 mars et les droits fondamentaux, réduisant
toutes les provinces de la monarchie en états de la cou-
ronne divisés en bailliages et en cercles dont les auto-
rités étaient assistées de commissions consultatives
composées de membres de la noblesse héréditaire, de
propriétaires et de grands industriels, rendant plus
facile l'établissement des majorats et des fidéicommis,
supprimant le jury, etc. Bien entendu, il n'était pas
question de parlement : les diètes provinciales suffi-
saient sous le contrôle du conseil de l'empire dont les
membres étaient nommés par l'empereur. Ce régime
4evait durer jusqu'en 1861 ,
250 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Il fallait aussi restaurer dans toute Tampleur de sa
domination la théocratie. On ouvrit avec la cour de
Rome de longues négociations conduites pour rAntriche
par l'archevêque de Vienne Rauscher et pour Rome
par le cardinal Vîale-Prela. Elles aboutirent au Con-
cordat du 18 août 1855 qui livrait absolument l'Autri-
che à la suprématie du sacerdoce. Il maintenait le ca-
tholicisme comme culte privilégié, excluait la liberté
religieuse, autorisait la publication de toutes les pièces
émanées de la cour de Rome sans leplacet, c'est-à-dire
sans l'autorisation du pouvoir civil, plaçait l'enseigne-
ment tant public que privé sous la direction de l'église
dont les dignitaires contrôlaient souverainement l'or-
thodoxie des leçons et des livres et faisait de l'état l'exé-
cuteur des décisions de VIndex vis à vis de tous les
écrits. Il remettait le jugement de toutes les causes ecclé-
siastiques aux prêtres, qui pouvaient prononcer contre
les clercs Temprisonnement (et sur ce, les In Pace furent
rétablis à Prague), et soustrayait les évéques pour les
crimes et délits ordinaires au juge civil. Il consacrait le
droit d'asile des églises comme en plein moyen-âge,
mettait les mariages mixtes dans les mains des curés,
rendait à l'église le plein droit d'acquérir et de trans-
mettre, maintenait les dîmes non abolies et se terminait
par un article général qui achevait de livrer toute la
vie intellectuelle et morale des peuples autrichiens à
Tabsolutisme épiscopal. Telle fut Tincroyable charte de
tyrannie cléricale que souscrivit l'empereur François-
Joseph et dont n'auraient pas voulu les plus pieux sou-
verains du xii« siècle. Il faut lire la brochure d'un offi-
cier saxon en garnison près de Vienne après Sadowa,
intitulée : F Autriche sous le concordat, pour se rendre
compte de ce que cette charte avait fait de l'Au-
triche ; ignorance, torpeur intellectuelle, pèlerinages,
fétichisme grossier, arrogance du clergé persécuteur,
multiplication des couvents, marasme de l'enseigne-
ment, de la science et de l'art, c'est complet. Une seule
hétâblissëmënt de Là vieille confédération 25d
petite nation de TAmérique latine, TEquateur, avait ac-
cepté en 1853 un concordat semblable. Les deux abso-
lutismes marchaient dans un touchant accord. La fa-
meuse égalité des races promise dans les proclamations
de 1849 était l'égalité sous le joug, 30us Tobscuran-
tisme, sous le pied du prêtre, sous le sabre du soldat et
souvent sous la main du bourreau.
Après la convention d'Olmiitz, le rétablissement de
la vieille confédération, du Bund et de la vieille diète
de Francfort était sorti des laborieuses conférences de
Dresde. Gomme avant 1848, la gothique assemblée sié-
geait à Francfort, avec ses deux espèces de réunions :
le Plénum et VEngere-Rath ou conseil restreint. L'Au-
triche y dominait, cherchant à réaliser l'idée qu'elle
avait émise à Dresde d'entrer avec toutes ses provincers
italiennes et slaves dans la confédération germanique,
idée que ne combattait pas seulement la Prusse, mais
qui soulevait en 1851 les énergiques protestations de la
France et de l'Angleterre. La Prusse faisait même dé-
clarer en octobre 1851 par son envoyé qu'elle renon-
çait à l'incorporation de ses provinces polonaises (Posen
et Prusse orientale) pour forcer l'Autriche à en faire au-
tant. La diète, frappée de stérilité par la lutte sourde,
mais perpétuelle des deux grands états, se consumait
en débats impuissants et fastidieux autour de l'idée
unitaire, échouant dans toutes les mesures qui auraient
pu être le symbole de cette unité, telles que l'établisse-
ment d'une loi générale sur la presse et d'une police
fédérale, mais se ruant aux mesures réactionnaires,
telles que la suppression des droits fondamentaux du
peuple allemand décrétés par le parlement de 1848
(août 1851) et la révision dans le sens conservateur des
constitutions des états particuliers. Elle ne réussissait
guère que dans l'organisation d'une armée fédérale
qu'elle concentrait dans les provinces rhénanes, bien
qu'aecueillant avec sympathie le coup d'état napoléo-
nien du 2 décembre dont on pouvait, dès le 4 décembre»
252 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
lire reloge dans la Gazette de Vienne. Lldée unitaire
paraissait de plus en plus compromise : « L'unité alle-
mande, disait ironiquement une brochure autrichienne,
c'est la quadrature du cercle : quand on croit la saisir,
c'est alors qu'on la reconnaît impossible. Elle ressem-
ble à nos cathédrales : il n'y en a pas une de finie. »
Schwarzenberg mourut le 5 avril 1852. Le comte de
Buol-Schauenstein lui succéda comme mmistre des bP
faires étrangères. Mais l'empereur supprima la prési-
dence du conseil des ministres qu'espérait Alexandre
Bach, simple ministre de l'intérieur, et annonça qu'il
continuerait par lui-même la politique absolutiste, cen-
tralisatrice et germanique de Schwarzenberg. Gelui-ci
avait échoué dans la tâche de faire entrer l'Autriche
avec toutes ses provinces dans la confédération. Il
échoua aussi dans une autre tâche, qui était une des
faces de la même question, celle de faire entrer l'Au-
triche dans le Zollverein ou union douanière formée en
1834 et qui devait être renouvelée en 1854. Mais là, la
Prusse opposa une résistance invincible dans les détails
de laquelle il serait fastidieux d'entrer. Schwarzenberg
avait parfaitement compris que si la forme politique de
la confédération était la Diète, sa forme commerciale
était le Zollverein et que, pour mener l'Allemagne, il
fallait être et dans l'une et dans l'autre. Mais la Prusse,
qui avait la même intelligence de la situation, défendait
la position commerciale, puisqu'elle avait été débusquée
de l'autre à 01m (itz, et ne consentait qu'à une simple
alliance entre le Zollverein d'une part et l'Autriche de
l'autre, nullement à une incorporation.
La politique de Schwarzenberg fut en effet partout
continuée. L'Autriche appesantit son joug sur l'Italie,
cherchant de plus à lier les destinées de ce pays aux
siennes par des traités de douanes avec les souverains
courbés sous son influence et en nouant les chemins de
fer de la péninsule aux siens. De leur capitale, Vérone,
ses généraux et ses policiers multipliaient les exécutions
PRÉLIMINAIRES DE LA GUERRE D'ORIENT 253
et les procès, soutenaient la cour de Rome contre l'in-
fluence française, suscitaient embarras sur embarras
aux cabinets piémontais, ensanglantaient les Romagnes
par les supplices et provoquaient le 6 février 1853, à
Milan, une insurrection terriblement réprimée et à la
suite de laquelle le séquestre fut mis sur tous les biens
des émigrés lombardo-vénitiens. En Hongrie, même ré-
gime : exécutions et germanisation. François-Joseph
faisait de fréquents voyages dans ses états, au milieu
des transports officiels, acclamé par les nobles italiens
ou par les magnats magyars qui étalaient, comme Paul
Esterhazy, des pierreries légendaires dans les réceptions
de Pesth. Le 24 avril 1854, le jeune souverain épousa
Elisabeth-Amélie-Eugénie, fille de Maximilien-Joseph,
duc en Bavière ; il avait 24 ans et la nouvelle impéra-
trice 17.
Ce fut dans ces circonstances qu'éclata la guerre
d'Orient entre la Russie d'une part, la France, l'Angle-
terre, le Piémont et la Turquie de l'autre. La question
des lieux saints à Jérusalem n'était pour la Russie qu un
prétexte à essayer de recueillir la succession de l'homme
malade. Elle comptait sur la coopération de l'Autriche
qu'elle avait sauvée en 1849 et qui venait elle-même
d'interdire à l'armée turque, conduite par OmeivPacha,
d'attaquer les Monténégrins. Nicolas avait une vive
affection pour le jeune François-Joseph et voyait pres-
que en lui un pupille et un élève. Récemment encore,
aux grandes manœuvres d'Olmûtz, il avait voulu défiler
à la tête du régiment de lanciers autrichiens dont il
était propriétaire devant son Habsbourg bien-aimé et
l'avait ensuite serré dans ses bras en pleurant. Il vivait
en camarade avec les généraux autrichiens. Comment
penser que François-Joseph prendrait parti contre lui
pour cette Angleterre qui avait si enthousiastement reçu
le rebelle Kossuth et pour cette France conduite par un
descendant de Napoléon I®»"? aussi n'hésita-t-il pas à
donner au prince Mentzchikoff cette célèbre mission de
ASSELINE. 15
254 HISTOIRE DE L^ÂUTRIGHK
mai 1853 par laquelle il revendiquait le protectorat de
tous les catholiques grecs de tout Tempire ottoman, ce
qui était demander à la Turquie Tabdication pure et
simple de sa souveraineté.
Schwarzenberg , grand faiseur de mots, avait dit
après l'intervention russe, qu'un jour TAutriche étonne-
rait le monde par son ingratitude. Ce jour était venu.
L'Autriche (l'explication de cette nécessité ressort de
toute l'histoire que nous avons écrite) est forcée de
maintenir le statu quo sur le Danube et conséquem-
ment l'intégrité de l'empire turc à cause de ses pro-
vinces slaves. L'ordre à Belgrade, à Mostar, en Bulgarie,
c'est pour elle l'ordre à Agram, à Karlovics, à Pra-
gue, etc. Son rôle est de résister à l'attraction du Sla-
visme. Aussi se contenta-t-elle d'abord de proposer une
conférence en vertu du traité de 1841 qui plaçait l'exis-
tence de la Turquie sous la garantie des cinq puissan-
ces, et d'envdyer une note que la Turquie refusa d'ac-
cepter comme exorbitante et que la Russie interpréta
dans le sens le plus abusif. François-Joseph écrivit au
Czar. Celui-ci répondit par la publication d'un manifeste
aux chrétiens grecs qui respirait le plus pur panslavisme
et envoya le comte Orloff à Vienne pour demander la
neutralité de l'Autriche vis à vis de l'Angleterre et de la
France (29 janvier 1854). M. de Buol exigea que la Rus-
sie s'engageât au moins, en retour, à respecter l'intégrité
de l'empire ottoman et à abandonner les provinces da-
nubiennes : Orloff refusa. M. de Buol tint bon et le diplo-
mate russe quitta Vienne en disant amèrement : « Puis-
que vous nous rendez la guerre impossible, autant vaut
nous la déclarer. » Le Czar se montra furieux de cet
échec et l'Autriche concentra un corps de troupes sur Je
Danube ; elle signa avec la Prusse le 20 avril une con-
vention par laquelle elles se garantissaient mutuelle-
ment leurs possessions allemandes ou non allemandes.
Tous les petits états de la confédération adhérèrent à
cette convention, sauf le Mecklembourg.
NOTE DU 8 AOUT; MORT DE NICOLAS 255
Après la destruction de la flotte turque à Sinope,
l'Autriche envoya à la Russie une nouvelle note où elle
demandait que le protectorat exercé jusqu'à présent
par la Russie sur la Moldo-Yalachie et sur la Serbie fût
remplacé par celui des cinq puissances, — ; que la navi-
gation du Danube à ses embouchures fût délivrée de
toute entrave, — que le traité du 13 juillet 1841 fût
révisé de concert par les hautes parties contractantes, —
que la Russie cessât de revendiquer le droit d'exercer un
protectorat officiel sur les sujets de la Sublime Porte, à
quelque rite qu'ils appartinssent (8 août 1854) : la
Prusse et la Diète approuvèrent. La Russie refusa. L'An-
gleterre et la France communiquèrent alors le plan de
l'expédition de Crimée à l'Autriche qui y applaudit vi-
vement, heureuse de voir la guerre s'éloigner de ses
frontières. Le 2 décembre, après la bataille d'Inkermann
qui avait eu lieu le 3 novembre 1854, l'Autriche signa
avec la France et l'Angleterre un traité par lequel elle
s'engageait à défendre les Principautés Danubiennes
contre les Russes et à n'accueillir aucune proposition ni
ouverture tendant à là cessation des hostilités sans s'en-
tendre avec les alliés. Le 3 mars 1855, la cour d'Autriche
apprenait la mort du Czar Nicolas, de cet arbitre de l'Al-
lemagne qui s'était posé en champion de l'absolutisme
monarchique et religieux contre la Révolution. A coup
sûr, François-Joseph pleura cet imposant allié à l'aide
duquel il avait vaincu en Hongrie, pendu à Arad et
abaissé la Prusse à Olmûtz. Le successeur de Nicolas,
Alexandre II, consentit à ce que de nouvelles conférences
s'ouvrissent à Vienne, sur la base des quatre garanties de
la note précitée du 8 août 1854. La France demanda
que la Mer Noire fût neutralisée ou qu'on limitât les
forces navales que la Russie pourrait entretenir dans
cette mer. L'Autriche demanda que les puissances alliées
pussent avoir autant de forces que la Russie dans la
Mer Noire, mais elle refusa de donner à cette proposi-
tion, malgré les instances de lord John Russell et de
256 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
M. Drouyn de Lhuis, le caractère d'un ultimatum. La
Russie refusa; TAutriche fit une autre proposition,
qu'accepta alors la Russie, mais que repoussèrent les
alliés. La conférence se sépara et les puissances occi-
dentales furent définitivement convaincues querAutriche
ne voulait pas tirer Tépée; elle ménageait tout et tous.
On sait que les alliés s'emparèrent le 8 septembre 1855
de Sébastopol, ou du moins de sa moitié. FrançoisnJoseph
n'en complimenta Napoléon III que le 8 octobre. Mais
l'Autriche avait intérêt à ce qu'on Ûi la paix le plus vite
possible, à cause des sympathies russes qu'étalaient la
Prusse et les petits états allemands. Elle s'inquiétait
aussi de voir dans les armées alliées ce corps piémon-
tais dont le ministre de Victor-Emmanuel, M. de Cavour,
avfidt si habilement fait décider l'envoi et qui s'était si
fort distingué à la journée de Traktir. Elle estimait que
la prise de Kars par les Russes sauvegardait un peu
l'amour-propre du Czar. Le 27 décembre, elle fit re-
mettre à Saint-Pétersbourg par le comte Valentin Bs-
terhazy un ultimatum qui reproduisait les quatre garan-
ties du 8 août en les aggravant, car il ajoutait la cession
d'une partie de la Bessarabie et il excluait de la Mer
Noire toute marine militaire et tout arsenal maritime.
La Russie envoya le 9 janvier 1856 des contre-proposi-
tions à Vienne. Tout en consentant à les discuter, TAu-
triche rappela son ambassadeur de Saint-Pétersbourg:.
Allait-elle faire la guerre ? la Prusse effrayée conseilla
au Czar de céder et celui-ci, le 16 janvier au soir, fit
connaître soudainement qu'il acceptait la paix: il fut
décidé que les conditions en seraient réglées dans un
congrès tenu à Paris, où il s'ouvrit en effet, le 21 fé-
vrier 1856, sous la présidence du ministre français Wa-
lewski. La Prusse n'y fut appelée que le 17 mars, tandis
que la petite Sardaigne y figurait dès l'origine. Malgré les
objections énergiques de l'Autriche , la paix fut signée
le 30 mars et ratifiée le 25 avi'il : elle neutralisait la
Mer Noire, affranchissait le Danube, forçait la Russie
GAVOUR AU CONGRES DE PARIS 257
à. renoncer au protectorat exclusif des sujets grecs
orthodoxes de la Porte et stipulait que tout débat de
l*iine des puissances signataires avec la Turquie serait
soumis à l'arbitrage des autres puissances.
A la séance du congrès du 8 avril, M. Walewski attira
tout à coup Tattention du congrès sur la situation des
Ktats de l*Ëglise, du royaume de Naples et sur les dan-
gers de Toccupation d'une grande partie de lltalie par
)es armées autrichiennes. Les plénipotentiaires de TAu-
triche, MM. de Buol et de Hubner, déclarèrent qu'ils
n'avaient pas à répondre sur ces objets étrangers au
congrès. M. de Gavour demanda la parole et fit un ta-
bleau très-saisissant de l'occupation des États Romains
par l'Autriche, occupation durant depuis sept ans. « La
présence des troupes autrichiennes dans les Légations et
dans le duché de Parme, ajouta-t-il, détruit l'équilibre
politique en Italie et constitue pour la Sardaigne un
véritjbible danger. Notre devoir est de signaler à liSurope
un état de choses aussi anormal que celui qui résulte
de l'occupation indéfinie d'une grande partie de l'Italie
par l'Autriche. » M. de Hubner répliqua vivement. Le
plénipotentiaire russe, comte Orloff, ne pouvait que se
réjouir de voir l'ingrate Autriche mise à son tour sur la
sellette. Ce n'était qu'un échange d'idées, mais la ques-
tion italienne était posée et Gavour pouvait écrire à un
de ses amis : « dans trois ans nous aurons la guerre, la
bonne. »
Passons rapidement sur les années 1857 et 1858 qui
virent s'organiser les principautés Danubiennes dans une
union administrative, signer la convention pour la libre
navigation du Danube et mourir le vieux Radetzki rem-
placé par l'archiduc Maximilien (5 janvier 1858). Ces
deux années furent à proprement parler une prépara-
tion à la guerre d'Italie, une lutte diplomatique avec ]e
Piémont, précédant la lutte à main armée. L'Europe la
pressentait. Après la guerre de Grimée, la France s'était
sensiblement rapprochée de la Russie qui entraînait
aS8 HISTOIRB DE L'AUTRICHE
eUe-mème la Prusse dans son orbite et, à toutes les
conférences de ces deux années, on vit constamment la
Russie, la France et la Prusse voter contre rAutriche et
l*Angleterre. L*entrevue de Stuttgard en 1857, entre
Napoléon III et Alexandre II, accentua encore cette
situation. Gavour marchait à son but avec une persévé-
rance inouïe, préparant flottes, armées, finances, al-
liances, lançant contre TAutriche le recueil des lettres
de Joseph de Maistre où Tempire des Habsbourgs est
traité d'ennemi du genre humain, faisant tout pour se
concilier la France, même de faire voter, après l'at-
tentat d*Orsini, une honteuse loi contre les réfugiés. En
juillet 1858, il eut à Plombières avec Napoléon III cette
fameuse entrevue où la guerre fut décidée et le i^ jan-
vier 1859, à une réception du jour de Tan, TEmpereur
disait à M. de Hubner, ambassadeur d'Autriche : « Je re-
grette que nos relations avec votre gouvernement ne soient
pas aussi bonnes que par le passé. Je vous prie de dire à
l'Bmpereurque mes sentiments personnels pourlui ne sont
pas changés. » Le 13 janvier, le prince Napoléon-Jérôme
partait pour Turin où il allait épouser la fille de Victor-
Emmanuel, la princesse Glotilde, pauvre jeune fille sa-
crifiée à la patrie. La Russie entendait livrer l'Autriche
à son sort. L'Angleterre envoya à Vienne lord Gowley
pour essayer de prévenir la rupture enitre l'Autriche et
le Piémont par des concessions de la première. M. de
Buol demanda si ces concessions lui garantircdent ses
possessions en Italie. M. de Gavour, pressenti par lord
Gowley, répondit que les dangers de guerre ne pou-
vaient être évités que par la création d'un gouverne-
ment national séparé pour la Lombardo-Vénétie, la ces-
sation de l'occupation des Romagnes, et l'établissement
d'institutions constitutionnelles à Parme , Modène et
Florence. La Russie alots proposa un congrès accepté le
22 mars par l'Autriche, à la condition qu'il y aurait
désarmement préalable de la part du Piémont. Napo-
léon III eut ou fit semblant d'avoir des velléités de paix
GUERRE D'ITALIE : MONTEBBLLO 2S9
qui trompèrent absolument M. de Hubner et qui amené*
rentCavour à Paris. M. de Buol, trompé par M. de Hubner,
prit le ton le plus arrogant vis à vis du Piémont et
enfin lui adressa le 19 avril un ultimatum hautain exi-
geant le désarmement dans les trois jours. Alors Napo-
léon III, dont le journal officiel venait encore de publier
une note pacifique, jeta le masque et le 3 mai M. Wa-
lewski annonça officiellement la déclaration de guerre
au Corps législatif.
L'Italie était en feu. Léopold II, grand-duc de Tos-
cane, ne pouvait empêcher la jeunesse de partir en foule
pour le Piémont. Son fils, Tarchiduc Charles, convoquait
vainement le 27 avril ses officiers d'artillerie au fort du
Belvédère pour leur communiquer un plan de bombar-
dement de Florence : les officiers déclaraient qu'il fal-
lait que leur souverain déclarât la guerre au Piémont ou
partit, ce qu'il fit quelques jours après. La duchesse de
Parme avait livré son duché à l'Autriche ; François V de
Modène, fier de son grade de lieutenant général autri-
chien, fusillait et emprisonnait ses heureux sujets après
les avoir au préalable fait bâtonner : il se sauva avec
ses trésors et en emmenant ses prisonniers politiques
qu'il déposa, homme de précaution et tyran avisé,
dans les cachots empruntés de l'Autriche.
A l'expiration du troisième jour de l'ultimatum ,
Giulay, général en chef des Autrichiens, reçut l'ordre
d'envahir le Piémont : il ne le fit que le 29 mars. Il aurait
pu prendre Turin ou Alexandrie : il montra une lenteur
et des incertitudes étonnantes et dcmna à l'armée fran-
çaise le temps d'arriver en Italie et de se concentrer à
Alexandrie. Le 20 mai le premier combat de la cam^-
pagne se livra à Montebello et fut suivi d'une inaction
de 23 jours. Mais pendant ces vingt-trois jours, Gari-
baldi, à la tète des volontaires , fit cette admirable
marche sur Yarese, puis sur Côme dont il s'empara à la
fin de mai, menaçant ainsi le flanc droit de Giulay.
Les armées franco-sardes se mirent enfin en marche
200 HISTOIRE DE L^AUtRIGHE
à la fin de mai. Le 30 et le 31, elles gagnèrent les bril-
lantes batailles de Palestro et le 3 juin celle de Turbigo;
le 4 juin eut lieu la bataille de Magenta. On sait que les
Autrichiens faillirent la gagner et faire prisonnier Napo-
léon III et une partie de sa garde, et que ce fut Mac-
Mahon qui sauva Tarmée et rétablit la bataille en mar-
chant au bruit du canon. La lutte avait été improvisée :
les pertes des deux côtés étaient considérables. Giulay
avait commis de grosses fautes et Milan était ouvert
aux alliés, Mac-Mahon y entra le 7 juin. L'armée autri-
chienne, tout en livrant le sanglant combat de Mêle-
gnano (Marignan) abandonna les lignes du Tessin et de
TÂdda pour se concentrer derrière le Mincio. Le 16 juin
Tempereur François-Joseph prit le commandement de
son armée réunie dans le quadrilatère. L*armée fran-
çaise marcha en avant, à tâtons, et se trouva inopiné-
ment le 23 juin en face de 160,000 Autrichiens soutenus
par 650 pièces de canon. Les alliés avaient 151,000 hom-
mes. La bataille eut lieu le 24 : elle porte dans Thistoire
le nom de Solferino. On Ta qualifiée de bataille de sol-
dats ; rimprévu en effet y régna plus que la stratégie
raisonnée, comme le témoignèrent plus tard les que-
relles qui s'élevèrent entre les généraux français sur les
péripéties de la lutte.
. On pensait que ce n'était que le commencement de la
campagne. Napoléon III, auquel le sénateur Piétri avait
présenté JCossuth et qui faisait grand accueil aux officiers
magyars, parlait de faire appel à la Hongrie et de jeter
un corps de débarquement en Dalmatie. On croyait
TAutriche à deux doigts de sa perte, quand tout à coup
on apprit que l'Empereur des Français proposait à
l'empereur d'Autriche un armistice (6 juillet) et une
entrevue. Cette entrevue eut lieu le 11 juillet à Villa-
franca et on signa les préUminaires de paix que consa-
cra plus tard le traité de Zurich : les deux monarques
s'engageaient à favoriser la création d'une confédéra-
tion italienne sous la présidence du pape. L'Empereur
VILLAFRANCA — TRAITÉ DE ZURICH 261
d'Autriche cédait à l'Empereur des Français ses droits
sur la Lombardie, à Texception des forteresses de Man-
loue et de Peschiera; TEmpereur des Français devait
remettre les territoires cédés au roi de Sardaigne. La
Vénétie resterait sous le sceptre de l'Empereur d'Au-
triche tout en faisant partie de la confédération ita-
lienne. Les grands-ducs de Toscane et de Modène ren-
treraient dans leurs états en donnant une amnistie
générale. Lltalie cria à la trahison et Gavour désespéré
fit une scène terrible à Victor-Emmanuel à la Casa Mel-
chiori. Le 12 juillet Napoléon III repartit pour la France
et traversa Milan et Turin au milieu d'un silence gla-
cial. A son arrivée aux Tuileries, il expliqua aux grands
corps de l'État les causes de cette paix si brusque :
l'Europe avait pris une attitude menaçante : il aurait
fallu faire la guerre sur le Rhin comme sur l'Adige, <( ou
partout franchement se fortifier du concours de la Révo-
lution. »
i&.
LIVRE IV
DE LA GUERRE d'iTALIE A NOS JOURS. — (TENTATIVES CONSTITU-
TIONNELLES. — GUERRE CONTRE LA PRUSSE. — LE DUALISME
AUSTRO-HONGROIS^ 1859-1877.)
CHAPITRE ï«
Hésitations constitutionnelles. — Conseil de Tempire. — Consti-
tution du 20 octobre 1860. — Constitution du 26 février 1861.
— Déak. — Diète hongroise de 1861 et son adresse. — - M. de
Schmerling. — Tchèques, — M. de Reichberg. — Affaires d'Al-
lemagne. -T- Congrès de Francfort. — Affaires du Slesvig-Hols-
tein. — Paix de Vienne. — Affaires de Pologne.
La défaite de l'Autriehe en Italie était le digne cou-
ronnement de cette politique d'absolutisme à outrance
commencée par Schwarzenberg et continuée par Bach.
La conservation de la Vénétie n'était pas un avantage :
elle allait maintenir forcément à Tétat aigu Tantagonisme
entre l'Autriche et le nouveau royaume d'Italie. La
Prusse, dont l'attitude avait été si hésitante pendant la
guerre et qui avait si mollement poussé ses préparatifs
militaires, était heureuse de l'abaissement de sa rivale
et pensait que le moment était venu de se venger
964 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
des humiliations d*01mûtz — dont la plaie saignait
comme au premier jour — en reprenant Thégémonie
en Allemagne. La Hongrie, soumise depuis dix ans à
un si rude régime, avait cependant réparé ses forces et
si elle n*avait pas bougé grâce aux conseils de Déak « le
sage de la patrie », elle redevenait agitée et frémissante
et se préparait à revendiquer sa constitution de 1848.
Les autres nationalités étaient mécontentes. Les finances
se trouvaient dans le plus déplorable état; la dette de
l'État s'élevait en capital à 2,331 millions de florins
(5,590 millions de francs), comportant un intérêt an-
nuel de 113 millions de florins : le déficit de Tannée 1859
avait été de 306 millions de florins ; il fallait essayer un
emprunt de 200 millions de florins par voie de souscrip-
tion publique et qui échoua en grande partie.La prépon-
dérance cléricale fondée sur le concordat de 1855 révol-
tait tous les libres esprits. Il devenait évident pour tous
que la monarchie des Habsbourg était arrivée à un de
ces moments où il faut se renouveler ou mourir.
Et cependant l'empereur ne parut pas tout d'abord
le comprendre. Si le 21 août 1859, il congédia le
funeste Bach pour lie remplacer par M. de Hûbner, il
abandonna ce ministre au bout de deux mois. Le mot
seul de constitution paraissait lui répugner autant qu*à
son aïeul François. En octobre 1859, il appela au minis>
tère de la police, à la place de M. de Hûbner, le baron
Thierry, tout imbu des haines et des rancunes de l'ad-
ministration antérieure et qui semblait un Bach res-
suscité, ramenant ce qu'on avait si justement appelé.
« le système de fer ». Dans les premiers mois de 1860,
ce baron Thierry faisait défense aux journaux de dis-
cuter la compétence du conseil des ministres, de parler
de constitution, d'annoncer que les diètes provinciales
auraient des pouvoirs législatifs, etc. H continuait les
arrestations et les perquisitions. Ses persécutions pous-
sèrent l'illustre magyar comte Stephan Széchenyî à se
suicider le 8 avril dans l'hospice de Dobling.
MINISTÈRE GOLUGHOWSKI 965
Des scandales retentissants vinrent frapper Topinion
publique ; le 8 mars, le baron Ëynatten, feld-maréchal
lieutenant, chef de Tadministration militaire, arrêté
pour malversations, se pendit aux grilles de son cachot
avec les aiguillettes de son uniforme. Des banquiers
furent mis en prison. Le 23 avril, on apprit le suicide
du ministre des finances, M. de Brûck, soudainement ré-
voqué la veille. Un peu avant le 6 mars, une patente im-
périale avait établi le conseil de f empire renforcé, amé-
lioration dérisoire. Le !•' mai on y fit entrer quelques
nouveaux membres parmi lesquels des magnats hongrois
et un Vieux-Thèque le comte Clam-Martinitz, apôtre
effréné de la féodalité la plus pure. Les magnats hon-
grois déclarèrent qu'ils n'entendaient nullement engager
leur pays et se coalisèrent d'ailleurs avec les autres
aristocrates du conseil : le cardinal Rauscher et le comte
de Thun y défendirent avec ardeur le concordat. Ce ne
fut guère que comme mesure fiscale que l'empereur,
par un message du 18 juillet 1860, se décida à étendre
les attributions du conseil de l'empire en matière d'im-*
pots et encore avec cette restriction que ces attribu-
tions seraient suspendues en temps de guerre. On mul-
tiplia d'ailleurs les circulaires contre les espérances
constitutionnelles. Mais la vie politique se réveillant
malgré tout avec une irrésistible puissance, les adresses
au conseil de l'empire devenant de plus en plus pres-
santes, la Hongrie semblant se réveiller tout à fait,
François-Joseph et ses conseillers prirent peur et un Gal-<
licien, le comte Goluchowski, fut appelé au ministère
de l'intérieur avec mission de préparer une constitu-
tion (22 août 1859). Le conseil de l'empire lui-même
déclarait que les difficultés financières étaient tellement
énormes qu'on ne pouvait en sortir qu'avec le concours
d'un parlement issu des suffrages des citoyens et non,
du bon plaisir impérial.
La nouvelle constitution fut établie par la patente du
20 octobre 1860, publiée la veille du départ de François-
966 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
Joseph pour cette entrevue de Varsovie où il put se
convaincre que la Russie ne l'aiderait pas à s^opposer
aux progrès de Tunité italienne, émanée, comme tou-
jours, du pouvoir personnel, bien que préparée par une
sorte de parlement consultatif {Verstarkte Reichsratk),
réuni en mai à Vienne. Elle étaiblissait deux ordres de
représentations. Tune centrale, Tautre provinciale. Lare-
présentation centrale était composée de députés choisis
parTempereur sur des Ustes dressées par les diètes pro-
vinciales. La Hongrie et ses partes annexée (Croatie, Sla-
vonie) devaient être remises en possession de leurs an-
ciennes constitutions, modifiées en ce point que ce serait
le conseil de l'empire, et non la diète hongroise , qui
voterait la part du royaume de Saint-Etienne dans le bud-
get général et dans le contingent annuel de l'empire. Tous
les autres pays de la couronne devaient avoir des diètes
organisées selon les anciennes chartes spéciales à cha-
cun de ces pays. Pour bien affirmer les idées décentra-
lisatrices qui présidaient au nouvel état de choses, les
ministères de l'intérieur, de la justice et des cultes
étaient supprimés. Le comte Goluchowski fit promul-
guer successivement ces statuts provinciaux (du 28 8*^
au 13 9^) qui faisaient de chaque diète une sorte de
parlement anglais au petit pied, avec ses lords hérédi-
taires, son banc des évoques et son tiers-état. C'était du
fédéralisme, mais du fédéralisme rétrograde et aristo-*
cratique. Ces diètes, dominées par la noblesse, par le
clergé et par la grande propriété, étaient en opposition
absolue avec les idées modernes et elles faisaient payer
la conquête de l'autonomie du sacrifice de la liberté et
de régalité. La patente du 20 octobre donna beau jeu
aux centralistes, qui invoquèrent les principes de 89 et
qui se mirent à montrer que, si Schwarzenberg et Bach
avaient centralisé par le despotisme, ce n'était pas une
raison pour décentraliser par un retour au moyen-âge.
Les questions qui travaillent éternellement ce bizarre
agrégat de nationalités qu'on appelle l'Autriche se po-
fédéralisme' ET CENTRALISME 267
sèrent toutes à cette occasion avec une nouvelle oppor-
tunité. On discuta sur le fédéralisme et sur le centra-
lisme dans leur double forme : la forme libérale et
démocratique — et la forme féodale, absolutiste et aris-
tocratique, car chacun des systèmes les comporte égale-
ment. Mais en Autriche, les questions ne sont pas abstrai-
tes : elles se compliquent immédiatement des éléments
ethnographiques. Le centralisme ou libéral ou absolu-
tiste, qu'il ait pour organe un pouvoir monarchique et
bureaucratique ou un parlement unique doté des plus
larges attributions constitutionnelles, ne fonctionne pas
moins à Vienne, ville allemande, avec des fonction-
naires allemands ou des députés forcés d'adopter pour
langue parlementaire l'allemand. Le centralisme, tant
démocratique et progressif qu'il soit, équivaut donc à
germanisation et c'est pour cela que les Slaves et les
Magyars n'en veulent à aucun prix. Le fédéralisme ,
soit qu'il organise chaque état autonome sur un modèle
moyen-âge, soit qu'il l'organise sur le modèle démo-
cratique moderne, transforme l'Autriche en une sorte
de confédération helvétique où les cantons seraient rem-
placés par des provinces égales en droit et dès lors plaît
aux Slaves, parce qu'il anéantirait l'influence allemande
et donnerait la prépondérance à letir race l*elativement
la plus nombreuse ; mais ni les Allemands ni les Magyars
ne l'admettent, car ces deux races orgueilleuses pré-
tendent dominer les autres. Enfin dans la Hongrie,
Déak préparait le dualisme, qui n'est que le partage du
centralisme entre les Allemands et les Magyars, sur le
dos des Slaves et des Latins. En somme, jusqu'alors,
l'unité autrichienne n'avait de représentante réelle que
l'armée : il n'y a pas de peuple autrichien, il y a une
armée autrichienne dont les soldats ne s'appellent ni
Allemands , ni Slaves , ni Magyars, ni Roumains, mais
KaiserltchSj Impériaux. Or, cette unité militaire venait
d'être entamée par la campagne d'Italie.
On prévoyait donc que la constitution Goluchowski
988 HISTOIRE DB L'âUTRIGHB
ne serait pas de longue durée. D'ailleurs le mouvement
des nationalités s'accusait avec une intensité et une con-
fusion incroyables et le gouvernement oscillait éperdu
entre les mesures les plus contraires. Ainsi le 27 décenir
bre 1860, il décréta la réincorporation de la Voïvodine
serbe à la Hongrie, tout en confiant à un comité présidé
par le patriarche serbe le soin de rédiger la liste des
desiderata des Serbes et de transmettre cette liste à la
diète hongroise. Quelques jours avant, le 15 décembre,
le comte Goluchowski s'était retiré, remplacé par M. de
Schmerling, Allemand de race, de cœur et de politique,
qui allait essayer du centralisme libéral, en constituant
un État autrichien constitutionnel, comme il y a un
État français. Le 30, le nouveau ministre reçut Déak
et Eotvos que le chancelier baron Vay avait décidés
à venir à Vienne , et les présenta à l'empereur. Déak
demeura inébranlable sur le terrain des lois de 1848 et
répéta ce qu'il avait dit à Bach : « Je ne connais que la
constitution hongroise. Tant qu'elle n'est pas rétablie,
je n'existe pas, ne suis rien et par conséquent ne puis
rien » : cependant il ne rompit pas les négociations. Mais
l'agitation redoubla en Hongrie et on eut recours au
refus de l'impôt comme au moyen le plus efficace de
rétablir l'état légal de 1848. On eut beau promettre la
convocation de la diète hongroise pour le 2 avril 1861
à Bude, les comitats déclarèrent de toutes parts que
tout impôt non voté par la diète était illégal, que la
diète devait se réunir à Pesth et non à Bude. Le 16
janvier 1861, François-Joseph adressa aux Magyars un
manifeste moitié conciliant, moitié menaçant, qui fut
de nul effet. Le gouvernement concentra 80,000 hommes
en Hongrie et parla d'état de siège. Les Galliciens au
même moment envoyaient une députation pour demafl-
der que leurs représentants au futur parlement central
fussent élus par la diète et non directement par les
citoyens, et une députation ruthène arrivait presque
aussitôt pour demander à ne pas dépendre purement et
CONSTITUTION DU 26 FÉVRIER 1861 9^
simplement de la diète galicienne. Les étudiants de Gra-
covie se remuaient pour que les cours de TUniversité se
fissent en langue polonaise et un mouvement éclatait
en Dalmatie. Enfin dans le ministère même, il y avait
une lutte sourde entre M. de Rechberg et M. de Schmer-
ling soutenu par TArchiduc Maximilien. On se serait
cru dans le camp d'Agramant.
Ce fut dans ces circonstances qu'on promulgua, le
26 février 1861, une nouvelle constitution, qui modifiait
considérablement les dispositions du diplôme du 20 oc-
tobre et qui établissait le centralisme parlementaire. Le
parlement central se composait de deux chambres : celle
des seigneurs comprenant les princes du sang par droit
de naissance, les nobles grands propriétaires ou pairs
héréditaires et les archevêques, évêques, hommes émi-
nents à titre viager ; et celle des députés formée de
343 membres ainsi répartis : Hongrie 85, Bohème 54,
Yénétie 20, Dalmatie 5, Groatie-Slavonie 9, Gallicie-Gra-
covie 38, Basse-Autriche 18, Haute-Autriche 10, Saltz-
bourg 3, Styrie 13, Garinthie 5, Garniole 6, Bukovine 5,
Transylvanie 26, Moravie 22, Istrie-Trieste 6, Silésie 6,
Tyrol et Voralberg 12. Ces députés étaient élus par les
diètes dans leur sein. Le parlement recevait des attribu-
tions assez étendues aux dépens des diètes provinciales :
les ministères de la justice, des cultes et de Tintérieur
étaient rétablis, mais il n'y avait aucune trace de res-
ponsabiUté ministérielle. Les députés hongrois ne de-
vaient siéger que dans les séances où il s'agissait d'inté-
rêts communs à toute la monarchie et le parlement
formait alors un plénum ou Weitem-ReichsTath; dans le
cas contraire, c'était un parlement restreint [Engem
Itetchsrath) , où les députés des autres provinces trai-
taient des matières législatives que leurs diètes n'a-
vaient pas le droit de traiter à l'instar de la diète hon-
groise privilégiée. Quant aux diètes provinciales, au lieu
d'être organisées diversement, selon le système Golu-
chowski, suivant les vieux us et coutumes spéciaux à
270 HISTOIRE DE L'àUTRIGHE
chaque province, elles furent établies sur un modèle uni-
forme pour tous les pays de la couronne, avec la même
composition et les mêmes attributions, comme nos con-
seils généraux français, mais en conservant la représen-
tation par ordres.
La constitution fédéraliste de M. Goluchoin^ski avait
méconté les Allemands et les Magyars. La constitution
centraliste ne satisfit ni les Allemands qui la trouvaient
trop peu libérale, ni les Magyars qui n'admettaient que
leur constitution de 1848, mais elle mécontenta au plus
haut degré les Slaves qui Taccusèrent de ne pas res-
pecter leur autonomie. Voyons comment se traduisirent
ces diverses résistances.
Le 6 avril 1861, la diète hongroise, élue conformément
à la loi électorale de 1848, se réunit à Bude, ouverte
par le comte Apponiy, Judex curïœ, avec Déak, élu par
Pesth, comme chef du parti patriotique et le comte Té-
léki comme chef de la gauche. Le gouvernement de
Vienne proposa une série de projets tendant à modifier
la constitution de 1848 pour la mettre en harmonie
avec la constitution générale du 26 février. La Diète
voulait répondre par une résolution, mais Déak h
décida à donner à ses revendications la forme plus
respectueuse d'une adresse et se chargea de la rédiger.
Il la lut le 13 mai et elle produisit une sensation pour ainsi
dire européenne ; c'était l'exposé le plus magistral, le
plus solide et le plus imperturbable du droit historique
hongrois : il établissait qu'il n'y avait jamais eu d'état
autrichien unitaire, que l'union entre la Hongrie et les
états héréditaires est purement personnelle, que la Hon-
grie ne peut admettre qu'un pariement central vote des
écus et des hommes pour des intérêts qui ne sont pas
les siens, tels par exemple que ceux de l'Autriche dans
la confédération germanique, qu'elle ne peut rien sacri-
fier de son antique constitution née du développement
historique de la nation et que, par conséquent, elle
n'enverrait jamais de députés au Reichsrath de Vienne.
ADRESSE HONGROISE : DIÈTE DE PRAGUE 271
Cette adresse, que la Hongrie a déposée dans ses archives
nationales comme un impérissable monument, fut votée
grâce à l*abstention de Tisza et de Ghyczy, qui avaient
remplacé à la tète de l'opposition Teleki suicidé. La chan-
cellerie de Vienne essaya de réfuter ce document dans
un rescrit du 21 juillet. Déak répliqua par un mémoire
non moins solide, non moins juridique que le premier :
le débat était sans issue. M. de Schmerling prononça le
21 août la dissolution de la diète qui protesta, dans son
dernier procès- verbal, qu'elle ne cédait qu'à la force ; le
mois suivant les assemblées locales des villes libres et
des comitats furent également dissoutes ; des commis-
saires royaux et des bureaucrates allemands reprirent
la direction des affaires comme aux plus beaux temps
de Bach. « Nous pouvons attendre ! » dit fièrement M. de
Schmerling en montrant dans le Reichsrath central, qui
était ouvert depuis le !•' mai, les quatre-vingt-cinq siè-
ges vacants des députés hongrois. Il y manquait aussi
les 20 députés de la Vénétie, les 9 de la Croatie-Slavonie,
et les 26 de la Transylvanie, c'est-à-dire 140 députés
sur 343.
Le 6 avril ouvrit également la diète de Prague. Les
chefs du parti Tchèque, MM. Rieger, Palacky, Braun,
protestèrent énergiquement tant contre le statut octroyé
que contre la loi électorale. Cependant les Tchèques se
décidèrent à envoyer des députés au Reichsrath ouvert
le 2 avril. La diète Croate approuva une violente circu-
laire contre la Hongrie publiée parle comitat d'Agram et
à laquelle Déak répondit par un mémoire où il déclarait
que toute transaction deviendrait à jamais impossible si
les Croates consentaient à se faire représenter à Vienne.
Le statut avait été ajourné pour la Dalmatie. La diète
transylvaine, réorganisée sur ses anciennes bases, dé-
clara vouloir conformer sa conduite à celle de la nation-
sœur dont on l'avait séparée. Quant à la Vénétie, acca-
blée de douleur devant ce royaume italien qui s'était
annexé la Toscane, Parme et Modène, la Romagne et
878 HISTOIRE DB L'AUTRICHE
les deux Siciles, elle ne voulait pas même entendre par*
1er d*une représentation à Vienne. En présence de tant
de résistances, il fallait donc une certaine confiance à
M. de Schmerling pour prononcer sa fameuse phrase :
« Wtr koennen warlen, nous pouvons attendre. » Cette
situation intérieure se prolongea pendant toute Tan-
née ia62 et toute Tannée 1863. En Hongrie, Déak savait
aussi qu'il pouvait attendre et, écouté comme un ora-
cle, au faite d'une situation que jamais citoyen n'eut
dans un pays quelconque, il comprimait par sa seule
autorité morale les impatiences du parti avancé. Le
nouveau chancelier de Hongrie, le comte Forgacs, ne
dissimulait pas lui-même ses sympathies pour le dua-
lisme. « Entrez d'abord dans le Reichsrath, disait M. de
Schmerling aux Magyars et aux Croates, et ce parlement
plénier pourra ensuite réviser la constitution de février
selon vos vœux. — Non, répondaient les Magyars, faites
d'abord réviser la constitution par votre Reichsrath res-
treint qu'une ordonnance de l'empereur suffit à rendre
compétent. » Le Reichsrath du reste, dans sa session
de 186â, n'osa pas appliquer à la Hongrie le code com-
mercial allemand qu'il adopta.
En septembre 1862, M. de Schmerling qui, obéissant
à son tempérament allemand et aux excitations de la
presse de Vienne, blessait et exaspérait les diverses
nationalités de l'empire au lieu de les apaiser et de les
rallier par la douceur à son centralisme, ordonna la
dissolution des sociétés agricoles de Bohème sous pré-
texte qu'elles faisaient de la politique. On fournit occa^-
sion à M. Rieger de protester dans le Reichsrath : « Les
états autrichiens, déclara-t-il, ne formeront jamais vd
état autrichien, parce qu'ils n'ont pas une histoire com-
mune, parce que chaque province ou plutôt chaque état
a son histoire, ses souvenirs particuliers. Le Reichsrath,
composé d'éléments presque exclusivement allemands,
n'a présenté que des exemples de ce patriotisme res-
treint qui reste indifférent au sort des autres nationa-
GUILLAUME I*"" ET BISMARCK 273
lîtés. Fièresd'un titre pompeux, mais illusoire, les pro-
vinces héréditaires, en voulant se faire passer pour la
représentation de Tempire entier, se rendraient impo-
pulaires dans les autres provinces. » A la session de 4863,
il manqua encore 142 députés et cette fois, la plupart
députés Tchèques, mais au mois d'octobre arrivèrent
députés élus par la diète transylvaine, ce qui causa
une vive joie à M. de Schmerling. Joie trompeuse, car
Vindomptable résistance de la Hongrie rendait toutes les
combinaisons inutiles et frappait d'avance de stérilité
la tentative du ministre allemand.
Pendant ces difficultés intérieures, l'Autriche se heur-
tait à l'extérieur à d'autres difficultés dans lesquelles
était en germe la guerre de 1866. Son ministre des
affaires étrangères, M. de Rechberg, homme d'une
grande légèreté et d'une parfaite inconsistance, soule-
vait à la fois la question de la réforme fédérale et celle
des Duchés et les compromettait toutes deux.
Dès 1861, M. de Sybel écrivait dans une brochure :
« aussi certainement que les rivières coulent vers la
mer, il se formera en Allemagne, à côté de TAutri-
che, une fédération restreinte sous la direction de la
Prusse. Pour y arriver, on aura recours à tous les moyens
de la persuasion et de la diplomatie, même à la guerre
en cas de résistance. » Ces paroles prophétiques pour-
raient servir d'épigraphe à l'histoire des cinq années qui
ont précédé Sadowa. La passion de l'unité avait atteint
dans l'Allemagne en général et dans la Prusse en particu-
lier le dernier degré de l'exaltation ; mais chez le peuple
prussien, depuis les humiliations d'Olmûtz, l'idée de l'u-
nité par la liberté avait disparu et on ne rêvait plus
que la prussifîcation de l'Allemagne par la force. La
haine contre l'Autriche, qui affichait si orgueilleusement
sa suprématie, et contre la diète si docilement pliée à
cette suprématie, était à l'état aigu. Guillaume pr, cou-
ronné roi de Prusse en 1861, n'aurait pas été capable
de servir de guide et d'instrument à cette passion incom-
274 HISTOIRE DE l'aUTRIGHE
pressible, mais le guide et llnsirument étaient trouvés
dans la personne du comte de Bismark. Jusqu'en 1851,
M. de Bismark appartint à cet arrogant parti des Hobe-
reaux (Junkerpartei) dont Torgane était la Geuette de la
Croix, qui ne rêvait que féodalité et qui avait placé son
idéal dans le plus pur moyen âge. Envoyé comme repré-
sentant de la Prusse de 1851 à 1859 près de la diète de
Francfort, parti pour son poste avec de véritables sym-
pathies pour rAutriche, il changea d'avis du toat au tout
en voyant fonctionner la gothique machine et en se bles-
sant au sot orgueil des représentants de TÂutriche, les
Rechberg et autres : il devint partisan décidé de Tunité
allemande par la Prusse. Lors de la guenre d'Italie, il
manifesta si vivement Topinion que la Prusse en pro-
fitât pour attaquer TAutriche et réorganiser l'Allemagne
dans son sens, qu'il fut rappelé de Francfort et envoyé
comme ambassadeur à Saint-Pétersbourg jusqu'en 18^2.
Il passa ensuite six mois à Paris en même qualité et
enfin, en septembre de la même année, il entra dans ce
ministère qui lutta si violemment contre la chambre des
députés de Berlin. En octobre 1862, il disait dans un de
ses discours : « Ce qui importe à l'Allemagne, ce n'est pas
le libéralisme de la Prusse, cest sa force. Elle doit l'ac-
croître et la concentrer pour saisir le moment favorable
qu'on a déjà laissé échapper. Nos frontières ne sont pas
celles d'un état bien constitué. D'ailleurs souvenez-vous
de ceci ; ce n'est point par des discours et des votes que
se décideront les grandes questions. C'a été l'erreur de
1848 et de 1849 de le croire 1 ce sera par le fer et par le
sang. » Toute sa théorie était là, ainsi que son pro-
gramme. L'Autriche, avec un incroyable aveuglement,
l'aida à le réaUser. La Hongrie elle-même faisait des
vœux pour l'unité germanique, sûre qu'elle était que
l'Autriche, expulsée de l'Allemagne, était forcée de s'ap-
puyer sur elle en lui rendant la liberté ; Botvos le dit
nettement en une brochure. M. de Bismark comptait
plus sur l'Italie à l'alliance de laquelle il voulait ra-
LÀ TRIADE : AFFAIRE DE RESSE-GASSEL 275
mener Guillaume, bien que celui-ci eût été en iB59 à
la veille de combattre Victor-Emmanuel. Enfin il ne
désespérait pas d'amener la France impériale à le
laisser faire : il y avait déjà travaillé pendant son am-
l>assade à Paris, préludant ainsi à l'entrevue de Biarritz
et essayant de prouver que l'unité allemande devait être
\a conséquence de l'unité italienne.
L'Autriche était donc peu à peu enlacée dans les fils
d'une trame immense. Elle ne s'en doutait pas et n'a-
vait jamais eu tant de confiance : elle conservait son
ton de supériorité vis-à-vis de la Prusse et se flattait de
constituer enfin la Grande- Allemagne. Elle était per-
suadée que la lutte si violente du ministère et de la
chambre à Berlin jetait sa rivale dans des embarras
tels qu'elle pouvait tout oser. Pendant ce temps, M. de
Beust, ministre du roi de Saxe, imaginait un système
pour assurer l'indépendance des petits états vis-à-vis
des deux puissances rivales, celui de la triade : la
Bavière, la Saxe, le Wurtemberg et le Hanovre auraient
formé un troisième groupe faisant équilibre à la Prusse
et à l'Autriche. Mais la Prusse ne voulait que l'union
restreinte, c'est-à-dire la suprématie politique, militaire
et commerciale de la Prusse sur les adhérents à cette
union : le ministre prussien, M. de Bernstorff, en for-
mula nettement la théorie. L'Autriche réussit à décider
la Bavière, la Saxe, le Wurtemberg, le Hanovre, la
Hesse-Darmstadt et le Nassau à protester contre cette
théorie dans des notes séparées, mais identiques, qui
furent toutes remises à Berlin le 2 février 1862. Les
signataires déclaraient que l'union restreinte était la
négation même de la confédération basée sur la répar-
tition des voix établie par le pacte et composée d'états
autonomes. La question était clairement posée. L'aff'aire
de la Hesse-Gassel faillit précipiter les choses. L'élec-
teur refusait de rétablir la constitution de 1831 que sa
seconde chambre ne se lassait pas de réclamer, malgré
des dissolutions coup sur coup. La Prusse et l'Au-
276 HISTOIRE DE L'âUTRIGHE
triche demandèrent à la diète le 8 mars de rétablir
cette constitution. Mais pendant que la diète délibérait,
l'électeur prenait des mesures telles que la Prusse lui
adressa le 18 mai un ultimatum et se prépara à occuper
ses états avec deux corps d'armée. Grave précédent que
celui qui tendait à substituer à Texécution fédérale
l'exécution par la Prusse seule ! L'Autriche agit et fit
prendre les devants à la diète qui rétablit la constitu-
tion de 1831 dans la Hesse par un arrêté fédérai du
â4 mai, auquel céda l'électeur effrayé.
L'Autriche, voyant à quel point le sentiment unitaire
passionnait les esprits, voulut lui donner une certaine
satisfaction : elle proposa à la diète d'établir pour
toute l'Allemagne un code uniforme de procédure civile
et une loi générale sur les obligations. Cette loi aurait
été élaborée à Francfort par une assemblée des délégués
des diverses chambres allemandes. La Prusse s'opposa
et fit si bien miroiter aux yeux de quelques états secon-
daires le fantôme du parlement de 1849 que la proposi-
tion autrichienne tut repoussée par 9 voix contre 7, le
22 janvier 1863. Ce fut alors que François-Joseph ima-
gina de réunir tous les souverains allemands à Francfort
en congrès pour discuter la réforme fédérale. Il vit le
roi de Prusse à Gastein et essaya vainement de le dé-
cider à prendre part à ce congrès : le refus fut absolu.
Le congrès s'ouvrit le 15 août 1863 : tous les souverains
allemands, accompagnés des hommes politiques les plus
célèbres, se trouvèrent réunis dans la vieille cité impériale
autour du jeune empereur d'Autriche, qui put se croire
le maître de l'Allemagne, au bruit des acclamations du
peuple de Francfort enivré par cette image de l'unité.
C'était une contre-partie de la fête qui, le 13 juillet 1862,
avait réuni dans la même ville les sociétés de tir de l'Al-
lemagne confédérées sous la présidence du duc de Saxe-
Cobourg-Gotha et sous l'inspiration du National-Verein^
personnage et institution qui jouaient au radicalisme
et servaient les desseins de la Prusse, tout en persuadant
CONGRÈS DE FRANCFORT : SON ÉCHEC 277
aux. masses qu'ils travaillaient à rétablissement d'une
république fédérative. François- Joseph proposa au con-
grès de donner'comme pouvoir exécutif à la confédéra-
tion un directoire de cinq membres dont trois perma-
nents : Empereur d'Autriche, roi de Prusse, roi dé Ba-
vière, et deux alternants : le roi de Wurtemberg, le roi
de Saxe et le roi de Hanovre. L'Empereur d'Autriche
en aurait la présidence perpétuelle. François-Joseph
ajoutait qu'en cas de guerre entre un état de la confé-
dération ayant des possessions en dehors de la dite confé-
dération et un état étranger, le conseil fédéral pourrait,
sur l'initiative du directoire et à la simple majorité des
voix, voter que la confédération prendrait part à cette
guerre. C'était naïf et on reconnaissait là la légèreté de
M. de Rechberg : il aurait été plus franc de proposer
que le Buhd garantirait à l'Autriche ses possessions non
allemandes et mettrait toutes ses forces à son service
pour les lui conserver. Le roi de Bavière se montra mé-
content et le grand-duc de Bade énergiquement opposé.
D'ailleurs l'absence du roi de Prusse frappait de stérilité
les délibérations du congrès. Le parti unitaire, qui
l'avait d'abord accueilli avec quelque espoir, voyant
qu'on n'y proposait pas un parlement central à la façon
de 1849, s'en détourna et on se sépara dans les pre-
miers jours de septembre sans avoir rien fait, et en re-
mettant à des conférences ministérielles qui n'eurent
jamais lieu le soin d'achever le projet ébauché. Il n'en
subsistait qu'un aveu, celui que la diète était désormais
une forme insuffisante de la confédération. Le même
mois, le cabinet de Berlin avança un programme réfor-
miste basé sur la parité absolue des deux puissances et
qui fut mal accueilli, bien qu'il comportât un parle-
ment national. 11 devenait de plus en plus évident que
la question de la constitution allemande n'était pas de
ceUes qui se résolvent pacifiquement.
La question des Duchés n'était pas moins compli-
quée. Il importe de bien comprendre cette affaire du
ASSELINE. 16
278 ffISTOIRE DE L^ÂUTRIGHE
Slesvig-Holstein qui fut, en définitive, i'aliumette met-
tant le feu à des matières incendiaires depuis long-
temps préparées. Mais ayons bien soin de nous dire que
si ça n'avait pas été cette allumette-là, c'en eût été une
autre.
Entre TËlbe, au sud, et l'Ëider, au nord, s'étendent
les duchés dllolstein et de Lauenbourg, le Holstein
placé sous la suzeraineté du Danemark, mais faisant
partie, depuis le moyen-âge, de la confédération ger-
manique, le Lauenbourg moitié autonome, moitié dé-
pendant du Holstein par le contingent militaire et, par
suite, de la confédération , tous deux peuplés d'AUe-
mands. Au-delà de l'Eider et jusqu'aux frontières du
Jutland, s'étend un autre duché, le Slesvig, peuplé
moitié de Danois et moitié d'Allemands. Le Slesvig M
toujours isolé des Etats formant la monarchie danoise
proprement dite, mais, uni au Holstein par une consti-
tution et une diète commune, il ne fit non plus jamais
partie de la confédération germanique. Le Slesvig, d'une
étendue de six mille kilomètres carrés et comptant, en
1848, à peu près 375,000 habitants, excitait vivement
les convoitises de l'Allemagne à cause de ses ports in-
dispensables à la formation de la marine germanique.
De son côté, le Danemark ne rêvait que de séparer le
Slesvig du Holstein pour se l'incorporer.
L'Allemagne fit formuler par ses savants une théorie
en vertu de laquelle le Slesvig et le Holstein ne pou-
vaient être séparés sans que la constitution du Holstein
fût brisée, ce qui donnait dans ce cas droit à la confé-
dération germanique, dont le Holstein fait partie, dln-
tervenir dans les afi'aires des deux duchés. Elle gardait
de plus comme arme de réserve le principe des natio-
nalités, en se fondant sur ce que la moitié des habitant»
du Slesvig est de race germanique. En juillet 1846, le roi
de Danemark, Christian VIII, fatigué de la propagande
allemande, prit une résolution hardie : il déclara le
Slesvig partie intégrante de la monarchie danoise. Le
AFFAIRE DBS DUCHÉS; TRAITÉ DE LONDRES S79
Slesvig et le Holstein protestèrent au nom de leur union
indissoluble historiquement consacrée, et la diète alle-
mande (17 septembre 1846) s'associa avec éclat à leurs
protestations. Quand Christian VIII mourut, le 20 jan-
vier 4848, son fils et successeur, Frédéric VII, donna, le
28 janvier, une constitution commune au Danemark et
aux Duchés; elle était illibérale. A la nouvelle de la
révolution de février, les Danois se soulevèrent, for-
cèrent leur roi à réformer cette constitution dans un
sens démocratique, mais exigèrent l'incorporation du
Slesvig-Holstein. De leur côté, les deux Duchés se mirent
en insurrection, établirent un gouvernement provisoire
et demandèrent à être incorporés ensemble à la confé-
dération. L'Allemagne entière prit feu et la Prusse en-
vahit les Duchés pour les défendre contre le Danemark
qui se battit héroïquement. Grâce à la Russie et à l'An-
gleterre, la guerre fut arrêtée, un armistice signé le
23 août 1848 (ce qui provoqua une sanglante émeute à
Francfort) et des négociations ouvertes pour le règle-
ment de la question. Elles aboutirent, en 1852, au traité
de Londres (8 juillet), qui établit l'intégrité de la mo-
narchie danoise et donna comme successeur éventuel à
Frédéric VII, qui n'avait pas d'enfants, le prince Chris-
tian de Gluksbourg. Le Gzar, représentant de la bran-
che aînée des Hobtein-Gottorp, renonça à tous ses
droits ainsi que les autres branches, et la renonciation
du duc d'Augustenbourg, qui avait aussi des droits et
dont on avait songé à faire un souverain pour le Sles-
vig-Holstein, fut payée d'une forte somme de rixdalers.
Le Holstein resta dans la confédération germanique, et
le Slesvig demeura dans sa situation mixte, à la fois au-
tonome et partie intégrante de la monarchie danoise, à
la grande fureur des partisans de la patrie allemande
s'écriant qu'on fermait à cette patrie la route vers la
mer.
Ce traité n'était pas une solution. Aussi la question se
posa-t-elle plus impérieusement que jamais au commen-
S80 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
cément de 1862. Les petits Etats allemands surtout se
montraient acharnés à la résoudre contre le Dane-
mark, mal soutenu et mal conseillé par rAngleterre.
Le 30 mars 1863; le roi Frédéric YII consacra par une
patente l'autonomie du Holstein et, en même temps, il
prépara une constitution commune au Danemark et au
Slesvig, auxquels elle assurait une représentation pa^
lementaire. L'Allemagne toute entière cria à Tincorpo-
ration du Slesvig et à la violation du traité de 1^2.
L'Autriche et la Prusse protestèrent à Copenhague et,
le 18 juin, la diète vota l'exécution fédérale contre le
Danemark abandonné par l'Angleterre. Frédéric YII
n*en fit pas moins voter cette constitution par son par-
lement, le 18 novembre, et mourut presque subitement
quelques jours après, laissant pour héritier, aux termes
du traité de Londres, Christian, prince de Slesvig-
Holstein-Sonderbourg-Gluksbourg, qui prit le nom de
Christian IX. Aussitôt, les Allemands lui opposèrent Fré-
déric d'Augustenbourg, fils de celui qui avait renoncé,
en 1852, pour beaucoup de rixdalers, lequel Frédéric
affirmait n'être pas lié par l'engagement paternel. Une
immense effervescence se déclara d'un bout à l'autre de
la Germanie, et la diète fit envahir le Holstein, au mois
de décembre, par un corps d'armée saxo-hanovrien
commandé par le général de Hacke.
Qu'allait faire l'Autriche? Le comte de Rechberg dé-
clarait lui-même, au commencement de 1863, « que
rien n'était plus éloigné des désirs et des intérêts de
l'Autriche, que de soulever la question des nationa^
lités. » Mais d'un autre côté, l'Autriche devait-elle se
désintéresser d'une question qui passionnait si fort l'opi-
nion allemande et laisser à la Prusse, sa rivale, le béné-
fice d'agir seule selon les désirs de cette opinion? C'est
à ce moment que M. de Bismark persuada à M. de
Rechberg qu'il était de l'intérêt de la Prusse et de l'Au-
triche de prendre en mains l'exécution fédérale, en
écartant la confédération comme trop emportée. Mal*
PAIX DB VIENNE (30 OCTOBRE 1864) 281
gré la protestation de la diète du 6 janvier 1864, les
deux puissances sommèrent Christian IX, en leur pro-
pre nom, le 18 janvier, d'abolir la constitution du
18 novembre dans un délai de 48 heures. Sur le refus
du roi, un corps composé de 20,000 Autrichiens et de
34,000 Prussiens, après avoir forcé le contingent saxo-
hanovrien à se retirer, passa l'Bider, le 27 janvier, et là
guerre commença. M. de Bismark avait ainsi entraîné
l'Autriche pour déjouer les projets de la « troisième
Allemagne » inventée par M. de Beust et achever de
déconsidérer la diète par cette éclatante désobéissance
à ses ordres, commise de Complicité avec la puissance
dominant dans cette diète. L'Angleterre, éperdue et flot-
tante sous la conduite de lord John Russell, fit demander
à Napoléon III si elle pouvait compter sur son concours
pour sauver l'intégrité du Danemark : Napoléon III
refusa, furieux qu'il était de la conduite de l'Angle-
terre dans les affaires de Pologne dont nous parlerons
bientôt. Le 25 avril, les Duchés étant occupés par les
troupes austro-prussiennes, des conférences s'ouvrirent
à Londres. La Prusse et l'Autriche y demandèrent la
réunion des Duchés de Slesvig-Holstein sous la souve-
raineté du prince d'Augustenbourg. Les conférences
n'aboutirent pas : la guerre reprit en juin et le Dane-
mark battu vint demander, le 1®^ août, un armistice
qui ampna, le 30 octobre, la paix de Vienne. Le sang
avait inutilement coulé à Dûppel et dans d'autres com-
bats. Christian IX, abandonné par la France, par l'An-
gleterre et par la Suède, cédait à l'Autriche çt à la
Prusse, qui s'étaient violemment substituées à la confé-
dération, ses droits sur le Slesvig, le Holstein et le
Lauenbourg. La vieille monarchie danoise était démem-
brée au nom du principe des nationalités. En attendant
un règlement définitif, des commissaires prussiens et
autrichiens administrèrent les terrains conquis en com-
mun, ce qu'on appela, dans le latin barbare 4e la diplo-
matie, le condominium et le provùorium. Ce condotni-^
16.
282 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
nium devait être une pomme de discorde entre les deux
spoliateurs du Danemark.
En même temps que Taffaire des Duchés, s^était posée *
la question polonaise avec un caractère européen qu'elle
n'avait jamais eu à ce degré. Dans la nuit du 14 au
i5 janvier 1863, le gouvernement russe accomplit su-
bitement à Varsovie l'opération du recrutement. Les
jeunes gens désignés furent enlevés par les soldats et
par les agents de police, entre une heure et huit heures
du matin. Ce fut un long cri de douleur et de colère
dans la malheureuse nation : les jeunes gens des autres
villes prirent les armes et se réfugièrent dans les bois.
Le comité national lança un énergique appel à l'insur-
rection ; les premiers engagements eurent lieu le 6 fé-
vrier. Le 8, la Russie et la Prusse conclurent la célèbre
convention en vertu de laquelle, sous prétex^te de sécu-
rité du commerce et de recettes de douanes, les troupes
des deux puissances pourraient pénétrer, quand elles le
jugeraient nécessaire, dans l'intérieur des deux pays.
En somme, la Prusse faisait la police pour la Russie. On
invita l'Autriche à adhérer à Ift convention, mais eUe
refusa. L'Angleterre et la France firent isolément des
représentations à la Russie et à la Prusse, qui répondi-
rent d'une façon évasive.
L'Autriche avait à choisir entre deux rôles : se dé-
clarer pour la Pologne avec le concours de la France,
et l'Europe pouvait alors changer de face et Sadowa
devenir impossible, ou déclarer l'état de siège en Gal-
licie, afin de couper court à une insurrection qui ne
pouvait aboutir. M. dé Rechberg ne fit ni l'une ni l'au-
tre chose : il biaisa, équivoqua en s'estîmant fort habile,
laissant croire tantôt à sa neutraliié absolue, tantôt à
ses sympathies pour le mouvement polonais. Son atti-
tude trompa assez le ministre des affaires étrangères de
France, M. Drouyn de Lhuys, pour que celui-ci crût
qu'une alliance franco-autrichienne allait se conclure et
AFFAIRES DE POLOGNE : DIPLOMATIE 283
préparer la restauration de la Pologne. Il se trompait
du tout au tout.
On eut alors le spectacle du plus écœurant tournoi
diplomatique. Pendant que les Polonais se battaient
héroïquement et organisaient un gouvernement occulte
d'une incroyable activité, mais voyaient leurs divisions
habituelles tout compromettre et amener la fuite et
rinternement en Gallicie du dictateur Langewicz, pen-
dant que Mouravief, le Hayiiau russe, fusillait, pendait,
fouettait, massacrait à Varsovie et à Vilna, aux cris
d'horreur de TEurope, les gouvernements échangeaient
des dépêches et adressaient des notes à la Russie. Seu-
lement ce qui ôtait à ces notes toute autorité, c'est que
la Russie pouvait ^deviner derrière chacune d'elles la
ferma volonté de ne pas intervenir, et la divergence de
vues qui régnait entre les puissances. Le cabinet anglais,
dirigé par lord John Russell, se montra surtout d'une
dupUcité, d'une ondoyance calculée que l'histoire doit
sévèrement flétrir. Le cabinet français , tiraillé entre
des visées contraires, hésitant entre Talliance russe qu'il
avait tant caressée depuis 1856, l'alUance autrichienne,
ehère à M. Drouyn de Lhuys, et l'alliance allemande,
plein de l'illusion flatteuse qu'il était maître de choisir
entre ces alliances, partagé entre le désir de déchirer
les traités de 1815 et celui de prendre place dans la
légitimité européenne, ne sut pas agir. Mais ce fut sur-
tout le cabinet autrichien qui tergiversa et se livra avec
ardeur à cette vieille poUtique de bascule dés Habs-
bourg», alors si peu de mise. Il s'attira, au mois d'août,
une note confidentielle française qui lui fut remise par
M. de Grammont, et qui déclarait que la France, en pré-
sence des inconvénients et deà dangers créés par l'atti-
tude équivoque du cabinet de Vienne, se verrait « forcée
de chercher ses alliés parmi les états hostiles à l'Au-
triche. »
Nous n'entrerons pas dans les détails de ce combat
de chancellerie. Le 10 et le 12 avril, l'Autriche, la France
384 HISTOIRE DB L'AUTHIGHE
et rAng^eterre, adressèrent séparément une déptche à
la Russie, en même temps qu'elles conviaient l'Europe
à s'associer à leur manifestation. L'EIspagne, le Saint-
Siège, lltalie, la Suède, le Danemark, la Porte, le Por*
tng^ répondirent favorablement. Le prince Gortchakot
fit à ces ouvertures un accueil courtois. ESn môme temps
Napoléon faisait présenter secrètement à l'Autriche,
par le prince de Mettemich, le plan suivant : la Silésie
en échange de la Gallicie, l'appui de la France pour son
hégémonie en Allemagne, les principautés danubiennes
et le littoral oriental de l'Adriatique en échange de la
Vénétie. L'Autriche refusa, sûre de ne pas être soutenue
dans cette aventure par l'Angleterre. Alors les trois
cours s'entendirent pour présenter à la Russie un pro-
gramme comportant l'amnistie, la création d'une admi-
nistration distincte avec fonctionnaires polonais , la
liberté de conscience, l'usage de la langue polonaise
dans l'administration, la justice et l'enseignement, un
système de recrutement légal et régulier. Mais chaque
gouvernement présenta ce programme séparément et
avec des nuances différentes ; la France, par exemplej
l'étendant aux anciennes provinces polonaises : li-
thuanie, Volhjmie, Podolie, Ukraine, Posnanie et Galli-
cie, et l'Autriche ne s'associant pas à l'idée d'un armis-
tice. Ces points devaient être discutés dans une confé-
rence. Le 20 juin, la France proposa à l'Angleterre et à
l'Autriche de prendre, sous forme de convention ou de
protocole, l'engagement de poursuivre de concert le
règlement de l'affaire de Pologne par les voies diploma-
tiques ou autrement s'il était nécessaire ; les deux puis-
sances refusèrent, l'Angleterre, par suite de son égoïsme
habituel qui ne la poussait pas plus à donner un homme
ou un écu pour la Pologne, qu'elle n'avait songé à en
donner pour l'Italie ; l'Autriche, parce qu'elle était
incapable d'une grande conception, qu'elle ne devinait
pas que ses intérêts n'étaient pas du côté du monde
germanique, mais du monde slave, et aussi parce qu'elJ^
NOTE DE GORTSGHAKOF DU 7 SEPTEMBRE 285
craignait que le réveil de la nationalité polonaise fût un
Éfsi^e de succès pour les nationalités hongroise, véné*
Kenne et gallicienne. La Russie répondit le 13 juillet
qu'elle ne négocierait qu'avec les puissances cop.arta*
géantes (Prusse et Autriche). La France demanda que
les trois puissances répliquassent à cette hautaine fin
cle non-recevoir par une dépèche identique : TAutriche
accepta, mais l'Angleterre refusa, repoussant ainsi cette
solidarité dont la manifestation aurait pu seule agir sur
le cabinet de Saint-Pétersbourg. On envoya trois com-
munications distinctes : la dépèche française rappelait
les stipulations du traité de 1815 en faveur de la Pologne
y comprises toutes ses anciennes provinces. La Russie
était sûre du défaut d'entente des trois puissances, sûre
qu'elles n'iraient jamais jusqu'à la guerre que l'appro*
che de l'hiver rendait d'ailleurs impossible. Elle lança
sa fameuse note du 7 septembre, dans laquelle eUe
déclarait péremptoirement << mettre fin à une discus<-
sien sans but. » C'était un rude soufQet sur la joue des
trois puissances, et de plus la main était sanglante, car
Mouravief venait de se livrer à VUna à une orgie d^
meurtres. Lord Russell le sentit tellement, qu'il en fut
presque belliqueux au banquet de Blairgowrie, mais,
dès le lendemain, il envoyait à la Russie la plus plate
des dépèches. Le 4 novembre. Napoléon adressa une
invitation à tous les souverains pour un congrès, et le
5 novembre prononça, à l'ouverture des chambres, ce
i*etentissant discours où il déclarait déchirés les traités
de 1815. Invitation ni discours n'eurent de suites, malgré
les réponses courtoises de quelques puissances. L'Au-
triche, qui avait accepté sans bouger le soufûet russe,
déclara que le congrès ne pourrait avoir lieu qu'autant
qu'on se serait entendu préalablement sur le point de
départ, sur l'objet et sur les moyens d'action, ce qui
était une manière habsbourgienne de refuser. Dès le
milieu d'octobre, elle avait d'ailleurs fait savoir à la
Russie que son intention n'avait jamais été d'annuler Jes
286 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
traités de 1815, et de reconnaitre la qualité de belligé-
rants aux Polonais. M. de Rechberg félicita même le
Gzar « des succès passés de ses soldats, ^age des succès
futurs, » et prit en Gallicie des mesures rigoureuses
contre les insurgés réfugiés. Quand Napoléon III eut
déclaré que les traités de 1815 avaient cessé d'exister,
la cour de Vienne tressaillit d'eflEroi et se rapprocha
définitivement de la Prusse et de la Russie. Ge fut alors
que M. de Bismark, profitant de cet effroi, acheva d'en-
traîner rAutriche dans cette aventure des Duchés dont
elle devait payer si cher la sottise et l'iniquité. L'inva-
sion en commun du Holstein est de décembre 1863, et
s'étendit au Slesvig et au Jutland pendant ce terrible
hiver de 1863-1864 où la malheureuse Pologne acheva
sa ruine pour longtemps. Le 29 février 1864, l'Autriche
porta le dernier coup à l'insurrection en mettant la
Gallicie en état de siège : cette mesure acheva de la ré-
concilier avec la Russie qui de son côté demeura impas-
sible devant le démembrement du Danemark. L'alliance
des trois cours du nord était reconstituée, et dans ce
•même mois de février, M. de Rechberg conclut un traité
secret avec la Prusse dans lequel celle-ci lui promettait
son concours en cas d'une attaque sur la Vénétie. Le
cabinet français se trouva complètement isolé entre les
trois puissances septentrionales et l'Angleterre si réso-
lument retirée dans son monstrueux égoïsme : il s'en
consolait par la grande pensée du règne, l'expédlÉion
du Mexique, prologue de l'union des races latines, et il
entraînait, dans cette aventure, l'archiduc MaximiJien,
frère de l'empereur d'Autriche , ex-gouverneur de la
Lombarde- Vénétie, qui vivait en son château de Mira-
mar, près de Trieste, en une sorte de disgrâce. Fran-
çois-Joseph autorisa son frère à accepter cette couronne
que devaient briser les balles de Queretaro (10 avril
1865).
Gomment, de cette reconstitution de l'alliance du
nord, de cette sainte alliance anti-révolutionnaire qui
ENTREVUES DE ËERLIN, KISSIN6EN ET GARLSBÂD 287
faisait se pâmer de joie^ Berlin M. de Gerlach, chef du
parti de la croix, sortit la guerre de 1866 faite par la
Prusse en commun avec l'Italie révolutionnaire et gari-
baldienne? C'est un des plus curieux drames de This-
loire. Mais ce drame eut pour prologue une comédie
aux fils multiples, menée avec une incroyable habileté
par M. de Bismark, à Tinsu du roi Guillaume lui-
même. Tandis que les trois souverains du nord avaient,
en mai et en juin 1864, des entrevues à Berlin, à
Kissingen, à Garlsbad, qui inquiétaient toute l'Europe
occidentale et rappelaient les intimités d'avant 1848,
M. de Bismark travaillait, par mille moyens divers, à
accomplir la prophétie de l'officieux Henri de Sybel.
CHAPITRE II
Préliminaires de Sadowa. — Conférences de Gastein et convenu
tion. — Ministère Belcredi. — La diète de Francfort vote Texé-
cution fédérale contre la Prusse. — Sadowa. — Italie : Gustozxa
et Lissa. — Traité de Prague.
La France, forcée de se retourner vers lltatie qae
M. Drouyn de THuys avait si maltraitée depuis 1862
dans Tespoir de Talliance autrichienne, conclut avec elle
la célèbre convention du 15 septembre 1864, toute diri-
gée contre la politique de rAutriche. La convention éta-
blissait que la capitale de lltalie serait transférée de
Turin à Florence ; que la France retirerait ses troupes
de Rome dans l'espace de deux années à partir de la
translation de la capitale et que, de son côté, lltalie
prenait l'engagement, non seulement de ne pas inquiéter
le Saint-Père, mais encore de s'opposer par la force à
toute attaque dirigée contre lui. La translation de la
capitale à Florence indiquait que lltalie se préparait à
une campagne pour conquérir la Vénétie, car eue subs-
tituait à Turin exposé aux surprises des armées autri-
chiennes une capitale abritée derrière la double ligne
de défense du Pô et de l'Apennin, une capitale de guerre.
Ce fut alors que M. de Bismark, en dépit de l'alliance
des trois cours et l'œil fixé sur sa proie autrichienne, se
mit à faire des avances à lltalie et à la France. Il fit en
CHUTE DE M. DE REGHBERG 289
octobre 1864 un premier voyage à Biarritz où il se mon-
tra léger, brillant, enjoué, où M. Drouyn de Lhuis saga-
cement le trouva moquabky où il fit entrevoir que la
Prusse mieux configurée, arrondie derrière la ligne du
Mein, pourrait recouvrer la liberté des alliances. Avec
ntalie, dans de simples conversations et échappées,
il insinua que la Prusse et lltalie avaient la même enne*
mie, TAutriche, et la même mission unitaire. Tune dans
la Péninsule, l'autre dans l'Allemagne où elle n'avait
qu'à ptémontiser ; il convertit le général La Marmora à
une vraie prussomanie. Enfin, quand le cabinet de
Vienne, très-ému de la convention de septembre, rap-
pela le traité conclu en février par les soins de MM. de
Rechberg et de Manteuffel, qui garantissait l'Autriche
contre toute attaque sur la Vénétie, M. de Bismark ré-
pondit que ces stipulations n'avaient jamais eu de force
obligatoire que dans l'éventualité d'une guerre en ItaUe
pendant l'exécution fédérale contre le Danemark. Cette
réponse fit même tomber du ministère M. de Rechberg
que remplaça le comte de Mensdorf-PouiUy (27 oc-
tobre 1864). Dans tout cela, M. de Bismark posait de
^simples jalons, car officiellement il paraissait dévoué à
l'alliance autrichienne. Le roi Guillaume, lui, y allait
de bonne foi et aurait tressailli d'horreur à l'idée de
s'allier à l'Italie révolutionnaire pour faire la guerre à
l'Autriche conservatrice; il répétait volontiers le mot
du général de Radowitz : « l'Allemagne doit être défen-
due sur le Mincio. » M. de Bismark devait d'ailleurs
duper encore les Habsbourgs pour mener à bien l'af-
faire des Duchés.
Par une circulaire du 24 décembre 1864, il avait an-
noncé qu'il avait besoin de consulter les légistes de
la couronne sur la légitimité des droits des divers pré-
tendants à la possession des Duchés. Par arrêt de juil-
let 1865, les légistes déclarèrent solennellement que nul
autre prétendant n'avait de droit à la succession du
Slesvig-Holstein que le roi de Danemark; d'où M. de
ASSELINE. 17
t
290 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
Bismark conclut que dès lors Taffaire ne regardait pla&
la confédération germanique, mais uniquement Tempe-
reur d*Autriche et le roi de Prusse, légitimes posses-
seurs des duchés par le pur et simple droit de conquête.
Et sur ce il proposa à rAutriche, copropriétaire, de
céder à la Prusse, moyennant finances, sa part de pro-
priété dans les duchés conquis.
G^était inouï d*audace : proposer à l'Autriche d'aban-
donner à la Prusse la domination de la mer du Nord et
de la Baltique avec Kiel pour port, de se faire la com-
plice de la Prusse vis-à-vis de ces états secondaires,
vraie force des Habsbourg contre leur concurrente à
l'hégémonie et qu'ils avaient déjà tant blessés en les
écartant « de la grande œuvre nationale du Slesvig-
Holstein, » c'était lui proposer de perdre toute influence
politique, comtaerciale et même morale en Allemagne»
L'Autriche refusa. Alors de Garlsbad même, en pleine
hospitalité autrichienne, M. de Bismark lança le il juil-
let 1865 une dépêche menaçante, parla de guerre, fit
tàter l'Italie par M. deUsedom, et flatta la Bavière de la
perspective d'hériter des provinces allemandes de rAu-
triche. Il dit même en ce mois d'août 1865 au premier
ministre bavarois, M. de Pfordten, cette phrase prodi-
gieuse de prophétie et qui se trouve dans les journaux
allemands du dit mois : « TAutriche n'est ni armée ni en
état de s'armer et il suffirait à la Prusse de porter un
seul coup, de livrer une seule et grande bataille du côté
de la Silésie pour dicter la paix au gouvernement de
Vienne; » c'est toute l'histoire de Sadowa une année
à l'avance,
L'Autriche accepta une conférence à Gastein où se
trouvèrent MM. de Bismark, de Goltz, de Werther et
MM. de Mensdorf, de Beust, etc. Le 14 août 1865, i^^
deux souverains signaient la convention dite de Gastem:
François-Joseph cédait à la Prusse le duché de Laûen-
bourg pour 2,500,000 thalers danois (12,500,000 fr.) et
convenait que désormais la Prusse administrerait seule
CONVENTION DE GASTEIN 291
le Slesvig et TAutriche seule le Hobtein, sans préjudice
du droit de possession des deux puissances sur l'ensemble
des deux provinces. On ne faisait même pas mention
des droits de la confédération et de cette pauvre diète
qui avait voté le 6 avril précédent que le Holstdn serait
remis immédiatement aux mains du duc d'Augusten-
bourg. L'Autriche sacrifiait ainsi les états secondaires
qui, de rage, se mirent tous à reconnaître le royaume
dltalie, et faisait supposer qu'un jour elle vendrait sa
part du Slesvig et du Holstein, comme elle avait vendu
celle du Laûenbourg. Le premier acte de la comédie, le
prologue du drame, avait admirablement tourné pour
les vues de M. de Bismark qui dut bien rire en voyant
quelques jours après, à Saltzbourg, le Habsbourg se
précipiter en pleurant d'attendrissement dans les bras
du Hohenzollem. La convention de Gastein fut jugée
sévèrement par l'opinion européenne. M. Drouyn de
Lhuis put dire légitimement dans sa dépèche du 29 août
<c qu'elle n'avait d'autre fondement que la force, d'autre
justification que la convenance réciproque des deux
copartageànts. » Le !«' octobre à Francfort, dans une
solennelle manifestation, des députés des diverses cham-
bres allemandes déclarèrent la convention attentatoire
au droit et à la sécurité de l'Allemagne. Enfin, à Vienne
même, le parti militaire protesta et le général Bénédek
parla de donner sa démission ; on ne le retint qu'en le
nommant feld-zeugmeister.
A quelles préoccupations l'Autriche avait-elle donc
obéi en compromettant ainsi sa situation en Allemagne
et en signant une convention quasi-déshonorante ? Elle
faisait une nouvelle expérience constitutionnelle et des
plus graves : renonçant au centralisme soi-disant parle-
mentaire et surtout germanique inauguré par la patente
du 26 février 1861 et appliqué par M. de Schmerling,
elle revenait au fédéralisme et cherchait à se réconcilier
avec la Hongrie. François-Joseph avait confié l'exécu-
tion du nouveau plan au comte Belcredi, gouverneur
992 HISTOIRE DE L'âUTRIGHE
de Bohème (juillet 1865) qui s'adjoignit comme collègues
BfM. Haller, Mailath, Esterhazy et le Croate Mazuranic.
Le mois précédent, l'empereur d'Autriche avait été
visiter Buda-Pesth et y avait été reçu avec le vieil en-
thousiasme monarchique des Magyars. Le 20 septembre
il publia un manifeste suspendant la constitution du
^36 février 1861, afin d'arriver à une organisation nou-
velle qui pût satisfaire toutes les nationalités. Le reichs-
rath fut prorogé indéfiniment. Le plan du comte Belcredi
était de grouper les pays d'après leur langue et leur
>origine en plusieurs états, de leur donner une autonomie
complète pour leurs affaires intérieures et de réserver
les affaires d'intérêt commun à un parlement central;
mais si les Tchèques et les Polonais applaudissaient à
ce plan, les Allemands et les Hongrois n'en voulaient
entendre parler. Les Allemands voulaient conserver le
système Schmerling en le perfectionnant dans le sens
de la liberté. Les Hongrois, au nom de « la continuité
du droit, » demandaient le rétablissement préalable de
la constitution de 1848 avec ministère responsable;
alors seulement les Deakistes consentiraient à une révi-
sion des lois fondamentales pour examiner comment on
pourrait les mettre d'accord avec le plan Belcredi. C'é-
tait en somme le dualisme esquissé, préparé et se met-
tant en travers de l'égalité des races dans une libre
tîonfédération.
La diète hongroise se réunit le 10 décembre 1865.
Deak y avait une énorme majorité. Il fît voter une
adresse dans laquelle on demandait la nomination d'un
ministère hongrois responsable qui aurait seul qualité
pour proposer les modifications jugées nécessaires. On
ne put se mettre d'accord. Le comte Belcredi recula
devant la certitude de mécontenter les Slaves en accep-
tant le dualisme proposé. Après de longs débats qui
durèrent jusqu'en février 1866, la diète fut ajournée.
Deak reprit le mot de M. de Schmerling : nous pouvons
attendre. La terrible année de Sadowa allait abréger
MINISTÈRE BELGREDI 293^
cette attente et le ministère Belcredi porte simplement
dans rhistoire le nom de : ministère de la suspension.
L'Autriche était honteuse de la convention de Gas-
tein. La sévérité des jugements de TEurope sur cette
convention Thumiliait et la rassurait à la fois. Llden-
tité des termes entre la dépêche de M. Drouyn de-
Lhuis et celle de Lord John Russell lui fit croire à un
accord entre les puissances occidentales. Bien qu'elle
eût été complice de la cour de Prusse, l'Allemagne sem-
blait moins lui en vouloir qu'à la Prusse elle-même
de ce mépris pour la confédération et de ce trafic
des Lauenbourgeois qui irritait si justement l'opinion-
publique. M. Drouyn de Lhuis rêva de nouveau l'al-
Mance de la France, de l'Angleterre et de l'Autriche,
basée sur le rachat amiable de la Vénétie. Une mis-
sion officieuse dans ce sens fut confiée à M. Landau,
représentant de la maison. Rothschild à Florence. Mais
l'Autriche avait déclaré dans ses instructions adresséeS:^
le l®»" juin 1866 à ses ambassadeurs à Paris, Londres et
Saint-Pétersbourg, que son honneur militaire et sa di-
gnité de grande puissance ne lui permettraient jamais-
de céder la Vénétie « soit devant une offre d'argent, soit
devant une pression morale ; qu'elle ne pourrait en faire
l'abandon volontaire que dans le cas, d'ailleurs peu
désiré, d'une guerre glorieuse pour les armes autri-
chiennes et favorable à l'extension de l'Empire du côté
de l'Allemagne. » La mission de M. Landau échoua
donc et M. de Bismark, qui savait tout, s'en plaignit à
M. de La Marmora, lequel répliqua avec raison que la
convention de Gastein avait rendu à l'Italie sa liberté
d'action. En même temps l'Autriche, qui décidément
reprenait attitude, refusait avec hauteur l'offre de trois
cents millions que lui faisait le ministre prussien pour
la cession des Duchés.
M. de Bismark, voyant l'alliance italienne menacée et .
la France et l'Angleterre tournées du côté de l'Autriche,,
fit alors son fameux voyage de Biarritz, le second, sur
S94 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
les péripéties duquel il y a encore bien des coniroverses.
Y joua-t-il le rôle d'un Gavour dans une nouvelle entrevue
de Plombières? Y eut-il des stipulations aussi précises
qu'alors? Offrit-il en échange de la neutralité de la
France, des compensations éventuelles du côté du Rhin?
on le nie en Allemagne. Toujours est-il qu'avant ce
voyage, en septembre 1865, l'ambassade de Prusse
faisait publier à Paris une brochure anonyme (La con-
vention de Gastetn), où tout le programme de 1866 était
exposé , Kossuth et Garibaldi évoqués , le rôle de la
Prusse en Allemagne présenté comme identique « au
rôle d'initiateur que la France de la révolution a joué eu
Europe », l'alliance franco-prussienne exaltée comme
« devant faire triompher en Europe la cause de la civi-
lisation et de la liberté. » Quelques journaux de la démo-
cratie césarienne montraient à la même époque la Prusse
comme « le pivot de la révolution en Allemagne », déve-
loppaient la théorie de la formation nécessaire des grands
états, en ajoutant « que plus les états limitrophes sont
puissants et plus il y a d'égalité entre leurs forces,
moins il y a de chances de guerre », et que dès lors la
France, sans réclamer les provinces rhénanes , n'avait
« qu'à garder une attitude expectante et une neutralité
bienveillante. » (Voir la brochure : la Politique de la
Prusse, 1866, chez Dubuisson). Ce furent ces thèmes va-
riés que dut développer M. de Bismark à Biarritz vis à
vis de son nébuleux et absurde auditeur. Ajoutons qu'on
ne prévoyait pas les si rapides succès de la campagne
de sept jours et qu'on croyait l'armée autrichienne la
première après celle de la France.
Le calcul de Napoléon III était en somme de laisser
les deux puissances se combattre, s'affaiblir, puis, quand.
Tune des deux trop victorieuse menacerait « de rompre
l'équilibre et de modifier la carte de l'Europe aU profit
d'une seule d'elles » — ainsi qu'il l'écrivait le 11 juin
1866 à M. Drouyn de Lhuis — d'intervenir en juge du
camp et de forcer les adversaires à accepter ses plans.
ENTREVUE DE BIARRITZ — MISSION GOVONE 295
d'est sous rinfluence de ces chimères qu'il laissa M. de
Bismark repartir de Biarritz (octobre 1865) avec sa li-
berté d'action et que, dans son discours du trône du
22 ja^^ier 1866, il déclara « qu'à l'égard de rAllemagne,
il continuerait une politique de neutralité qui nous laisse-
rait étrangers à des questions où nos intérêts ne sont
pas directement engagés. » C'est quatre jours après cette
déclaration, qui met dans une si pleine lumière la saga-
cité et la perspicacité de Napoléon III, que M. de Bis-
mark commença la campagne diplomatique, préface de
la campagne militaire. Le prétexte fut la conduite des
représentants de l'Autriche dans les Duchés.
Tandis que le général prussien de Manteuffel admî-
Distrait le Slesvig en faisant de la compression à ou-
trance, le général autrichien de Gablentz montrait un
vrai libéralisme dans le Holstein, ne tourmentait pas la
presse et tolérait les assemblées populaires. Le 26 jan-
vier M. de Bismark se plaignit dans une longue dépèche
au baron de Werther que l'Autriche se fît le champion
de la révolution dans les Duchés et manifestât en toute
occasion des sentiments hostiles à la Prusse. M. de Mens-
dorf répondit avec modération, ce qui n'empêcha M. de
Bismark, dont le siège était fait, de répUquer que les
relations de la Prusse et de l'Autriche « cessaient d'être
cordiales ». Le 23 février, une conspiration renversait
dans les principautés, avec le concours du consul de
Prusse, le prince Gouza au proOt d'un HohenzoUern.
Le 28 février, se tenait à Berlin un mystérieux grand
conseil où sans aucun doute les voies et moyens furent
définitivement adoptés. En même temps l'aUiance ita-
lienne, ébranlée par la convention de Gastein, était
reprise et La Marmora envoyait à Berlin le général Go-
vone sous prétexte d'étudier « le système des fortifica-
tions prussiennes » (10 mars). Le 11 mars enfin uu
acte décisif se produisait : Guillaume signait un édit qui
édictait les peines les plus sévères contre toute per-
sonne coupable de porter atteinte par ses actes et par
296 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
ses paroles aux droits souverains de la Prusse et de
TAutriche dans les Duchés ou dans Vun des Duchés. La
Prusse intervenait ainsi dans l'administration du Hols-
tein. M. deMensdorf fit demander à M. de Bismark s'il
avait rintention de rompre violemment la convention de
Gastein. « Non, répondit le ministre prussien, mais sî
j'avais cette intention, vous répondrais-je autrement? »
(16 mars).
L'Autriche arma aussitôt et concentra des troupes en
Bohème. On a vivement débattu le point de savoir la-
quelle des deux puissances avait pris l'initiative des ar-^
mements. Question secondaire, car la Prusse, par le fait,
était depuis plusieurs années dans un état perpétuel
d'armement et l'Autriche n'eut que le tort de ne pas
commencer plus tôt. M. de Bismark en profita pour
lancer sa fameuse circulaire du 24 mars qui dénonçait
les armements voisins et demandait à l'Allemagne régé-
nérée par une constitution nouvelle de se défendre contre
l'agresseur. Les états secondaires invitèrent la Prusse à
porter le différend devant la diète, selon l'article onze
du pacte fédéral. M. de Mensdorf releva dans une dépê-
che avec une véritable éloquence les fantastiques accu-
sations de la Prusse. M. de Bismark signa le 8 avril une
alliance ofiTensive et défensive avec l'Italie.
Les négociations avaient été laborieuses. M. de La
Marmora avait peu de confiance dans le trop habile
ministre prussien et craignait qu'après s'être servi de
ntalie comme d'un épouvantail pour amener l'Autriche
à ses vues, M. de Bismark ne l'abandonnât. Il se méfiait
aussi de la politique si exactement neutre de la France,
qui faisait le même accueil à M. de Goltz qu'à M. de
Metternich. Aussi en même temps qu'il envoya le géné-
ral Govone à Berlin, il envoya le comte Arese à Paris :
celui-ci n'obtint que de vagues déclarations, réservant
toutes les éventualités, sauf celle acceptée de l'annexion
de la Vénétie. Le général Govone lui-même, aidé de l'en-
voyé italien à Berlin, M. du Barrai, eut une rude besogne
PRÉLIMINAIRES DE SADOWÀ 297
avec le retors Otto de Bismark. Il fut enfin convenu que
la Prusse attaquerait la première, que Tltalie se met-
trait aussitôt en campagne, qu'aucune des deux alliées,
n'accepterait de trêve séparée, que l'Italie s'annexerait
la Lombardo-Vénétie, et la Prusse des territoires équi-
valents en Allemagne, que si la guerre n'éclatait pas
dans les trois mois de la date du traité, chacune des
parties reprendrait sa liberté et qu'enfin la Prusse don-
nerait à l'Italie, dont les finances étaient dans le plus
triste état, un premier subside de cent vingt millions.
Le 9 avril, M. de Bismark saisit la diète d'un projet
de réforme fédérale où il demandait « la convocation
d'une assemblée issue des élections directes et du suf-
frage universel de toute la nation germanique : cette
assemblée discuterait les propositions des gouverne-
ments allemands touchant la réforme fédérale. » C'était
un parlement de Francfort avec l'exclusion de l'Autri-
che. Et cependant, celle-ci faisait des efforts pour con-
jurer la crise et avait proposé, le 7 avril, le désarme-
ment simultané d'elle et de la Prusse. M. de Bismark
répondit favorablement, mais alors il poussa en avant
lltalie qui déclara que l'Autriche armait en Vénétie et
concentrait des troupes sous les ordres de l'archidue
Albert, et prévint l'Europe qu'elle se mettait sur ses
gardes (27 avril). Le Prussien déclara, à son tour, que
les armements de l'Autriche en Vénétie ne pouvant
être dirigés contre lltalie innocente et paisible , de-
vaient viser indirectement l'Allemagne et que, par con-
séquent, il ne désarmerait pas. Et pendant ce temps,
M. de Bismark avait à combattre les scrupules du roi
GuiUaume, les objections du parti de la croix qui l'accu-
sait de pactiser avec la révolution, et l'opinion publique
elle-même qui, à Cologne, à Magdebourg, à Stettin, à
Kœnigsberg, faisait des démonstrations en faveur de la
paix. En France, l'opinion aussi devenait hostile à la
Prusse, et M. Thiers prononçait, le 3 mai, son prophé-
tique discours sur les affaires d'Allemagne. Enfin, le^
17.
â88 HISTOIRE DE L' AUTRICHE
gouvernement italien lui-même, auquel M. de Bismark
avait fait entrevoir qu'il considérait le traité secret du
8 avril comme n'étant pas bilatéral, déclarait qu'il pre-
nait l'engagement de ne pas attaquer l'Autriche, décla-
ration que M. Rouher Usait à la tribune pour détruire
l'effet du discours de M. Thîers.
Peut-être cette situation générale des esprits eût-elle
retardé le conflit quand, le 6 mai, Napoléon III pro-
nonça son fameux discours d'Auxerre, où « il déclarait
détester, comme la majorité du peuple français, ces
traités de 1815 dont on voulait faire aujourd'hui Tuni-
que base de notre politique extérieure. » C'était pres-
que une déclaration d'alliance avec la Prusse et lltalie :
du moins l'opinion publique, tant en France qu'en Eu-
rope, l'interpréta comme telle, et M. de Bismark n'eut
plus de peine à triompher des scrupules du roi Guil-
laume. Napoléon III, peut-être effrayé lui-même dç
Teffet de ses paroles, mit cependant en avant l'idée d'un
congrès, ce congrès philosophai qu'il rêva toute sa vie.
Le programme, formulé par M. Drouyn de Lhuis dans
une circulaire du 24 mai, comprenait : « La question
des Duchés de l'Elbe, celle du différend italien et celle
des réformes à apporter au pacte fédéral, en tant que
ces réformes pourraient intéresser l'équilibre européen. »
La Prusse, convaincue que la proposition ne pouvait
aboutir, se donna le mérite d'accepter l'idée du con-
grès. L'Autriche refusa : elle n'admettait pas qu'on lui
demandât de céder la Yénétie que des traités lui avaient
assurée sans conditions, quand on ne demandait pas à
la Russie, non-seulement de céder la Pologne, mais d'y
exécuter les conditions que ces mêmes traités avaient
stipulées. On ne lui offrait même pas de compensations
territoriales, tandis qu'on paraissait reconnaître à la
Prusse le droit de s'arrondir des Duchés et qu'on admet-
tait que lltalie s'arrondit de la Yénétie. Elle demandait
de plus pourquoi on n'avait pas exécuté les traités de
Villaft'anca et de Zurich. Il est certain qu'au point de
LA RÉSOLUTION DU 44 JUIN — Ï.A GUERRE 399
vue du vieux droit européen, l'Autriche avait raison. A
Vienne, non-seulement on était résigné à la guerre,
mais on la considérait comme salutaire à l'Émpijce.
D'ailleurs, l'Autriche victorieuse pourrait faire la cession
qu'elle refusait avant la guerre, et elle n avait pas laissé
ignorer à la France qu'on l'y trouverait alors disposée,
moyennant une compensation territoriale.
Le i" juin, l'Autriche soumit à la diète d^e Francfort
la question du Slesvig-Holstein. En même temps, elle
ordonna au général de Gablentz de convoquer les Etats
du Holstein « pour recevoir les vœux du pays sur son
sort à venir. » La Prusse déclara aussitôt la conventioi}
de Gastein violée et donna ordre au général de Man*-
teufifel, de faire rentrer ses troupes dans le Holstein^
■que les Autrichiens, inférieurs en forces, évacuèrent le
11 juin. Le même jour, l'Autriche en appela à la diète
«outre la Prusse et demanda qu'on mobilisât l'armée de
la confédération, pour procéder à une exécution, fédé-
rale contre son ennemie. Le 14 juin, cette motion fut
adoptée par 9 voix contre 5. M. de Bismark répliqua
par une circulaire, où il déclarait que la confédération
germanique n'existait plus et que, dans la nouvelle con-
fédération qu'organiserait le futur parlement allemand,
l'Autriche ne serait pas admise. Puis, en quatre jours»
il fit occuper le Hanovre, la Saxe et la Hesse électorale
(du 15 au 18 juin).
En même temps l'Italie se mettait en can^pagne ;,La
Marmora partait, le 17 juin, pour son quartier général
«et on formait un corps de volontaires sous les ordres de
ôaribaldi. L'envoyé prussien à Florence, M. d'Usedpm,
proposa à l'armée italienne, comme plan de campagne,
de marcher sur Vienne sans s'attarder au siège du qua-
drilatère, de jeter Garibaldi sur les côtes de Dalmatie
pour soulever les Slaves, tandis que la Prusse essaierait
de soulever les Magyars au nom de Kossuth. La Marr.
mora refusa.
Alors commença cette guerre qui révéla tant de
900 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
choses ignorées de l'Europe et donna des leçons dont
l'imbécile régime impérial sut si peu profiter. La Prusse,
vouée toute entière à l'idée de venger Thumiliation
d'Olmûtz, s'était préparée en siLence. L'étude straté-
gique des chemins de fer et leur emploi, l'armement
par le fusil à aiguille, la connaissance topographique
approfondie des théâtres probables de la guerre tels
que la Bohème, les ressources pécuniaires, les plans de
de Moltke, tout était à point. De plus, les forces morales
étaient immenses : il y avait dans cette armée, com-
posée de toutes les classes de la nation, une ardente
unité de patriotisme, une foi farouche dans la mission
historique de la nation jointe à l'excitant souvenir des
revers passés et de l'année de honte mil huit cent cin-
quante.
L'Autriche, au contraire, ne s'était renouvelée en
rien. Son armée, d'une incontestable bravoure, avait
encore, sauf en son admirable artillerie, l'armement an-
cien, et ses généraux ne connaissaient que la vieille tac-
tique. De plus, l'unité morale y manquait : dans l'armée
qui se battit à Kœniggraetz, il y avait 23 régiments
allemands, 23 hongrois, 13 polonais, 7 italiens et encore
les régiments hongrois étaient-ils mélangés de Croates,
de Serbes et de Roumains. C'était une Babel militaire,
image de la Babel nationale. La concentration s'opéra
lentement. Ce ne fut que vers le milieu de juin que
Bénédek compta sous ses ordres 263,000 hommes et
752 canons : il fut rejoint de plus, du 16 au 18, par la
petite armée saxonne de 23,000 hommes et 60 canons.
On avait envoyé, en ItaUe, 164,000 hommes des meil-
leures troupes. La Prusse, elle, avait rapidement amené
à la frontière austro-saxonne, grâce à ses chemins de
fer, 254,000 hommes avec 800 canons, commandés en
chef par le roi Guillaume et divisés en trois armées :
première armée sous les ordres du prince Frédéric-
Charles, armée de Silésie sous ceux du prince royal, et
armée de ITElbe sous ceux du général Herwarth.
]
BATAILLE DE SADOWA 30f-
La Prusse opéra avec rapidité dans le double but
d'assurer les communications entre les deux parties de^
la monarchie et de couper les Autrichiens des Bavarois.
Dès le 18 juin, Herwarth entrait à Dresde et, le 20 juin,
la Saxe toute entière, que Bénédek n'avait pas occupée,,
était aux mains prussiennes. La Hesse électorale fut
envahie le 19 par Falkenstein et l'Électeur transporté
à Stettin. Le 22, le Hanovre subit le même sort et,
le 28, la petite armée hanovrienne, qui cherchait à
gagner la Bavière, livra le sanglant combat de Langen-
salza et capitula le 29. Les Autrichiens étaient isolés des
Bavarois et n'avaient plus à compter sur le secours de
l'armée fédérale.
Bénédek, dans son orgueilleuse confiance, commit
fautes sur fautes. Il croyait que les Prussiens tente-
raient de s'ouvrir le chemin de Vienne par la Silésie et
Olmûtz, et il manœuvra constamment sous l'empire de
cette fausse idée. Il les attendit en Bohème pour les
battre successivement, à la sortie des défilés. Mais les
Prussiens envahirent à la fois, par le nord-ouest et par
le nord-est, les 23 et 24 juin. Le premier combat eut
lieu le 25 à Liebenau, où l'on constata les terribles
effets du fusil à aiguille : l'effet moral fut énorme. L'ar-
mée de l'Elbe défit Glam-Gallas, à Gitschin, le 27. Enfin,
Bénédek échoua dans son dessein d'attirer l'armée du
prince royal à Kœniginhof pour la battre , et , le 27,
Steinultz battit Gablentz à Nackod et le força à se
retirer sur Skalitz ; puis, les jours suivants, il remporta
une série de succès qui permit à l'armée du prince royal"
de se concentrer et de se mettre en communication
avec l'armée de Frédéric-Charles. La grande bataille
était inévitable. Bénédek choisit, pour la livrer, la posi-
tion depuis longtemps étudiée de Sadowa, adossée à
l'Elbe. Les Prussiens résolurent de l'y attaquer, bien que
le prince royal fût à cinq lieues de là, et de soutenir
tout le choc de l'armée autrichienne pour lui donner le
temps d'arriver. La bataille s'engage^ le 4 juillet. A
a02 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
deux heures les Prussiens étaient tenus en échec sur
toute la ligne : mais à ce moment Tarmée du prince
royal arriva, se mit en ligne et attaqu«^ Textrème droite
des Autrichiens ; un des généraux du prince, Hiller, s'em*
para, au cœur même de Tarmée autrichienne, de la posi-
tion dominante et décisive de Ghlum que Bénédek ne put
reprendre. A trois heures et demie, les Prussiens débus-
quaient les Autriciiiens de toutes les hauteurs et chan-
geaient leur retraite en déroute : des milliers de kai-^
serlicks se noyèrent dans TElbe. Les Autrichiens lais-
saient entre les mcdns de Tennemi 20,000 prisonniers,
7 drapeaux, 160 canons, et comptaient 4,861 morts el
13,920 blessés.
Bénédek demanda un armistice qui fut refusé. L^Autri-
che soUicita alors la médiation de Napoléon III, auquel
François-Joseph remit la Yénétie dans la nuit même du
4 juillet. Guillaume consentit, mais à condition que TAu-
iriche acceptât préalablement certains préliminaires de
paix, et, tout en continuant de marcher sur Vienne par
Olmûtz, Brûnn et Iglau. L*armée dltalie avait été rap-
pelée avec le vainqueur de Gustoza, rarchiduc Albert,
nommé généralissime, qui se concentrait sur la rive
gauche du Danube. Le 18 juillet, le quartier-général
du roi de Prusse fut porté à Nikolsbourg, à dix milles
de Vienne. La résistance était difficile : Albert n'avait
que 20,000 hommes, en partie désorganisés, à opposer
aux armées prussiennes portées par des renforts i
246,000 hommes. Le 26, les préliminaires de paix furent
signés à Nikolsbourg, et le 29 Guillaume repartit pour
Berlin.
Les Prussiens n'avaient pas été moins heureux sur le
Mein où Falkenstein fit une campagne remarquable.
L'armée fédérale, qui comptait dans ses rangs 12,000 Au-
trichiens, évita constamment des engagements décisif,,
mais fut non moins constamment repoussée, trompée,
coupée par la rapidité et la science des généraux prus-
siens qui s'avancèrent jusqu'à Darmstadt, à Heidelberg
BATAILLE DE GUSTOZZA 308
«t dans le nord du Wurtemberg. Le 16 juillet ils avaient
pris Francfort d*où la diète s'était enfuie le 14, un moia
juste après le fameux vote de mobilisation. On sait com-
ment ils punirent cette malheureuse ville de ses sympa-
thies autrichiennes, la contribution de 25 000 000 de flo-*
nns de Manteuffel, le suicide du bourgmestre, Thisto-
rique menu des réquisitionnaires prussiens. L'armistice
de Nikolsbourg s'étendit à la Bavière, au Wurtemberg,
à Bade et à la Hesse grand-ducale.
Vaincus en Allemagne, les Autrichiens avaient été
vainqueurs en Italie : Victor-Emmanuel et La Marmora
avaient vu battre en quelques heures l'armée qu'ils pré*
paraient si soigneusement depuis six ans. Cette armée
de 225,000 hommes à mettre en ligne, commandée par
Gialdini, Brignone, Govone, Sirtori, Medicî, Bixio,
Pianelli, s'appuyait à un corps de 40,000 volontaires
sous les ordres de Garibaldi et à une flotte puissante
qui devait combiner ses mouvements avec elle. L'Au-
triche lui opposait l'invincible front du quadrilatère et
200,000 hommes dont 20,000 gardaient la vallée supé-
rieure de l'Adige du côté du Tyrol, 25,000 occupaient
llstrie, Trieste et Pola; 10,000 observaient le littoral de
la Dalmatie où on craignait un débarquement de Gari-
baldi, et 55,000 tenaient garnison à Vérone, Mantoue,
Peschiera, Legnago et Venise. Le général en chef autri-
chien était l'archiduc Albert, fils du célèbre archiduc
Charles et avait sous ses ordres les généraux Lichtenstein,
Maroicic, Hartung, Ruprech et Pultz.
Le 20 juin La Marmora adressa à Albert son mani-
feste de guerre. Le 22 il se trouvait sur ce terrain bien
-connu d'opérations où l'avait surpris en 1859 la paix de
ViUafranca. Le 23 il passa le Mincio et entreprit la rude
opération de pénétrer de front dans le quadrilatère,
tandis que Gialdini se disposait à tourner le même qua-
drilatère en attaquant par le Bas-P6 : mais l'archiduc
Albert devina qu'avant que Gialdini accomplît son opé-
ration, il avait deux ou trois jours devant lui pour se
904 HISTOIRE DE L'AUTRIGHE
porter au devant de La Marmora. Le 24, quittant ses po-
sitions entre Vérone, Vicence et Padoue, il se déploya
devant l'armée italienne qui marchait à l'aventure et
ne le croyait pas si près. La bataille s'engagea auprès de
Gustoza : perdue par les Italiens à dix heures et demie
du matin, elle fut rétablie en leur faveur entre midi et
deux heures, puis définitivement perdue de deux heures
au soir par le manque de coordination des mouvements
des divisionnaires italiens et par la faiblesse de la direc-
tion supérieure. L'armée italienne se mit en retraite.
Lltalie ne fut pas plus heureuse sur mer. Elle avait
dépensé trois cent millions pour se donner une des plus
belles flottes de l'Europe : ses cuirassés construits en
Amérique et en France, son monitor VAffondatore à
l'artillerie formidable, ses canonnières devaient anéantir
d'un seul coup la vieille flotte autrichienne mal armée
et montée par des équipages de Dalmates et de Véni-
tiens. L'amiral italien était Persano, l'autrichien Te-
gethof. Persano appareilla le 16 juillet pour s'em-
parer de Lissa, grande île de la côte de Dalmatie et
prendre la revanche de Gustoza. L'attaque eut lieu du
17 au 19, et le 20 Tegethof accourut à la tète de tous ses
bâtiments au secours de la forteresse. Avec une audace
merveilleuse et une admirable décision, il massa son
escadre et la lança de toute sa vitesse sur l'ordre mince
si absurdement adopté par Persano. Monté sur le Mclx^
frégate de 600 chevaux, il coula le cuirassé ilRe â^ItaUa
qui disparut dans les flots avec 400 hommes. Le Paiestro
sauta. La flotte italienne, battue par les vaisseaux de
bois de l'Autriche, rentra à Ancône, laissant toutes les
marines de l'Europe en doute de l'efficacité des cui-
rassés.
La paix entre l'Autriche et la Prusse fut signée le
23 août à Prague. Elle stipula que l'empereur d'Autriche
consentait à la réunion de la Vénétie au royaume d'Italie,
qu'il reconnaissait la dissolution de la confédération ger-
manique et ne s'opposerait pas à une organisation nou-
TRAITÉ DE PRAGUE 30&
relie de TAllemagne dont TAutriche serait totalement
3X-clue, qu'il reconnaîtrait l'union fédérale plus étroite
[jui serait fondée par le roi de Prusse au nord de la
li^ne du Mein ; il consentait à ce que les états allemands
au sud de cette ligne contractassent une union qui aurait
une existence internationale indépendante et dont les
\iens nationaux avec la confédération du nord feraient
l'objet d'une entente ultérieure entre les deux parties ;
M transférait au roi de Prusse tous les droits que la paix
de Vienne du 31 octobre 1864 lui avaient reconnus sur
les Duchés de Slesvig et de Holstein, avec cette réserve
que les populations des districts du nord du Slesvig
seraient de nouveau réunies au Danemark, si elles en
exprimaient le désir par un vote librement émis. 11 fut
convenu que le roi de Prusse laisserait subsister la Saxe
dans son étendue actuelle, que l'empereur d'Autriche
reconnaîtrait les modifications territoriales qui seraient
opérées par la Prusse dans le nord de l'Allemagne, que
l'Autriche paierait à la Prusse une indemnité de 20 mil-
lions de thalers versés en trois semaines, que le traité
de commerce et de douane du 11 avril 1865 rentrerait
en vigueur provisoirement, mais que le traité moné-
taire de 1857 serait aboli.
Dès le 18 août des traités particuliers avaient cons-
titué la fédération du nord. La Prusse avait gagné à cette
campagne foudroyante la direction du nord de l'Alle-
magne, la direction militaire du sud, l'exclusion de l'Au-
triche du corps germanique, 1,300 milles carrés de ter-
ritoire et 4 millions et demi de nouveaux sujets, 230 mil-
lions d'indemnités de guerre, des ports militaires et la
certitude qu'elle absorberait tôt ou tard l'Allemagne
entière.
CHAPITRE m
Le dilMBiift. — M. de Beosl. — Bxposé de la Gonstitation de
déeembre et da nteamsaie dualiste. — Gonstitation de la Cis-
leithaaie. — Gonstitation de la Transleithanie. — Lois confes-
sionnelles. — Finances.
Le monde entier crat à la dissolution fatale de rem-
pile autrichien, à reffacement complet de ce qui était
bien plus que lltalie une expression géographique. Le
finù Austrùe retentit dans toutes les appréciations,
même les plus indulgentes Nationalités se haïssant et
aspirant dans le chaos à Tautonomie, effroyable crise
financière et commerciale, le germanisme et le pansla-
visme sollicitant chacun de leur côté les épaves des
vaincus de Sadowa, Tannée humiliée, le décourage-
ment, le peu de sjrmpathie du monde moderne qui
voyait dans la couronne des Habsbourgs le symbole de
l'absolutisme, du cléricalisme et de Toppression des
peuples, tout semblait conjuré pour faire de la Felùc Attf-
tria le plus malheureux des pays. Toutes les formes
constitutionnelles qui lui avaient été appliquées avaient
successivement échoué ; rénumération en était longue :
contîtution octroyée par l'empereur Ferdinand le
25 avril 1848 ; constitution octroyée par François- •
Joseph en mai 1849 et révoquée par la patente da
31 décembre 1851 ; absolutisme de Schwarzemberg et
LE DUALISME — SON ADOPTION 307
Ag Bach ; diplôme du 20 octobre 1860 revenant au
régime constitutionnel ; fédéralisme timide de M. Golu*
cliowski; constitution centraliste libérale de M. de
Schmerling du 26 février 1861, suspendue par le mani*
f este du 20 septembre 1865 ; essais fédéralistes de Bel-
credi repoussés par la Hongrie et contemporains de ia
crise de Sadowa. Que restait-il à tenter ? 11 ne restait
forcément que le dualisme voulu par les Hongrois,
devenus les arbitres des destinées de Tempire et le
sachant bien.
Le dualisme a deux formes : la première est Tunion
purement personnelle ; les deux parties absolument
indépendantes n'ont de commun que le souverain qui
les gouverne ; tel est l'état de la Suède et de la Nor-
wége, qui vivent chacune avec leurs institutions propres,
leurs chambres, leurs finances, leur armée, sous le
sceptre du monarque de Stockholm. La seconde est celle
où les deux parties reconnaissent qu'elles ont un certain
nombre d'intérêts communs qui doivent être réglés
dans des délibérations communes et par le jeu d'un
mécanisme spécial. Les démocrates hongrois, tels que
Tisza et Ghycky, ne voulaient que l'union personnelle ;
Deak admettait le dualisme mitigé par la reconnais-
sance d'intérêts communs aux deux moitiés de l'empire.
U salua avec joie la sortie de l'Autriche de la confédé-
ration germanique, car c'était de là qu'étaient toujours
venus les plus grands dangers pour les Hongrois, mais
attendant son heure, il ne prêta pas la main à ce que,
pendant la lutte, les exilés de Klapka soulevassent le
pays. Aussitôt la paix de Prague signée, le ministère
Belcredi comprit en effet qu'il fallait satisfaire à tout
prix les Hongrois : il leur accorda un ministère respon-
sable, convoqua la diète et l'invita à préparer un projet
d'accord (Atts^/etcA).
En septembre, François-Joseph déclara que le projet
élaboré par la diète hongroise serait soumis à l'examen
des autres diètes de la monarchie. Il le fut, en effet, le
906 HISTOIRE DE L*AUTRIGHE
19 novembre 1866. Les diètes slaves (Gallicie, Bohème^
Moravie, Garniole, Croatie) le rejetèrent, car. elles ne
voulaient entendre parler à aucun prix du dualisme.
Les diètes allemandes réclamèrent le rétablissement de
la constitution Schmerling suspendue en 1865 et la
convocation du Reicbsrath selon cette constitution.
L'empereur, toujours flottant, s 'effraya des clameurs
des Slaves, et le 2 janvier 1867, il convoqua pour le
25 février un Retcksrath extraordinaire, c'est-à-dire une
assemblée constituante qui discuterait VAmgleïck. Elle
devait être composée de 203 membres. Les Slaves, sûrs
d'y avoir la majorité, applaudirent, mais les Magyars,
non moins sûrs d'y être en minorité, et les Allemands,
certains qu'on y voterait le fédéralisme, réclamèrent
avec une énergie qui amena la chute du ministère
Belcredî. M. Belcredi eut pour successeur, le 7 février,
le baron de Beust, l'ex-ministre de Saxe, tant détesté
de M. de Bismark qui avait refusé de l'admettre à
Nikolsbourg. M. de Beust, avec une grande décision,
renonça au reichsrath extraordinaire et convoqua le
reichsrath ordinaire établi par la constitution Schmer-
ling, mais en le bornant à la Gisleithanie et en lui de^
mandant de ratifier l'accord conclu avec la Hongrie, car
il s'était mis d'accord avec Déak. On dut inventer ces
deux expressions d'une étrange et toute artificielle
géographie pour désigner les deux moitiés de l'empire
séparées par la petite rivière Leitha : Cisleithante (Basse-
Autriche, Haute-Autriche, Saltzbourg, Styrie, Garinthie,
Garniole, Tyrol, Voralberg, Goritz et Gradisca, Istrie,
Dalmatie, Bohême, Moravie, Silésie, Gallicie, Bukovine,
Trieste) et TVansfeiYAanze (Hongrie, Transylvanie, Groatie-
Slavonie, Gonfins, Voïvodie serbe).
Les Slaves étaient absolument sacrifiés : on les livrait
à l'hégémonie des Allemands dans la Gisleithanie, à
celle des Magyars dans la Transleithanie. Les diètes
chargées de faire les élections au reichsrath ordinaire
(18 février) protestèrent énergiquement contre ce dua-
CE QUE c'est que LE DUALISME 309
&inequi les broyait, eux supérieurs en nombre, entre
jux nationalités exclusives et oppressives. L'adresse
la diète de Bohème, votée par 56 voix contre 76,
Lt si vive, que la diète fut dissoute : celle qui la rem-
iaça, grâce aux influences allemandes, consentit à
ienvoyer ses députés au reichsrath. La Gallicie, satisfaite
Ae recevoir pour gouverneur le comte Goluchowski,
envoya aussi ses députés à Vienne. Le reichsrath put se
réunir et délibérer utilement ; il ratifia VAmgkich que
l'empereur avait accepté le 17 février, et qu'avait défi-
nitivement élaboré une commission de 67 députés à la
diète hongroise {Elaborât des 67).
Voyons quels sont les traits de ce compromis qui est
en ce moment la loi de TAustro-Hongrie et qui doit
être renouvelé en la présente année 1877. Nous en don-
nerons d'abord une idée générale, puis nous l'examine-
rons en détail.
Il y a dans l'Austro-Hongrie trois sortes d'aflaires :
d'un côté les affaires cisleithanes, de l'autre les affaires
transleithanes , et au-dessus d'elles les affaires com-.
munes à ce tout indivisible qui forme l'empire. Pour le
règlement de ces trois sortes d'affaires, il y a trois
sortes d'institutions : un ministère et un parlement cis-
leithan — un ministère et un parlement transleithan —
un ministère commun aidé de deux délégations de cha-
eune 60 membres, élues par le parlement cisleithan et
par le parlement transleithan pour une année, et sié-
geant alternativement à Vienne et à Pesth : les déléga-
tions, rouage tout à fait nouveau, sont, à proprement
parler et quelque horreur que ce terme inspire aux Ma-
gyars, un parlement commun émanant des deux parle-
ments spéciaux.
Les deux moitiés de l'empire n'ont d'intérêt commun
que sur les trois points suivants : relations étrangères
— armée — finances. Trois départements ministériels
correspondant à ces trois ordres d'intérêt forment le
ministère commun présidé par le chancelier de l'empire
910 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
qui était alors M. de Beust, qui est maintenant te
comte Andrassy, et auquel est réservé le portefeuille
des affaires étrangères. La Gisleithanie contribue aux
dépenses communes pour 70 0/0 et la Transleithanie
pour 30 0/0. On convint de plus, le i9 novembre 4867,
que la Transleithanie fournirait annuellement, pour
couvrir les intérêts des dettes de TÉtat, une somme
invariable de 29, 188,000 florins.
En dehors de ces intérêts communs, chaque moitié de
l'empire agit dans ses limites comme un état absolu*
ment indépendant : le ministère de Vienne et le parle-
ment cisleithan ou Beîcksratk, le ministère de Pesth et
le parlement transleithan ou Reichstag règlent souve-
rainement tout ce qui concerne le culte, la justice,
l'administration, Tinstruction publique, les chemiiis
de fer, dans leur moitié d*£mpire, et même si Tamiée
hongroise est considérée comme partie intégrante de
l'armée nationale commandée par Tempereur, le Reich-^
stag s'est réservé le droit de régler le mode de recru-
tement, la durée du service et l'entretien des troupes.
Tels sont les traits généraux du dualisme ou com-
promis {Ausgleich) qui constitua tous les états des
Habsbourgs en deux groupes distincts, ayant chacun
un gouvernement et des institutions à part, qui consacra
le droit historique de la Hongrie comme nation souve-
raine, et donna aux Magyars non-seulement l'indépen-
dance nationale , mais encore cette domination sur les
autres races des pays de Saint-Etienne à laquelle ils
aspiraient depuis longtemps. Le pacte fut conclu pour
jusqu'au 31 décembre 1877 et consacré par le sacre
solennel à Pesth de François-Joseph comme roi de Hon-
grie, au milieu d'un enthousiasme monarchique qui
effaça trop facilement le souvenir des héros pendus et
fusillés à Arad (juin 1867). Toute la presse européenne
multiplia le récit de ces pompes gothiques et religioso-
féodales, si chères aux Magyars.
Mais en entrant dans le détail du compromis, nous
MÉCANISME DES DÉLÉGATIONS 311
dlons voir quels inconvénients il présente tant au
[loint de vue de son propre fonctionnement qu'au point
Je vue des autres races de l'empire, et combien provi*
soîre doit être cette solution à la fois compliquée et
injuste, uniquement conçue dans l'intérêt des Allemands
et des Magyars.
Lies deux délégations, de chacune 60 membres, nom-
mées par le Reichsrath de Vienne et le Reichstag de
Pesth pour s'occuper des intérêts communs de l'empire,
et devant lesquelles le ministère commun est respon-
sable, siègent et délibèrent séparément. Un tiers de&
membres est pris dans les chambres hautes des deux
parlements, et les deux autres tiers dans les chambres
basses : ils sont nommés pour un an et rééligibles. Cha-
que délégation nomme son président et son secrétaire
et partage avec le ministère commun le droit d'initia-
tive. Après avoir délibéré chacune séparément, les délé-
gations se réunissent en séance plénière et si, dans cette
Téunion, une des délégations est plus nombreuse que
l'autre, on élimine par la voie du sort autant de mem-
bres qu'il le faut pour rétablir l'égalité. Ces séances plé-
nières se passent dans un profond silence : on se con-
tente de voter sur les propositions mises à l'ordre du
jour et délibérées pour chaque délégation dans sa séance
spéciale, sans pouvoir ni les discuter ni les amender.
Quand une proposition faite par une délégation reste
sans résultat après un échange de trois communication»
écrites, la séance plénière est de droit. Ce sont les Ma-
gyars qui ont exigé ces débats silencieux : 1® pour éviter
jusqu'à l'apparence d'une représentation commune avec
les pays cisleithans; 2^ pour n'être pas obligés d'em-
ployer dans les séances plénières la langue officielle,
c'est-à-dire l'allemand. Les communications écrites de
chaque délégation à l'autre, sont faites dans la langue
nationale de la délégation communiquante, avec tra-
duction authentique. Les résolutions prises par les
délégations en séance plénière et sanctionnées par
312 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
l'empereur, deviennent lois générales de Tempire.
Voilà certes uii étrange mécanisme : dans le but
^l'éviter toute apparence de parlement central, on a ré-
duit les délégations à une véritable impuissance : pas
.plus que le ministère central, elles n'ont d'action sur la
marche des affaires intérieures dans chacune des deux
moitiés de Tempire. « Supposons, dit M. de Laveleye
-avec raison, une question grave sur laquelle Içs deux
parties ne soient point d'accord, il s'agit par exemple
d'une guerre avec la Prusse ou avec la France, com-
mandée par l'intérêt allemand, acceptée par la déléga-
tion cisleithane : la Hongrie, elle, veut la paix. Néan-
jBoins quelques membres de la délégation hongroise
. votant avec ceux de l'autre assemblée, les crédits néces-
saires aux armements sont accordés. Groit-on que les
iroupes et les finances hongroises se prêteraient à Texé-
<;ution d'une décision prise contrairement à la volonté
^e la nation, et s'imagine-t-on que le mécanisme de la
constitution centrale résisterait à cette épreuve ? Le mo-
ment peut donc venir où les délégations deviendraient
Aine occasion de conflits et d'animosités de race, parce
qu'une nation supportera difficilement de se voir liée ou
entraînée par une résolution émanant de représentants
'<iu'elle n'a pas élus. » M. de Laveleye écrivait ceci
en 1868 : la question d'Orient où les Magyars prennent
si âprement parti pour les Turcs, leurs consanguins, va
peut-être nous prouver combien ces prévisions étaient
justes, et combien fragiles sont ces combinaisons artifi-
cielles sorties du cerveau du juriste Déak, pour ré-
pondre aux nécessités d'une situation artificielle elle-
même.
Examinons maintenant la constitution de chacune
des deux moitiés de l'empire.
La constitution de la Gisleithanie, discutée par le
Reichsrath qui se réunit le 22 mai 1867 et sanctionnée
par l'empereur le 21 décembre de la même année (d'où
le nom de constitution de décembre), la première des
CONSTITUTION DE DÉCEMBRE 313
XîOTistîtutions autrichiennes qui n'émanât pas de la toute-
^puissance impériale, consacre les grands principes du
parlementarisme : inviolabilité des députés, initiative,
tiroit d'interpellation, droit de pétition, publicité des
débats, responsabilité ministérielle ; elle établit aussi :
l'égalité devant la loi, Tadmissibilité de tous aux em-
plois publics, l'inviolabilité de la propriété, l'abolition
de toute servitude, la liberté individuelle, la liberté de
penser, la liberté de conscience, l'égalité des races,
ch cune ayant le droit de sauvegarder sa nationalité et
sa langue.
Le Reichsrath ou parlement cisleithan se compose
de deux chambres : celle des seigneurs qui comprend
les princes majeurs de la maison impériale, membres
de droit, ainsi que les 9 archevêques et les 7 évéques
ayant rang de princes — les grands seigneurs proprié-
taires au nombre de 53, membres héréditaires — et les
membres nommés à vie par l'empereur au nombre de
cent ; et la chambre des députés qui comprenait, en 1868,
203 membres élus par les diètes dans leur propre sein,
mais qui en compte maintenant 358, élus, ainsi que
nous le verrons plus tard, par voie d'élection directe,
dans quatre classes d'électeurs de chaque pays. — Les
attributions du Reichsrath, ainsi composé, sont celles
des parlements européens les plus avancés ; les séances
sont publiques.
Le ministère cisleithan comprend un président du
conseil, un ministre de l'intérieur, un ministre des cultes
et de l'instruction publique , un ministre de la justice,
un ministre du commerce et de l'économie nationale,
un ministre de l'agriculture, un ministre des finances,
un ministre de la défense du pays et quelquefois des
ministres sans portefeuille.
Les Etats, dont la réunion forme la Cisleithanie, ont
conservé leurs diètes ou assemblées provinciales, telles
qu'elles ont été organisées par le diplôme de 1860. Elles
sont présidées, au nom du .pouvoir central, par le
A8SELDIE. 18
314 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
gouverneur ou maréchal de la province. Réunies chaque
année, elles sont renouvelées tous les six ans, et leurs
attributions embrassent toutes les questions intéressant
la province. Leurs décisions doivent être revêtues de la
sanction impériale; elles nomment un comité eK.écutif
que préside également le gouverneur ou maréchal^
kquel doit être lui-même membre élu de la diète.
Leur système de recrutement est excessivement corn--
pliqué ; U varie légèrement d*état à état, mais on peut
dire qu'il repose encore sur la représentation par or-
dres, car les députés aux diètes sont élus : 1^ par les
grands propriétaires fonciers; â® par les villes, places
de marché, chambres de commerce et d'industrie;
3^ par les communes rurales. Pour faire partie comme
électeur du premier groupe, il faut payer un cens plus
ou moins élevé selon les états, et être détenteur d'un
ancien domaine seigneurial privilégié d'avant 1848 : ce
détenteur peut être un non noble, excepté en Tyrol où
la noblesse est exigée. Les électeurs^ grands proprié-
taires, peuvent voter par procuration. En un mot, ee
premier groupe comprend l'aristocratie terrienne et
nobiliaire : ses députés, qui sont au nombre de 2â9 sur
les 1016 membres que comptent les 17 diètes cislei-
thanes sont, à proprement parler, les députés de l'ordre
de la noblesse, et quand on pense que la haute chambre
du Reichsrath est presque exclusivement composée de
nobles, on voit quelle part énorme est faite à l'aristo-
cratie dans la Gisleithanie actuelle. Les électeurs du
2* groupe appartiennent au commerce, à l'industrie et
aux professions libérales : ainsi , pour prendre un
exemple, ce groupe envoie 29 députés à la diète de la
Basse-Autriche : à savoir, 9 pour Vienne, 12 pour les
autres douze villes de l'État,. 4 pour les chambres de
commerce et d'industrie. Ce groupe répond à peu près
à notre ancienne bourgeoisie. Le 3* groupe est composé
des électeurs des communes rurales, mais ces électeurs
n'exercent leur droit qu'à deux degrés. Chaque com-
INSTITUTIONS TRANSLIETHANES 315
mune nomme un électeur par 500 habitants, et ce sont
ces électeurs du 2« degré ( Wahlmaenner) qui élisent les
députés à la diète.
Voilà bien des choses bizarres, reste des anciens us
féodaux; telle petite ville fait partie du deuxième groupe
et voit ses électeurs voter directement, tandis que telle
commune réputée rurale et bien plus importante que
les villes déclarées telles par la loi, n'a qu'une voix par
500 habitants. Mais nous constaterions bien d'autres
anomalies encore si nous entrions dons le détail des lois
qui régissent la capacité électorale dans le deuxième
et dans le troisième groupe : tantôt c'est le cens, tantôt
c'est la qualité personnelle du citoyen qui confère cette
capacité : les femmes, excepté dans la Haute- Autriche
et à Vienne, ont le droit électoral à la condition de
l'exercer, soit par leur mari, soit par une procuration
donnée à un tiers.
Les réformes de 1873, qui ont introduit les élections
directes pour le Reichsrath, n'ont pas touché à l'orga-
Hisation des diètes provinciales : celles-ci continuent à
former de vrais petits parlements nationaux, dont quel-
ques-uns comptent un très-grand nombre de membres ;
la diète de Bohème en a 241 , celle de Gallicie 150,
celle de Moravie, 100, etc. Ces diètes seraient des or-
ganes puissants de décentralisation et de progrès, si
elles n'étaient toutes dominées exclusivement par les
idées de nationalité et sous l'influence du fédéralisme
aristocratique et religieux dont le prototype est en
Bohème le parti des Vieux-Tchèques.
Telles sont les institutions cisleithanes : voyons main-
tenant les institutions transleithanes.
A la tète de la Transleithanie se trouve le ministère
hongrois responsable devant le parlement de Pesth ou
Reichstag, Ce ministère — qui commença à fonctionner
le 17 février 1867 — comprend les départements sui-
vants : présidence du conseil, ministre de la cour, mi-
nistère de l'instruction publique et des cultes ; minis-
316 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
tère des voies de communication et des travaux publics;,
ministère des finances; ministère de la justice; minîs-
tère de l'agriculture, de Tindustrie et du commerce;
ministère de la défense du pays ; ministère de l'intérieur.
Plus tard fut créé un ministère pour la Croatie et pour
la Slavonie.
Le Reichstag comprend deux chambres : la chambre
haute ou table des Magnats et la chambre des députés.
La chambre haute se compose de 414 députés : archi-
ducs royaux propriétaires dans le royaume; 31 arche-
vêques, évèques et abbés; 12 bannerets du royaume;
57 palatins supérieurs; 1 comte saxon, 1 gouverneur
de Fiume; 3 princes; 218 comtes, 80 barons et 3 réga-
listes de Transylvanie. Tout cela sent absolument la
féodalité. La chambre ou table des députés comprend
444 membres dont 334 de la Hongrie proprement dite,
75 de Transylvanie, 1 de Fiume, 34 de Croatie et de
Slavonie.
Les députés sont nommés d'après la loi électorale
dé 1848. Cette loi confère le droit de suffrage au haut
clergé, aux cinq ou six cent mille nobles. Magyars, à la
bourgeoisie des villes royales libres, à tous les habitants
de Transleithanie ayant 20 ans, et remplissant l'une
des conditions suivantes : posséder une propriété immo-
bilière de 300 florins — être établi comme ouvrier,
marchand, fabricant pour son propre compte, avec
l'aide d'un employé permanent — jouir d'un revenu
annuel d'au moins 100 florins — exercer une profession
libérale ou appartenir à une classe instruite - être
bourgeois permanent d'une ville. C'est presque le suf-
frage universel.
Le comitat, ce foyer de la vie politique hongroise, a
été conservé et amélioré par la diète de 1848. Chaque
comitat a son assemblée ou congrégation régulièrement
élue et un préfet {cornes ou foïspan), nommé par l'empe-
reur et presque sans attributions. Les villes libres royales
sont indépendantes des comitats et du pouvoir central
INCONVÉNIENTS ET INIQUITÉ DU DUALISME 317
et élisent tous leurs fonctionnaires, depuis le maire
jusqu'à Tingénieur; c'est l'application la plus étendue
qu'il y ait en Europe du self-govemment.
Tel est le dualisme au point de vue de son fonction-
nement intérieur. C'est, on le voit, un organisme d'une
énorme complication, préparé dès 1865 par Déak en tous
ses traits, et établi par l'accord du même Déak le Ma-
gyar et du Saxon de Beust. Mais si on se place au point
de vue des diverses nationalités de l'Austro-Hongrie et
surtout au point de vue Slave, quels inconvénients et
quelle iniquité I Et comme on comprend bien les protes-
tations des races sacrifiées I
Le dualisme ne prononce même pas le nom des Slaves,
c'est-à-dire de la nationalité qui a la majorité numéri-
que dans l'empire I Les 8 millions 1/2 d'Allemands et les
6 millions 1/2 de Magyars se sont tranquillement par-
tagé l'empire sans tenir le moindre compte des 16 mil-
lions de Slaves, sans qu'il fût même question d'eux.
Tout ce qui n'est ni Hongrois ni Allemand est devenu
sujet des Allemands dans la Gisleithanie, des Hongrois
dans la Transleithanie : les Slaves du Nord sont germa-
nisés, les Slaves du sud magyarisés. La veille de la signa-
ture de l'Ausgleich , le grand historien national des
Slaves de Bohème, Palacky, s'écriait éloquemment : « Si
l'on se décide à établir ce qui est le contraire de la mis-
sion de l'Autriche, si cet empire composé d'un assem-
blage de peuples et unique dans son genre, refusant
d'accorder à tous les mêmes droits, organise la supré-
matie des uns sur les autres; si les Slaves, considérés
comme une race inférieure, ne doivent plus être qu'une
matière à gouvernement entre les mains des deux peu-
ples dominateurs, alors la nature reprendra ses droits ;
une résistance inflexible changera l'esprit de paix en
esprit de guerre, l'espérance en désespoir, et l'on verra
s'élever des conflits, éclater des luttes dont nul ne sau-
rait prévoir la direction, l'étendue et la fin... Nous exis-
tions avant l'Autriche, nous existerons après elle. » Ces
18.
818 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
protestations furent inutiles : jusqu'en 1886, le gouver*
nement allemand de Vienne avait combattu les Magyars
et les Slaves : trop faible contre ces deux adversaires^
U s*allia avec l'un, les Magyars, pour combattre l'autre,
les Slaves, faisant ce qu'on appelle la part du feu, mais
il ne comprit pas, ce jour-là, que ses Allemands gravite^
raient vers l'unité germanique , qu'il forçait ses Sla*
ves à graviter vers l'unité slaviste représentée par là
Russie et que de la vieille Autriche il ne pourrait rester
que la Hongrie écrasée entre le pangermanisme et l6
panslavisme. Si le dualisme ne se change pas en fédé^
ralisme respectant l'autonomie de chaque nationalitéi
nous vivrons peut-être assez pour voir se réaliser cette
hypothèse d'une Autriche réduite à la Hongrie.
La lutte des Slaves et des Roumains contre cette coa-^
lition des Allemands et des Magyars qu'on appelle le
dualisme forme la véritable histoire des dix années de
l*Bmpire d'Autriche depuis Sadowa. Le peu que nous
venons de dire doit faire excuser l'énergie et comprendre
la légitimité des revendications qui n'ont cessé de sa
produire à Prague, à Agram, à Lemberg, à Karlovics et
à Klausenbourg.
Le ministère commun fut constitué le 24 décembre
1887 et ses trois portefeuilles furent ainsi distribués :
affaires étrangères au comte de Beust, finances au
baron de Beck, guerre au général John. Le !•' janvier,
le ministère cisleithan se constitua de la façon suivante :
prince d'Auersperg, président, docteur Giskra à l'inté-
rieur, M. de Brestl aux finances, M. Herbst à la justice,
M. de Hasner à l'instruction publique et aux cultes, le
comte de Taaffe à la guerre et à la sûreté publique,
M. de Plener au commerce, le Polonais comte Potocki à
l'agriculture, M. Berger ministre sans portefeuille.
Le ministère et le Reichsrath avaient une lourde
tâche, celle de reconstruire l'Autriche au point de vue
des idées modernes, en la dotant d'une législation libé-
rale qui fit disparaître les dernières traces de l'absolu-
RÉFORME RELIGIEUSE : LOIS CONFESSIONNELLES 919
. En même temps il fallait lui donner une organi-
d«ttion militaire autre que celle qui avait succombé à
iowa et travailler à sa prospérité industrielle et com-
erciale, seul remède à son délabrement financier. On
mit courageusement à ce lourd labeur dont François^
oseph, on peut lui rendre cette justice, favorisa de tous
efforts Taccomplissement.
Le premier point était d'arracher la nouvelle Autriche
joug clérical sous lequel lavait placée le concordat
1855. Une grande agitation se manifestait à cet égard
^ans Topinion qui sentait parfaitement qu'un pays es->
dave de Rome ne se régénérerait jamais. Les pétitions
•dans ce sens affluaient au Reichsrath et les publications
«nti-concordataires se multipliaient. Le ministère ne fit
^ju'obéir à ce mouvement en présentant au Reichsrath
en octobre 1867, les lois sur le mariage et sur les écoles*
la loi sur le mariage était timide : le mariage, célébré
devant le prêtre qui en tiendrait acte, ne serait de la
compétence des autorités civiles qu'au refus du prêtre;
les causes matrimoniales seraient jugées par les tribu-
naux laïques. Elle n'en souleva pas moins des tempêtes
et les ultramontains s'écrièrent que l'esprit de Joseph II
faisait son retour en Autriche. A la chambre des dépu*
tés, les députés de la Garinthie et surtout de l 'ultras-
catholique Tyrol, l'abbé Pintar, le fameux abbé Greuter,
l'abbé Degara défendirent violemmentle concordat. Ils fu-
rent éloquemment combattus par un grand nombre d'ora*
teurs, tels que M. Hormuzaki qui fit un tableau saisissant
des effets du concordat dans la Bukovine, M. de Weichs,
M. Berger, le D' Mûhlefeld, député de Vienne, qui dé-
montra l'insuffisance de la loi, etc., etc. Cette belle disr
cussion peut encore se lire avec profit dans les pays
asservis au cléricalisme ou troublés par les prétentions
ultramontaines. La loi fut adoptée. La discussion fut
encore plus vive à la chambre haute, où comme tou-
jours l'aristocratie et l'Eglise étaient coalisées. Les car-
dinaux de Schwartzenberg, Rauscher, les féodaux de
320 HISTOIRE DE L'AUTRICHE
Thun, Giam-Martinitz, de Mensdorf-Pouilly, le comte
Rechberg, le professeur Arndts déclarèrent que TAu-
triche n'avait pas le droit de rompre le concordat sans
le consentement de Rome. Le ministre Hasner leur
répondit en invoquant hardiment Joseph II et les droits
de Tétat laïque. Le comte Antoine Auersperg fut étiace-
lant de verve et de raison et prouva que le concordat
n'avait pas même amené Tamélioration morale. Les
Schmerling, les Hartig, les Lichstensfeld développèrent
la thèse : « L*£glise libre dans TÉtat libre. » La cham-
bre haute vota la loi le 23 mars 1868 par 65 voix
contre 45; Vienne illumina; c'était le premier pas de
l'émancipation. La loi sur les écoles, destinée à soustraire
l'enseignement à la tutuelle de l'Eglise, eut le même
sort. La discussion, nourrie de faits et de chiffres, prouva
combien les Autrichiens étaient en arrière des autres
nations sous le rapport de l'instruction, qui avait même
reculé depuis 1855 ; le congrès des instituteurs, tenu
les 5, 6 et 7 septembre 1867 dans une des salles même
du palais impérial, du vieiix burg des Habsbourgs,
l'avait pleinement mis en lumière. La chambre des
députés vota; la chambre haute, après avoir entendu
contre la loi le comte Léo de Thun, chef des vieux
Tchèques, et pour, l'éloquent physiologiste Rokitansky,
la vota également (31 mars). Enfin une troisième loi,
appelée loi interconfessionnelle et destinée à mettre fin
aux luttes entre les diverses confessions et à régler les
mariages mixtes, fut également adoptée le 14 mai.
L'empereur n'allait-il pas apposer son veto aux nou-
velles lois ? Tout fut mis en œuvre par le clergé pour
agir sur François-Joseph : on comptait sur l'influence
de la jeune et belle impératrice qui était sur le point
d'accoucher et à laquelle Pie IX envoya des reliques.
Les semaines s'écoulaient : l'opinion publique était
ilans une grande anxiété. Enfin le 25 mai, l'empereur
sanctionna les lois confessionnelles.
Rome protesta et le clergé autrichien se prépara à la
RÉSISTANCE DU CLERGÉ AUTRICHIEN 321
irésistance : le 26 mai 1868, le nonce Falcinelli adressa
£l h. de Beust la plus blessante et la plus audacieuse
des protestations. A Rome, l'envoyé autrichien comte
Crivelli échoua dans toutes ses négociations pour un
arrangement amiable. Enfin le 22 juin, dans le consis-
toire, Pie IX prononça une allocution véhémente qui
annulait les lois votées par le Reichsrath et sanctionnées
par l'empereur et imposait aux peuples d'Autriche la
désobéissance à ces lois. Le clergé autrichien avait
commencé la lutte. Dès février, Tévêque de Linz, Rudi-
ger; le 5 juin, Tévêque de Saint-Poelten, Fessier; le
12 juin, Tévêque de Brûnn; quelques jours après toutTé-
piscopat de Bohème et à sa tète le violent évèque d'Ol-
mûtz lancèrent des mandements provoquant à la déso-
béissance aux lois. Cette conduite ne fit que soulever
rindignation publique. M. de Beust rappela M. de Mey-
senbug, son nouvel envoyé à Rome, et tint fermement
la main à Texécution des lois confessionnelles . Le
12 septembre, une nouvelle lettre pastorale du fou-
gueux Rudiger fut saisie et déférée aux tribunaux et son
auteur poursuivi, ce qui abolissait en fait l'article 14 du
concordat exemptant les ecclésiastiques de la juridic-
tion civile. L'évèque de Prague fut aussi poursuivi. Les
10 et 20 janvier 1869, la cour suprême de cassation
rendit deux arrêts soumettant les ecclésiastiques à la
juridiction civile. Le 5 juin, M. Rudiger fut conduit de
force devant le juge d'instruction; le 11 juillet, la cour
d'assises de la Haute-Autriche condamna le prélat à
quinze jours de prison pour tentative de perturbation
de la tranquillité publique. L'impression fut immense
dans toute la Gisleithanie et un troisième envoyé autri-
chien à Rome, M. de Trautmannsdoff, communiqua au
Saint-Siège une dépèche très-ferme de M. de Beust. L'af-
faire de la sœur Barbara Ubryk trouvée enfermée dans
un cachot du couvent des CarméUtes de Cracovie
(22 juillet 1869) porta un nouveau coup à l'influence
cléricale et mit à l'ordre du jour la question de la sup-
332 HISTOIRE DE L'AUTRIGHB
pression des couvents et de Texpulsion des Jésuites. En
1868, le clergé autrichien possédait un milliard et demi
de biens-fonds : Tévèché de Gran avait 500,000 florins
de revenu (un million 250,000 francs), celui d'Olmûtz
300,800 florins; de Prague, 71,680 florins; de Saint-
Florentin 95,000 florins. Certains couvents avaient des
revenus de 200,000 florins.
L*Autriche, en même temps qu'elle s'arrachait au
joug mortel du clergé, poursuivait son or^nisation
civUe et militaire. La loi sur le jury, présentée le
12 mai 1868, fut définitivement votée en 1869. En mai
et juin 1868, on discuta avec une grande animation les
lois de finances : la situation était désastreuse et il
fallait de. prompts et énergiques remèdes. Ces diverses
lois furent votées du 6 au 12 juin, et promulguées le
20 juin. A la fin de 1867, la dette de rAutriche ne
comptait pas moins de 68 catégories diff'érentes de titres
et obligations offrant 14 taux d'intérêt différents. C'était
le chaos. La loi du 20 juin 1868 convertit tous ces titres
en titres d'une dette unique en monnaie d'Autriche,
portant, à quelques exceptions près, 5 0/0 d'intérêt en
monnaie fiduciaire ou, pour certains, en espèces métal-
liques. Un impôt de 16 0/0 non susceptible d'être aug-
menté serait prélevé sur la nouvelle rente 5 0/0. Les
emprunts -loterie seraient passibles d'un impôt de
20 0/0, plus 20 0/0 sur leurs primes. Ces impôts sur
les arrérages nuisirent beaucoup au crédit de l'Au-
triche. La gigantesque opération de la conversion
qui a duré de 1861 au l»"^ janvier 1874, n'en fut pas
moins menée avec ordre et habileté. A la fin de l'an-
née 1873, le total général de la dette publique autri-
chienne était 2,525,280,267 florins, monnaie d'Autriche,
dont 222,021,219 pour la dette dite du rachat foncier.
La loi militaire, ardemment discutée en octobre et no-
vembre 1868, fut votée le 13 novembre ; elle fixait l'ef-
fectif de guerre à 800,000 hommes pour une durée
de 12 ans : le service obligatoire de 3 ans dans l'armée
AMNISTIE EN HONGRIE : LES PARTIS S23
acUye, et 7 ans dans la réserve ; le service de deux ans
dans la Landwehr pour ceux qui sortent de Tarmée
active et de 12 ans pour les autres; enfin la Landsturm
oïl levée en masse. La promulgation de cette loi le
5 décembre fut accompagnée d'une proclamation de
l'empereur disant : « La monarchie a besoin de la paix ;
il faut que nous sachions la maintenir. » La loi sur la
Ijandwehr ne fut votée que le 16 mars 1869.
La réorganisation fut moins laborieuse dans la Trans-
leithanie : la Hongrie coupa court aux luttes confes-
Moanelles en déclarant que le concordat n'ayant pas été
voté par sa diète, n'avait pas force de foi dans les limites
du royaume de Saint-Étienne. Le ministère transleithan
fut complètement formé le 20 février 1867, il était
ainsi composé : Andrassy, président et ministre de la
défense du pays. — Festetios, ministre à latere. — De
Wencke, intérieur. — Horwath, justice. — De Lonyay,
finances. — Eotvos, instruction publique et cultes. —
Gorove, agriculture, industrie et commerce. — Miko,
travaux publics. Nous avons dit que le couronnement de
François-Joseph eut lieu le 8 juin 1867. Le 9 juin,
l'amnistie fut décrétée, et d'illustres bannis, comme les
généraux Klapka, Tûrr, etc., en profitèrent. Le 8 oc-
tobre, la Hongrie fit son premier emprunt national de
150 millions de francs pour étendre le réseau de ses
chemins de fer. Le 1*' février 1868, pour la première
fois, le nouveau mécanisme des délégations fonctionna :
la délégation hongroise siégea à Vienne à côté de la
délégation cisleithane et se montra, surtout dans la
discussion de la loi militaire, très-ombrageuse et très-
susceptible.
. Dans la Hongrie même la lutte des partis était fort
vive. Au parti déakiste, le parti par excellence de la
conciliation et qui avait la majorité, étaient opposés
trois partis vigoureux : 1° la gauche, dirigée par MM. Ke-
glivicz et Jokay, ayant pour organe le journal le Hon
(le Pays) ; — 2® le centre gauche, plus constitutionnel,
' .il
• 1 '
CHAPITRE IV
Politique extérieure. — Fête des tireurs allemands. — Mouve-
ments des nationalités : Bohême; Croatie; Gallicie; Roumains.
— RéTolte du Oattaro. — Serbes. — Ministère Potodd. --
Gndrre franoo^tUemasade. — Ministère Hobenwart. — Eiitre-
Tues d'iBcbl, de Ga^tein et de Saltcboufg. -r- Ctiute de M. de
Beuat : M- Andrassy. — Réforme étectorale de .1873.
Nons passerons rapidement sur les incidents de la
poKtique extérieure de l'Autriche pendant ces années
de réorganisation intérieure et de mise en train du sys-
iètù^ compliqué du dualisme. L'entrevue de Saltzbourg
où l'Empereur et Tlmpératrice' reçurent Napoléon III
et Eugénie fit beaucoup ^parler d'elle, alarma TAllema-
gne, mais ne produisit aucun résultat effectif, pas plus
du reste que le voyage de François-Joseph à Paris
(octobre i86T), à propos de l'Exposition universelle.
Quand l'aiSfetire du Luxembourg faillit fkire éclater la
guerre entre la France et la Prusse, rAutriche se posa
en médiatrice. Un traité entre elle et le ZôUvereiri parut
constater un rapprochement avec la Prusse ; l'Autriche
semblait avoir pris son parti de soù exclusion de l'Alle-
magne. Mais lefe fêtes dû tii* â Vienne du 24 juillet au
5 août 1868 dissipèrent ces illusions et prouvèrent que
la partie allemande de la tnonarchie des Habsbourg»
aspirait à reprendre sa place dans la grande patrie.
DIFFICULTÉS AVEC BÈRLIN — LA BOHÊME 32?
M. Muller, de Francfort, M. Mittermaïer, de Heidelberg,
exprimèrent au nom de TAUemagne du sud des senti-
ments d'amour pour TAutriclie, de haine pour la Prusse,
qui excitèrent à Berlin des transports de fureur et qui
firent la plus fâcheuse impression à Pesth et à Prague.
Il fallut, le dernier jour des fêtes, un habile discours de
M. de Beust pour atténuer TefFet de ces manifestations.
Dans le conflit gréco-turc, TAutriche prit parti pour la
Turquie et, dans le conflit franco-belge, pour la France.
La réconciliation avec Tltalie fut complète, ainsi que le
constata une dépèche de M. de Beust du 19 avril 1869.
La publication dans le livre de l'état-major autrichien ^
sur la guerre de 1866 d une dépèche chiffrée de M. Aé^
Bismark à M. de Goltz en date du 20 juillet 1856, Sou-
leva à Berlin un terrible orage. M. de Beust iut obligé
d*adresser le 6 mai 1869 une dépêche explicative aiii
envoyés de l'Autriche. Peu après, un discours (te M. de
Beust devant les délégations souleva de nouveau une
polémique irritante avec M. de Thil,, ministre.des Affaires
étrangères à BerUn, et provoqua un échange de 4épèn ,
ches acerbes.
Nous avons maintenant à examiner les jpouvi&ments
des nationalités tant en Gisleithanie (BohêmQy Galliicie,
Dalmatie, Carniole, etc.), qu'en Transl^tbaoie (Croate*,»
Serbes , Roumains , etc.), contre le dualisme auatro-
hongrois;
Bohême : La Bohême fut la nation qui protesta le plus
énergiquement contre le dualisme. Elle aurait proféré
le centralisme de SchraerUpg à ce compromis qui lui
donnait deux maîtres : les Allemands et les Magyars* Sa
prétention était d'être traitée en état autonoin.e, Gomm,e
la Hongrie, ayant son parlement, son ministère re$pon^
sable devant ce parlement, 9on roi couronné et la parti*
cipation aux affaires communes de l'Empire .par le
moyen de délégations. En un mot, il était dans les vœux
du parti tchèque de substituer au dualisme : Autriche —
Hongrie, la triade : Autriche — Hongrie — Bohème. Il
'sblt'bar îëHbët^alisAië et lëTOéfeAïèl^cBWttie^ïê'sl^jëtiiiJs
de Vienne, elle refusa de le fairè^^^ri'^ifeferiàWttëâ,
dlsaït l-adr^sée ' Vôtéè lé'ïi ^tfevH^^^rJà!f^ Ï3e'»vèft^ Mon-
tré W; '(iu^bripàséât Wtrë'à éé^îpttnÉpV dûé'A^iaiiyfe'tîëtf-
.'côurs de la ttîète dp 'royatttfie,-Wétî 'iié'pèinf4it ^sè'^^
HôngViè tMtfe'a^ëc'rÈkiiilk^' ^dlBs' ehd^^^
Ti" riôtigrlé, Aiàls'U'tt'àiipartièirf çhH i'M:Bêk^4e'é^
dér avec M: de fieûst qtielà' sérottià Vàvèttfrfié^m^pbHs
àWoAnêéà; t'es AHèniànds^ 4^î'«<iMt'i^(îbkitrë'2'»*AtS^fe
^Bolièmie; tiHtatnéiièht; gtkté à uhe saVatAef IbP^éfëètofrtUé,
'fçi iboïttè dek àéplité^ â'ia •ttiêté'i'dé' '^lùr 7«^ i^s
éftklfertt réàei'Véfe àuk 'gi-âtïdb Jirtprtétëtfes da pa^r^i'^iie
' 'èétiii-<il*Tû'rent' ëlUèJ ef ,'biétt ^éleùi* éïtkim m^ëmi^
léél ^6(èhniVéti%iWiâ^pûm âii R«îlëHsi^ath/(3'ét!itt*la
' reiibnhkiysâiibé' bfflcifeHe bà'r îi'rie ^ diêté'MàîVè 'd* fëMb
' ïitiiéés , 'de^^ nàfiôiik hist6¥i(îtièfs^' fc^ànt ifeui^' • ébU V^Vilite,
leurs droits, leurs intérêts distincts, qu'y renoncer serait
l'adresse tchèque de 1868 329
xin suicide », tfejô^s^iûîifiitr dies plus fâcheusesC iie
^*8tâf^P>4W iSfi9» )?P étu(^wt^ }jQb^q^^^,s9fll^yère^^^ nue
a^jPf{n^l^j?}}»RW?ip^iJ^,I^r^Çi^q pr,oi^f^.çQnff-qJesïpis
., , . X'eWP-^rfiHT m^B.^>^^g^e |«)ufl eg^$,^y^r,d>pai^r ^ç.s |^?-
4onfîA 3a 4énïJswn,..et f^l, .reijnp^açé, p9.r, ]^., djç Taa^fi^.
jj^.dr^f i#>Writ.te (33.oqtQ|brç. 48§â.^t^.a^
j^j^^}fmë^^^9^^ «W ^t 1^ >î?-#i{Pf!qçp^]3ie 4u.p.aBti
#ati<tîbal.jei1r qttir6^Frésqui^;iaii>4î; 1,^ la„9f>h.^p>,çi el, 1^ djr
^wUl^ ides, Jï^t>^ft*«« ?^^ îU^^^ I P Wf^ ffpnrtf^t, PX^iftlN-
^ Qn^e 4^^ .4eux ,p^^4es,fJfis, d^ojit^ et^^q?. /(JjÇAfpirs t^r^^^s
, ^ ^çf^âii,}6m^^h ; M .Bpiuêi»^; , p > . j aim^i?, .été en, union
,TéeU0. ^v^; çJip^jikC^^ quel, flwtrp; #.4t dç,..VAi#iciie.
.,3î,Mqu^hchjBw^gej|ieiit. ei?^rçJe.ffQya^
, id BQuyeFain^ jpie peut, êtr^ . pffectvié , qu'j^u . Wpy^ip r d'v^n
^i^wyeau ps^iîtfi entxô lO; roi d^j Bphêmç, €it,.%, 4^^. rf*
^i(^^n\e& repréïsent^ptf de la patipa boHv^eX^ Rei-
.pl^çr^h n'a .fluix?uuç,tju4ité |)our ^eJÇ^iriÇK,^* ^i^evl
jofiçyw de.^rentreï, dans les çopditiofls.^orpiales, invp-
',guée«..déjà par le. r^scvit impjér^ali^il ,8.jiVj:il iS^S ,et
, wfeî^eip^rJie dip^ôDj^ d^ 2p, pck^ï^re, i86p^' c^iw aç-
_,oord,4Vpct .ent^eVepxpepeur ^t.l^ ^atio^^ 4«.]t4aJIoJ,4^e9-
^ toral^ 4e, k fiiète. est, à ré^fom^r- 1^ fli^me j p,ur ?p^ pa^^Qi-
.,^.r/?s.,4^ \s^ diète de Mpfla^^ pupère^if i^l^rogr^fl^^
_,^eiMiq]t|e,flia diète de.Pra^e^ dgini^ep^ 1)?s^.f.l!f-
.;,ç[iap4s, ;4éçiara ^émis^ionnaires^tl, d^8.^^igu9.1j^i/f s ^d^
^^pg^ammç.. -tes ^lajotités (fos.d^^^^
330 HISTOIRE DE L'AUTRIGBÊ
Silésie condamnèrent aussi le programme. La majorité
allemande de Prague profita de son trioniphe .{^our
abroger la loi qui obligeait les élèves .de» écoles à. ap-
prendre lalangue tchèque.
La colère grandit à Prague : la polémique des journaux
tchèques et des journaux allemands monta à un dis^pason
passionné. Les 4 et 5 novembre il y eut des émeutes ré-
primées par la force armée. Le 11 novembre, la Gazette
de Vienne publia une ordonnance qui mettait Prague et
deux districts voisins en état de siège. Qn commença
des barricades, mais le général Koller, commandant de
Tétat de siège, dispersa la foule : le régime du ^abre
régna avec le^ réunions publiques interdite^ et lesjqmy
naux saisis et suspendus. L'état de sÀ^ge dura jusqn^au
28 avril 1869. Les meetings recommencèrent : celui
de Prague du IS mai compta 25,000 assistants, lie 4 sep-
tembre la fête de Jean Huss fut célébrée avec éclat. Cette
agitation nationale devait se perpétuer à trayers des
phases diverses.
Gallicie : Un assez grand nombre de partie se parta-
gent en Gallicùe le terrain politique. Jl y a des démo-
crates, dont le chef est M. Smolka et qui sont purement
et simplement fédéralistes ; le parti Sapieha, qui subor-
donne toutes ses aspirations à l'espoir de la reconstitu-
tion du royaume de Pologne et qui dès lors, ne se con-
sidérant comme lié à TAutricbe que temporairement et
défait, se désintéresse complètement de Torg^nisation du
reste de la monarchie (ce parti dut à la résolution du
20 septembre 1868 — que nous analyserons ci-après —
le nom de r^soluttonntste) ; le parti polonais^ dirigé par
le comte . Goluchowski , qui envoie quand même des
députés au reichsraht ejl y soutient la politique générale
du gouvernenient; \^s Mnionistes féodaux et cléricaux;
enfin le parti Huthène, qui aspire à Tunion avec la
Russie, En somme Smolka et ses amis s'occupent seuls
des intérêts généraux des Slaves : Sapieha, Goluchowski
et leurs amis, indifférents au reste de Tempixe, ne pen-
LA RÉSOLUTION GALLIGIENNE 331
»
seiit <ïu'à fkirè la Gallîcie la meilleure çt la plus Indépen-
' dstiite ppssible pour y vivre à Taise en attendant sa rentrée
*4)àris là' vieille Pologne rétablie : Ils soutiennent contre
les autres races de l'empire le ministère de Vienne dont
0s attendent le plus d'autonomie. Aussi, sous rinfltiénce
* de M. Gôluchowski, la diète de lienxberg, où les Ru-
Uiènes avaient perdu une vingtaine de àiégés, accepta lès
'nouvelles institutions de Tempire et vota le 2 mars ISOT,
* par 99 voix contre 34, qu'elle enverrait des députés au
Reichsrath. En récompense, la Galllcie vit entrer un des
âiens, le comte Potocki, dans le cabinet Auersperg et on
lui ^t des concessions relativement à l'emploi de la
langue polonaise dans les tribunaux (29 février lft68).
* L'empereur et l'impératrice se disposèrent même à
faire * i^n voyage en Gallicie. Mais daiis le pays, on
trouvait que la constitution nouvelle ne faisait pas la
part assez large à l'autonomie gallicîenne et que les dé-
putés polonais au Reiehsrath avaient été de trojp faCÛe
composition. Aussi, dès le- 22 ao.ût, jour d'ouverture de
la dëète, M. Sm^olka porta ces pl8|,întés et ces reproches
à la tribune, et M. Zyblikiéwîz. proposa de faire examiner
les lois fondamentales par uiie ciommi$sion de la diète.
Cette commission fit son rapport le 16 septembre et
formula les vœux du pays danç une adresse qui est
restée la Charte de la Gallicie, comme la fameuse déclara-
tion est restée celle de la Bohême. L^adresse constatait
que la constitution générale du 21 décembre 1867 ne
répondait pas aux vœux et aux exigences politiques et
matérielles du pays et elle posait les points suivants :
1« La diète du pays doit régler le mode d'élection et la
durée de l'exercice du mandat des députés au Reichsrath,
sans qu'on puisse jamais ordonner des élections directes
dans le royaume de Gallicie. 2* Les députés Qalliciens
ne participeront aux délibérations du Reich3rath qvie
lorsqu'il s'agira d'affaires communes à la Gallicie et aux
autres parties.de la monarchie représentées dans le
Reichsrath, 3^ On éliminera des matières qui entrent
chuinte' <ioaipèl^c«i4lu'lléMteE)rdkiV p^i«^^ ^ùm^r^^tOÊ^
tatim»iSdi»ic]i§diJt, iiefe^imattièrei^ sàttftô^9,'i(Ies é^itÉ^^
cîié )et> ^li«^ dés^ étrangère; a<E!^4^t'«rï«frift0P'è41|^ii»^t
tvatit>ii,i'ete: l» 'Pbuir^«(Hi^^f# lèB^ fi^iis' iitf ^o#«^#Mii^éttt
soitime b^a'^ ^ou^imiteinàU- ëôtit^teri^^I >Rd[i[$k^t^. |
5* Tous les biens de Tétai seront incorporés dimi^te^è^
nkaina en )par^. <B^et iifeLUfieid^li4 ^uWt^tOi^ti^ i^^iE^iies |
tti^bypofttlétQpiâes ikn^ ]«ryré»nsbkit^ii^ft)t'^Utt>âlètèC^^« SA
âaiMote» aura tsari^di^ (feiîëisâti^ti^i 1l!>4ki l^k^b^é^ ^iië»Èi^ I
mstt>é-psr':wnigoiiv0rrjèn]rèM^ s6|kré^^€ft^re§{^iil(^y!^ <i8^
Ttot kl idlMéi^fidustlâf '^éc^Ti ><j<>tt|i<(Ayé^^
ow^d^li ikiinl8ti»€(Tebp(>*i^bleMe^iSfcllidi^;^'ï^'*'f ^^^^^< ^'^
i ' ! C^ètoîti i'àulodoiiiieJtk) Aplôt'ë.iîïié^Mthê^tféëi 4Sî?tot^
rmltet ^l[iilttètieiit il» salieJ Mî iSoto(|h)(y«^f[caÈh£^it)l^
dressb qtii<n%nifutipàsiiii^iM{V(ité0^krS4^|)t€liïibi^^ i
ihy 4edup^ • l'e)mper«ftp^et t' iAttpéi'6ti4ciB^^dncè^f€jh¥tiài iet^r
T^àge^in «lâAliciei ^ Mv'GélufoboWëkl^étfhna'^tt^éiîii^^
8io»i'> La>diétè (se^pài^^le^t^ bôf^étoèi. À 'Uet^ées^li ^
itoiobsHBitb^ de>t86*^ tefi^'4épli«ési>pok>iliàÎ3 t«f^è^00t l!6
véte^PdïlgArriiati(»y d'udè'fe'àute eéu^ d^ijustlce-^
ywt^J-'^dbaigée d« ^Jfei^i"' îé^'f(?dfftestâr«](ns<>%i*<i^î*l^
diV0r8ipty8»ae»:k 'cqùk>««di<ôtîehtî^0»4w''^^ lé
iteteii»ralth>jpifeiW;sè idl^feè4feiïl.àtèb«rd^%ïtpï|^
ti<to< id<ëî^la;4>éâ0htllénH du> â4'^ s^ptètifb^e" qfoi] âèvs^ éit»
tgidûmfeèi4ùl^l8ioteI«t(te/OI*1€(tt^^ôppt>Mqd^^^
iii«s^fimsbn^^i(le>^âéèdiii^ pk*]!éméi^a&i»^' ))tlts ^^w^fm^
t««s> teâ-rpoinlsTetrwéïdèp^a^isijRHi^g^p^i^ le^O >fflfii
Ma^i > qu«lqu6di ^^mm ^ul^éh 1 3 avIMi kf^tiMiè idéi Ui
fii»Â0totiUl^i ]^alôiiai8'pi^e$t;èfêfrïiéiï^gl^^^it:dt4éiir
(3i^p|ttHd(ei,iiB eèinl«({totciick^ il^njili*dQlâ*àtrteatS^
0%
4ftWPV l^-diMQ 4^«r«WBi îfieltereil M}'.m^.'^immmiK^Ui^
la base invarisJalfljçliPSi^lQhmppi^ftridUiJdwyi |i*^Wie«;
2^tlç.frroya^ipaitpiiiH4taw>!i^;?,. ni.i^^
jfôlej i Jégikte . qMiel«a»i(i^lr ud '^n tBlfc> ^ ^
lai .«lettvrfiBi^! ;ï)fii^\\}iemm^t(:»ii^Qïï «^t^auti^.f iLa^dièt^
fiilt di«ôouteite i jaftWi;iW7>iQn.l4'iîé«BiliàihQttVea»)J(i
d^^ilotéipapilaî.cMète dftjPiéstbîûielteMrjgJîwayQt.trt'dwr
0O|at^i)<^;26>m9ilHi'aYiipQreiAr elé^Mija «H mi|Hiie<ilenipf6^qii^
k§f^iùrsiD0mxktt^iii, laJMmfBbtie déclàraltiqu'âUeteÂ'vfeiH'
siiU im/ ^ép^és^iiYian^ etiiioit» ài Agi dm. > L^i20()OolQ+
b^e jlîWï, ,Ifemp^r«itfrpmit4ifi* (prQivfe(»eemflnti la lét élei>
tcii»lch«t4»<|Conîij^eiâipoii<ie( lifrdiète^'iefQ<jt€Sfï^t.i^â<^ià
^t-t (vôtft^ > Ij^ î38^ fjaiiwep 136»^ <vm néftciatron 1 tendant ; 4
în)ncl}iD$ unj^]3itia^Ç9iPQnt^adr«<^{li()H€ff^§pri0^]mqi%à ^n^
itf tion ^palaX^m^tiO) eilaiponiitèi» flK^
à!l|ijGircmtto»:J^e$ietiVftféffaii$e»ij^r|eRli tja^ ^ethneôsleo
19.
334 HISTOIRB DB 1,'AUTRIGflE
MM. Gaengery et Zuvie. Ge oomproistifi do^^^ ^ ^
Groatie et à la Slavpnie une autonomie complète eo. ce
qui concerne les aifaîres intérieures, la jusUce^^t lt*ins-
truction publique ; il énumérait les affairea^ communes
et qui seraient traitées comme telles par le parlement
hongrois ; il portait que la Croatie n'aurait pas <le mi-
nistère spécial, et que le Ban, qui ne pourrait être un
militaire, serait nommé par le roi, d'accord ..avec le mi-
nistère commun, que la Groatie aurait dans le cabinet
de Pesth un ministre sans portefeuille, que le croate
serait la langue officielle de la Groatie, et que la Croatie
enverrait 31 députés au Bjeichstag de Pesth ; que les
recettes de la Croatie, déduction f^ite de 2,200,00Q flo-
rins pour les frais d'administration, seraient versées au
trésor hongrois. La diète d'Agram yota le compromis
le 16 septembre 1868. Le i9 novembre, un rescrit royal
le sanctionna, et le 24 novembre, le^ 31 députés croates,
élus par la diète d'Agram, faisaient au, milieu des ap-
plaudissements , leur entrée dans le. parlement hon-
grois . Pmme fut déclaré territoire particulier apparte-
nant à la Hongrie,
Roumains : Les Roumains de la Transylvanie n.Vspi-
raient qu'à se joindre à leurs frères de race réunis squs
le sceptre de Charles de Hohenzollern. Bukarest est
leur centre . d'attraction et un foyer de propagande
ardente pour leur annexion. Le 15 mai 1868,. ils se
rassemblèrent sur le Champ de la Liberté à Blaseiu^orf,
et renouvelèrent leur programme de la célèbre . asse^i-
blée du 15 mai 1848. Ils demandèrent la. mise en vigueur
des ai;ticles de la diète dUermanstadt de 1863-64 qui
les reconnaissaient comme nation régnicole, et, leur
garantissait leur langue et leur religion. Us dénièï^çat^à
la diète de Pesth le droit de créer des lois pou^jla
Transylvanie, et déclarèi^ent que les .Transylvain? ^ui
siégeaient à cette diète n'étaient pas leurs représentants.
Pèsth répondit en votant en déceïnbre un prc^t quijà
partir du !•' mai 1869, imposait à la Transylvanie
RÉVOLTE DES BOUCHÉS-DU-GÂTTARO 335
* entière le» institutians hongroises et abolissait les dis-
' 'tin'rtiôns entre Szeklers, Saxons, Magyars et Roumains.
' Telles furent, à la suite du dualisme, les agitations,
' les prétentions et les événements dans les principales
* nationalités de l'Austro-Hongrie. II y eut aussi des
troubles sur divers autres points, tant par suite de
' l'ésistance contre le dualisme que d'aversion pour les
progrès du libéralisme et du laîcisme dans les institu-
tions de là vieille Autriche. A Trieste, ITiostilité eatre la
population italienne de la ville et les paysans slaves du
territoire se manifesta les 12, 13 et 14. juillet 1868 par
dç sanglantes collisions. Dans le Tyrol, pays ultra-
catholique, centre du plus obstiné fanatisme, la diète
résista aux lois confessionnelles, et on fut obligé de la
, dissoudre le 8 octobre 1868. En Garniola, les Slovènes,
dans des jfneetings tçnus à Laybach et autres lieux en
janvier et février 1869,. demandèrent la formation d'un
royaume de Slovénie comprenant la Basse-Styrie, la
Carinthîe méridionale, la Carniole, Gceritz et Qradiscâ,
llstrie et le territoire de Trieste. Le parti italien excita
encore des troubles à. Trieste en juillet 1869.
- Mais la plus terrible de ces agitations loca-les eut lieu
dans les deniers mois de 1869 chez les Bocchèses, ainsi
'qu'on appelle les habitants des Bouches-du-Cattaro, à
Vextrémité la plus n^éridionale de la Dalmatie. La
population des villes est. italienne, celle des tnontagnes
serbo-slave et très-sympathique aux Monténégrins.
Quand, en 1868, on appliqua la loi sur la Landwehr
dans le district de Gattaro., les montagnards se soule-
' vèrent de toutes parts (8 septembre). Le général Wagner
ne put venir à bout de cette insurrection : les hommes
' et les femmes se battaient avec une indoipplable fureur.
Lé général d'Auersperg remplaça Wagner et commença
far soumettre les districts cultivés et par faire pendre,
comme aux beaux jours de 1848, les insurgés prison-
niers. Mais il échoua dans les districts des montagnes,
et une expédition qu'il dirigea pour le ravitaillement
* !
« J •••
336 HIS*rt)tlftOTii^iii»tïrt8llfl*^^»' ^
des foTtS'dé DMgttQ e^'def'GcA^ktiè^ W^tetfâ^a^^^ ^uJ
reiraité'^ësaitreusé. (îl^'^n^^^icjfiie te •ft>ij^tivk«* kWi^^^^h
que tes dëfrnterei livBii^^<ii9 te^)dl^iî«&&il^géiifértl -beabiiii'm
de RèdfcAÈ;l'AÉLrot^e M éti^viriéé d^ ïà^mUc^Vèéi^txe^i'-^^*
laqucJHèrAftirtcJite viht^à bcmt d^'ioe^^etii ï>*ys;i^<i tn#jf*Jito/
éner^^iiebiiéAt^fiû d^aKsnM^-et 4eâ^Mttg)^«Ap^il8é >fyeméui'i" .
cuièi^tit 'aVéfcr ach'artiMy^ikt. Ij« fmaifttiébiidfe 'VChmb^'^ > /)
les eblèi^'dtk vtâ«A«tèk^Jâe'Pe8tt^':^fO0âée<<»ha0ût*ê866r **'îi
par qtièH^déâ éi^dtéeMs dé I«oVi^Saii4,'âât^
menY'litlékire;' elle dévltii i^âefiieAl >pi6iitiqtt« ^-^rit
des *](À^ofildriibns doifMdiStttbleë, ttiféMi^^iâaÉ!^ lb'»8èifMe/n'j
indépèridàrité. Oudnd le ptittK^ dëBerbierfiticheiiObpei^i < h
novic; fiii'iftsstti^iliél'éfn jiiiA'1^868V'On<«blf;f a idlni)^ > * ^
dans le ' eëtti^tot; Mifôtl€/«lifefiâur^pàytiinAtioMl<sé«i»é^t mi -^
députa 'â'P^tli. Le«> Milj^i«^,> à; leétté» époque,! avaient- <!'
le déiii* 'de' 9%iMiëxer tôt* 6* l»i^a i4^ '••
Milan ài l^èâ^-&è^bie^,'^l<d€f^«[iié d^nerlairélgfèheei:!* i>
à la Veuve ^é)^^é Vfe tJfiébM, • là' ^l»iiMîës«e^^ie^. Wit^^'^\^\
du cc^té^^HtoyieldiviEh 1869, i«>)60«fart&' Anîb^siyrparMit >i
même publiquement des droit^-de; laticoerotine ^^^itaii^
Ëtienl^'£fùrlft B66^ie,^^t4a< Péi^ii ^l^ttif : des Ma^atë I
étaient dbii^'Wdîns ' d^Vèttéd *sa4>^'â^ ki.lthès€|iidte ilîht^nf ,,i
hongfbik 8ép^pel^'ré^igl^^«éî4be' %t l^gU«ii EboaiaiÉè^
mai^i^t Vdta eh ^^ëttiëléÈAp^^miéM doxdffireiquirldiabJîsv^T
sait l^dël ëeôlës âétlÉtUt^^ùa^énéeS^ttiiept doit êtrëfiMkM i
en Mngilté Ét^é^^^e^^t'éfrelftiqu^ â<^Hif0ë^^
fondé/és ^^àr fés^cJô«i^fé^î^i^^^
doi veîit ' Abnt à' ^là ^is ^ay^^ Udéùirm^af^ lafocanlmbdàî-j >^ J
ble8,'tel é^és €è l?£tàt]é% IWeiisrîgné mi )mag]$r^r4«tii]>(ii
entrët^ib â^et^ré' fl^èâà^ dèè^ élîôlé^s ^oonfessioniHByftB/iflîr ^ b
elles ' Vè^leJÀt ' ^û%hl èttïséi^n^ 'dans > 1^^ 'langue; Au anids ; : iti j;
de féfriëf^^SêB^, lèà i^i^ës ^M Rotomîns^i^e^ éiidH qju
saierit^^ltiW'fefd^^uerëUé^^ i^^«ttbe0^>ftailèrmBèi«nl dâis e r.o :
n*f
LE C0N9R$ftî 99IIQIS rrr :||f f,*?;!^, 337 ..; -^
laient pas-ip^ }^,f «irf)«& fiM^QestiA^^xi^çf^/iipJipTup.u
pa.triatohe>fIieKpat»wircl|fcft^M^^î^^ S4,r^tTO^- ,> ..
l>artLt<jiértcaH fUi4isgiw4rfe ,le.j4^^gîîè§,.,plutMf:^ve,^ç ,..,,
pactiaeil < ateo 4 [tes. , »*vaiutfoniwW<?s^ :»i CSft . fjél^^, ffif^fti- , b , , ;
seur)«tl%kôVàe..qm(fi?饫^tH,6ii< #^i 48ïft/ wj.ftpj^^yeçiu^,,, j,
et oàM0Bj;v(>tald«9,!^^é9ofta|iQp^fa^opr^SJà:/r|^fiW^t^^ ,!
d'unMartéeicîinfeéfféîipw Mileiti0.(i«Mri.s.,*a«rjottraa!^M <^<*^i il/
tovâj^Afi AndrtLSfiy ftb'iaïir^er Jç^îvjErîllaftt tiilwn„et, ^,'piV- , j .j
tendit popr/ te. ftére'coïï^maer.plkl^ le. l#bTO«^^ , /
en ad(âril>i6'i0,'àiuo:.an-dmpiti9onnh ;--o i«. .H-M'jM'M.in -.nr. jî
Taile i^lC, -eli ia7(H toi sîtNbati0n:4eiikij^yfP'^s,j[\at^ }
nalité8tdé;riÉnpii\9i!LeidoaJii^it^&yi9Mr^^ ^ ,, .
fait ges»(pBl?oves .4wîa?^'éftB|Uj;qtt)uM..^ , j
sion aUéoiflndËf (kn%-I$ Qiski^l^ie^iietin^gy.^^r/g d^n^,,, .,1
la Tpaiisleithamei.i]3ftn»^)a'Ti7f^|)3Jlfp^aQifi,.Ji^ Joi.^Wr ^.>.i,.
natiomaiité»^ voiétf^hM^^^Ulg mi9G»,^ïl(f^9f.,q^'^ p^
diète-, jid&radmini8lrj*io»«Éi des^ iriJwiw;i^. 4®:l'$^
Les idbanânft •éd6t;iî& ;id$)0^( ï^©«iitat^. e|t.df!P i^e^îlil^i^ ., ?
instittiés'pai» «ettft lQii.icmt( lété reip^p^fti^a, cplS^i» P#r. , ,■
des tribaBîiw&:pjipetnent.iQa93raMr£f^ ç^ç^o^QSiéa, dp jifj§^Si,r .^
amoi^hs .choifitfipar Bestb^ Tou^, .k^^e^p)pi^;ÇÎ>^ sqi^t^
donnés ià defirl|ag^ara.0t*ii Imi^. Qté^i^^% j^is^:^c^g}^ar
rons. Al/ Chnimtiej IftBfi^i Jft%^ll,iunij#ç^,cÇ^^^^^
.1
HISTOIRE DE L'AUTRICHE
compromis, travaillait de façon à ne fôîre |enyoj^f|r ^
Peslh que des députée dérotiéd aux Magyars': U if èiGopà
de plus dans une affaire de dessèchement 4e, marau^
(le lionjsko Polje) qu'un journal, le ira^oc^t*,.xévêïâ
avec pièces à Tappui, et qui compromit uiiefoulç df
grands seigneurs magyars et croates, à la grande jpi^
du parti national croate. En août 1869, une patente
impériale réunit les confins croates à.la Hongrie„m9lgi;i$
eux, car ils aimaient encore mieux 8uJ)îr leur triste ré-
gime que d*étre livrés à l'administration de leurs eiin©:
mis. L'archevêché d'Agran^^ qui revenait de (Jroit au 0*67
lèbre Strossmayer, évêque^ de Diakovo, et qui rapporta
200,000 fiorins par an,, fut livré par Andrassy à une
créature des Magyars, Fabbé Mikalovic (Â mai 18;ïO)i
chargé de jeter la discorde parmi leâ Croates.
Ce que ièB Magyai^ faisaient dans la Transleîthanie,
les Allemands le faisaient dans la Cislelf^hanie^ et lés
colères et les plaintes des Tchèques, des Slovènes, de^
HoUmains et même des Galliciens, se faisaient entendre
hautement» Aussi, en janvier 1810, le comte Potockî^
favorable aux idées fédéralistes, et quelques-uns de se^
collègues, donnèrent leur démission. Le président du
conseil, prince d'Auersperg , les suivit dans leur, re-
traite; Alors on vit une confusion extrême sous les
ministères Oiskra et Hasner. Dès le 17 janvier, feç dé-
putés tyroliens déposèrent leur mandât et furent imités
en mars par ceux de la Gàllîde, de la .Car^iiole,' dé
Hëtrie et ée la Bakovine. François- Joseph, éperdu,
appela À la tète du cabinet cldeithan le comte Potocky,
avec Tespoir qu'il* saurait concilier les revendications
autonomistes des peuples avec les idées. libérales et
démocratiquesdont les centralistes allemands se prér
tendaient les seub représentants. M. Potocky avait
élaboré ^vec son collaborateur, M. Rechbauer, un pro-
gramme qui maintenait la constitution dé décembre^,
mais qui transformait la chambre des seigneurs en
cbamlûre.4i^s^ états> composée- des représentants . des
LA GUERRE FHAfilCO-AU/fillANDE 389
pro^ince^ élises par les diètes et dans leur seio» ayec
élecliops directes pour la chaoïbre des, députés, .largf
décentralisation, maintien de la Bohême dan$ sa sUua-^
tlon actuelle, loi progressive des nationalité^, etc. Pour
consulter le pays sur la possibilité de ce progr^mm^»
M. Potocky fit appel en juillet aux électem:s, mais il fut
l>£Lttu et dut se. retirer : c'était à désespérer. :
Sur ces entrefaites éclata la guerre fraxu^o^allemaoïdar
Dès le 18 juillet rAutriche proclama sa neutraliié tout
en offrant sa médiation avec celle de lltalie^ Le 30 juil-
let son chancelier adressait à Tambafisadeur d'Autriche
Hongrie à Paris, prince de Metternich, une dépêche. pu
il disait nettement que rentrée de rAutriche esi eamr
pagne amènerait de suite celle de la fiussie, alUée de
la Prusse, qui menace TAutriche non-seulement en Gai-
licie, mais sur le Pruth et le Bas-Danube^' que ies Aiie-
mfinds de Tempire voyaient dans la gueprre, noa.pas un
duel entre la Prusse et la Fraace,> mais le commenceBaeiit
d'une lutte nationale; que les Hongrois refoseraîenl. dM^
donner leur sang et leur or poux reconquérir à l'Autinehe
sa position en Allemagne. Les défaites d^ la France jo»
firent qu'enfoncer TAutriche, aux prises avec tant d'emr
barras intérieurs, plus avant dan^ cette neutralité ^tn->
pc^thique et elle ne put donner à M. Thiers, -— -qui vint
en octobre à Vienne — ique de; vains témoignages. de
condoléance. M. de Beust poursuivait en même temps
la lutte religieuse. Il protesta contré le çyllabus et -à
la nouvelle de la déclaration du dogme de Tinfaillibilité
qu'avaitt combattu au concile Tévéque Strossmayeir. il
suspendit le concordat (30 juillet). L'Autriche subit, la
conséquence de son attitude pacifique ejb.dutse i^éaigner
à laisser la Russie dénoncer le 23 novembre le traité; (te
Paris de 1856^ Dans la Transleithanie^ pendant «toute la
guerre, Andrassy et les Magyars' prodiguèrentJea iiiak>>*-
ques de sympathie les plus éclatantes aux-sucoèsdes
Allemands.
L'année 1871 s'ouvrit sous de. sombres i^erspecttves
d^ -ËlSf ômB msri';
{yè#r'U'enipelidtttfMFraiiçoi&^wplUi{;Iid >pr<^ièi»e j^iji^
-ftàttoMiitèis'fi^iposëitiipluB impÀâeiili,i|lKL&4ia#»^a^
lilftib'àbddi pKis iinbltiMé que janàais, .I)otO0ki;ire^^4?
t<AAib(^<eitt'élâitlnipo8Btble)^ rae<kii:Jttl4fi^,p]^Y^iil^#
iMTi nriiii90èt^ «ïebti^aliste àUerïiai^ 4'M tCfi^kn^.l^^^Qr
if roiè! aVftieni > iirtoiiti*é < pendalit: lia > ;giftéiq[ia ^n'tfs. ^nA<^t
Idniëâft iâ«r0i9qr«l^ éthiœgèraii^uiiKaftpiratlQrmiiâ^rJi'mtl^
lierf^^'tétrte i'Ai'Incbâ) o^ntfflnpomfâv Fraj^ç^rÂor
«e^^iië réglai' tout ài:<xm|k èpBe-jîeftefi^ta^^^l^^^^W^flhls
lement. Le 4 février il mit à la tète duredbklfft 1^>QW4^
Mohén^^afth^iidéVduâ itiiKMidéès(a£Éd^ali^teat>r^ 4ljlui
M^âekbLetnquHroAù mbubti^e diêçlaiî^i.ba^teixi^i^tcpi'l^
«titèiiidèllitàfiiBperillt;^aiiboniFa h^ p^fiil^e^fdeidlktÔ^^
lliaaié^ pàr'lin >s^tèiiiAeid«i;ciojace$sionfl>jdiiMe|iDiiQ& i^^M^r
]^8ableà^ ^eti qu'il ^laa êntaB^ï^d^Mâé^qvjiAîpl^P m^
teH'lTctièiqfiieè^leâ Polonais «l le«i]Latia8i 9)^;i^/(ji^,co^
J«iill€ftPM^' Graobofaïkil iim d^M^cfb^s l 'djiii.par.t^ ii^q^^^^
iii6dété^' fyA i' pmataé/ iiili w^ Jideî/GaUiQi^. /^I|^ ^ p^j;^.
métti^) "de > kif €lâllîcià«>MH J iâieg^ri GlamHM^N^^i^ t (^ .^
^fl!faVecâ^tiesiïctiàqii0S4i (>-'«; ^, .ncai-r. 'ji', ^'.în'jîj^r .--i-ij
-^'Oh devifl9'4ia8tl6 fatla^furetiridtijparti ça):)#tU);jyiom^^
ijfeksthdii>(^<AI'i c'était raEipioma^t^^ ovulât, n^q a^^
mmâk^ cdb^éràf(^ltaflul )de(g^oii»^ oùn lt'a9»i^er,jaU^^ap4
e^lài'6iblluié!ldttéinAitde'ià|h(îeht èt^^ iiTJM^o4aq§
TËurope, qu'on songeait à transiger avec ces « mi^^pif
tdtivnèt^iit'ai^eiGr^pafaâlioo) ^yerBilàuri i&tèr0^i d^, iPer)^] (^
dubliaftt «bnlplôt0ipelil)de8aofivy»om.5^^
fofi|tèrrèn4| £rveoiiéGieBgieiiklur& laotiiiQi^fiitfii.AUK l^te^.,^
fttuMiJéaiBforaVi^iaù^iBQ : \à& teur^fC^efe». M., de^ ,]^aif^r-
MINISTÈRE HOHlRWAIlT/f JlSIIEIIJlIlMIiiALLEM ANDS (^
Ae^ IMiAm^É^^ fééèPsàssfoé eoiquHkm^ a|i$)c^(^ mmrti^
'ptfr^ lallkimnd Ut 'n lavait îparaaiB'Btibi de^pi^f^^Aici^ ta^jb
qu^t'ii^'é^lftitilivotiijtrë j^t8b9iet^:éqliiflaMefleoJYtDS| U» Mtim
i'^^X.^ aioseé^niéthiènl-làîquané» leiii doAtil«?i^ilaiGlih
kiiM'tét*meiâ'd^là({iâ«»Ue'ila eh^iinre dcsdépatéd dU' Aeî^
^r«Lth^élàit'di6ë€r«^ÇttiieiSéooiHi6<M^re<qiiii4i6a<A
tHè^éâ de^ahaùt^'et'de lajba8ée:A]iétid2e$)derib^ Stynîti
ëte^â <SlBtr^hi<»^, >de<l«i*Stlé8i0fel (luiTylt)]ipUne.4/rt)i«ièf9(f
q^l'^oévoquail toùtes^lesi dIèièsrpéQti leil4:Bff»(^[ftbp#(
&étsÂt "éW (sMpf ' d^étaiii ié^ali dâss tte'jseiia < ifMép^J^^ ,1^
flÀ^ih^' Ji^r l'eiti^raàr cl^Anindhef B6!i)eae€Btfî
tèfM'éVëc ^fëmDuV^Ukiiperehrnd'AIlëitiagm; t A^aiti:^^
déjp^tt, ii 'ttva!it>! Vti' <Mif Aiegev^ili'a^àdtrfeAga^ ^m^^Ck}^
rër Aëa^ pr^nti^H ^ 'M»- f (^è^ues :iq«i.iieiMlailsii|/i le^ > nimf
pi^oht i^ ' im t^âbte ' et l«i -aiiàit FUisséi éhibi^ vj^ir^^pit; #i^
très patentes elles-mêmes prouvai^tl jâHiXiSlfiiy'^^qm
teti#> '^uVéraim ite^ «tdottrait pësiddnà i1éaè^i»ii0;4e riiSias-
tëiif Fitlfiuêiic^'gèrtifaûiqaei : tlft]i]'';bUt.j[iéiail>id:*Pl>fl9r
'^ Gè^ bè^^esr 'dàltilèt^t <<adx> Altomatadt niiM . itâiit^bld
lit^Mtitaâeiyi^ls 'j^enhajnîqiies latiaqnèMçtii'te .)«iibit)M
#^e« là dëfti%^^'<vl()toiice;iHLBurja9gam6i}t; pimdpei
chait le déBir de rendre à rélément cléridàl et^fëodal
Ht préétamente, accusation iiiallkeufeùiseïÂiènï jùst^SS^
par les vieux Tehèqués et par les Gallicren^ cétli6Ii<|Qek.
On fiit mètÈte obligé de faire s«tié'ir'un dek 'iiUtné^iils'cl^
journal de 'Vienne le plus dévoué à M. à^ Bisitil^çk
et à TAllemagne, la Nouvelle Pf esse libres De lëdr/.côlè
les feuiHes fédéralistes dédaraient que VèntreVue de
Oâdiein n*avaît d'autre objet que la propagande prÙB-
sienne eit Gialeithanie et llngéteîice Ûe Dif . de Bismarck
en faveur des néo-Prussien» autrichiens. Le Tagb,latf
-parlait même d'une alliance de FAutriche et de rAU^
magne contre la Russie slave et la Fi^anbe vaincue; 'et
ad donnait comme une des preuves la vîviacité de M. 'fle
Bismapck darts la question des chemins "de fér roùmaihs
construits pan" le fangeux Strbtisébeïg. C'est' s^Hs^cè^
koprèssioDs (Hverse^ qu^bn se prépara aux élections,
d'après ip sjrstèibe compliqué que nous avotiâ expoâè
plus haut et qui ddnne tant d'avantages à la ^aiide
propiiélé. . ' '
' MaigM ' tout, les élections donnèrent clan^ le^ diètes
une AMjiorité fédéraliste. Le 14 ' septembre- la diète dé
Bohème s*ouVrit par la lecture d'un rescrit royal détila-
Tantque le souverain était prêt à renouveler lès droits
du royaume de Bohême par lehermeht du couronnement;
qu'on présenterait un projet ûé réforme de la loi élec-
torale et qu'une nouveùe loi sur les nationalités serait
élàbo^éei^. il ajoutait qu'il priait -là diète de délibérer dç
fbçem à né pas léser les droits des autres provinces et
royaumes^. Le prinee Lobkowitz était nommé Ohèrklarii^
mancAô// (maréchal suprême du pays) et le comte Chot^l^
lieutenant du Royaume. Mais les Alfemands, obéissant à
un mot d'ordre venu de Vienne, «e retirèrent deà diètes
dePi*àgue; de Moravie et de Gamiole ; en Silésie; où Us
étalètïi en majorité^ ilS' imposèrent leur langue. La diète
galicienne se montra bien diëposée, ainsi que la diète
dalmate, malgré les protestations des Ruthènes daAs
Tuno ei desltaliensi dans Tautre.
I> ÉMISSIONS DB M^M, DK H0Q6NWART ET DE BEUST 348
Ijajoie d^s fédéralistes fut (^.courte dupée. Il est
pripi^yé roaintenant q.M,e dans ce§; e^trcivu^ idlfiieh^, de
Gâstein et de Saltzbpurg entre,C|i^itta«rne, Frasaçoi^
Joseph, Bismarck et Andras&y., <{ui p^éoceupàreiitjtaiit
l'opinion eufopi^niie en aaût-sppteqibï^e J871^GuUlaume
et Bismàrcky appuyés duMagya?: An(îra^&y, firent tenoDr
cer FrançioisnJoseph aux idées fédéra^listea slaves et le dé*-
cidèrent au maintien du dualisme de 1867;, qui Uviratt iejs
nationalités de TAutriche au de^poU&me des< Aileoiands
et de leurs alliés les ]\fagyars. La chute du<mimstère
Hphenwart y fut décidée.. Dès le 17 octobre le conseil lde^
ministres cisleithc^n^ décidait, que, le^ farMclQ». fondiuacieiiie
ta-ux/ proposés par la diète de Pr^g^e .^raient simple-
rpfsnt soumis au {tçiqh3rath et, le clph déakiaieidePeeth
se prononça c^ontre tout projet d'accord avec; la fiohéniefc
Lies . journaujç^ tchèques, la,JPQ(itik^ le fiokroh^ fiu^epA
saisis. Rieger se J^endit v^inament à Yi^nne pour eoiir
jurer révénem,ent que tout.le;mondô.pw^entatili rà 80»
retour, il fut Tobjet d'une manifestation que la p^dice
réprima brutalement,. Le ^6.ociobjre, M. de fiobwîLWart
et ses collègues donnèrent le^r démis^io^ :.lA.i(iiiibia4ive
fédéraliste avait définitiyemenjb ^cfakoué • tant bousi >là
pression de Berlin que $ouç eelle des deux nations >qui
opprimaient l'empire. « La vieille. Antriiche triomphe I »
s'écria avec ivre^^e la Nmmlh Pr^98e Mbre^ Le qoupqp--
nement de la prfee fut, Je 6 nov^mbre^. la démissioft
de M. de Bèust lui-ipême, donft la <?hute de. M.- de. Ho*
henwart paraissait cependant avoii? conaolidét larposih
tion. Le 8 novembre la diète d^ Pra^e fut 'cloae^ et le
14 novembre M- le courte Andrassy, l'ami -et le séide àéd
M. de Bismarck, succédai M. de Beu^t. M^ deBismarek
savait que le noble Magyar ne poiji^^qrait pasI'Autiâebû»
comme M, de Beust, à repreadre sa position en Allema?
gne. Le 29 novembre un nouveau ministère jeisleiiban
constitutionnel allemand fut constitué sous. la pcéâir
dence du prince d'Auerspfsrg avec M. Lasser à.l'lu^
rieur, M. Stremayèr à l'instruction publique et aax.fiul-^
tM,.M. «Iftoar :à k JV»Uc.<!, ]|f.,Banto»8 au <»mmeree,
î MwAj«h'i»^.a^t.p9iir.su€e^$QfVr ^ la présidence *i
mimsi^rA Mc^ri^roM \f, içç^e, de^ JL^W^ay^ ^jéakiate^^^tittiïs'.
Le leM^fimmd^jlïL.pQ^nwUQi^^jl^^ l^rAndrk^V^^^^
Mute de rflg^peçeiir p^c^np^^|(yJe les /éiéclW^
rmhsraUi. ^. , iUfse^t , dir.eçj.q!wtéal , J^s . ii^^ l6' et' jffr d'éj-
eembrv 1871, e«'. qui éUiit ufi Yéritable coup d'Ëlàt. tiè^
ooi^ennit;
Hfurs^.eA
•iOnqifi iwmt ,frit, iusqu.*alopS| ïfj. iraïï|ié!^sé des- Aatlo-
nalké«! st$Y^[ cle. Teçfiftve,, ç^,éta^t lïs9^^®4^. ^ fëittfe
eifovfa^ rabs^nce. ^^, ([^ncordanc^/aa^^ jeur Jâ(^^^
f$«ivam4,«bAÇ¥nf(,l|^r chiçm^n Qt .visaient letv'Mf^ns
atéOcior . Wî, è^eirgiç? Vaw^q iMiyft '1^?^ '^^ W^
dlunion *o«tBqv|UîD^^q^ fifitrç tes; Tc^equ^ Içj^'ftWik^
-et te»^.Seifl:jeflrf w^.ençqi)e .eotrq l^s.i|édéràiisték tcj6%^^^^
«il>liiigituohe'd)}.pa<*}i^(Q,çat ^^.ngrpis las^^^^ dli noilt 8fes
Béakwie^y. Cette, ppipja §fe fitf s^îus jj^ patronage rf^'R^
«tlthvfqiM viVAit ià Tm'in e^qijp l'exil avc^it dépoiiîiîié rfe
•ec«(<haiDa9 alanfios, qfti,ïui g^y^èni.éte si fiçiialèfe |êïi'Wl8.
fièula,iie9$iiiUiçÎQ|[],$^,captpnpés dans leur.^gôi^bl? MiiàU
naU iMNraaflit, icmr^ Yiofui^.à jêtre ^é plus aises (jii*iiè'^p«ft#-
raîept. fi«n». MO^/àutri<?)tï^e /prospère è^^^^
caoatiltution dfl ^ft Po^^,>«e ienaïenl enddh^i^ ili/t*
nioilv4»{^t;,i}^f^ jjpKçwijtJi^ç^nt tfop i.pouviBi(t lèl '^^
;fidè^ •^Ufifn9rfliA ^i^stèrei <^? Yîeipne,' ses plus' adiéili^^
no<ni^; liJwft|p«.qu'iJi^/,i;éva4eni|, attendu (|^è cette aritt^
•floiDi^.i^tuirmeiiaitrjil. de "Bismark poiif séâ^ priûi^vfifeës
potoBaipçs,^ft,r.8i;id^ ji'é^aH'pas p â lôus^^fes
Slftrtîe^f 4;A^tF|çh€;,4yriti^mit la Biissie. lie gbiïvêrijferaPFt
«vfif jet ïes ojpjposafiTs nï^^'ât^:'irt)rônèrita('ltti'«sgfcC.
lution (iélaMe^de Mèti^;et^fïkà'àttt 4«, âO^itSaiawa
iftÇ^'^^S^fK??? en JBohême, àvec'làt vôlbhté^e't»ttt<mytUre
eç^^^jvrçipp^^^ fivoir iihédîëtè allëtilàiiaë. e»t<'4f28^p*fods
^eç^^emen! çiûx fleriiièVë'é 'éfecKidhsV ' Le^ > mittfetêi^v ' 'aide
^ ^yèrnpfiràé ïa Bbh'êhii^'lrf; 'KdDëi^/ ttgtt 'del» toiiiefe
J^^ %t>p^ sur'ce^' pr6^^ •ri^^négli^éèl'ifaiï?:
.^f^^esi de journaux ', ^ài^hlsitfrëfe ' • ^ébittinc/ ^à * Solbin ^
^^çjjaa^ds ipoîxdiëp àè' tKalfei^/fel(f.; •e«è'.' GrirttraiifemwKl'jt
Jj'jijjMnipfljtrôp'.rè en Etirbpê qui' iéeiViîiié<le'|MBipU
national tchèque avecïe parti tiltrértWè^tttbirt;Uee'gr«iid»-
j[J.]yip5^ ducs et pi'Lnces de Toscane, de ModènerjÔ^Rohani,
M^M Ppoçriétaires ,en Bôhêmirf; pWteilt 'î>àTrti ip^utJles
.j|?iflilpW (l^ai^onneJ ,Wé|dèîilii^iTif ,.'te6ttitef»feés 'Aiehtlbtti'fe
JPTOpriét^ires fêdëràiis^s icJtiï'aVaiént' rMëié «U5t> dfifreB
,jp[9^iBqqes d'acliat 'ojb ' ïetii*^ 'ttropriété^ ' faît& =patt 'iéfe
.q^eata^. 4?s wiînislres Ùiigejr' et 'Mssè^,' dé»» êéWtes'ide
4;Alfpmàgiie. toyi rôuïaîi 'éh éiffèt'^ér éëé âOU^prbpwéu
.taires^lisapt àëùx seuïs 70'dëptit4 è' id diêfièv Malgré
^tpu^ieserforits oflïéiefe^ii'j eut' "tiré Mt^e miiwm^îéêé^
_raU$te,^roais dès lors iè' gôù>^èfnèhi^nt 'se'pï^pataàià
jréfprqier la loi ëlecfôkl^pai: ISntWdutftiondëê él^fetiMB
^dijP^ç$. Les dallicîenjS'i dé lè'ai' ëôté', ^afesfetàieiil att^>Rei-
;,chsrath à li?î disciission; dÀlis'le Comité HôèWdtitiitiOtt*-
Q^, d'wïi^çompromls quirie les 'satisfaisait pas/Lè«!fifeit|-
çailles de la princesse Gisèle, jBHfe àirtëéâé'VÈikpeféAf',
d4é HISTOlkE DB L^AUTRIGHB
avec un prince bavarois (avril), semblaient donner une
riouvelle force au parti allemand.
Mêmes difficultés dans la Transleithanie. La discorde
y était partout : entre les Magyars eux-mêmes chez les-
quels le parti Déak et la gauche ne pouvaient s'accor-
der, entre les Magyars et leurs sujets les Serbes, les
Croates et les Roumains, te parti Déak avait proposé
qu'il n'y eût des élections générales que tous les cinq
ans au lieu de tous les trois ans. Il calculait que le pacte
dualiste, ÏAtigÈkich, devant être renouvelé en 1877, il
serait alors maître du terrain, tandis que si la gauchie
triomphait aux élections générales de 1875, ce serait
elle qui serait au pouvoir lors du renouvellement. On
essaya d'un compromis entre les deux partis, mais il
échoua. Le parti Déak né se maintenait au pouvoir que
par l'appoint des 31 députés croates magyarons, comme
à Vienne le parti cortstitutîohnel ne pouvait réussir au
Reichsrath que grâce à l'appoint gallicien. Quand M. (le
Lonyay,' le chef du cabinet hongrois, vit que le parti
national croate l'avait eînporté dans la diète croate élue
en 187i, il se hâta de dissoudre cette diète dès sa pre-
mlère^éance et d'indiquer de nouvelles élections, avec
l'intetttion ou de séduire le parti national croate par
des concessions, où, s'il échouait, de faire voter à Pesth
une réforme électorale privant du droit de vote plus de
cent mîHe électeurs et étendant la durée du mandat
de trois â cinq ans. La gauche manœuvra pour que
ces deux projets ne vinssent pas en discussion, en fai-
sant faire par chacun de ses membres un long discours
sur chacun des 104 articles du projet, de façon à prolon-
ger la discussion jusqu'au 19 avrfl, date obligatoire de
la dernière Séance du Reichstag. M. le comte Lonyay,
chef du cabinet, était un manieur d'affaires enrichi avec
une rapidité vertigineuse. Il arriva au ministère malgré
Déak et n'eut jamais de considération dans le parle-
ment, ir était agréable à la cour dont il avait liquidé
les ihtérèts dans l'affaire Langrand-Dumonceau.
LÉS SLAVES SOUS LA bOMINAtlON MAGYARE 319
Serbes et Croates, sentirent durement sa main. ÏX pro-
rôiiitst là dissolution du congrès Serbe (juillet I873)iet.
nLomma Grujic, évêque de Fakrak, métroprfitain. Un
xitttiVeaU'cÔfcgrês fut convoqué près duquel on envoya
com'iïië coihmissaiipé royal le général Molinary, qui^ dès
le ^21' àoM, renvoya à son tour rassemblée. De plus on
aVi-feta,' à leur retour, les Serbes qui s'étaient rendus.
aux fêtes de là majorité du prince Milan à Belgrade.
* Pendant ce' temps avaient eu les élections au parle-
ment hongrois (juillet), qui donnèrent 245 Déakistes et
445 mëAibrës de la gauche. Miletic y protesta, au nom
des Serbes, contre les procédés autocratiqUses du gou- ;
vèi*nemeHt hongrois. La diète croate, oii, qn dépit des
mêrties 'procédés magyars, le parti national l'avait em-
porté sur les unionistes, envoya des députés à, "Vienne
pour deriiande^ à reviser, d'accord avec les députés hoQ-
gr^îs, l'arficle 1*' du compromis de 1868, ce. à quoi VEni- .
peïeuf consentit.
'11 faudrait t)ottvoir exposer ici par le menu ce que c'e^t ,
que la domination dés Magyars sur leurs sujets cypates»
serbes et roumains, pour bien comprendre quelle hqrreur
et quelle haine inspire cette domination. Alors ils étaient .
maîtrrcs dèè élections par le scrutin public. Malheur à
ceux qui votaient contre le candidat magyar; ils s'expo-
saient à mille avanies et persécutions dont ils ne pQu-
vstient obtenir justice ni auprès des juges, tous magyars,
ni auprès des fonctionnaires tous magyars ou magya-
rons : ils étaient sous la canhç du I*andour ou du Pla-
yache. Leurs impôts, exigés avec une rigueur impitoya-
ble, allaient alimenter à Pesth le trésor soldant cette
armée prête à les mitrailler, ces administrations et ces
tribunaux ligués contre eux, ces écoles où l'on ensei-
gnait en niagyar des idées magyares. On leur laissait
seulement la faculté, après les avoir épuisés, de fonder
deséeoles nationales à leurs frais. Tous ces faits relevés,
commentés par une presse nombreuse et active, une
presse oroate, une presse roumaine, une presse serbe,
348 HISTOIRE OE l'AUTBIjfïHB
une presse slovaque, exaspéraiept i*ûpiDio|i. Ç.^e^t, jbi
perspecltve de passer sous ce jouç'abnorré qjin îpft )[fs
armes à U main atix conflnaires ^ns récUâuffouf*èe 4^
Rakovica si exploitée depuis par lès'magyiBLF9j(8.sLl A pp-
wmbre 1871); et qui rendit leurs plates si. yiyes
quand le i" décembre 187*2; ils furent rendus à, l^jiutorîté
civile, c'est-â-dîfé à/l'aulorlté magyare ^(Iç reste 'd^s
èbnfihs subit îe'mérae sort J^é 8 août i873^ datel^e H dj(ç-
parition définitive de .celle inàliliition). Même ôppres-
*sion des malheureux Hoùmains abandoaués par li^urs
arefaevèqufes Schagupa (du rite grée oriental, résidait à
Stbîco) el Vancea (du rite grec-càttiofe(rae, résidant à
Blasiu ou Bfadetidorf). Là aussi les Hongrois ^aisalont
passer dès 'l!)éakiàtes grâce aux ihôyéns les plus inoujfi
de la coirajkioh 'et|'de la violpnce . ' " , . ]
' Sur ce'é entrefaites' eut Ifénle ô.septiembre 1872, à
llèrlth,'la fameuse ehtrévtie djss .tjTois Empereurs qu^^fij^
TôMet 3e' sft nombreux' fco;nmentàires a,fuas,j^ pi*i^?çe
elii'ôpéëhné bt bù* se resserra entre les^trçis cours ,1)^-
lî^nlcé que t^biible tàn't aUjovfrd*huilaques(io|\ ^lànenj^t
Lb Hongrie 'n'en mbht'rà, dans lés délégatiojjLS, que. pWs
dfe rédstance à iaughiéntei^ le tiùdgèt de la guerre^ tant
èlîé ctai^nàît'què .rAi;triche né se laissât tçnt,er par i]||!i|
interventions dans les 'affairés européennes que là 'ïrjfe^i^
leithanie, uiiîqueiiiëht occupée d'elle-même, n'adniei; msâ
Le 18 novembre un scandale înôuf sç produisit au Rêi-
étrstag : u biembre de la^ gaùqhe , Csernatonyi^ dé-;
nohça avec tarit d'énergie et aussi d'évidence les tjrîpp^l
t»gé!s flriatlcW^ dé M. de lionyay-, que celui-ci dut
donner sa déiùlssibn. Il fut remplacé par M, ,J[osép)i^
SkfetVjr, filsi d*ùii jhiajôf autrichien, p^articipanti^ co^mé,
UT. AndràssyVd^ rînisiirrectîon dé 1848^* qùijjïui^ y^^^
cîhqt 'ans de prisin. Mais, le régîtaé^Vdçç .jp;eùplésj^w
iiiagyai*s né' flirt iiullemerit (Clîarigë par ^et éye'nenj^^^^
Dànsîeé pi^etniersî ihoi^ de 1873, ïa diète dT^^i'am^Acj^T
cliëte/deé souffrahce^ iniérîéurés du pays ' cons^n^^îi.
cbndurë'àveo tes Hongrois ùfa nouveau^^ompjpQniîs.gui
ÉTABLI SSSH'È>It 'nésÉLECTIONS DIRECTES 349
'Aeddrifiaît'aux'Çlroàtes que âes 5ajtistact!oifa,trè»ri^par-
'raitfeà', '^t' qui eut "pour récitât de Ipriyw .pçii|i)aùt
'^uèld^iés (k'nnées les Serbes et le^ Roitfnams ai^çoju^e.t^a
' 'de fa Croatie Jtê' nouveau 'com^ii^Dii^ fut yç^ l«i,^,fiej9-
"l'e/rtibré" parla |vtix'conlre IjOJj,, ' , !^ , , ,;, -i ..;;,,-,. ,,i.
' JÀ^buVerriemenl cisIeitliGiji,, dé^sf Sfajit .de, veqù; à
"bout I des diètes i^jû étisaipt (çs députés ,^u,B,ejcJi^atbi
Wi'èdîlait, av^n's-nous dit,^ d'introclHirè, J^ )ïyat^jnp.,4^
électibiia directes, Qommç en j^ranf:;e,,j]^fi .^tjdif;„,fîa
'Allèiil'aghé.' tji se prononça pour^ ('élection, par,9QrutMi
limnqmiiial,' ou daiTon'dis3eniçQt.,]Les,éLet;t^r^,ser«iw^
ïeiiii qui 'volaient ct^à, pQjLir k ^ripatiQ^jd^a dj^^t
iltKiids propriétaires^ ipdùaiÉrie)f!^, I^uta.;|aW^^"^^^r
tÂiifà' des 'cômiitùnéal comnierj;çïift3,i étç,.iL^ dVf^ dfl
m^adat serait de siii; aiis. Lg^ ^ouvéU^ ,lf:iyé;(ait.i;a4fiiilé&
8e' ifaçon à ê'trte . fàvorabljC aijx .^yem^d^i iAift^ii«|
ë8bème', elle dohnaii'$4"(i^Riitée',è3.50P.QOO,gl^ve3,pt
S6 a l,Sboib(X),AJléin?fl,às. En,.iin, njpt, p^ pi:qjetT, pVf-
d'œuvij^ de ^. Her(^t^^,^pç sçïia8ajj;.ni £l^^.le,npIpbJn^,()«
la' popuiàtîori pi iqr le cbiffpe; des (nipô^s. j t , squjfîrp , 1^
colère des 'Polonais, tfieo qu'on leur .pffflt.epooaipeiii
sation ' des cc^cessions d'autonom^' Qjfa(Kl.ie,,proJ8t
ftit patenté le 13 février 187(1, M. GrojcboUJU) d,44Âr«
qu'A était une violation dés droits des dictea,^' Uquitt»
le Rpichsràth avec ses amis. Le vote li'en, eut pas iqoiii^
lieu lé ë n^ars par 1^ yoi^c contre 2( les représentants
polonais et tchèques étant'absents; et. i|Ç 3,9Vi:U^'empe-.
reui-' sanctionna celte loi q^î d.wiffaïttaiix A]|£^u{inds la.
pleine domination dans la Ci^eitlianié- Le ^septe^re»,
unrescritimpéiîalp.rononfà^disaolutJon,di;Heicli;âraUi.
et ordonna leS ^ectlons dilates jinttté|difttes, aQii quR Ip
nouveau Reichsratb pût ,se réiwiwle î.njjvéïnbre 1873,.
Cette annéi^ 18Ï3 vit en infù l'ouverture ^(Tijxppsition,
universelle de, Vienne qui, i^ipntjarlée paç, ^ç cboWa et;
par la situation intérieure de l'empire, (^e. réussit qu(i
médiocrement : eHe attira à Vienne 1^ t(à ^It^lie (17 â)
2S septembre). ïl y avait été précédé le l" juin par le
aSO ftlSTOlM DB L'AÛTltrGHË
Gzar et le 25 juin par iltnpératrlce d'AUemagne. Le
mois même de l*oaverttire de l*expoâitîon éclata'à Vicra»
cette grande crise financière (Krach) qui amena la chate
de tant d'établissements financiers et d'entreprises
industrielles et commerciales, la ruine de tant de spécu-
lateurs et de tant de familles, le suicide de tant d'action-
naires, et qui affecta pour si longtemps le crédit de
rAutriche. L'Autriche est devenue la patrie favorite" de
l'agiotage et de la bancocratie internationale'. La situa-
tion n'est pas meilleure en Transleithanîe. Depuis 1867,
la dette hongroise s'est accrue de 887 millions de francs
(emprunts de 1867, 1870, deux de 1871, deux de 1873).
De plus sa part de la dette consolidée et de la dette
rurale de lAutriche montait à près d'un miilard' de
florins. Ces dépenses ont servi à entretenir l'armée
nationale des Honveds, à construire des chemins de fer,
à subventionner le théâtre de Pesth et ont été prises
sur les malheureuses nations annexes, lès partes annexât.
Bn 1874, M. Ghiczy, ministre des finances translei-
thanes, dédsirait que le budget de 1873 se soldait par
un déficit de 42 millions de florins et, tout en proposant
des expédients, avouait que jusqu'en 1876, il faudrait
a^r avec une extrême économie, ce qui n'empêchait pas
les délégations de voter le gros budget militaire destiné
à maintenir les forces de l'Austro-Hongrie sur un pîed
de paix armée.
Les premiers mois de l^année 1874 furent employés à
de graves discussions sur les projets de loi présentés par
le gouvernement cisleithan et destinés à régler les rap-
ports de rÉglise et de l*État -d'après les idées modernes
et, on peut le dire, d'après les principes qui inspiraient
en même temps à Berîin les fameuses lois ecclésiasti-
ques. Ces projets furent présentés le 9 mars au Reichs-
rath : il s'agissait de régler le mode de nomination des
fonctionnaires ecclésiastiques» Dès le 2 février. Pie IX
avait adressé aux évêques autrichiens une encyclique
où il condamnait les lois confessionnelles. Quelques
L.OIS ECCLÉSIASTIQUES r- LSS i£UNES TCHÈQUES 351
Q^i^clievèquesy ceux, de yieûne, de Breslau, de SaltZ"*
li^ourg; entre autres, déclarèrent ouvertement . qu'ils
xi^obéiraîent pas aux nouvelles lols.Jje prince Âuersperg
déclapa énergiquement de 3on côté que 1« gouvernement
saurait se faire obéir et répondit avec fermeté çlu Vati-
can. ÏjSl loi, votée par la chambre à une majorité de^
trois quarts des voix, fut adoptée le 1 1 avril par la chambrç
4ies seigneurs sans modifications, à la grande gloire de
cette chambre qui ne se montra pas cléricale avant toutj
comme les ehambres hautes et les sénats de tant d'au-*
très pays. Koions que ces lois étaient très-moderées. On
se soumit. Pie IX autmisa même spécialement Tévêque
de lintz à les accepter : il avwt assez de la lutte relir
gieuse en Prusse contre MM. de Bismarck et Falk.
L'Empereur sanctionna les nouvelles lois le 8 mai. Le
gouvernement, d'i^illeurs, savait .que les évéque^, s'ils
commençaient la campagne, seraient abandonnas de
leur clergé, ifnalgré les efforts du cardinal archevêque
de Vienne, Aauscher. Le prêtre autrichien, sauf dans le
Tyrol toujours voué à rultmmontanisme , est plutôt
l'homme du seigneur qui confère les bénéfices, (en
Bohême sur 2,000 bénéfices, 1,280 sont entre les main$
des grands propriétaires) et de la nationalité que
l'homme de l'Eglise.
Cette même année vit les jeunes Tchèquiss rompre
résolument avec la politique d'abstention qui depuis 1867
avait si mal réussi aux: vieux Tchèques. Sans rien céder
sur les revendications autonomistes de la Bohême, sans
renoncer à l'espoir d'obtenir pour le royaume de Persn
myl un compromis ou Augskich semblable à celui qu'a
obtenu le royaume de Saint-Etienne, ils déclarèrent en
septembre 1874 qu'ils siégeraient à la diète de Prs^gue^
qu'ils reconnaîtraient la constitution de décembre et
qu'ils iraient au Reiohsrath de Vienne, pour essayer d'y
faire triompher leurs idées; ceci au grand scandale des
! féodaux les Thun, les Belcredi, les Glam-Martinitz, etc.
Le même moi3, à l'occasion des grandes manœuvre^
un YoyBg;e' oïi il fui reçii avec eii,tliousiiLgine. mais oiul
refusa. (Tel itendiie a,iicune aâiresse aiitbnpmrsté^ Xt^dl Wl
Tchèque^ de itforayie 'Biégeaipiit jau^ Jfe^ ^â^ifsl
l'èspoir d'amener' u)ie i^tionciliatjon'sur' J|l ^Wé ' ç(e^ |
inslitutiofis exUWnt^/ deci 'ne yoiuait, pjis ~qir^^ une 1
r)ëconcïliirion,àvec ce parti Ailema/id qui, (oat'en aè '
paranit du ti(re de Yérfassungiti-eù (les pdèles à^la,cot>s'-:
tiltitïoa'), est ûaiquemQni tourné vers Bertip, aspii-é Â
se' perdre dans. l'anii^ allemande' et né oons^dèré l'Âu-
Inche qui; comme un pï^Uer eï un abrî provisfiire.
iLép Serbes feijft'reiitavssî Quelque satisfaction : leur
congrès éctlémâti^ue se Uni e^ jùalét à karloyics! npus
avorit'jît'que'les Serbes, n'ont, comme itislruipëiit na-
Uônal, que cè|Co'ngrès qui peul ftré 'iponsidéré'cymnop^
un'larg^, conseil' ^d^ifajbnqué bu'flgurerit J 'la fois le,'
clergé' eî les laques, qui, nommer' les' iif^enSbrés Se la'
hiérarchie ecclé»^ti^u^,.^t octininistre, (es fonds coiisi^
djérables deè églises, des, Toiiçlalibns et des ^col^^ ,1[^
congrèa.^Iuf.^ pour patriarche, I^éyêgtie Siajkôy^, iDaii|^
l*en)^réÛT ayant refusé de sanctionner ce cBji^iXj, le,
congrès, o^rMiletlc fùirmëme se résigna à ïa ^oupiis^,
sjon, ^iM,'^. la p'jacé iWéijue ro.umai)i yacst,ovip, ^m
fu^'insla|lél|e'i8ao^f., ' '"" ,'',",'',!",■[,.'
Ia Honme 'perdit Dôaif en mari, 18'75,'et plus jl m^
s'est, d^andé aî l'àuleur-dù-dualisnqe n''em^<^t'à[t;p,as
avec' laî danf là t<^l>e. l'autohoniie .magyare. Èi^ 'îfpM,
das apparences, les. hàif;e,& des i^iionaljtés ne sont' pas'
apaisées contre les filsd'Àrparf. La 'Hongrie parlemen-
taire, .(^yeC'pSçn^tuniultueux parlenii.'iit qui ccnsommn
t^Qt,de ;niiii^èi¥.S J^c.'pst aiyo'urdlïui M. Tjsza, chef du
centre Wuchç.*iHV^sV*V'P^"^**l''J> .-c^ t''''clii'iis eiila-
cMeB,d^,c^iH>tjQHei de violences qui vont quelquefois!
jiff>qu''au m'ç;uHc& ei surto'u,l sa mauvaise atlmiiùstralion!
flfiancière qfjïruine'lep peuples tr^an^leithaps, ne'paraft'
pas, avoir ^.g^uis Je3.sympal)[jLies des nalions du Danube. '
D6.3pI^ç6të^ l!êxtfêine gauche fl'a rioii abdiqué de sun''
ÉTAT KCTliki liE LA TRÀm'BITHANIE 3Bà
lëiiii^kiVàb mt^rîeuf^ des Magyars liëcliiiiinu'éi^t fîeii de,
!lear àrrogahceel déleurs procédés tJTân^^
T 'dès SÏ4ves'et;dès Roumà|n^, auii^iieîà îl^ cdiitîp.uènt 4
ï îihposéi'/pair.'tbus ies'itioyehs'pto^ et
leurs ncimmes; et cependant on constaté un phénomène-
* singulier : la race magya.i'e n çst ççls t)rolin(jué comme
son amie et Àlïiée la racé a^emande ': elle est eh ccin-j
stantè diminution numérique', tâhdis que iés Rbiimàms
se iQliUipliént propgieusen^^^ent, au point «neme d âb-
sorbW avec ràpiàité lés' è^^^ Kbngi^ôîsMÎ y a Ij,' pour
celte' nation hbrigroigé jeéùlë 'de sa race eh* Autriche,"
el isiïé'e .iar sa langue, sbii orgueil; él lés hàihéà qui
1 ^ntouren^, un avj^nir menaçant. De piUs 1$ Çôngriep
^àys ésséri(j^èli^mé^'''a^^ mérCt (l*uhej
ihaùvàisé récçlîe,* et' clç grémei'? dé' l'tîuipbpe kùl^lt dH
tWriBlés' disette^ 'qui' àii^enehrik tuih'ê-deâ 'gr^dâ ef
de's'petfts-^rbpri^^^^
m'emtréà ' possèdent encô?e 'deà pjrbprfétêè duhé'îhi-^
riiérisô éténdiie retifermant plù^ ' dtè trèhle ' Vilfeges et liîi '
Ibi réodialitè seihblé s^ètrè réfugiée, ; s *bbèjfe et yénd \ina:
partie de ses terres qu'achètent le' Juîî ou l'AllemdhdV'
Le$ Juifs, ^r Tâchai dëk proprié(é^,'pak^ Wbàh^^^^
pàrUé'éaiaTét;'èonl' eh train dé/niiiièt* ï^s ^pbiplilaiiôîis'
de ;ïâ ÛâlUcïe ei'dWé'pài^^ cleili t^dhsIeithaTiîe; et;;
sbril en 'même temps ïes^ïnsfruttîéhft' dé 'ïâ' gértokifl- '
saiion. ' '
V^niêeAÉit a/étè'Wuk Wnreu^é tfbilr l^Xtel^ithaÔJè'
que pàxxT ïa 'l^raAîslèi&am^
soïd^er par dés 'excédants, et' ïeptogi^éyécohorà
industriel brçhctre 'lùie certaine '8tcuyité.*'^je' "5 àVm éùt '
lieu â Venise l'a .couirtôiçé èntreviié dé ï'MiicÔls-Jb^è^li^^
et' dé Viçtor-Emipanuel. Mais cette' ahri^ê ' a» vu' iiàîtrè'
aussi Ilnsûrreçtion de la Êoshie éf dé'l^Iïériég'ôVineV!
prélude de là question d'Orient où l*èxt^ténce'ihôirie de
20,
S54
HISTOIRE DE L'AUTRICHE
rAuiriche est engagée. Déjà à la fin de 1874, TAatriche-
Hongrie, en concluant avec la Roumanie et la Serbie
des traités de commerce sans demander la ratification
de la Porte suzeraine, avait pour ainsi dire écrit la
préface de cette terrible question au profit de la Russie.
On sait avec quelle sympathie passionnée les Slaves
autrichiens envoyèrent argent et hommes aux insur^s
des Balkans et avec quelle joie ils envisagèrent la possi-
bilité de l'annexion de la Bosnie qui fortifierait tant leur
élément. Les Hongrois, au contraire, redoutant ce qui
faisait la joie des autres, affichèrent la plus ardente
amitié pour les Turcs, et c'est là qu'on vit se révéler les
inconvénients du dualisihë. L'Autriche et la Hongrie
ont des intérêts différents dfans la question d'Orient, et
nous allons voii* sans donte VAujfsleïch soumis à une
redoutable épreuve. Nous finissons en effet cette his-
toire au seuil de la crise la plus redoutable qu'on puisse
prévoir pour l'empire des Habébourès.' = •
<•<
CONCLUSION
Au moment où noue terminons ce livre, le renouvel-
lement du pacte austro-hongroia, de Vaugsleich^ est
presque a^uré en droit pour dix nouvelles années, car,
en lait, des événements plus ou moins prévus peuvent
le soumetjbre à de redoutables épreuves.
L'accord a failli échouer; sur la question de la banque.
Les Magyars ont toujours trouvé que Vaugsleich avait
eu le tort de ne pas réaliser trois des articles princi-
paux de leur programme d'autonomie absolue : l'auto-
nomie militaire par une armée exclusivement magyare
commandée en magyar par des officiers magyars ; l'au-
tonomie diplomatique par une représentation spéciale
de la Hongrie auprès des gouvernements étrangers;
l'autonomie financière par la création d'une banque
hongroise à Pesth. Comprenant que les deux premiers
points étaient actuellement impossibles à obtenir, les
Magyars ont concentré leurs efforts sur le troisième. Ils
ont dû cependant y renoncer. Après de longues et diffi-
ciles négociations qui ont amené la démission du minis-
tère Tisza, une transaction est intervenue, et on espère,
malgré les apparences^ qu'elle sera ratifiée par le parle-
ment transleithan [reichstag) comme elle vient de l'être
par le parlement cisleithan {retchsrath). Il n'y aura
qu'une banque, la banque impériale d'Autriche-Hongrie
siégeant à Vienne. Cette banque sera dirigée : 1^ par un
HISTOIRE DE L AUTRICBB
gçuvemeuc qjip rempçrçur non^era «ly là doubte pré^
aûntfttipn du rair^istvé des finances de Vienne él^u ^t-
liistre diçs , finapces ^e l^esth,; St* ^iâç deàx spus-gpuyer-.
neur» .nompiéB, |^<jn^ûr la présen^tipn çïù ministre dé&
fùij^nçeaci^eila^nçàii, l.autré 3u,r la^ré^n^ation du mi-
nistre, des, .finances transfeitban^;, 3° par un cçnseil
géo^I^ de jdouze memb^ps élus par Vhg§ev^\é(s générale^
^Ës actlonBaires qjiî ^e^a tenue dé choisir deux mem-r'
t)rc4 autriifhiea^ "^^^ piembreB^hoivgroi^eL (]ui pourra
éUrç| les hi^it^utr^f à.sron gré. La majeur^ f^artie' deà
açUip^iis , dfi lÀ ,^^<^"c,. étant eotré Hès mains autrichien-'
nes^il, est çe^aÏQ q_ue ^ur|.e9.clouzé mepbres du. conseil,
di^ seront m^t^4ri^.;,^iifs,Mag;yars veulent' àvb^rlj^
infÛPi^té,,Ilf4\lt qu'ils senjettéint ^acquërir dés actions
de 1a banque, ce qui fst peu probable dans l'état.dé dé-
tresse AqaqcièFe de la. Hi^n^rie et avec Içs bàlutudés si
faiit^useqùent dépensières des hùi^at^qi^ vîénflient à
bout des plus éhormfs fortùnçe.
ï.e renouyelleinefit au paçié au^trç^^on^is suhitjïï'
aaaBurerârÀu»tro^Hongrie, sous')e régime ét'rànge du.
dualisme, Ja sécurité, de l'avenir t trio(nphera-t-iI de^
conditions, intérieures et de conditions extérieures ëga-
, DflnBcette.questîon d'Orient, dont on a pu dire qu'elle
éfait ep grande partie la question du mode d'autonomie
de^ âlave^dli S^d^ l'Aulfiche en. est réduite jiu rôle le,,
p^^ iudécis et le plus fjottant, car iquélque parti qu'elle '
prèflûe, çlle ^ î^urle jâux plus ïonnidiLbles périls, Neù;^"-
traUt^j.ailiancp avec 14 "Russie conlif la Turquie, al-
liar^CQ avec, la Turquie ,^t l'Ângleteni' rentre la Russie.,
chacune de^çes résolutions est égal(iii''nt grosse de danr
geM. tes H^ongrois vpulent le .maintit'ii de l'intégrité de '
la Turquie, ce quç Ip comté ^ndrassy appelle le stalii
quo amélioré : la pressé magyare' retentit de violences,
et 4'o^jurg^tions coQtre l'ambition panslaviate; Klapka
met^niépéeaù service des Turcs, et la jeunesse univer-
sitaire hongroise va "offrir des sabres d'honneur aux
CONCLUSION 357
I ■ ' 1 r ( • ' I ' "i ' - • i ' '
généraux osmanlis. L'armée autrichienne, sous lln-
ûuehce dé TircHiat^c Aïbéri; est ^àtt 'ôôiitrkfrèpôtrr^ l*al^
liance nisse ' et "bout le E^r^^é ïïe là' tù^qùîè * ë^iré^ IS
Russie, 1'Xufn(;5he'^ là Grèce: C'e^t là'é6iUtiôn^'slâW;
E4lie est passionnément jàôuhàîit^fe èt.'Agriiiq^daîi' ïie tlût4)tf
annexer que la Bôsftte aVec soh'iiaiioii dé felàyë^,' il y
aurait alors dàns^la Tràrislelthààie,' gi^àcé^à'^^^^^
hextoh, pluà de Slaves' que de' Màgjraî»^, et fteèétiiôriïç^
de ces derniers, déjà pi contestée,' IHécévîiilt'uh Coup'
quasî-mortel. Mais les j^^^^ Se rAùtiîché; â Teùr
tour, ne vefulènt jpas jilùs de cétfe Jôoliitiôi^ (^é'Ié^'Hôii*-'
gr'oîsi Ils n'en veulent pçis, entre 'âiuti'ès'iloihbi*eùs^^^
raisons,'au poiiitdé Vue^é/;ônoifaiqûeV'(iàj',''â6ù^ élf
Autriche par la batt(iàé,' par^ïndùstrlè^
mérc^'îrs è(^toipteht;'<^ùè rânAèifon deB ïùfeéMilèy ^îi^di'
vintes tùmues,' où tout est il clrfe^'ïiut 'à lSàWè':^sét*aït^
p'ôur le budget* si surchargée' deUlu^icliéitin^'sôtifëè^
nWvéllè dfe déficit eril^4nvbque|ii'i'efeMe tfe'WBàlî^;
matie qui coûte plus qu elle ne rappône. , ' ,
'Ciinmént se fe' .dé ces iiiftîciiiM'?'i)M^ti'é a'tn
tJi-ëra-t-ôn^ 'provisoirement; feii' -r^taMaiil"le ' ^Ws 'ïôp)5-;'
téthpà liosMé' là crise' orientale: 'II ''est rii^nlé à'rèiïfâri''
qùer que;; dâns''tà'piuparï diés 'ihn^iidbrlibœs' Bi'biih'ù'ffeâJ
et . ,artlélèa* , aùxôttelè' donné" naissance ' ëîi ' i^utlttche"ïà' '
cAéèitëriWd.le'séihm^yfenpVaïiqù'é'qa^tJn^èè'lié^Me
à'^ècptniiiainaei', c'^st' l''4jourriè»héi)t, Maïfe àioùi^riéf h^éH'
pà^ • tàoùdre: ' Là : âitWtion ' ie' l'iiuàtb'ifloRgrîë "^^^^
minë^'!^àrdès''fi(aUt'é^;'i)aK'une ioréedës ch^^^^
côjid'amh'e àVssi.kûryméht'qufelàïurijuîé S dUï)af^ttrë'l
à tài mWibëiit dbnriél'Cé ,nWt U'tatfe àffiiï^ dénettias.''
Ndttï (irbir'ôns 'qiiè cètïé 'démonstration- ^i-yôrt. de tbïrtf
ITil^ti^tfé que hdus've'nons d^é^é\ U'Utïi'M'^tiài^'
modé'a^idiïiedès;Mst»8'et'd^^
sèrvàleùrs' :"'<<!. Ce biii éxîété'a tbuîb«rà'''uri£(''i'àM)ii"
' rAllémaghe, ' â'-potré' ' sens, 'ne (eiitéi'r Jà^'àïy ' iliié'
an'neiaôn viô'Iépte ' deé provinces, géiTtaânidàés-dë't*Aià-'
358 HISTOIHB BK L'AOTRIGHE
triche : elle «étendra q«e ie fruit pa:rftiHeinent'mtix- lui
iQmbe natureUement dans la main et; en attendavit, '«lie
empêchera qui que ce soit, la RuEfeie comprime, d'y tou-
cher» La germanisation de la vallée du. Dafiube marolie
avec une rapidité qu'on ne soupçonne pas en Europe* Il
y a longtemps, que Téconomiste Frédéric litz affirmait
que L'Allemagne devait s'emparer du cours du Danul>e
et les Allemands accomplissent à bas bruit ce pro—
gnimme^ lançant d'abord le Juif, avant-garde du Ger—
main, puis ies ouvriers, puis les colons si prolifiques,
s'emparant du commerce, de l'industrie, de la banque,
jusqu'au jour où- ils peuvent s'écrier comme en Slesvig r
Ce pays est allemand et fait partie dé la grande patrie
allemande I L'envahissement commence par les villes.
Les Allemands représentent déjà 48 •/« de la population
à Budft^Pesth, 35 •/* à Rascbau, 47 •/© à Temesvar,
70 V» ^ Hennanstadl, 3(5 •/© à Csernovîtz. Ils se sont
emparés de la navigation du Danube, toute entière aux
mains de la célèbre compagnie K.K. Bonaudamischiffùf^
th$ffes€tbûhafi. Ils ont conquis économiquement la Rou-
Hiame,par les chemins de fer et par là convention corn-
medrcdale qui a* été si inexactement appréciée à l'étran-
ger, etleur germianisation dé ce pays est favorisée;par le
prince» Charles de Hohenzollern. Dans- cette lente, mais
irréslaiS)le prise de possession de la vallée du Danube,
nonnseuiement ils ne sont pas gênés par les Magyars,
mAis les Slaves eux-mém€», forcée de choisir- entre la
laogoe magyare et la langue allemakide, préfèrefit encore
la langue aJUemande. H n'est donc pas à prévoir que
!3erlin ait des pensées de conquête contre cette Autriche
qui est sa plus commode base d'opération dans ses pro^
jets sur l'Orient européen. Nous sommes de ceux qm,ert
d^it de l'universalité de l'opinion contraire, croient
beaucoup plus, le cas échéant, à une alliance austh>-
allemande contre la Rtissie qu'à une alliance russioalle-
mande imposant ses volontés et ses vues a la fragile
moMrchie de H4d)»bourg.
Lf^Autricho <n6 pourrait se sauver que par tme confé-
djéra.tkKQ)dao& laquelle sea nationalités diverses, doutées'
diaeune delà plus grande somme d^autpnomie', trav^^il-
leraient librement à leur développement industrielicoiiih'
mercial, politique et intellectuel, squs Finâuence deé
idées démocratiques modernes et après avoir renvoyé
dos à dos le curé et le pope, qui aux divisions nationales
ajoutent si malencontreusement les divisions religieuses.
Mais ni les Allen^ands, ni les Magyars ne veulent de.
cette confédération où ils pourraient cependant trouver
leur place. Les Magyars sont aussi intraitables que ja-
mais , sans s'apercevoir que^ pressés entre deux races
aussi prolifiques que la race slave et la race roumaine,'
ils sont destinés à disparaître. Ils n'en pei^écutent pas
moins leurs sujets slaves et roumains.
On les a vus fermer en 1874 le lycée slovaque de TImr
saiat Marton, et dissoudre en 1875 Idi matt'ca sbvenskd
ou société littéraire slovaque de la même ville. Ib ont
persécuté de toutes les façons Vomladtna serbe et les
journaux. Us écrasent de leurs institutions et de leur
éducation, les Roumains de la Transylvanie, et, comme
nous le constatons plus baut, ces excès de rhégémonie'
magyare profitent surtout au pangermanisme au sein
duquel les Magyars disparaîtront t6t ou tard. Un de
leurs plus sympathiques historiens français, M. Sayous,
écrivait dernièrement : « Les maisons de second ordre
(en Hongrie), confiantes depuis longtemps dans leurs
domaines étendus, habituées depuis longtemps à une
vie noble et fastueuse, se voient obligées d'emprunter,
et, comme il n'y a plus qu'un petit nombre de majorais,
elles finissent par vendre une partie de leurs terres.
L'acquéreur est inévitablement le Juif ou rAllemaiid
du voisinage, dont la maison s'élève à côté du château
endetté. »
L'avenir de la monarchie des Habsbourgs est donc,
de quelque point qu'on l'envisage, absolument compro-
mis. On a dit d'elle ce que Voltaire a dit de I>ieu : « Si
300
HISTOIRE DE L'AUTRIGHfi
elle n'existait pas, il faudrait Tinventer. » Mais si ees
formules ingénieuses ont encore cours en métaphy-
sique, elles n'en ont plus en politique, car la politique
est dominée par des réalités et par des nécessités inéluc-
tables.
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Ck>alomimerB. — Typog. Albert PONSOT et P. BRODARD.
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